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Utilisateur:Pierre BOQUIÉ/Quelques règles d’éthique personnelle de la discussion en ligne

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De la communication verbale au forum de discussion sur internet[modifier | modifier le code]

Moins nos cinq sens sont sollicités dans une discussion, plus celle-ci s’appauvrit et peut faire surgir toutes sortes d’obstacles à une bonne compréhension mutuelle. On pourrait presque établir une loi de la graduation dans les échanges qui stipulerait que « plus le média de communication est virtuel, plus la qualité de la relation en pâtit ». Il est plus facile de s’embrouiller au téléphone avec un inconnu que de visu et certaines situations sont impossibles à régler par échange d’email. Il faut pouvoir se parler.

On ne mesure pas assez l’importance de la communication non verbale dans un échange direct. Elle est parfois au moins aussi importante que les arguments échangés. Les intonations de la voix, le regard, l’expression du visage, la gestuelle, accompagnent et enrichissent le message qu’on tente de faire passer. En avons-nous conscience ? La plupart du temps, non. Sauf peut-être si on est comédien.

Trouver un accord, lorsqu’on est privé de ces précieux indices sur l’intention de notre interlocuteur, nous amène à combler ce vide par une représentation fantasmée de celui-ci : « C’est certainement cet inconnu qui est à l’origine de la confusion qui s’installe, car moi je suis au clair avec mes idées. Après tout, je ne sais pas à qui j’ai vraiment affaire. »

Que dire alors des négociations sur une plateforme collaborative basée uniquement sur l’écrit, lorsqu’aucun de nos sens ne nous relie directement à des interlocuteurs inconnus sous pseudonyme ? Ne cumule-t-on pas là le maximum de handicaps qui peuvent conduire à une méfiance excessive et une interprétation erronée d’un point de vue qu’on ne partage pas ?

À situation nouvelle, nécessité d’adapter sa stratégie[modifier | modifier le code]

Nous sommes fascinés par la soi-disant ouverture sur le monde que nous offre internet. Mais sommes-nous suffisamment conscients des conséquences d’une recomposition du monde tellement éloignée de sa réalité physique ? Est-il si étonnant que les problèmes de communication qui ont toujours existé entre êtres humains se trouvent amplifiés par l’usage de plus en plus répandu de ces nouvelles technologies ?

Il existe deux façons d’envisager cette problématique :

  • Sous l’angle des bonnes pratiques adaptées à l’outil employé.
  • Sous l’angle de sa stratégie personnelle de communication dans un environnement complexe.

Je laisserai de côté le premier point, largement documenté dans les Règles de savoir-vivre, pour me concentrer sur le deuxième, tout aussi crucial et peu documenté.

Je me placerai, bien évidemment, d’emblée dans la position de « l’honnête homme », car c’est son attitude qui nous intéresse. Certaines valeurs sont non négociables pour lui, mais comment résister à la pression qu’exerce parfois la communication en environnement dégradé ?

Les moyens employés, plutôt que le but à atteindre[modifier | modifier le code]

Quelle que soit la teneur des échanges, un contributeur devrait toujours préserver son intégrité. Mieux vaut perdre une ou plusieurs batailles que de tenter un passage en force par l’intimidation, la ruse ou des arguments biaisés.

Il doit être flexible pour infléchir son argumentation en fonction des réponses reçues, y compris en n’ayant aucune difficulté à admettre ses erreurs. Il intégrera à sa pensée et à son argumentation toute nouvelle information crédible qui sera portée à sa connaissance.

Il devra toujours s’exprimer en se mettant le plus possible à la place de ses interlocuteurs et en évitant les détails inutiles. La lecture nécessite un effort supplémentaire par rapport à l’échange verbal, qui doit être compensé par un effort équivalent de clarté et de concision dans l’exposé. Cette rumination nécessaire s’apparente à « tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». 7 minutes, 70 minutes, 7 heures ?

L’écrit possède aussi cet avantage indéniable que résume bien ce proverbe : les paroles s’envolent, les écrits restent. Le fait que Wikipédia archive tout rassure l’honnête homme, qui n’aura éventuellement à constater que quelques erreurs factuelles, mais pas de fautes contrevenant à l’éthique de la plateforme collaborative.

Résister à la dictature de l’immédiateté[modifier | modifier le code]

Pendant des siècles, les individus, qui avaient le privilège d’avoir eu accès à l’écriture ont échangé de la correspondance écrite sur de longues périodes. La notion du temps n’était pas vraiment abolie, car si la réponse tardait à venir, on pouvait s’inquiéter. Mais entre deux lettres, la pensée pouvait mûrir lentement. C’est ce qui manque drastiquement dans les échanges d’aujourd’hui. La tentation de répondre dans l’instant est le piège le plus redoutable contre lequel il faut résister.

Écrire est un acte irréversible. Il peut être corrigé, mais pas annulé (surtout sur WP). Tant que les arguments défilent dans notre tête, on peut les substituer sans dommage. Nous en sommes les seuls témoins. Mais une fois exprimés ils ne nous appartiennent plus vraiment, n’importe qui peut s’en saisir et leur tordre le cou.

Arrêtons-nous un instant sur ce qui se passe dans notre tête au cours de ce processus de rumination. Nous moulinons la réalité la plus virtuelle qui soit : elle n’a aucune existence physique. Tant que nous n’exprimons pas notre pensée, personne ne peut véritablement la connaître. Nous ne devrions donc pas avoir peur de mettre toutes les hypothèses sur la table – les nôtres, mais surtout celles des autres – pour avoir une vision la plus large possible de l’état actuel du débat.

Le tri de ce qui mérite d’être retenu sera ensuite fait à l’aune de notre intime conviction – et surtout pas de l’objectif que l’on s’est fixé. Reste ensuite à les prioriser par ordre d’importance et normalement un argumentaire solide en sortira. Tant qu’il subsiste un doute, il faut recommencer le processus d’examen de la moindre information que l’on a éventuellement ignorée ou sous-estimée. À l’issue de ces ruminations successives, l’idée lumineuse surgira naturellement.

Reconnaître le bon moment pour répondre[modifier | modifier le code]

Le bon moment, c’est lorsqu’on a quelque chose de pertinent à dire qui puisse faire avancer le débat. Il doit être, le plus possible, exempt de doute. Il est indépendant de ce qui se passe dans la discussion.

Lorsque le doute disparaît, il se passe un phénomène qui ne trompe pas. Sa propre conviction intime, qui veillait jusqu’ici en arrière-plan, se met à surplomber la scène de son petit théâtre intérieur, faisant table rase de tout ce qui est faux, mal foutu, bricolé, inventé, fantasmé et inutile. Notre pensée a franchi un pas décisif. Un processus de reformulation de la question permet d’accoucher d’une nouvelle réponse, plus complète, mieux ordonnée, intégrant plus d’informations fournies par le groupe.

Votre point de vue initial s’est élargi et peut même avoir changé, si vous vous étiez réellement fourvoyé – situation très rare chez l’honnête homme, mais qui ne doit pas être écartée. L’intégrité morale est à ce prix et la réception qu’en feront vos interlocuteurs vous renseignera à votre tour sur la leur.

N’oubliez jamais, pour votre tranquillité d’esprit, votre confort intime, que l’honnêteté prime avant tout. Restez à l’intérieur des limites de votre probité et vous ne vous égarerez que très peu.

Le temps de la réponse vous appartient, une fois que l’alchimie de la pensée juste (à distinguer de la pensée neutre) a produit son effet. Ne vous laissez pas dicter votre agenda par les autres.

En fonction du niveau d’intensité des échanges, c’est là que votre force morale sera mise à l’épreuve. Il peut même arriver que, n’arrivant pas à surmonter les multiples contradictions qui vous agitent, vous soyez obligé de concéder provisoirement la victoire à vos contradicteurs.

À l’abri de l’œil du cyclone[modifier | modifier le code]

Prenons un cas extrême. Vous êtes seul à défendre une position et vous faites face à une meute d’opposants, y compris d’opposants déloyaux. Un déluge de commentaires vous inonde, partant dans tous les sens, mélange d’informations plus ou moins pertinentes jusqu’aux cas extrêmes de l’enfumage, de la moquerie ou de la provocation. Vous ne pouvez pas répondre sereinement à tous, au risque de vous laisser entraîner sur la pente glissante de la vindicte. Ce serait perdu d’avance. Même si vous arrivez à avancer quelques arguments valables au milieu d’une réaction trop émotionnelle, ce n’est pas ce que retiendront vos interlocuteurs. Agissez de manière contre-intuitive :

  • Commencez par résister à l’envie de répondre coûte que coûte.
  • Attendez que ça se calme dans votre tête.
  • Il est conseillé d’aller faire un tour, d’éviter de rester rivé à son écran, pour assister, impuissant, à son exécution symbolique. Cela pourrait avoir raison de votre patience.
  • Revenez ensuite à l’ensemble des échanges qui ont eu lieu et commencez à faire le tri : ce qui est pertinent, ce qui ne l’est pas, ce qui conduit à une impasse ou ce qui ouvre un passage, même étroit. Une simple fente laissant passer une raie de lumière dans l’obscurité suffira.

C’est à partir de cela que vous pourrez rebondir et c’est à celui qui aura été porteur de la remarque pertinente que vous répondrez en priorité. S’ils sont plusieurs, vous leur répondrez à chacun, dans l’ordre d’importance de leur contribution à l’émergence de l’intelligence collective.

Dans le cas extrême où vous estimeriez qu’il n’y a vraiment rien à sauver de ce qui a été dit, il vous faudra peut-être abandonner la partie pour reprendre la discussion dans un nouveau chapitre, à partir d’autres arguments. Peut-être faudra-t-il le dire pour clore ce chapitre, mais peut-être pas. Il est néanmoins extrêmement rare que la qualité des échanges descende aussi bas.

Le piège de l’argutie[modifier | modifier le code]

Il est plus difficile de répondre à de faux arguments qu’à de vrais, ne l’oubliez jamais. Car, pour avoir des chances d’être entendu, il faudra jouer de tact et de diplomatie pour éviter de heurter la susceptibilité d’un interlocuteur qui s’est laissé aller. Il le sait aussi bien que vous mais, comme tout un chacun, il a horreur qu’on le lui fasse remarquer en public.

Ne vous exprimez jamais pour simplement contredire ou dénoncer mais pour enrichir le débat, conduire plus loin, infléchir une direction. Ce qui est erroné, sera naturellement abandonné, car une nouvelle piste sera ouverte.

Dire la même chose sans se répéter[modifier | modifier le code]

Évitez de vous répéter ou de faire remarquer systématiquement que vous avez déjà répondu à un argument. S’il n’a pas été entendu, cherchez à le reformuler différemment. Cela vous obligera à le revisiter pour en vérifier la pertinence. Peut-être y apporterez-vous un complément d’information qui pouvait vous sembler aller de soi, mais pas pour les autres.

Soyez patient dans l’échange, comme vous avez pris le temps de la réflexion.

Revenir à la source[modifier | modifier le code]

Lorsque vous faites face à une polémique qui utilise principalement les règles de Wikipédia pour vous contrer, relisez attentivement les Principes fondateurs pour vérifier si l’esprit de ces textes est bien respecté dans l’interprétation qu’il en est fait. Il doit toujours y avoir adéquation entre les deux. C’est pourquoi, de temps à autres, ces différents textes sont mis à jour pour tenir compte de situations nouvelles qui obligent à repenser le modèle.

Enfin[modifier | modifier le code]

Il existe une autre loi qu’il serait intéressant de creuser. Elle dirait ceci : « une fois qu’une thèse est démontrée de manière irréfutable, elle s’impose comme une vérité. » Différentes thèses plus ou moins justes chercheront peut-être à la détrôner, mais elle conservera sa position centrale de point de référence pour discuter, jusqu’à ce que peut-être une version plus large ou mieux aboutie émerge. Et l’honnête homme (ou femme), dans ce cas-là, applaudira des deux mains.

« Si l’on interroge bien les hommes, en posant bien les questions, ils découvrent d’eux-mêmes la vérité sur chaque chose. » Platon