Discussion:Sabra (Liban)

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J'ai supprimé la dernière contribution car c'était un copié-collé d'un article du Monde cf http://www.angelfire.com/journal/sunnah/Dossier/sabra_shatila.html Il y avait donc un problème de copyright

ske 27 sep 2004 à 14:07 (CEST)



En septembre 1982, les Forces libanaises massacraient plusieurs milliers de Palestiniens réfugiés dans les camps de Sabra et Chatila, au sud de Beyrouth, avec la bénédiction d’Ariel Sharon. Des rescapés se souviennent. NIHAD HAMAD a quarante-deux ans aujourd’hui. D’une voix étrangement posée, elle raconte, dans le moindre détail, comme si cela s’était passé hier, le cauchemar des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en ces journées des 14, 15, 16 et 17 septembre 1982. De ces horribles massacres, la commission israélienne d’enquête Kahane a, en février 1983, soit six mois plus tard, rejeté la responsabilité indirecte sur l’ensemble de la chaîne de commandement israélienne, en particulier le ministre de la défense d’alors, Ariel Sharon, aujourd’hui premier mi nistre élu. Sur ses ordres, en effet, l’armée israélienne avait, pour la seule fois à ce jour, occupé une capitale arabe, Beyrouth, avec pour objectif de bouter l’Organisation de libération de la Palestine hors du Liban.

Après le meurtre, mardi 14 septembre 1982, du président élu libanais Bechir Gemayel, qui était l’ami des Israéliens, M.Sharon et les chefs de l’armée avaient autorisé les milices chrétiennes des Forces libanaises à pénétrer à Sabra et Chatila, dans la banlieue sud de Beyrouth, pour déloger deux mille combattants prétendument restés sur place après l’évacuation de l’OLP. De combattants il n’y en avait point. L’affaire tourna à la tuerie de civils. « J’avais vingt-trois ans », raconte Nihad, qui habite toujours à Chatila, à quelques centaines de mètres de la rue où le plus grand nombre de civils ont été tués. « Mercredi, après le meurtre de Bechir Gemayel, l’aviation israélienne s’était livrée à des raids fictifs. Les gens avaient peur. On avait le sentiment d’être sans protection. L’OLP était partie. Où pouvions-nous aller? On était sûr qu’on nous ferait payer le meurtre de Bechir. Très vite le meurtrier a été arrêté. C’était un libanais. On ne s’était pas trompé. L’armée israélienne a assiégé le camp et dans la nuit de mercredi, et encore jeudi matin, ils ont essayé de pénétrer du côté est. Nos combattants étaient partis. Il n’y avait plus ici que des jeunes de quinze-seize ans. Ils bouillonnaient. Il y avait parmi eux un Libanais de Tripoli qui savait qu’il y avait une cache d’armes. Il leur a distribué des armes légères parce que les gens ne voulaient pas mourir sans se défendre. Ils se sont spontanément mobilisés et nous aussi. Nous leur apportions de l’eau et de la nourriture. »

« Dans la nuit du jeudi, les bombardements ont redoublé d’intensité, poursuit Nihad. Nous avons vite compris que les armes légères n’y pourraient rien. Alors les jeunes ont décidé de dynamiter la cache d’armes, histoire de faire croire aux Israéliens que le camp pouvait résister. Ce sont des choses que peu de gens savent », insiste Nihad. « Entre l’explosion du dépôt et les bombardements israéliens, c’était l’apocalypse. On s’est tous réfugiés dans les abris. Mais on avait peur. Alors les notables, les gens les plus âgés ont décidé d’aller dire aux Israéliens que le camp se rendait. Ils ont pris un chiffon blanc et ils sont partis en voiture. Ils ne sont jamais revenus. Les jeunes en armes, qui allaient dans la même direction, ne revenaient pas non plus, pas plus que ceux qui allaient à leur recherche. On a alors compris qu’il valait mieux quitter les lieux. »

Nihad raconte ensuite l’enfer des bombardements, les tirs de fusées éclairantes – « On aurait pu ramasser une aiguille dans la poussière », dit-elle –, la fuite éperdue de centaines de personnes vers une salle commune, à la périphérie nord du camp – « nous étions si nombreux qu’on en étouffait presque ». Elle parle du retour chez soi, au petit matin, dans un camp «plongé dans un silence de mort, une ville fantôme ». Les bombardements avaient cessé, « on entendait parfois quelques tirs isolés, au coup par coup. Puis, déchirant le silence, les hurlements d’une femme, du côté de la mosquée.» Elle avait les cheveux en bataille, les vêtements déchirés couverts de sang, l’air d’une folle. Ses enfants, disait-elle, « ont été égorgés sur ses genoux. Elle ne savait pas à qui ni à quoi elle devait elle-même la vie…» . A quoi les gens ont-ils reconnu les miliciens des Forces libanaises? « Ils avaient l’insigne du cèdre sur l’épaule, parlaient l’arabe avec un accent libanais et s’interpellaient. Leurs noms n’étaient pas juifs », répond Nihad. Y avait-il aussi des Israéliens? « Ils leur assuraient un cordon de sécurité, dit-elle. Eux sont entrés et ont sévi, au couteau et à l’arme blanche pour que le massacre se déroule en silence. Les gens se sont mis à crier, à parler d’une tuerie dans le quartier occidental. On a pris la fuite. Des voisins qui étaient restés chez eux ont été tués. On nous a dit que mon cousin était blessé, qu’il était à l’hôpital de Gaza. On y est allé. C’était noir de monde. Des enfants, des femmes, des hommes avaient été la cible de francs-tireurs. Mon cousin a été évacué avec d’autres vers des hôpitaux de Beyrouth-Ouest grâce à la Croix-Rouge. Il a eu de la chance car les miliciens, après en avoir fini dans le camp, sont allés terminer leur sale besogne à l’hôpital de Gaza. Ils ont tué et emmené des blessés, des médecins et des infirmiers. »

Nihad n’en a pas fini. Elle raconte la fuite des siens, un chiffon à la main et la peur au ventre, vers les quartiers ouest de Beyrouth occupés par Tsahal. Elle raconte l’asile offert pour une nuit « dans son garage et à condition de ne laisser filtrer aucun signe de vie » par une « connaissance libanaise». Elle raconte le refus des gens de croire au massacre jusqu’à ce que les radios en parlent; elle raconte la recherche d’un nouvel abri le lendemain; elle parle de «gens enterrés vivants», de «la disparition» d’autres dont on n’a jamais retrouvé la trace. «On a parlé de 3000 à 3500 victimes, dit-elle, à cause de tous ces non-retrouvés. Le problème, c’est qu’il n’y avait aucun référent pour dresser un bilan exhaustif.»

« On dit que 1500 victimes sont aujourd’hui ensevelies dans le terrain vague baptisé cimetière des Martyrs de Sabra et Chatila, à l’entrée sud du camp, dit Abou Moujahed, qui était alors secrétaire du comité populaire du lieu et qui dirige aujourd’hui un centre pour l’enfance. Mais nul ne connaît le nombre exact des victimes. Il n’y avait pas uniquement des Palestiniens. Il y avait aussi des Libanais de Tripoli, de la Bekaa, du Sud. J’ai eu moi-même connaissance d’un Syrien venu rapatrier le corps d’un parent. Des familles ont elles-mêmes enterré des corps. D’autres ont été ensevelis au cimetière des Martyrs à Beyrouth-Ouest. Il y avait les victimes visibles, parce que laissées à découvert, mais il y en a eu d’autres, mortes sous les décombres de leurs habitations. Les gens parlent aujourd’hui du quartier ouest, mais certaines personnes ont été enlevées au cœur du camp. J’en connais deux, les frères Mohamad et Aberd El Saga. Sans oublier que des massacres ont eu lieu du côté sud du camp. »

KHADIJA KHALIB a perdu, elle, dix membres de sa propre famille: sa mère, sa sœur et les huit enfants de cette dernière. « Je les avais pourtant mis à l’abri, dit-elle, à Beyrouth-Ouest. Mais mes parents étaient des gens simples; ils ont remis leur sort entre les mains de Dieu et sont rentrés chez eux sans me prévenir. J’avais de leurs nouvelles par des gens qui venaient du camp. Ce jour-là ce devait être le 17 septembre, j’ai acheté trois journaux à la fois. Les massacres faisaient la manchette, avec une photo des victimes. Aucune mention de noms. J’ai eu comme un pressentiment. Là, sous la couverture, sur la photo, c’était ma mère.»

« Nous nous sommes précipitées, une autre sœur et moi, vers le camp. Mais à l’entrée mes jambes ne me portaient plus. Je n’avais pas le courage d’avancer entre une haie de corps, de personnes tuées d’une horrible manière. Les gens fuyaient encore. On parlait de nouveaux massacres. Ma sœur y est allée. Je m’en voulais de la laisser partir seule et je me suis évanouie… Ma mère avait bien été tuée. Ma sœur et ses enfants aussi. »

Les massacres de Sabra et Chatila ont coûté à Ariel Sharon son poste de ministre de la défense. La commission Kahane l’a de fait accablé et a vivement critiqué huit autres dirigeants israéliens, principalement le chef d’état-major, le chef du Mossad, mais aussi le premier ministre d’alors, Menahem Begin. Quant au général Sharon, « il est impossible, a jugé la commission, de justifier de la part du ministre de la défense l’ignorance du danger ». Non seulement M.Sharon s’est abstenu, pendant deux jours, d’informer M.Begin de ce qui s’est passé, mais il porte, selon elle, « la responsabilité de n’avoir pas donné les ordres appropriés pour que soient réduits les risques que comportait l’intervention des phalangistes c’est-à- dire les Forces libanaises » dans le camp. Ces ordres « auraient dû être la condition du feu vert accordé à l’opération », ont insisté les membres de la commission, compte tenu du fait que, après sept années de relations suivies entre les milices chrétiennes et les dirigeants israéliens, ceux-ci auraient dû savoir à quoi s’en tenir. Les responsables du Mossad en particulier savaient, selon la commission, que les phalangistes voulaient «éliminer le problème palestinien au Liban, (…) au besoin en ayant recours à des méthodes inqualifiables ». Soulignant que « le ministre de la défense n’a pas rempli son devoir », la commission l’invitait à « tirer lui-même les conséquences de ses erreurs ».

Le 11 février 1983, M.Sharon présentait sa démission. Le rapport Kahane nommait en toutes lettres le responsable du groupe de miliciens chrétiens entré dans Sabra et Chatila. Il s’agit d’Elie Hobeika, qui était au poste de commandement avancé installé par les forces israéliennes sur le toit d’un immeuble distant de deux cents mètres seulement des limites du camp de Chatila. C’était de là que M.Sharon et le chef d’état-major de l’armée israélienne supervisaient l’occupation de Beyrouth-Ouest, après l’assassinat de Bechir Gemayel. C’était aussi de là que M.Hobeika dirigeait les opérations de ses hommes. Ses ordres, qui ne laissaient aucun doute sur ses intentions, soulignait la commission d’enquête israélienne, ont été rapportés au fur et à mesure et sur-le-champ par des officiers israéliens au chef d’état-major, qui n’en a tenu aucun compte. Mais au Liban, on a refusé en bloc les conclusions de la commission d’enquête israélienne et rejeté sur Tsahal seule la responsabilité des massacres. M.Hobeika n’a jamais été inquiété, voire a été longtemps ministre après la fin de la guerre civile en 1990. Devenu, il y a quelques années, très proche de la Syrie, il coule des jours tranquilles au Liban.

L’ACCESSION de M.Sharon au poste de premier ministre en Israël ne fait ni chaud ni froid à Nihad et Khadija. Pour elles, d’autres dirigeants israéliens « n’ont rien à lui envier en matière de crimes »<. « N’est-ce pas Ehoud Barak le premier ministre sortant qui est responsable aujourd’hui des dizaines de morts de l’Intifada? Et Shimon Pérès ne doit-il pas être tenu pour responsable de la mort de 107 civils libanais à Qana » en 1996, lors de l’opération dite «Raisins de la colère», interroge Nihad? A ses yeux, tous les Israéliens se valent: « Les intermèdes pseudo-pacifistes ne servent qu’à permettre à l’Etat juif de reprendre son souffle avant de nouvelles batailles. »

L’une et l’autre originaires de la région de Safad, elles ne rêvent que de «retour». La nouvelle Intifada et la détermination dont a fait preuve l’Autorité palestinienne en exigeant la reconnaissance par Israël du droit au retour des réfugiés leur ont mis du baume au cœur et ravivé leurs espoirs. «Je marche la tête dans les nuages», assure Nihad. Lorsque l’armée israélienne a achevé son retrait du sud du Liban, le 24 mai 2000, Khadija est allée jusqu’à la frontière pour voir ElKhalsa, où elle est née. « S’il ne m’est pas donné de vivre jusqu’au “retour”, au moins l’aurai-je vue de loin », explique-t-elle, assise à la petite table de la minuscule épicerie remarquablement bien tenue qu’elle a ouverte dans le camp. « Si seulement je pouvais me rapprocher, aller chez mes deux sœurs qui vivent en Cisjordanie et à Gaza, soupire-t-elle. Ce n’est malheureusement pas possible avec une carte de réfugiée! » « Les gens, ici, explique Souhed Natour, membre du comité central du Front démocratique de libération de la Palestine, fondent un immense espoir dans l’Intifada. »

On n’en est certes pas là. Pour l’heure, Sabra et Chatila, qui n’ont jamais été un havre de prospérité et où les conditions de vie ont toujours été à la limite de la décence, sont aujourd’hui un quart-monde surpeuplé où se côtoient Palestiniens, Libanais déshérités, Syriens, Asiatiques, Ethiopiens – tous travailleurs immigrés –, bref un échantillon des malchanceux de ce monde, selon l’expression d’Abou Moujahed. Beaucoup de Palestiniens sont partis d’ici pour l’étranger, pour un autre camp ou pour un quartier populeux de Beyrouth, parce que 1982 n’a pas sonné la fin des drames. Il y eut, trois ans plus tard, ce que l’on a appelé la «guerre des camps» conduite par la milice libanaise chiite, Amal, avec son cortège de nouvelles destructions et de victimes. Et puis il y a toutes les restrictions imposées par les autorités libanaises aux réfugiés, qui les empêchent de gagner décemment leur vie. « On ne vit pas, on survit, dit Khadija. Les morts, ce ne sont pas seulement ceux qui sont sous terre. Il y a aussi des morts vivants. »