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Montesquieu – Le théâtre

Je vis hier une chose assez singulière, quoiqu'elle se passe tous les jours à Paris. Tout le peuple s'assemble sur la fin de l'après-dînée, et va jouer une espèce de scène que j'ai entendu appeler comédie . Le grand mouvement est sur une estrade, qu'on nomme le théâtre . Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu'on nomme loges , des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes, à peu près comme celles qui sont en usage en notre Perse. Ici, c'est une amante affligée qui exprime sa langueur; une autre, plus animée, dévore des yeux son amant, qui la regarde de même: toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n'en est que plus vive. Là, les actrices ne paraissent qu'à demi-corps, et ont ordinairement un manchon, par modestie, pour cacher leurs bras. Il y a en bas une troupe de gens debout, qui se moquent de ceux qui sont en haut sur le théâtre, et ces derniers rient à leur tour de ceux qui sont en bas.

Charles de Montesquieu (18/01/1669 - 1755). Lettres persanes (1721) (lettre 28)

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