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Montesquieu – Le théâtre

Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu'elle se passe tous les jours à Paris. Tout le peuple s'assemble sur la fin de l'après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j'ai entendu appeler comédie . Le grand mouvement est sur une estrade, qu'on nomme le théâtre . Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu'on nomme loges , des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse. Ici, c'est une amante affligée qui exprime sa langueur; une autre, plus animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même: toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n'en est que plus vive. Là, les actrices ne paraissent qu'à demi-corps, et ont ordinairement un manchon, par modestie, pour cacher leurs bras. Il y a en bas une troupe de gens debout, qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre, et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas.

Charles de Montesquieu (18/01/1669 - 1755). Lettres persanes (1721) (lettre 28)

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s:janvier 2009 Invitation 1

Edgar Allan Poe - Le cheval de feu

Il lui paraissait impossible d’arracher son regard à la fascination de cette tapisserie. Mais le tumulte du dehors devenant soudainement plus violent, il fit enfin un effort, comme à regret, et tourna son attention vers une explosion de lumière rouge, projetée en plein des écuries enflammées sur les fenêtres de l’appartement. L’action toutefois ne fut que momentanée ; son regard retourna machinalement au mur. À son grand étonnement, la tête du gigantesque coursier - chose horrible ! - avait pendant ce temps changé de position. Le cou de l’animal, d’abord incliné comme par la compassion vers le corps terrassé de son seigneur, était maintenant étendu, roide et dans toute sa longueur, dans la direction du baron. Les yeux, tout à l’heure invisibles, contenaient maintenant une expression énergique et humaine, et ils brillaient d’un rouge ardent et extraordinaire ; et les lèvres distendues de ce cheval à la physionomie enragée laissaient pleinement apercevoir ses dents sépulcrales et dégoûtantes.

Edgar Allan Poe - Metzengerstein, in Histoires extraordinaires (Traduction de Charles Baudelaire)

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s:janvier 2009 Invitation 2

Yeats - Tu marches sur mes rêves

Si je pouvais t'offrir le bleu secret du ciel,
Brodé de lumière d'or et de reflets d'argent,
Le mystérieux secret, le secret éternel,
De la nuit et du jour, de la vie et du temps,
Avec tout mon amour je le mettrais à tes pieds.
Mais tu sais, je suis pauvre, et je n'ai que mes rêves,
J'ai déposé mes rêves sous tes pieds,
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves.

William Butler Yeats (1865 – 28/01/1939) - He wishes for the Cloths of Heaven (Lui qui aurait voulu pouvoir offrir le ciel)

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s:janvier 2009 Invitation 3

Maxence Fermine - Les funérailles de Tango Masaï

Puis ils entamèrent des chants de lamentation et dansèrent sur le rivage, l'écume aux lèvres, en proie à l'émotion et à la tristesse, désireux de rendre hommage à la splendeur et au courage du guerrier défunt.

Après la toilette funéraire, ils installèrent le corps de leur chef sur un lit de branchages, le recouvrirent d'un linceul, portèrent cet étrange cercueil jusqu'à la rive, le déposèrent sur les eaux du lac Victoria et, après un dernier adieu, le regardèrent partir à la dérive.

Et tandis que le défunt regagnait sa dernière demeure dans un profond silence, glissant sur la surface limpide de ce tombeau de larmes, miroir fragile séparant les morts des vivants, les guerriers demeurés sur la rive lui rendaient un dernier hommage en hurlant leur colère et leur chagrin, brandissant leurs lances à. la face du ciel afin d'en défier les astres.

Ainsi eurent lieu les funérailles grandioses et magiques de Tango Masaï,le dernier sultan de Tabora.

Maxence Fermine - Tango Masaï (page 254) - (éd. Albin Michel 2005)

s:janvier 2009 Invitation 4

J. D. Salinger - Je vis Vieille Sally

Finalement, je vis Vieille Sally monter les escaliers, et je descendis à sa rencontre. Y a pas d'erreur, elle avait une allure terrible. Elle portait ce manteau noir et cette sorte de béret noir. Elle ne portait presque jamais de chapeau, mais ce béret était joli. Le plus drôle, c'est qu'il me prit envie de l'épouser à l'instant où je la vis. Je suis cinglé. Je ne pouvais même pas dire que je l'aimais bien, et pourtant, tout d'un coup, j'eus l'impression d'être amoureux d'elle et de désirer l'épouser. Dieu me damne si je mens, je suis cinglé. Je l'avoue. - Holden! dit-elle. C'est merveilleux de te voir. Ça fait des siècles. Elle avait une de ces voix très criardes, très embarrassantes, quand vous la retrouviez quelque part. On la lui pardonnait parce qu'elle était si sacrément belle, mais ça me faisait toujours mal aux fesses. - Je suis content de te voir, dis-je. Je le pensais aussi. - Comment vas-tu? - A merveille, absolument. Je suis en retard? Je lui dis que non, mais elle était en retard d'une dizaine de minutes, en fait. Je m'en fichais, d'ailleurs.

J. D. Salinger (né le 01/01/1919) - L'Attrape-cœurs (USA 1953, nouvelle trad. fr. éditions Robert Laffont, 1996)

s:janvier 2009 Invitation 5

Montesquieu – Le théâtre

Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu'elle se passe tous les jours à Paris. Tout le peuple s'assemble sur la fin de l'après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j'ai entendu appeler comédie . Le grand mouvement est sur une estrade, qu'on nomme le théâtre . Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu'on nomme loges , des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse. Ici, c'est une amante affligée qui exprime sa langueur; une autre, plus animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même: toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n'en est que plus vive. Là, les actrices ne paraissent qu'à demi-corps, et ont ordinairement un manchon, par modestie, pour cacher leurs bras. Il y a en bas une troupe de gens debout, qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre, et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas.

Charles de Montesquieu (18/01/1669 - 1755). Lettres persanes (1721) (lettre 28)

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