Discussion:Madeleine Biardeau

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Digressiins[modifier le code]

Madeleine Biardeau découvre, à un moment donné de ses premières recherches, la structure chez les Amérindiens de Lévi-Strauss. Elle va appliquer, nous dit-elle, cette méthode au monde brahmanique pour en tirer une compréhension globale du texte «si malmené et mis en morceau par la science contemporaine». D’où l’on constate la difficulté des Occidentaux à traduire ce long poème autrement que par le biais du rationalisme et du tâtonnement, ce qui en soi est déjà une prouesse digne de respect, notamment en ce qui concerne l’œuvre de feue M. Biardeau puisqu’il n’en existe pas d’autre de cette envergure. (Exception faite des travaux des deux sanscritistes, Guy Vincent et Gilles Schauffelberger qui ont décidé de tout traduire et qui ont déjà plusieurs volumes d’achevés.)

La phrase qui suit, toujours de M. Biardeau, est significative et nous informe sur le mode de travail des indianistes : «Certes, écrit-elle, il y faut quelques capacités de refus au départ.» Ici, elle mettra en doute le fait que les lecteurs en général puissent s’intéresser à une traduction littérale, mot par mot. Pour ma part, je trouve qu’elle a eu raison de proposer sa version de 2000 pages. Il était plus que temps pour les francophones d’avoir accès à cette œuvre magistrale. Mais avec les «refus», il y a malheureusement un pan essentiel du Mahabharata qui reste inaccessible ou confus aux chercheurs et lecteurs scrupuleux et avides d’authenticité. Tous les grands commentateurs hindous du Mhb, comme Madva ou Ramanuja (1200 environ), nous ont mis en garde contre l’impossibilité de saisir le sens des écrits védiques sans la foi en la tradition spirituelle et sans la participation émotive du lecteur à la saga du Mahabharata. Biardeau est consciente des obstacles qui jalonnent la traduction. Elle décrit la difficulté en ces termes : «Tout travail scientifique, par ailleurs, implique généralement une ou des hypothèses et c’est, pour l’auteur de l’ouvrage, une simple affaire d’honnêteté que de l’admettre.» Mais, en l’occurrence, pour elle -et la pierre d’achoppement est de taille-, l’épopée est une riposte des brahmanas au bouddhisme?! Or le Mhb ne fait aucune allusion au bouddhisme. Biardeau contourne cette singularité en déclarant l’occultation intentionnelle et que Vyasa et les brahmanas ont tout simplement fomenté une conspiration...

Partant de ce point de vue pour le moins insolite, il est aisé de fixer l’épopée à une date proche de l’ère chrétienne, ce qui arrange de nombreux savants. Le problème n’est pas réglé pour autant; le Mhb, avant d’être écrit, était diffusé par voix orale pendant de nombreux siècles auparavant. On comprend mal son interprétation des faits, surtout, qu’ici et là, dans les textes védiques plus anciens et les Puranas, on trouve des indications contraires à ses spéculations; par exemple lorsqu’elle écrit : «On aura compris que l’épopée ne surgit pas ex nihilo de la puissance créatrice de l’auteur. Non seulement il a un corpus de textes nettement plus anciens… » (c’est moi qui souligne). Et dans tous ces textes, nulle mention du bouddhisme. Normal, l’avènement du Bouddha est beaucoup plus tardif, conclusion à laquelle n’importe quel quidam peut arriver, mais pas elle, ce qui rend la lecture de son Mahabharata frustrante, car nous sommes toujours dans une perspective rationnelle et condescendante par rapport à cette œuvre pourtant si géniale. Même le Persan de Montesquieu n’irait pas jusqu’à affirmer que les dieux ont véritablement foulé le sol terrien en s’y incarnant comme des mortels!? Non, pour un indianiste, aussi téméraire soit-il par rapport à ses collègues, la réponse est dans sa poche : ce sont des fabulations destinées aux faibles d’esprits, genre paysan du Danube.

Dans cette attitude commune aux védantistes, il y a en filigrane la théorie darwinienne qui s’est imposée comme la vérité. Celle-ci affirme que le monde a commencé en Afrique et que les premiers hommes en sont issus. Aussi, le colonialisme a perpétré cette idée-sœur que les hindous sont des êtres inférieurs, des indigènes incapables de posséder un savoir supérieur ou égal à celui des Européens. Surtout -et il faut se rappeler que les premiers indianistes étaient des catholiques et que leurs travaux s’adressaient avant tout à des catholiques, avec tout le dogmatisme que cela entraînait-, il était inconcevable qu’il y ait eu avant la Bible d’autres Écrits pertinents. Mais, si de tels textes existaient, leurs auteurs avaient sans aucun doute plagié l’Occident, plus exactement les Iraniens, les Juifs ou les Grecs. Pendant longtemps la thèse voulant que les Aryens aient envahi la péninsule indienne et communiqué leur science à ces peuplades primitives aux milieux des jungles a prédominé dans l’esprit des intellectuels. Or les études récentes montrent que toutes ces élucubrations ne tiennent pas debout. Dans les faits, on se rend de plus en plus compte que les civilisations tous azimuts ont puisé des trésors de connaissances dans la tradition hindoue. Dans pratiquement tous les arts ils se sont imposés comme les plus sophistiqués, les plus brillants.

Il y a encore un autre élément majeur, et de taille celui-là, dont madame Biardeau ne prend pas en compte et qui est souligné à maintes reprises dans l’œuvre elle-même, c’est la nécessité de recevoir une initiation d’un maître spirituel versé dans la compréhension du Mahabharata pour appréhender sa signification profonde. Que ce conseil crucial ne soit pas pratique pour les non hindous, la logique nous contraint à ne pas tomber dans les extrêmes en coupant les coins et, par là, faussant la transmission. Par exemple, en parlant de la « forme descente», ce que les Indiens appellent un avatar de Vishnou, en l’occurrence Krishna, madame Biardeau nous prévient qu’il s’agit-là d’une invention de l’auteur Vyasa : «Non seulement il introduit une figure du dieu intermédiaire entre son être suprême de yogin et le monde ordinaire, mais il invente un nouveau détour du récit…» Jamais pourtant Vyasa ne parlât de création, d’invention. Au contraire, il insiste pour que les lecteurs prennent au sérieux les manifestations historiques qu’il décrit. Il raconte l’histoire pour la postérité, afin qu’elle ne se perde pas avec la mémoire qui décline. Vyasa uvaca, ou, comme on dit en latin : Vyasa dixit. Les constantes recommandations qu’il fît à ce sujet sont si claires que nous avons du mal à comprendre la démarche de M. Biardeau. --Akilaziz (d) 13 juillet 2010 à 16:37 (CEST)[répondre]