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Jean-François Bayart, né en 1950 à Boulogne-sur-Seine, est un politiste français directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, dont la spécialité est la sociologie historique comparée de l’Etat. Il est notamment l’auteur de L’Etat au Cameroun (1979), L’Etat en Afrique. La politique du ventre (1989, nouvelle édition augmentée en 2006), L’Illusion identitaire (1996), Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation (2004), L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar (2010), Les Etudes postcoloniales, un carnaval académique (2010) et Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012 (2012).

Par ailleurs Jean-François Bayart a été le fondateur des revues Politique africaine (en 1980) et Critique internationale (en 1998) et de la collection « Recherches internationales » (en 1998, aux éditions Karthala). Il a été le directeur du Centre d’études et de recherches internationales de SciencesPo Paris (de 1994 à 2000) et est le président-fondateur du Fonds d’analyse des sociétés politiques (depuis 2003). Il est commentateur de la politique internationale dans différents médias. Il a été consultant permanent du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères de la République française (1990-2005), et membre de la Commission du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale (2012-2013). Il est le directeur scientifique du Focus des Rencontres des cinémas d’Europe de la Maison de l’Image d’Aubenas (depuis 2010). Il a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris, à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, à l’Université de Lausanne, à l’Université de Turin et au Graduate Institute de Genève.

Biographie

Bien que Jean-François Bayart soit surtout connu du grand public pour ses travaux consacrés à l’Afrique subsaharienne – et notamment pour L’Etat en Afrique. La politique du ventre, publié en 1989 et vite devenu un classique des études africaines, qu’il a complètement renouvelées[1] – son véritable objet est l’historicité du politique, qu’il analyse dans une perspective comparative, à partir des sociétés extra-occidentales[2].

Dès son premier ouvrage, L’Etat au Cameroun (1979), Jean-François Bayart a pris ses distances par rapport aux écoles qui dominaient alors la science politique – d’une part, les théories de la modernisation et du développement politique, d’origine nord-américaine, de l’autre, l’école dite de la dépendance, d’origine latino-américaine – et il a insisté sur les continuités sous-jacentes aux ruptures de la colonisation et de l’indépendance et sur l’autonomie historique des sociétés africaines[3]. C’est cette problématique qu’il construira en paradigme à l’échelle du sous-continent dans L’Etat en Afrique. La politique du ventre (1989), en ayant de l’Etat une acception processuelle plutôt que normative et essentialiste, en s’interrogeant sur sa formation en rapport avec celle d’une classe dominante, et en avançant les concepts de « rente de la dépendance », de « stratégie d’extraversion », d’ « Etat-rhizome », d’ « assimilation réciproque des élites », de « bloc hégémonique postcolonial », de « terroir historique »[4]. Contrairement à ce qui lui a parfois été reproché, il n’a jamais vu dans la « politique du ventre » une « culture politique africaine », plus ou moins associée à la généralisation de la corruption et de la prédation, mais une gouvernementalité, au sens foucaldien du concept, historiquement située, et à l’intersection des techniques de domination sur les autres et des techniques de soi[5].

Le même genre de malentendu surviendra lors de la parution de La Criminalisation de l’Etat en Afrique (1997, en collaboration avec Stephen Ellis et Béatrice Hibou), qui fit scandale, en partie parce que nombre de lecteurs prirent pour argent comptant le titre sans voir qu’il s’agissait d’une problématique de sociologie historique dont le contenu du livre dégageait l’acuité, mais aussi la portée circonscrite à une poignée de pays[6].

Pourtant, l’année précédente, Jean-François Bayart avait impitoyablement critiqué le culturalisme dans L’Illusion identitaire (1996), un ouvrage dans lequel il prenait le contre-pied de la thèse de Samuel Huntington sur le « choc des civilisations » et développait une problématique permettant de penser les relations consubstantielles entre culture et politique « sans être culturaliste », un peu comme il avait essayé de penser la dépendance de l’Afrique « sans être dépendantiste » une dizaine d’années auparavant. Au-delà des débats et des polémiques du moment, ce livre s’inscrivait dans la continuité de L’Etat en Afrique, dont il aurait dû constituer originellement la dernière partie, et affinait les problématiques de l’énonciation du politique et de l’extraversion que Jean-François Bayart avait proposées dans les années 1980, tout en insistant sur le rôle central de l’imaginaire dans la production du politique et sur le rapport de celui-ci aux pratiques de la culture matérielle[7].

Les travaux de Jean-François Bayart se sont également imposés dans les années 1980 en insistant sur la nécessité d’appréhender le politique « par le bas » et en attirant l’attention sur les « modes populaires d’action politique », notions qu’il avait mises en avant dans L’Etat au Cameroun (1979) et qu’il a reprises dans des articles remarqués de Politique africaine et de la Revue française de science politique (dont certains ont été rassemblés dans Le Politique par le bas en Afrique noire, publié, en collaboration avec Achille Mbembe et Comi Toulabor, en 1992 et réédité en 2008, dans une nouvelle version augmentée)[8]. Cette problématique du « politique par le bas » était d’ailleurs dans l’esprit du temps puisqu’elle rejoignait sur bien des plans les travaux concomitants de l’Alltagsgeschichte (l’histoire du quotidien) en Allemagne, des subaltern studies indianistes, ou encore de l’historien français Michel de Certeau qui participa à plusieurs reprises au séminaire de Jean-François Bayart au Centre d’études et de recherches internationales[9].

Après avoir consacré l’essentiel de son temps à la direction de ce laboratoire de 1994 à 2000, et avoir refusé la direction scientifique de la Fondation nationale des sciences politiques que lui proposa son administrateur, Richard Descoings, Jean-François Bayart s’attela à la rédaction d’un diptyque qui couronnait ses travaux antérieurs. Dans Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation (2004), il revint sur la question de l’historicité de l’Etat en montrant que l’universalisation de celui-ci était une dimension de la globalisation qui prévalait depuis deux siècles, au contraire de ce que la théorie des relations internationales prétendait. Il introduisit alors dans sa réflexion le concept de « national-libéralisme », qu’il reprit ultérieurement sur un mode polémique dans un recueil d’articles engagés, non sans préciser que le national-libéralisme entretient avec le libéralisme le même genre de rapport que le national-socialisme avec le socialisme (Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012, 2012)[10]. En outre, Jean-François Bayart analysait, dans Le Gouvernement du monde, les processus de subjectivation qui produisent la globalisation, à l’interface de la culture matérielle et des techniques du corps, et qui interdisent de ne voir dans la mondialisation qu’une expérience d’aliénation[11].

Dans L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar (2010), il montrait à nouveau, trois études de cas à l’appui, l’inanité de l’explication culturaliste du politique et lui substituait une interprétation sociologique en termes de formation de l’Etat, en insistant derechef sur l’historicité de celui-ci, sur les connexions entre trajectoires nationales ou impériales, sur l’imbrication des durées constitutives du politique, sur l’importance des pratiques de subjectivation[12]. Au-delà de sa portée monographique, ce livre se présentait implicitement comme un manifeste de sociologie historique comparée du politique, à l’instar du petit essai caustique Les Etudes postcoloniales, un carnaval académique (2010) qui agita le landerneau universitaire de part et d’autre de l’Atlantique[13]. Il s’inscrivait notamment en faux contre le courant de la science politique dit de la « transitologie » en affinant le concept de « situation thermidorienne » qu’il avait avancé dès 1991 à propos de la République islamique d’Iran, et en le substituant à celui de la « transition » à la démocratie et à l’économie de marché dans le cas des régimes issus de révolutions[14].

En définitive, Jean-François Bayart poursuit une œuvre cohérente et créative sur l’historicité du politique en attachant plus d’importance aux pratiques effectives des acteurs qu’aux discours, aux idéologies ou aux représentations culturelles, en faisant la part belle aux paradoxes de l’histoire, en insistant sur l’indissociabilité de la coercition et de l’hégémonie, en mettant l’accent sur l’expérience vécue des acteurs, en proposant des concepts ou des notions neufs, en allant et venant constamment de l’observation empirique à la problématisation et à la théorisation[15]. Il apparaît aujourd’hui que l’un des thèmes majeurs qui parcourent ses livres – outre celui de l’historicité – a trait à l’incomplétude des sociétés politiques et à l’ambivalence constitutive des rapports sociaux. Bien que souvent drôle, son écriture très dense, et aussi la complexité de sa pensée, à rebours du « politiquement (ou scientifiquement) correct », ne rendent pas aisée sa lecture pour un large public, handicap qu’il compense dans ses interventions publiques, ses enseignements ou ses articles de presse par sa liberté de ton un tantinet provocatrice[16].

Jean-François Bayart s’est également fait connaître par sa critique, souvent impitoyable, de la politique étrangère de la France, depuis la publication de La Politique africaine de François Mitterrand (1984)[17], par sa dénonciation de la politique malthusienne de la « forteresse Europe » en matière d’immigration[18], et par son opposition résolue à l’application du New Public Management dans les domaines de l’Enseignement supérieur et de la Recherche[19]. Celle-ci est d’autant plus notable que Jean-François Bayart est un véritable entrepreneur scientifique : il a fondé deux revues, dont la première à l’âge de trente ans, et une collection d’ouvrages, ainsi que le Fonds d’analyse des sociétés politiques [20]; il a dynamisé le Centre d’études et de recherches internationales quand il en a été le directeur (1994-2000), en conférant à celui-ci un surcroît de rayonnement international et en dé-bureaucratisant son fonctionnement [21]; il a créé, en 2010, le Focus des Rencontres des cinémas d’Europe, à la Maison de l’Image d’Aubenas[22]. L’une des particularités de son parcours professionnel est d’avoir toujours distingué les rôles que celui-ci lui faisait endosser, et dont il n’a jamais manqué de souligner les logiques spécifiques : ceux du chercheur, de l’enseignant, de l’administrateur, de l’expert-consultant, du commentateur engagé[23].

Bibliographie[24]

  • Etat au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1979 (2ème édition augmentée : 1985)
  • La Politique africaine de François Mitterrand, Paris, Karthala, 1984
  • L'Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989 (2ème édition augmentée, Fayard, 2006)
  • L'Illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996 (Prix Jean-Jacques Rousseau, 1997)
  • Le Gouvernement du monde. Une Critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004
  • Les Etudes postcoloniales. Un carnaval académique, Paris, Karthala, 2010
  • L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar, Paris, Albin Michel, 2010
  • Africa en el Espejo. Colonizacion, criminalidad y estado, Mexico, Fondo de Cultura Economica, 2011
  • Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012, Paris, Karthala, 2012

Reférences

  1. http://afrique.cauris.free.fr/bayart.html
  2. http://www.cairn.info/revue-politix-2008-3-p-205.htm
  3. http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/001120.pdf
  4. http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/037095.pdf
  5. http://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_du_ventre ; http://www.bibliomonde.com/livre/etat-afrique-politique-du-ventre-6533.html ; http://afrique.cauris.free.fr/bayart.html
  6. http://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2004-1-page-93.htm
  7. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1996_num_61_4_4597_t1_0931_0000_2
  8. http://apad.revues.org/3503
  9. http://www.fasopo.org/reasopo/n1/comparerparlebas.pdf
  10. http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/230412/le-bilan-de-nicolas-sarkozy-la-realite-depasse-l-apprehension ; http://www.franceculture.fr/emission-la-suite-dans-les-idees-sortir-du-national-liberalisme-croquis-politiques-des-annees-2004-2
  11. http://www.cairn.info/la-bibliotheque-ideale-des-sciences-humaines-article-28.htm ; http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_2004_num_69_4_1118_t1_0871_0000_3
  12. http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RFSP_612_0283 ; http://www.canal-u.tv/video/ehess/06_conference_de_jean_francois_bayart_un_islam_republicain_est_il_possible.11481 ; http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/180510/lislam-est-il-soluble-dans-la-republique ; http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/28/etre-laique-en-terre-d-islam_1610163_3232.html
  13. http://www.fasopo.org/reasopo/n23/chronique.pdf et http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/181011/relire-fanon
  14. http://www.ceri-sciences-po.org/publica/question/qdr24.pdf
  15. http://www.theory-talks.org/2012/02/theory-talk-47.html ; http://www.fasopo.org/cv/publi_bayart.pdf
  16. http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart
  17. http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/171210/quelle-politique-africaine-pour-la-france ; http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/02/12/obscenite-franco-tchadienne-par-jean-francois-bayart_1010332_3232.html
  18. http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/13/assez-de-collusions-avec-le-regime-de-kadhafi_1507009_3232.html
  19. http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/02/18/le-management-du-savoir-par-jean-francois-bayart_1157071_3232.html ; http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/120712/l-enjeu-de-la-succession-de-richard-descoings-sciences-po
  20. www.fasopo.org
  21. http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/users/jeanfbayart
  22. http://www.maisonimage.eu/archives/rencontres-2010/turquie.html ; http://www.maisonimage.eu/archives/Rencontres-2011/festival-cinema-georgie.html ; http://www.maisonimage.eu/archives/rencontres-2012/festival-cinema-Focus-Armenie.html
  23. http://www.academia.edu/959846/_La_these_un_acte_concret_de_creation_im_pertinences_de_Jean-Francois_Bayart_au_seminaire_dACT ; http://lettre.ehess.fr/6327 ; http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=12725
  24. http://www.fasopo.org/cv/publi_bayart.pdf