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Gaston Miron (né à Sainte-Agathe-des-Monts le 8 janvier 1928, et mort à Montréal le 14 décembre 1996) est un poète et éditeur québécois. Le Québec lui offre des obsèques nationales, dans sa ville natale, le samedi 21 décembre 1996,. Il est considéré comme un éminent « poète national » du Québec.

Biographie

Enfance

Gaston Miron naît en 1928 au coeur de cette région des Laurentides, qui marquera son oeuvre, au sein d'une famille d'origine modeste mais dont la situation sociale était en progression. Son père, Charles-Auguste Miron avait épousé à Sainte-Agathe-des-Monts Jeanne Raymond dit Michauville, de Saint-Agricole, le 6 octobre 1926.

Le poète Miron, hanté toute sa vie par « l’héritage et la descendance » et par la question de l’identité, était loin d’avoir des origines limpides

Un vicaire a béni le mariage de Charles-Auguste Miron avec Jeanne Raymond dit Michauville, de Saint-Agricole, le 6 octobre 1926, en cette même église de Sainte-Agathe

« Je viens de la pauvreté (celle de Saint-Agricole au début du siècle) et tous, en général, d’un traumatisme (inconscient ou non) de la pauvreté », a écrit Gaston Miron vers la fin de sa vie9

, le récit de l’ascension sociale de son père,

La mère de Gaston Miron est elle-même tout juste parvenue à compléter la 5e année du primaire, assez pour apprendre à lire et à écrire, mais trop peu pour bien maîtriser l’orthographe. Cette femme courageuse a toutefois des ressources dont profiteront ses enfants, nés dans de grandes souffrances mais élevés dans la paix et un bonheur sans histoire, du moins pendant la douzaine d’années qui suit le baptême du petit Gaston à Sainte-Agathe

Cette dépression des années 1930, le jeune Gaston et ses sœurs ne l’ont pour ainsi dire pas connue, du moins pas par expérience. La pauvreté, c’était davantage celle de Saint-Agricole, mais l’enfant Miron qui y passait souvent quelques semaines estivales ne l’habitait pas, ce n’était pas la sienne, lui qui disait à vingt ans avoir connu à Sainte-Agathe « une enfance bourgeoise1 » —

Gaston Miron se trouve donc entouré de femmes durant son enfance. C’est un monde heureux, confortable, dont il tire à titre d’aîné et de seul garçon certains privilèges.

Mais l’important, c’est le travail lui-même, son sérieux, son application : ici, le distingué Charles-Auguste Miron, que son fils voyait en train d’accéder à la bourgeoisie, apparaît plutôt sous la figure de l’artisan, appliqué à couper, à tailler, à sabler et à vernir le bois : travail patient qui passe par un savoir, une culture dont les racines sont profondes et dans lesquelles un Miron peut reconnaître sa lignée. Le bourgeois, l’artisan : il y a une tension entre ces deux visages de Charles-Auguste. D’un côté, en effet, il a rompu avec un atavisme de misère et d’ignorance pour entrer dans la modernité, le progrès et l’aisance matérielle, animé par une ambition que le poète Miron va

transposer dans le domaine de la culture ; de l’autre, il paraîtra par son métier, du moins aux yeux de son fils poète, fidèle à une tradition ancestrale, reprenant la riche et belle leçon des ancêtres. Double visage de Charles-Auguste : son statut s’est élevé mais il garde la mémoire, il innove mais il continue.

C’est l’été que le jeune Miron peut s’imprégner davantage du pays de sa mère et y passer quelque temps. « Les jours de Saint-Agricole15 », évoqués plus tard avec une vive nostalgie, ouvrent une parenthèse dans la vie ordinaire et confortable de la rue Saint-André. C’est une remontée dans le temps, une brusque plongée dans le terroir du début du siècle. Bien que Sainte-Agathe et ses environs puissent procurer de réels enchantements, la nature sauvage n’y est plus tout à fait ce qu’elle était. Mais Saint-Agricole, pays pierreux des « dompteurs de sol », conserve une saveur primitive

es jours de Saint-Agricole sont la première étape d’un long et tortueux chemin qui mènera Gaston Miron à L’Homme rapaillé. Le jeune garçon, pas même encore adolescent, a-t-il pour autant conçu dès cette époque le projet d’arracher le canton de l’Archambault à l’oubli et de faire connaître sa beauté, sa « diamantaire clarté17 », à tout le vaste monde, comme il l’a raconté dans certaines entrevues ?

Il reste que les paysages de Saint-Agricole et les hommes qui l’habitent (il n’est jamais question des femmes) font sur lui une forte impression, il en conserve des expériences, des sensations, des points de vue ineffaçables, encore vivaces quarante ans plus tard

Mais voici que ce soir-là, Maxime Michauville se trouve à passer derrière son petit-fils absorbé dans sa lecture et laisse tomber : « Moi, je donnerais toute ma vie pour savoir lire et écrire. » Il ajoute ensuite, après un moment de silence : « Tu sais, quand on ne sait pas

lire ni écrire, on est toujours dans le noir. »

hose certaine, cet aveu de son grand-père provoque chez le jeune Gaston un véritable choc. Il n’avait jamais pu constater l’analpha-bétisme de son grand-père Miron, décédé au seuil des années 1930. Mais que le pionnier qui se dresse devant lui, ce grand-père maternel qui n’est pas loin d’être un héros à ses yeux, ne sache ni lire ni écrire, il n’aurait pu l’imaginer.

Sans doute aussi adhère-t-il aux propos de l’abbé Groulx, que son journal quotidien publie en exergue à l’une de ses éditions : « Nous ne songeons à dépouiller personne : seulement, nous n’entendons pas non plus être dépouillés. Nous n’empêchons pas de vivre, mais nous voulons vivre nous aussi. Et j’estime que ce n’est pas prendre la place des autres que de prendre la nôtre27. » S’affirmer, défendre son droit d’exister et de prospérer, c’est là un vieux combat dont Charles-Auguste, modestement et sans grandes envolées rhétoriques, peut donner l’exemple

S’il y a une question sociale et politique, par contre, dont il est à coup sûr conscient et dans laquelle il va même se trouver « enrôlé », d’une manière bien naïve et dérisoire, c’est celle des juifs.

Par un enfant de onze ans qui est son servant de messe et qui fait partie des petits Croisés défenseurs de la foi, nul ne s’étonnera que les positions de Mgr Bazinet soient prises au pied de la lettre. Miron lui-même racontera plus tard qu’il descendit avec d’autres jeunes de son âge chasser les Juifs de la plage de Sainte-Agathe à l’aide de fouets (sans doute des branches de roseau ou des branchages)31.

Celui-ci commence à fréquenter l’école primaire dirigée par les frères du Sacré-Cœur en septembre 1934 et il ne tarde pas à se montrer un élève brillant

à la fin de l’été 1939. Ayant rangé son fouet, le jeune Miron est rentré à l’école, dans sa classe de 6e année, au moment même où le monde s’engage dans un conflit

Charles-Auguste Miron meurt le 16 mars 1940, avant même d’atteindre ses quarante-cinq ans.

Mais comment nourrir et éduquer désormais les cinq enfants ? Jeanne, peu instruite, n’est aucunement préparée pour le marché du travail, et de toute manière, ses enfants et surtout la petite Thérèse, qui n’a que deux ans, exigent trop de soins pour qu’elle puisse songer à s’absenter régulièrement de la maison.

Sans salaire provenant d’un emploi, sans même le soutien d’allocations familiales

Jeanne essaie d’imaginer d’autres sources de revenu : elle décide d’offrir un service de lessive aux familles aisées de Sainte-Agathe,

En septembre 1940, Gaston est sur le point d’entreprendre sa 7e année : une fois son cours primaire terminé, il y aura des décisions à prendre. Les rêves universitaires de Charles-Auguste pour son seul fils, la fréquentation très coûteuse d’un collège classique, tout cela est maintenant hors de question.

Convaincre le jeune garçon d’entrer dans la communauté, ne serait-ce pas lui assurer une bonne formation dans un cadre catholique et libérer du même coup sa mère d’une bouche à nourrir

d’entrer au Juvénat afin de devenir un frère enseignant

Jamais le jeune Miron ne s’est éloigné ainsi de son petit pays laurentien

avril 1941

Dans les registres du Mont-Sacré-Cœur, l’admission de la nouvelle recrue : « Gaston Miron, né le 8 janvier 1928 à Sainte-Agathe-des-Monts, fils de Charles-Auguste Miron et de Jeanne Michaudville [sic] », porte la date du 13 avril 19414. Ce jour-là, on peut dire que le jeune homme fait ses adieux définitifs à sa première enfance.

puis au Mont Sacré-Coeur de Granby (1941-1946).

Le Mont-Sacré-Cœur a le statut d’une École normale, accréditée par le Département de l’instruction publique responsable de l’éducation au Québec :

En 1942 parvient au jeune novice l’annonce

du décès de son grand-père, Maxime Michauville, le pionnier analphabète, à Saint-Agricole. Puis, en mai 1943, sa mère lui apprend qu’elle a fait la connaissance d’un voisin et qu’elle songe à l’épouser : Gaston, à quinze ans, se fait alors conseiller et lui recommande d’aller consulter le curé ou un vicaire, car, dit-il, « il faut un bon catholique qui se souciera des enfants10 ».

La séparation est totale et, surtout, elle s’éternise : pendant six ans, jusqu’à l’été 1947, le jeune homme ne retournera pas une seule fois chez lui, pas même pour les vacances d’été. Durant ces longues années, sa mère ne lui rend que deux visites, à l’été 1943 et l’année suivante, accompagnée des quatre sœurs de Gaston, au moment où il se prépare à revêtir la soutane du novice et à devenir le « frère Adrien », simple prénom qui va rejeter dans l’ombre, sinon dans l’oubli, Gaston Miron et qui marque d’un seul trait la mise à distance du lien familial.

Toute sa vie, Miron conservera une profonde affection pour les frères qui lui ont enseigné ou qu’il a côtoyés, que ce soit à Sainte-Agathe ou à Granby.

C’est dans cette institution bien tenue, sur les hauteurs qui dominent la ville de Granby, que Gaston Miron va vivre sa transformation en frère Adrien. Cette mutation, il ne fait pas que la subir : le considérer comme une victime de la fatalité serait du pur mélodrame. Tout indique au contraire qu’il assume sincèrement ce passage, d’abord dans sa naïveté pieuse de garçon de treize ans, puis à travers les aléas de l’adolescence, les crises de conscience, les interrogations, l’éveil des passions et la culpabilité qu’il en éprouve. Le chemin est tracé et il y avance en cherchant à être digne d’une vocation sur laquelle il lui arrive bien de se questionner, surtout lorsqu’il atteint l’âge de seize ou dix-sept ans, mais qu’il ne remet jamais vraiment en cause jusqu’en 1947

Les étapes se succèdent sans surprises. À son arrivée au collège, il a d’abord terminé sa 7e année avant d’entreprendre deux années dites « complémentaires », les 8e et 9e années dont le programme couvre toute la gamme des matières, depuis la religion jusqu’à la comptabilité en passant par la littérature, l’histoire, les sciences, la didactique et même la législation scolaire.

Un premier tournant survient à l’été 1943. Le jeune homme a maintenant franchi l’étape du juvénat

postulants suivront une retraite au début du mois d’août pour se préparer intérieurement à leur entrée au noviciat18. L’événement a lieu le samedi 14 août : dans la chapelle du collège, on accueille dans le faste et la joie une nouvelle cohorte de frères du Sacré-Cœur. C’est alors que Gaston Miron devient officiellement novice et qu’il revêt la soutane pour prendre le nom de frère Adrien.

En août 1944, autre moment solennel, il accède au scolasticat et prononce ses premiers vœux : dans cette profession de foi et cet engagement, il voit une grande beauté, celle « de l’amour et du sacrifice29 »

C’est durant cet automne-là, en effet, que s’attise la flamme poétique du frère Adrien.

Les premiers essais poétiques de l’automne 1944

En 1945, l’élève qui griffonnait des poèmes à la salle d’étude a en main une anthologie maison qui regroupe des poètes français et « canadiens », comme on disait alors34. Du côté français figurent L’Âme du vin de Baudelaire, Ma bohème écrit par Rimbaud à l’âge de seize ans, des extraits de Sagesse de Verlaine, deux ou trois poèmes de Leconte de Lisle, Heredia et Samain, des passages des Yeux d’Elsa d’Aragon et des morceaux choisis des Géorgiques chrétiennes de Francis Jammes.

Aux côtés des poètes français, il faut ajouter un seul poète étranger : Rainer Maria Rilke, représenté par quelques Sonnets à Orphée dans la traduction de Maurice Betz35, avec des extraits de la préface qui cite largement Rilke lui-même, notamment ce passage fameux des Cahiers de Malte Laurids Brigge : « Les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments, ce sont des expériences. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses. » Le préfacier compare le poète des Sonnets à Orphée à un poète autrichien : le génial Hofmannsthal, fait-il remarquer, « dès ses premières œuvres a atteint la perfection ; tout différent est le lent accroissement que Rilke tire peu à peu de ses couches profondes ». On le sait : le poète Miron ne sera ni Hofmannsthal, ni Rimbaud, ni Nelligan, il suivra plutôt avec une extrême lenteur le chemin de Rilke

Ce sont les poètes du Canada français qui occupent la majeure partie de cette abondante sélection.

Robert Choquette, il s’agit presque exclusivement de ces poètes qui, entre 1875 et 1930, décrivent le monde du terroir et les visages nombreux de la vie rurale : terre labourée, croix de chemin, soirées d’hiver au coin du feu, oiseaux qui tourbillonnent à l’orée des bois, crépuscules rustiques. C’est comme une procession intime et nostalgique, qui résiste vaillamment aux assauts de la modernité et de l’urbanisation : Pamphile Le May, Louis-Joseph Doucet, Nérée Beauchemin, Albert Dreux, jusqu’au maître par excellence, Alfred DesRochers,

Bientôt, au collège, on le surnomme « Ménestrel », un sobriquet qui ne lui déplaît pas et qu’il va utiliser à quelques reprises comme pseudonyme

Il faudra attendre janvier 1946 avant qu’il ne donne enfin l’une de ses œuvres à la revue du collège, un poème de circonstance écrit à l’occasion des fêtes

Jeanne s’est en effet remariée avec Gilbert Forget le 14 décembre 1943 à Sainte-Agathe au début de l’été 1944, la nouvelle famille a déménagé à Saint-Jérôme, Gilbert Forget y ayant décroché un emploi au Plan Bouchard, une fabrique de munitions qui alimente alors les armées en guerre.

En puisant dans leur vie archaïque, analphabète et anonyme, sa plume poétique remplacera la hache : autre vigueur, autre énergie.

Va-t-elle remplacer aussi la sainteté, à laquelle n’a pas renoncé le futur frère enseignant ? Au cours de l’été 1946, la question demeure entière, mais elle devra bientôt trouver une résolution avec la rentrée scolaire qui s’annonce. Le frère Adrien, qui a déjà renouvelé ses vœux en août 1945, a dû les reconduire pour une nouvelle année après la retraite des scolastiques, en juillet 1946. Mais il n’est pas sans savoir que la prochaine fois, c’est pour trois ans qu’il devra les prononcer, avant les vœux perpétuels qui consacreront sa vie entière à la communauté du Sacré-Cœur et à l’enseignement. Il vient de terminer sa formation d’instituteur selon le programme de l’École normale et il a réussi « avec grande distinction, annonce-t-il à sa mère, le concours du gou-vernement » qui habilite les finissants à enseigner dans les écoles de la province.

Cet éloge est aussi un chant d’adieu et, au mois d’août, le frère Adrien attend dans l’anxiété, comme les autres finissants, l’annonce de son affectation dans une des nombreuses écoles que dirige la communauté, sur un immense territoire qui va d’Acton Vale à Rouyn en passant par Montréal, Cornwall et Maniwaki. La nouvelle tombe le 15 août : le frère Adrien enseignera dans une classe de 3e année de l’école Meilleur, rue Fullum, à Montréal.

L’année 1946-1947 à l’école Meilleur

En fait, à partir de 1946, il est plus que jamais absorbé par sa vocation de poète lyrique, et il cherche à tout prix à n’y voir aucune contradiction avec ses aspirations à la vie sainte et religieuse.

Son modèle, c’est le grand pionnier des sciences naturelles, le frère Marie-Victorin, qui a fait la preuve que la vocation religieuse et celle d’écrivain ne sont pas incompatibles

Personne n’ignore qu’il écrit depuis au moins deux ans ; il n’a jamais fait mystère de ses aspirations les plus hautes à la poésie, et pourtant, on n’a pu lire jusqu’à présent qu’un seul de ses poèmes dans La Voix du Mont-Sacré-Cœur. Durant ses études à Granby, il préférait lire ses pièces poétiques à des confrères au beau milieu du jardin, ou simplement les consigner dans ses cahiers. Depuis son arrivée à l’école Meilleur, il envoie quelques poèmes récents à des amis encore au scolasticat, le frère Sauveur, le frère Alban, tous deux actifs à la rédaction et à la production de la revue mensuelle du collège. Cependant, un seul poème, Contemplation, d’une religiosité surannée, tout en clair-obscur, paraît au milieu de l’automne 1946

Ronde à la joie paraît en janvier 1947

Sentant remuer en lui « de grandes choses76 », le frère Adrien persiste dans la dévotion : il a assisté à la messe du quartier Rosemont, défilé avec les frères et les fidèles de la paroisse Saint-Eusèbe, et il assiste quelques jours plus tard à une grand-messe à l’oratoire Saint-Joseph. L’année scolaire s’achève : dans sa classe, il cherche à calmer la fièvre printanière de ses jeunes élèves. Ce seront bientôt les vacances et une retraite est prévue, au début de juillet, pour les frères qui, comme lui, sont sur le point de s’engager plus à fond dans la vie religieuse. Mais il y aura un intervalle entre la fin des classes et cette retraite : dès la fin avril, il annonce dans une lettre à sa mère qu’il pourra venir passer quelques jours dans les Laurentides à la fin juin : son premier retour au pays natal en plus de six ans

Départ. Le lendemain, 4 juillet, il va entreprendre la retraite qui doit mesurer l’authenticité de sa vocation avant qu’il ne prononce ses nouveaux vœux.

La crise intérieure a culminé au cours du mois de juin.

En fait — et c’est là le cœur du problème —, le conflit entre les deux vocations du jeune frère enseignant n’a jamais été aussi évident.

Facettes, une brochure d’une quinzaine de poèmes que Ménestrel a fait circuler chez certains de ses proches :

Quand il quitte Saint-Jérôme pour rentrer à Montréal, le 4 juillet, le frère Adrien est mûr pour la bataille finale

« Écrivain, c’est une mission sublime, grande, noble, sacrée, apostolique », pense-t-il, mais comment concilier un idéal aussi exigeant avec la vocation religieuse ?

Décide de quitter la vie religieuse

Depuis les belles années de Sainte-Agathe, le jeune Miron n’a pas connu autre chose que ce nationalisme d’inspiration traditionnelle. À dix-huit ou dix-neuf ans, c’est là toute sa pensée : il faut, proclame-t-il, aller vers « les fils du sol, les fils des villages qui n’ont pas perdu le sens de la race46 »

Le jeune Gaston Miron a alors dix-neuf ans. Il faut mesurer le choc brutal qu’il subit à la suite de sa sortie de communauté

Son projet de devenir écrivain, l’une des raisons majeures qui l’ont amené à quitter la communauté, demeure évanescent, conçu comme une vocation « sublime » dont il mesure très mal les conditions d’exercice.

Mais au moment de sa rentrée dans le monde profane, Gaston Miron ne connaît, au mieux, que quelques poèmes de l’auteur du Vaisseau d’or et de La Romance du vin, et il ignore jusqu’au nom de l’auteur de Regards et Jeux dans l’espace, qui a apporté un souffle nouveau à la poésie québécoise en 1937 — comme lui est inconnu Alain Grandbois, dont Les Îles de la nuit parues en 1944 participent,

sur un autre registre, de la même rupture qui rend de plus en plus caduque la patrie intime chantée aimablement par Nérée Beauchemin.

Le frère Adrien est-il vraiment mort ? En fait, dans un premier temps, Miron croit pouvoir reconduire dans la vie laïque l’essentiel de ses idéaux religieux : « vivre pour une seule cause, la gloire de Dieu », pratiquer « l’esprit de sacrifice5 » que son siècle a perdu, juge-t-il.

Mais lorsque le jeune homme s’installe à Montréal, à l’automne 1947

Par la suite, il s'inscrit en sciences sociales à l'Université de Montréal (1947-1950).

De 1947 à 1950, il exerce divers métiers

À court terme, même si son but est de devenir écrivain, il ne saurait rester à la charge de sa mère et de la famille. Parmi les métiers qu’il a envisagés, au cours des mois précédents, dans l’hypothèse où il quitterait la communauté, le journalisme figurait en tête de liste.

Quoi qu’il en soit, malgré sa bonne volonté, le passage de Miron à L’Écho du Nord sera très bref

Il peut toujours se rabattre sur des emplois manuels. Un de ses oncles a une petite entreprise de plomberie qui fait aussi des travaux de réfection de toitures. Le jeune homme qui portait la soutane quelques semaines plus tôt devient ainsi apprenti plombier, mais il ne semble pas avoir beaucoup appris en tuyauterie : il passe plutôt les journées ensoleillées de ce mois d’août à travailler sur les toits, où il aide à l’épandage du goudron et à la manutention des matériaux. Cette expérience toute nouvelle lui fait une forte impression. Il se retrouve ainsi parmi un autre peuple que celui des bûcherons et des paysans : ce sont « de pauvres gueux, des ouvriers fatigués » qui

savent ce que c’est que « d’être de la petite race ».

Ce silence a pu laisser croire que Miron a occupé durant une année complète des emplois manuels dans les Laurentides, notamment comme couvreur, un travail qu’il évoque dans certains récits et qui lui a fait prendre conscience des réalités de la condition ouvrière. Mais le séjour de Miron à Saint-Jérôme n’aura même pas duré deux mois, à l’été 1947.

Ce dur labeur manuel le confirme dans sa vocation première, ce projet d’écrire qu’il rumine durant ses temps libres, tout au long de promenades pleines de bruit et de fureur

Miron affirmera avoir occupé « mille emplois » à Saint-Jérôme après son retour à la vie civile, ce qui paraît plus qu’hyperbolique, étant donné qu’il n’y est resté que quelques semaines.

« Je m’en vais à Montréal étudier les sciences sociales. ses cours du soir à la Faculté des sciences sociales de l’Université de Montréal

qu’il n’ait pas obtenu son diplôme.

Il s’installe pour de bon à Montréal dans les premiers jours de septembre 1947

Il ne fait aucun doute que cette pauvreté nouvelle est une épreuve terrible pour lui : elle l’oblige à accepter des emplois épuisants, le mine moralement et lui apparaît comme une dégradation de tout son être.

Quoi qu’il en soit de ses malaises et de son strict programme de vie, il lui faut de toute urgence, à l’automne 1947, gagner de l’argent, cet argent

emplois de bureau, emplois manuels:

Sans qu’il soit toujours clair s’il les a abandonnés par dépit ou s’il a été mis à la porte, tous ses emplois de l’époque sont éphémères et leur succession n’obéit pas à la moindre logique. Le jeune Miron court partout et nulle part : tantôt, le voici apprenti dans une entreprise de plomberie, tantôt, commis de bureau au centre-ville ; il devient photographe pendant une semaine, puis il se morfond à transporter des carcasses dans un abattoir, avant de se retrouver pendant quelque temps expéditeurempaqueteur dans une librairie.

Mis à part ces événements occasionnels, si l’université paraît occuper une place très réduite dans ses pensées, il y a pourtant peu de décisions, après son abandon de la vie religieuse, qui ont eu des conséquences aussi importantes et aussi durables pour lui que son inscription à la Faculté des sciences sociales. L’importance de ce choix tient à deux facteurs : le contenu des cours qui y sont offerts et surtout le réseau d’amis qu’il a pu ainsi se créer dès son retour à la vie laïque. On peut dire que, de ce point de vue (en ajoutant un autre ingrédient : l’expérience douloureuse de la pauvreté), s’enclenchent dès l’automne 1947 une série d’événements et de circonstances qui, de loin en loin, vont mener six ans plus tard à la fondation des Éditions de l’Hexagone et aussi, de manière plus indirecte, aux premières ébauches de L’Homme rapaillé.

Découverte du marxisme

ce cours du professeur Désy, suivi par Miron à l’hiver et au printemps 1949, se situe décidément dans une autre sphère idéologique.

Pour le moment, et pour plusieurs années encore, il est loin d’être un jeune homme de gauche. En juillet 1948, à l’écoute des résultats des élections provinciales qui accordent une victoire écrasante à l’Union nationale de Duplessis (82 députés sur 90 et 51 % du vote populaire), Miron et son ami Guy Carle jubilent devant leur appareil de radio

L’influence progressiste fera lentement son œuvre, de manière souterraine. même si sa pensée évolue vers la gauche à mesure que se rapproche la Révolution tranquille, jamais Miron n’accordera la prédominance à la révolution sociale, encore moins socialiste, sur la révolution nationale.

Gaston Miron, au contraire, malgré son constant souci de justice sociale, ne cessera de réaffirmer la primauté absolue de l’indépendance nationale. De ce point de vue, son contact avec la pensée sociale progressiste et sa lecture, d’ailleurs bien lacunaire, de Karl Marx n’excluent pas une certaine filiation avec la pensée nationaliste traditionnelle : sa « terre de Québec » conservera quelque chose du « Nord » de sa jeunesse, pays idéal qui commande au moins autant la responsabilité de l’héritage que celle de la révolution, et qui appelle davantage à l’unité nationale qu’à la lutte des classes

Il terminera ses cours au printemps 1950, mais son dernier relevé de notes est incomplet et ne porte pas la signature du doyen Montpetit, au contraire des précédents — ce qui semble indiquer que Miron n’a pas entièrement rempli les exigences du programme. Rien de très étonnant puisque, en 1949-1950, Miron est désormais en voie de s’engager dans les activités des mouvements de jeunesse et que son temps d’étude s’en trouve singulièrement réduit

1950-1951 au cours de laquelle il occupera le même emploi, comme laïc cette fois, à l’école Saint-Ernest sur la rive sud de Montréal.

L’évolution qui va l’amener à l’Ordre de Bon temps et au Clan Saint-Jacques en 1949 est l’autre fruit de sa période d’études à l’Université de Montréal : ce sont en effet les amis qu’il rencontre à la faculté qui le conduisent ou l’accompagnent dans la voie des

mouvements de jeunesse. En fait, ce réseau d’amis, qui permet à Miron de retrouver l’esprit de fraternité qu’il a connu au juvénat, apparaît bien plus déterminant que la formation reçue en sciences sociales.

Guy Carle et Olivier Marchand, par contre, représentent des amitiés profondes et déterminantes pour l’avenir, même si Carle retournera vivre dans son pays de l’Abitibi dès l’automne 1949 ; le contact se maintiendra toutefois par une riche correspondance, la plus importante qu’aura tenue Miron avant celle qu’il entreprendra en 1954 avec son ami français Claude Haeffely.

Pour celui qui était encore quelques mois plus tôt le frère Adrien et qui a un rattrapage immense à effectuer, la rencontre des frères Carle est une bénédiction. Dès l’année 1947-1948, le trio vit des moments intenses d’échanges philosophiques et de conversations littéraires, le long de promenades interminables dans la ville

Cercle Québec

Or, justement, Guy Carle est non seulement un passionné de littérature, mais aussi un apôtre de la fraternité. À la même époque, il a l’idée de créer un cercle d’amis sur le modèle du « Cercle Nouvelle-France » fondé par Édouard-Zotique Massicotte

l’association informelle conçue par Guy Carle a pour objectif de perfectionner l’éducation intellectuelle de ses membres

Le thème du « nouveau Moyen Âge », développé par Nicolas Berdiaeff, Charles Péguy et Jacques Maritain, fréquemment invité comme conférencier au Québec durant les années 1930 et 1940, est sensible dans toute la pensée du groupe

e Cercle Québec se maintient par des échanges de correspondance et des réunions occasionnelles entre novembre 1948 et l’hiver 1951, après quoi il semble s’être défait. Outre Miron lui-même, le noyau est constitué par les frères Carle et par Olivier Marchand, auxquels s’ajoutent les Gérard Boudreau, Louis-Marc Monastesse, Roland Lapointe et René de Cotret ainsi qu’un nouveau venu un peu plus jeune, Louis Portugais, qui les côtoiera tardivement. Même si Miron annonce sa démission du Cercle en mars 194939, on le retrouve à l’automne, lisant Saint-Exupéry avec Gilles Carle et déclarant que le Cercle, après une période de latence, retrouve son élan dans un style « plus épuré, plus moderne ».

S’il y a quelques accents modernes chez le Miron des années 1947-1950, ce ne saurait être en tout cas sur le plan idéologique, mais plutôt sur celui de l’action, d’un pragmatisme efficace qui n’a guère de propension aux analyses et aux théories. Cette action a d’ailleurs bien peu à voir avec le militantisme de gauche, encore moins avec l’avantgarde artistique et littéraire : ce sera, à partir de 1949-1950, la cause du scoutisme, du folklore et des loisirs

le soir du 31 mars 1948 Avec Olivier Marchand : Avec Marchand, une porte s’ouvre en effet sur la modernité, et dans les mois qui suivent, Miron sera davantage à l’affût des poètes contem-porains.

Les meilleures années de l’amitié entre Gaston Miron et Olivier Marchand se situent entre 1950 et 1953 : c’est durant cette période qu’ils partagent les émotions les plus intenses, la grande aventure de l’Ordre de Bon temps et, finalement, celle de l’Hexagone. Bien qu’ils se voient régulièrement et qu’ils fréquentent le Cercle Québec à partir de novembre 1948

Ce qui est au moins aussi grave, c’est que l’évocation de la figure paternelle tend à le conforter dans son propre sentiment de déchéance : alors que Charles-Auguste s’était hissé, grâce à sa compétence et à son savoir technique, vers la bourgeoisie et avait ainsi procuré à sa famille une existence prospère, son fils unique se retrouve prolétaire, à contre-courant de l’ascension sociale tracée par l’entrepreneur Miron

Miron semble vivre sur une autre planète que les meilleurs poètes de sa génération, qui deviendront ses compagnons et qui feront la gloire des Éditions de l’Hexagone.

Comment expliquer une telle résistance, un tel entêtement dans des formes et des thèmes surannés ?

L’année 1949 va lui apporter à tout le moins l’encouragement qu’il lui faut pour ne pas désespérer de son pauvre talent. Au début du printemps, il a décidé de soumettre quelques poèmes à un concours littéraire tenu à Ottawa par la Corporation des lettres du Caveau, née

de la compagnie théâtrale qui joue alors, depuis les années 1930, un important rôle d’animation culturelle en langue française dans la capitale canadienne81

En 1949, la Corporation des lettres du Caveau décide de lancer un concours de poésie dans le cadre d’une entente avec Le Courrier littéraire, une revue artisanale que dirige le père dominicain H. M. Robillard et dont l’équipe compte un influent critique littéraire fort versé en poésie : Guy Sylvestre, qui a fondé la revue Gants du ciel,

Or voici qu’une lettre lui parvient d’Ottawa le 14 juin, signée par le secrétaire de la Corporation : ce n’est pas un triomphe mais il a du moins obtenu une mention. Deux semaines plus tard, c’est le père Robillard qui lui écrit, cette fois pour obtenir l’autorisation de publier quelques-uns de ses poèmes dans Le Courrier littéraire dont il est le directeur : « Vous êtes un poète ! » ajoute le dominicain en postscriptum. Miron exulte : « C’est ma première palme de ma carrière d’écrivain », s’empresse-t-il d’écrire à sa mère.

Les deux poèmes paraissent à Ottawa, dans Le Courrier littéraire de décembre Désemparé et Solitaire

Pourtant, entre 1950 et 1953, la récolte sera finalement mince, alors que le poète apprendra plutôt à marcher avec d’autres sur la terre des hommes

août 1949 : Entre périodes de chômage et emplois précaires, les cours du soir reprennent en septembre à l’université :

L’existentialisme chrétien de Mounier, qui se réclame de l’homme réel, de la dignité et de l’intégrité de la personne mais qui nuance en même temps la conception radicale de la liberté que propose à l’époque Jean-Paul Sartre en insistant sur l’insertion de la personne dans sa communauté, dans des réseaux d’appartenance et d’action, trouve alors beaucoup d’échos au Québec, non seulement à Cité Libre, mais aussi dans les mouvements d’action catholique. C’est Mounier, bien avant Sartre, qui inspire, à partir de cette époque, la vision du monde de Miron. Quant à la revue Esprit elle-même, dont la relève est assurée à partir de 1950 par Albert Béguin et plus tard par Jean-Marie Domenach, elle constitue à elle seule tout un chapitre sur les échanges entre les intellectuels québécois et français dans les années 1950 et 196019 : nous allons la retrouver sur notre route et sur celle de Miron, au tournant de 1960

Miron fait la connaissance de Marcotte, qui n’a alors que vingt-cinq ans, au cours de ce même printemps 1950.

Quoi qu’il en soit, catholique fervent et ouvert en même temps à la modernité littéraire et poétique, progressiste dans la continuité plutôt que dans la rupture, Marcotte sera par excellence l’accompagnateur de l’aventure poétique et éditoriale de Miron, l’homme de l’Hexagone plutôt que de Refus global, à ceci près qu’il ne partagera jamais les convictions nationalistes et indépendantistes de Miron.

Mouvements de jeunesse

Dès 1946, Marchand a des contacts aussi bien avec les mouvements d’action catholique qu’avec l’Ordre de Bon Temps (OBT), fondé cette année-là par Roger Varin.

C’est dans son bureau de chef du secrétariat de la Société Saint-Jean-Baptiste, au Monument-National, dès l’après-guerre, que Varin a conçu son projet d’un mouvement distinct des groupes d’action catholique, bien que mû par les mêmes idéaux personnalistes, par le même désir d’efficacité concrète et par la même foi en la jeunesse montante. Le coup d’envoi de l’OBT, en janvier 1946, a été un bal cos-tumé: le jeu théâtral, la fantaisie, l’humour, cette couleur particulière du groupe ne sera pas pour déplaire à Miron,

Miron ne s’engage que progressivement dans les activités de l’Ordre de Bon Temps.

Mais non, pourtant : si le personnage a quelque talent pour la souffrance (« Nous qui sommes bornés en tout, comment le sommes-nous si peu lorsqu’il s’agit de souffrir ? » a écrit Marivaux cité en exergue à cette même lettre), il n’est guère doué pour la folie, et d’abord parce qu’il sait tourner le dos à la mauvaise image de lui-même que lui

renvoie son miroir et s’élancer au dehors vers ses amis et ses incessantes activités.

Le voyage en Abitibi avec Olivier Marchand, au mois de juin 1950, constitue un temps fort dans la vie du jeune Miron, même s’il dure tout au plus une semaine : on en trouve des échos jusque dans La Batèche, écrite vers le milieu des années 1950. Miron était mûr pour une telle aventure, mais il y a là bien davantage qu’une simple évasion : c’est d’abord une fête de l’amitié, qui réunira trois frères en poésie et qui offre aussi à Miron des journées uniques d’expériences partagées avec Olivier Marchand.

les visites dans les camps de vacances et les orphelinats.

Ces camps pour enfants sont un type d’institution en plein essor dans toute l’Amérique du Nord au cours de l’après-guerre. L’OBT va chaque été prêter main-forte aux moniteurs : ils organisent des ateliers de chant, de danse, de théâtre, de dessin, tout en participant aux jeux et aux baignades des jeunes. Le camp des Grèves à Contrecœur, le camp Notre-Dame sur les bords du lac Maskinongé à Saint-Gabriel-de-Brandon, le camp Bruchési au lac l’Achigan, près de Saint-Hippolyte, comptent parmi les destinations fréquentes. Miron, qui a commencé entre-temps à se chercher une nouvelle chambre dans les environs de la rue Duluth, se joint à plusieurs de ces voyages en juillet 1950 et il consigne notamment avec soin, dans un carnet de notes, le programme des activités tenues au camp de Saint-Gabriel,

Miron, lui, n’a guère le temps ni le goût de fêter Balzac. Il se trouve plutôt, à en juger par son journal intime, préoccupé par la béatification de Marguerite Bourgeoys, la

fête de l’Assomption, les visites aux enfants et les soirées folkloriques à Saint-Eustache, à Pointe-Claire ou dans le quartier Hochelaga. Sa participation au pique-nique et aux autres activités du groupe de Laurent Crevier lui a en outre permis d’obtenir un emploi temporaire chez les orphelins de la crèche Saint-Paul jusqu’à la fin de l’été, ce qui occupe le plus clair de ses journées.

Clan Saint-Jacques : « As-tu songé que pour avoir accès à la Route, il faut commencer par sortir de ta maison et de toi-même, renoncer à ton égoïsme, à ton confort, à ta sécurité, rechercher ce qui est difficile et vouloir vivre rudement49 ? » Cette ascèse scoute qui tend vers une mystique et suppose un combat, comment le marcheur Miron ne s’y reconnaîtrait-il pas ? Ironiquement d’ailleurs, c’est dans ce quartier Centre-Sud

La chance de Miron en 1950, c’est non seulement d’avoir son ami Marchand qui entretient déjà une multitude de relations, mais aussi d’arriver à un moment où tant le Clan que l’Ordre de Bon Temps atteignent pour ainsi dire leur apogée. Les deux mouvements sont d’ailleurs en symbiose : bien des membres circulent de l’un à l’autre, on pratique des activités communes

Ces mouvements cousins partagent aussi un aumônier qui est de tous les événements, de toutes les fêtes, surtout les moins orthodoxes, à tendance païenne ! Celui que tout le monde appelle le père Ambroise

Septembre 1950 :il décide de mettre à profit son diplôme d’instituteur et d’accepter contre toute attente un poste à l’école Saint-Ernest de Coteau-Rouge, sur la Rive-Sud

Coteau-Rouge est aussi connu comme Longueuil-Annexe, bientôt Ville Jacques-Cartier, banlieue misérable et brinquebalante qui, au tournant de 1950, tient à la fois du far-ouest et de la favela brésilienne. C’est la « frontière » où Jacques Ferron exercera longtemps la médecine et qu’il évoque dans plusieurs de ses livres

le fait qu’il n’ait pas mis à profit son diplôme d’instituteur plus tôt depuis 1947 indique assez qu’il s’agit là d’un dernier recours.

Cela montre que les mouvements de jeunesse auxquels Miron se donne corps et âme, entre 1950 et 1953, ont un statut bien relatif, souvent marginal, dans les grands enjeux de cette décennie qui va conduire à la Révolution tranquille. Leur coefficient de « réalité », en tout cas, ne va pas de soi

Chose certaine, l’emploi du temps de Miron devient, à partir de l’automne 1950 et surtout du printemps 1951, d’une totale frénésie. Fuite en avant, sans doute, mais aussi joie des actions solidaires et efficaces, des discussions sans fin et des chansons partagées. À cet égard, la fréquentation des filles, nombreuses à l’OBT, n’est pas pour

lui déplaire, même si aucune relation amoureuse n’en découle, du moins à court terme.

Celles-ci se multiplient au même rythme que les équipes, les groupes, les comités divers qui se greffent sur l’Ordre de Bon Temps et le Clan Saint-Jacques. Les Amis de l’orphelin n’en sont qu’un exemple, quoique très exigeant en temps et en énergie. Dès l’automne 1950, Miron figure aussi comme « trésorier » au comité régional de Montréal de l’OBT64, une nomination assez cocasse pour un jeune homme qui manque chroniquement d’argent et dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne brille pas par la gestion de son propre budget

n parallèle, et souvent en collaboration, s’active l’équipe des Veillées que dirige Guy Messier, le grand complice de Roger Varin à l’OBT et le « propagandiste national » du mouvement. Dans son rapport du Conseil national qui a eu lieu à Vaudreuil au début de l’été 1950, Messier dit voir en la « veillée » un concept central, dont le but est l’animation des masses par le chant et la danse65 Ici encore, au moindre appel, Miron pourra répondre : « Présent ! » ce qui signifie non seulement de nombreuses soirées dans les paroisses de la ville, mais aussi des réunions préparatoires, des répétitions et des bilans d’activités à établir.

au Clan Saint-Jacques, où il n’a d’abord été que stagiaire avant de recevoir son admission officielle du chef Louis Pronovost en novembre 1950.

Au Clan, tout en marchant fréquemment avec les routiers, Miron participe à d’innombrables réunions d’équipe dont il revient tantôt enthousiaste, tantôt insatisfait parce qu’il juge avoir été brouillon ou cabotin. En outre, comme à l’Ordre de Bon Temps, des groupes spécialisés émanent du mouvement : ainsi est née la troupe des Ouaouarons et Sauterelles, qui donne des spectacles de chant et de danse. Miron devient un Ouaouaron, parmi le groupe des garçons chanteurs,

Son besoin d'activité physique, d'action, de contacts avec les autres est comblé par les mouvements de jeunesse

Il n’existe guère de meilleur chef d’orchestre que le père Ambroise pour réaliser dans l’exubérance et la fantaisie le « sens communautaire » dont est assoiffé Miron et qui est l’un des objectifs fondamentaux de l’OBT, du Clan et des autres mouvements de jeunesse.

Ambroise n’est toutefois pas seulement un animateur de fêtes, un remarquable conteur et un homme de jeu et de spectacle. Dès la fin de l’été 1950, au camp national de l’Ordre de Bon Temps tenu au lac Ouareau, à Saint-Donat, Miron a pu l’entendre développer, avec

l’abbé Marc Lecavalier, un autre aumônier, toute une philosophie de la formation personnelle fondée sur l’ouverture au monde, une idée très répandue dans les mouvements d’action catholique de l’après-guerre : « Je suis catholique, donc universel », aime répéter Ambroise

La leçon est claire : ainsi s’offre une manière d’assumer l’enracinement sans contraintes ni carcans, de vivre à partir d’ici le monde le plus vaste.

On comprend qu’Ambroise Lafortune ait pu représenter pour Miron, avec toute l’effervescence sociale qui l’entoure, une sorte de phare.

plutôt un modèle de générosité dans le verbe et dans l’action, un exemple d’énergie toujours en expansion.

Tel est donc, au seuil de la décennie, le monde qu’habite désormais Miron : un monde de joyeux lurons qui semble laisser loin derrière les errances douteuses dans le quartier du Red Light et les actes de contrition dans les églises. Ce qui étonne toutefois, c’est la distance apparemment infranchissable entre cette sphère associée aux loisirs, au folklore et au scoutisme et les milieux intellectuels et littéraires que fréquentent ordinairement les jeunes écrivains. À en juger par ses carnets du début des années 1950 et par le programme d’activités incessantes qui s’y déploie, le jeune Miron paraît davantage occupé à devenir un travailleur social et à pratiquer son « apostolat » qu’à devenir un poète.

Au milieu de 1951, on pourrait croire que l’avenir de Gaston Miron, en route vers ses vingt-quatre ans, se situe dans le domaine social. L’organisation et la gestion des loisirs, que ce soit pour les adultes des classes moyennes qui fréquentent l’Ordre de Bon Temps ou pour les enfants des orphelinats et des camps de vacances, voilà ce qui semble lui plaire et lui convenir bien davantage que des emplois de commis au palais de justice ou dans divers bureaux de la rue Saint-Jacques. Son expérience dans le domaine des mouvements de jeunesse lui a même ouvert des possibilités d’emploi qui auraient pu le conduire très loin de son milieu et peut-être aussi de toute littérature : en février 1952, il refuse un poste de travailleur social en Abitibi, où il aurait eu à s’occuper de délinquance juvénile1. Ses activités au Clan Saint-Jacques et à l’OBT le convainquent plutôt de demeurer à Montréal

Curieusement, le seul poème qu’il daigne publier dans La Galette, l’organe de liaison de l’OBT, en septembre 1951, occulte son évolution des dernières années. Cette petite pièce dont les vers impairs font penser à Verlaine n’est qu’un autre de ces tableaux bucoliques dont Miron a jadis rempli son journal et son cahier noir

La gestation secrète se poursuit donc mais quand on observe que Deux Sangs, en 1953, ne contient que dix-sept poèmes de Gaston Miron et que plusieurs d’entre eux étaient déjà écrits en 1949 ou 1950, on conclut que l’animateur social l’a largement emporté sur le poète durant les grandes années de l’OBT et du Clan Saint-Jacques

à partir de 1951, dans le feu de l’action communautaire proprement dite, ressurgit l’écriture sous une autre forme, celle du journaliste, informateur et homme d’idées, proche de

l’essayiste en herbe qui consignait ses idées sur l’immigration ou la littérature nationale en 1949

entre Godillot ou La Galette ces publications de l’OBT et du Clan

l est significatif que l’année où Miron fait ses adieux à l’enseignement soit aussi celle où il assume la direction de Godillot, à partir de mai, puis de La Galette, à partir de décembre 1951.

C’est, formulée autrement, l’universalité que prêche un Ambroise Lafortune, fréquent collaborateur à La Galette et proche, lui aussi, de la pensée de Mounier soucieuse de situer cette ouverture au monde dans une hiérarchie des appartenances communautaires, à partir des plus proches

il y a dans cette philosophie la clé d’une libération concrète, vécue au jour le jour.

adhésion entière, souvent épuisante, aux mouvements de jeunesse et à leurs organes de diffusion,

De ce point de vue, Miron se montre un journaliste dérangeant aussi bien à Godillot qu’à La Galette.

Au cours du même été 1951, un certain mécontentement s’est fait jour chez les membres de l’Ordre de Bon Temps à l’égard de La Galette. Il semble que la crise ait culminé au camp national de l’OBT tenu à Saint-Michel-de-Wentworth, au nord de Lachute, peu avant le jamboree. C’est dans cette atmosphère tendue que Miron s’engage de plus en plus à la revue au cours de l’automne et qu’il en vient à accepter le poste de directeur, succédant à Gilles Beauregard

Miron sera un poète sociologue et anthropologue bien davantage qu’un poète artiste

De ce point de vue, le Clan Saint-Jacques et l’Ordre de Bon Temps auront constitué pour le jeune Miron à la fois un terrain d’exercice et une sorte de catalyse.

lui et son ami Portugais rédigent sur La Galette

En août 1951, Miron annonçait à Guy Carle la fondation des Éditions du Bouleau qui devaient, selon toute vraisemblance, publier des poèmes des membres de l’OBT. Sauf pour les chants de Noël, rien de cela ne s’est toutefois concrétisé

Et commence à publier des poèmes dans « Le Devoir » et dans « Amérique française ».

1952 la reprise dans Amérique française de son poème Désemparé, déjà remarqué par la Corporation des lettres du Caveau trois ans plus tôt avec Solitaire. À l’exception de son poème mièvre et daté paru dans La Galette, Miron n’a encore rien publié depuis l’époque du Mont-Sacré-Cœur.

On a choisi un titre, Deux Sangs recueil de poèmes d'Olivier Marchand et Miron

Moins pittoresque que « Les Éditions du Bouleau » à la saveur toute laurentienne, le nom « Éditions de l’Hexagone » semble avoir été suggéré dès janvier par Marchand, une allusion aux six membres de l’équipe, c’est-à-dire, outre les deux auteurs, Ganzini, Carle, Portugais et Rinfret.

En 1953, il fonde avec des amis la maison d'édition l'Hexagone.

il s’agissait de publier un recueil, non pas de fonder une maison d’édition

En effet, le samedi 30 mai, Gilles Marcotte accueille dans Le Devoir un poème d’Olivier Marchand, Matin, et un autre de Gaston Miron, Potence, en précisant que ces deux poèmes « sont extraits d’un recueil conjoint, Deux Sangs, qui paraîtra à Montréal en juin37

Tiré à 500 exemplaires dont 200 numérotés et autographiés à l’intention des souscripteurs, le recueil ne sort finalement des presses qu’au début de juillet39.

Au centre se tient une femme élégante toute vêtue de blanc : il s’agit d’Hélène Pilotte, qui s’est jointe à l’équipe de La Galette sous la direction de Miron après avoir fait l’expérience du journalisme étudiant au Collège Marguerite-Bourgeoys. Comme les trois mousquetaires étaient quatre, on pourrait dire, en pensant à elle, que les six de l’Hexagone étaient sept, puisqu’il est attesté qu’elle a participé au recrutement des souscripteurs et qu’elle a contribué au travail graphique

Ise... Isabelle Isabelle Montplaisir institutrice dans une école primaire de Montréal Cet épisode amoureux semblerait banal et il ne conviendrait pas de s’y attarder si l’histoire d’amour ne se trouvait bientôt transfi-gurée par le verbe poétique, transmutée en mythe et en légende — si elle ne donnait naissance à un poète qui y découvre enfin la voix « inimitable » qu’il promettait. Car s’il y a la « légende du pays », sug-gérée déjà par la découverte inopinée de Patrice de La Tour du Pin à la fin des années 1940 (« Tous les pays qui n’ont plus de légende / Seront condamnés à mourir de froid »), il faut bien voir qu’en 1952-1953 cette légende demeure encore largement inopérante.

Contre toute attente, c’est « la légende d’Isabelle » qui permettra à Miron de découvrir pleinement « le territoire de [sa] poésie3 », c’est-à-dire d’en inventer la substance douloureuse, le paysage tourmenté et surtout la « distance lointaine4 », bref de le créer et de se créer ainsi lui-même comme personnage, celui de « l’homme » de la longue marche qui n’en finit plus de revenir de son « voyage abracadabrant ».

Malgré les occupations de toutes sortes, Gaston et Isa se fréquentent de façon très régulière à la fin de l’hiver et au début du printemps 1952.dès le début de juin, c’est la rupture

Rupture, c’est beaucoup dire, car après deux ou trois semaines de grande noirceur, l’été marque le temps des retrouvailles et ramène le bonheur.

Automne, rien ne va plus. Fin en 1953 L’évolution de ce premier amour éclaire déjà les déconvenues amoureuses que ne cessera de connaître Miron tout au long de sa vie jusqu’au seuil des années 1980

De plus se trouve confirmé le post-scriptum annexé par Miron à sa lettre du 3 janvier, dans lequel il évoquait ses poèmes : « J’en ai beaucoup écrit depuis septembre et des plus beaux17. »

Du même coup, c’est le lien indissoluble entre Isa et plusieurs poèmes de Deux Sangs qui apparaît en plein jour, si l’on excepte des pièces anciennes comme Le Laid, Dix-neuf ans et quelques autres, écrites ou du moins largement esquissées, comme Petite Suite en lest, bien avant la rencontre de 1952. Il sera nécessaire d’y revenir, d’autant plus que Deux Sangs ne fait encore entendre que les premiers échos de « la légende d’Isabelle »

Début février 1953 : la relation entre Miron et Isa semble donc bel et bien terminée. Qu’a-t-il pu se passer pour qu’à la fin du même mois on assiste à un renversement de la situation ?

Aux incompatibilités personnelles, la pression du milieu vient ainsi ajouter une note fatale.

La chose crève les yeux : il s’est produit, vers la fin de l’été 1952, après la brève éclipse d’Isa en juin, suivie de la reprise de juillet-août, une sorte de « débâcle », une explosion poétique.

et ce qui s’amorce, c’est sa période la plus productive (on pourrait même dire la seule…) qui s’étend jusque vers 1958 et qui voit naître et prendre forme les cycles majeurs de L’Homme rapaillé : La Marche à l’amour, La Vie agonique, La Batèche

Si les premiers jalons de La Légende d’Isabelle peuvent apparaître comme un accès presque miraculeux au registre qui sera celui de L’Homme rapaillé, c’est que Miron était en retard sur lui-même, lui qui avait déjà compris bien des choses sur la poésie sans pouvoir mettre en œuvre ses intuitions

Là où il se trompait, c’est en croyant que ce besoin d’écrire au-delà de l’expression, de ses « règles » et de ses « cadres », confinait forcément au silence. Il n’avait pas vu, en 1950, que cette cassure du discours, cette perte de toute forme, ce deuil radical pouvait aussi, paradoxalement, être l’accès à une autre langue, à une voix inouïe : la voix de Gaston Miron.

c’était que sa beauté à lui allait se gagner dans l’âpreté du malheur rageusement combattu

et c’est là un deuxième grand mouvement d’écriture qui s’ouvre à lui dans les retombées de son amour malheureux pour Isabelle. Aucune période de la vie de Miron n’est aussi fertile, à cet égard, que celle qui s’étend de 1953 aux environs de 1955.

Dès l’été 1953, la suite poétique prend forme.

Il a démissionné de La Galette en juin, Deux Sangs a vu le jour en juillet et dans les mois qui suivent, appelé par le projet inchoatif des Éditions de l’Hexagone, Miron va se désengager progressivement de ses activités dans les mouvements de jeunesse. Il mène résolument « la bataille de soi » en remplissant des dizaines et des dizaines de feuillets. Bien qu’Isabelle lui soit devenue inaccessible, les ponts ne sont pas coupés (ils ne le seront jamais tout à fait, d’ailleurs

La perte d’Isabelle : telle est la chape de plomb qui pèse sur l’homme solitaire debout avec trois couples de ses amis dans le jardin de Roger Varin, un soir de la fin juillet 1953. Que ce poids existentiel soit aussi un trésor poétique, il en a peut-être l’intuition, mais c’est dire qu’il vit la naissance encore timide des Éditions de l’Hexagone sous le signe d’un assez terrible dédoublement.

De toute sa vie, Miron ne connaîtra jamais une existence aussi instable et nomade qu’entre 1952 et 1954.en contact avec un tout autre univers, celui de la bohème littéraire et artistique, Même si ce groupe d’artistes et d’écrivains signataires de Refus global lui a toujours été assez étranger tant sur le plan de la sensibilité que sur celui de l’esthétique, Miron écoute, apprend, discute.

Deux jeunes filles très différentes l’une de l’autre fréquentent aussi le domaine de Mme Gaudet-Smet au cours de ces mêmes années, qui toutes deux vont jouer un rôle dans la vie de Gaston Miron. La plus jeune est une adolescente que ses parents de Shawinigan envoient passer quelques semaines à Claire-Vallée pour y suivre les cours de piano de Rodolphe Mathieu. Elle se nomme Rose Marie Arbour7, elle a du goût et du talent pour les arts. Comment concevoir que cette adolescente deviendra quelques années plus tard la jeune étudiante dont Miron s’éprendra à Paris, pour laquelle il éprouvera l’amour le plus malheureux qui soit et à qui il dédiera La Marche à l’amour lors de la première parution du poème en 1962 dans Le Nouveau Journal ?

Moins troublante mais tout aussi fascinante est la présence d’une autre jeune femme. Elle vient de Victoriaville et s’appelle Denise Boucher

Pour Miron, la rencontre de DesRochers à Claire-Vallée, probablement dès l’été 1952, est un événement considérable, compte tenu de l’admiration que le jeune homme vouait au poète dès l’époque de ses études au Mont-Sacré-Cœur. « Mes ancêtres, jadis, hommes de forte race… », son poème retenu par Le Caveau et Le Courrier littéraire en 1949 était après tout un pur hommage à DesRochers

Mais le poète Miron ne devrait-il pas, pour avancer en poésie, réaliser l’impossible, la fusion des aînés ennemis, la très curieuse hybridation d’Alfred DesRochers et de Saint-Denys Garneau ? D’un côté, le terreau ancestral et son pays rocheux, et, de l’autre, la souffrance de « l’homme fini » réduit à ses os ou à moins que rien ? 224

Les jours de Claire-Vallée sont éphémères, il faut bientôt rentrer dans la « grand’ville », au risque d’une nouvelle plongée dans le marasme. En fait, comme l’ont été l’Ordre de Bon Temps et le Clan Saint-Jacques trois ans plus tôt, l’Hexagone est pour Miron une planche de salut, à la différence près que, cette fois, il écrit en même temps qu’il agit.

La réussite de l’équipe de l’Hexagone tient tout autant à l’efficacité d’une organisation, aux ramifications d’un réseau et à un contexte éditorial propice qu’à l’énergie d’un « homme fini » ou même au talent des poètes que la maison a su accueillir et faire connaître 226-27

des figures influentes de la critique littéraire — Roger Duhamel, Andrée Maillet (dans une note sur deux pages de sa revue Amérique française) et Gilles Marcotte — accordent de l’attention à Deux Sangs constitue déjà une victoire en soi1

Il est clair que le projet des Éditions de l’Hexagone, une fois franchie la modeste étape initiale, sera d’élargir ce cercle restreint, tout en évitant le compte d’auteur que continuent de pratiquer en partie d’autres petits éditeurs des années 1950, tel André Goulet et ses Éditions d’Orphée32.

On comprend mieux, sur cette toile de fond, qu’un journaliste ait pu, dès le printemps 1954, présenter au grand public les Éditions de l’Hexagone comme « un nouvel éclair dans le ciel morne de notre littérature33 ».

Ainsi en est-il de la rencontre avec Claude Haeffely, fraîchement débarqué de France et amené au lancement de Deux Sangs par une amie québécoise qui connaissait Olivier Marchand depuis l’époque des journaux étudiants34.

Mais entre celui-ci et Miron, c’est le début d’une longue et fervente amitié, de collaborations multiples et, dès 1954, d’échanges épistolaires qui demeurent les plus importants qu’a connus Miron36

La grande « Fête des poètes » qui s’est tenue à la fin novembre à Montréal a donné une résonance plutôt inattendue à la publication récente de Deux Sangs et aux petits travaux qui se trament depuis l’été dans le sous-sol étriqué de Louis Portugais. On ne pourrait imaginer un plus spectaculaire changement de décor. Le lieu, c’est le chic hôtel Windsor

La soirée du 22 novembre 1953 commémore en même temps la mort, survenue dix ans plus tôt, de Saint-Denys Garneau

Face à Robert Choquette et Anne Hébert, l’énergumène nommé Gaston Miron ne peut que détonner. Il est arrivé avec Olivier Marchand, Mathilde Ganzini et Claude Haeffely

la première apparition publique de Gaston Miron comme poète

L’Hexagone profitera ainsi d’un écho appréciable dans les milieux canadiens-anglais de la nouvelle poésie, ce qui entraîne bientôt des collaborations, des traductions, des projets d’anthologies51 237

Cela explique que, dès ses débuts, l’Hexagone doive souvent fonctionner par correspondance tout en maintenant son secrétariat dans le sous-sol de la maison Portugais, rue Lacombe. Quant à Olivier Marchand, de moins en moins présent, il confiera bientôt à Miron qu’il se désintéresse de l’Hexagone, que la vie de l’équipe n’est plus ce qu’elle était et que ce travail perd de son sens pour lui56 238

Dans cette situation de relative instabilité, l’arrivée d’abord discrète de Jean-Guy Pilon promet un équilibre et une continuité dont la jeune maison a un pressant besoin : le rôle de Pilon à l’Hexagone ne cesse d’ailleurs de croître à partir de 1954, pour culminer à la fin de la décennie.238

La tendance de l’Hexagone à assumer très tôt un rôle de chef de file et à se constituer en carrefour des poètes est indéniable. Mais le pouvoir du discours de Miron n’en demeure pas moins fascinant et des plus efficaces : la maison existe superlativement sous sa plume et sa vocation est grandiose (même si Miron nie qu’il y ait là « rien d’héroïque ou d’extraordinaire72 »). À long terme, on finira par parler de « la génération de l’Hexagone », ultime accomplissement, sans doute, du grand récit tenu par l’éditeur-poète 243

La réalité est plus complexe et plus nuancée. Dans des conditions matérielles et financières très difficiles, faute d’une infrastructure digne de ce nom (secrétariat, agence de diffusion, etc.), il est vrai que Miron se dépense corps et âme pour la maison qu’il anime et dirige, dès la première phase qui va de 1953 à 1957. 245

La notion d’équipe n’en demeure pas moins vitale pour le fonctionnement de l’Hexagone. Avec l’éloignement plus ou moins rapide des autres membres du groupe, y compris Hélène Pilotte qui se trouve accaparée par son travail dans les services sociaux, ainsi que Gilles Carle, trop occupé ailleurs pour pouvoir se consacrer aux activités quotidiennes d’une maison d’édition, c’est essentiellement le trio Miron, Portugais, Pilon qui fait rouler la machine éditoriale et promotionnelle dans les années 1950. 246

On ne se trompe pas si l’on conclut que l’arme se sera finalement retournée contre celui qui la braquait : à l’automne 1957, Miron sera au bout du rouleau, sa santé gravement ébranlée, et c’est dans une large mesure la relève assurée par Jean-Guy Pilon qui permettra à l’Hexagone de tenir bon. 248

Il semble d’ailleurs que ce soit Pilon, au départ, qui ait convaincu Miron des possibilités de diffusion des recueils de l’Hexagone en France, auprès de critiques tels Alain Bosquet, René Lacôte et Jean Rousselot. Tout indique que le directeur de l’Hexagone a vite compris le message. 248

Ainsi en est-il de ce fragment qui n’a cessé de l’obséder : « il y a des pays qui sont seuls avec eux-mêmes » et dont il a donné un développement dans ses Paroles du très-souvenir. Le poème s’est modifié et a grandi, comme croît une cellule pour devenir un organisme autonome, et quand Miron l’envoie à Claude Haeffely en Bretagne, à l’été 1954, il a pour titre Des pays et des vents, une pièce complète sur plusieurs strophes 251

Dans la version presque identique qu’il va publier (avec un autre de ses délais caractéristiques) dans Le Devoir du 15 novembre 1955, 251

1954 Et voici qu’un poème entier en est sorti, que Gilles Marcotte accueille dans les pages du Devoir à la mi-novembre 252

Quand on sait que l’usage du terme québécois ne s’est vraiment généralisé qu’après 1965, on s’étonne d’une revendication aussi résolument politique dès l’époque de la fondation de l’Hexagone. Mais on s’étonne tout autant qu’un tel discours soit largement resté lettre morte dans les années suivantes. 257

Il faut ajouter, sur un plan plus personnel, que le Miron des années 1950 a bien d’autres soucis que le militantisme. Si l’on excepte son bref engagement dans le Parti social-démocrate en 1957-1958, simple parenthèse, ou encore une pétition qu’il fait circuler à la même époque en faveur de la gratuité de l’éducation, la politique demeure au second plan de ses activités, sinon de ses préoccupations. Toute sa correspondance avec Claude Haeffely, qui couvre pour l’essentiel la période 1954-1959, en témoigne : le travail dans l’édition, l’écriture (difficile, entravée) et le manque d’amour, tels sont les trois pôles qui sollicitent, déchirent et finissent par miner l’homme Miron avant qu’il ne s’embarque sur un paquebot pour la France en septembre 1959. Après son retour seulement viendront les vraies années politiques 257

Quelle foi Miron conserve-t-il ? S’il n’en parle guère ouvertement, on ne doit pas sous-estimer, dans L’Homme rapaillé, ce qui vient d’un univers mental catholique assez proche de celui d’un François Mauriac : un monde marqué par la chute, la faute, une « déchéance » dont on cherche à se relever dans un acte de foi. Le « péché » individuel y rejoint le péché collectif 263

Tout compte fait, ce Malraux qui jugeait Sartre « antilittéraire » et qui allait accorder son appui à un certain idéal national représenté par le gaullisme paraît plus proche de l’itinéraire de Miron que le Sartre dont se réclamera le poète de L’Amour et le militant à l’époque de la revue Parti pris 265

Le souci de déborder le réservoir des seuls jeunes poètes accueillis dans « Les Matinaux » se sera manifesté très tôt dans l’histoire de la maison, d’autant plus que l’équipe y voit un autre instrument de consécration. Il n’est pas question, toutefois, que cette ouverture vers les « aînés » se fasse aux dépens d’une certaine conception de la poésie moderne 266-67

Mais on ne construit pas davantage une maison d’édition qu’une œuvre littéraire uniquement sur les bons sentiments. Parmi les poètes québécois de la génération précédente, ce sont surtout Rina Lasnier et Alain Grandbois qui suscitent l’intérêt de l’Hexagone, Anne Hébert se trouvant à l’époque plutôt sollicitée par l’écriture de son premier roman : Les Chambres de bois. 267

Le 4 juillet 1956, devant un protonotaire de la Cour supérieure, l’Hexagone s’est donné un statut juridique : Gaston Miron, Jean-Guy Pilon, Gilles Carle et Louis Portugais (dans cet ordre) déclarent alors être « les seuls membres » de la société enregistrée et faire « affaire comme éditeurs au 3074 Lacombe40 ». 271

Quant à Miron, après ses emplois de commis au palais de justice et au bureau des permis d’armes à feu de la Police provinciale, il s’oriente enfin vers les métiers du livre : à l’automne 1954, il est commis de librairie au Palais du commerce et il entre bientôt à la Librairie Beauchemin, 271

En 1954, il entre aux Éditions Beauchemin et,

la « grande » littérature a occupé une place assez marginale dans son histoire, mais ce volet connaît un nouvel essor dans les années 1950, avec l’arrivée de Guy Boulizon comme directeur du secteur littérature, qui sera à ce titre le supérieur immédiat de Miron. Par l’entremise de Claude Hurtubise, qui avait été du groupe de La Relève, on y a publié le Journal de Saint-Denys Garneau en 1954 et on assure la diffusion des Écrits du Canada français, la revue que vient alors de fonder Hurtubise. 271

Une liste des tâches datant du 1er février 1955 montre que, sous la direction de Boulizon, Miron assume à la Librairie Beauchemin des responsabilités diverses : « préposé à la vente, salle d’échantillons ; organisation et bon ordre de la dite salle ; étiquetage des livres ; vente par téléphone42 ». 272

lettre démission dès la rentrée de septembre 1956 272

Quoi qu’il en soit, il semble qu’on ait su l’accommoder puisqu’il va demeurer en poste à la librairie et même devenir directeur du service des ventes.272

La rencontre de Claude Hurtubise, notamment, marque le début d’une amitié pleine de respect et suscite des collaborations. 273

Pierre Vallières

C’est le début d’une amitié intense nourrie de palabres sur la littérature et la politique. Jamais Miron ne retrouve mieux sa vocation de pédagogue que dans de tels échanges où il fait « l’éducation » d’un disciple sans grande expérience. Plus tard, à tour de rôle, défileront Gaëtan Dostie, Jean Royer, Jean-François Nadeau, pour ne nommer que ceux-là. 273

Vallières : Dix ans plus tard, emprisonné pour ses activités terroristes, il va écrire son livre-choc, Nègres blancs d’Amérique, manifeste politique et autobiographie à la fois, dans lequel il évoque les années de la Librairie Beauchemin, de la rue Saint-Denis et du carré Saint-Louis, et rend hommage à Miron, « père spirituel (malgré son jeune âge) du FLQ, de Parti pris, de Révolution québécoise, de Liberté et de bien d’autres mouvements politiques ou littéraires52 ». 275-76

Huit ans plus tôt, le même Miron jubilait avec Guy Carle le soir de la victoire de Duplessis ! Mais tout comme son style poétique, sa pensée sociale et politique a mué. Ses cours en sciences sociales ont élargi ses perspectives, sa lecture assidue du Devoir lui a ouvert les yeux sur le régime, sur son parti pris contre les syndicats et sur sa complaisance à l’endroit de la corruption. D’autres lectures, celle des poètes surréalistes, d’Aimé Césaire et aussi du philosophe Mounier, ont fait leur œuvre, tandis que sa fréquentation du milieu des artistes, et notamment des automatistes, l’a éveillé à des courants de pensée radicaux dont il ne soupçonnait même pas l’existence à son arrivée à Montréal. 276

Si Miron, encore jeune, avait bien d’autres soucis que la grève de l’amiante réprimée durement par la Police provinciale au service du Chef, la montée d’un syndicalisme indépendant des autorités religieuses et de plus en plus revendicateur ne peut manquer de solliciter le poèteéditeur. 276-77

Chez Andrée Maillet : C’est dans cette atmosphère aux antipodes de celle de la rue Saint-Christophe et où il détonne un peu que Miron fait dès 1954 la rencontre d’Alain Horic, 278

Miron auteur pour la télévision

À l’automne 1956, la télévision de Radio-Canada lance une série ayant pour titre Rodolphe, dont le réalisateur est Claude Caron, le vieil ami et colocataire de Miron, et dont celui-ci et Ambroise Lafortune sont les coauteurs5 279

mais il quittera rapidement la série pour être remplacé par l’auteur et poète Réginald Boisvert dès l’hiver 1957 279

cinéma

Le voici encore dans un autre rôle, le terme ayant cette fois sa pleine valeur littérale : Miron en acteur de cinéma. Si Le Chauffeur de taxi, court métrage réalisé par Louis Portugais deux ans plus tôt et dans lequel Miron jouait le rôle fugace d’un client pressé, pouvait passer inaperçu56, Le Cas Labrecque de Bernard Devlin57 est une production plus ambitieuse, une fiction de trente minutes dont Réginald Boisvert a écrit le scénario. Le film raconte l’histoire d’une famille d’un quartier pauvre évincée de son logement parce que le père ne parvient plus à payer son loyer.

le paroissien Lesieur incarné par Miron 279-280

Avant que ne surgisse l’image du « poète national », c’est à même cette accélération de l’histoire que commence à prendre forme, dans la seconde moitié de la décennie, un autre personnage de Miron, beaucoup moins éphémère que les autres : le militant politique. 280

REncontre avec Frank Scott . Printemps 1957

C’est surtout la poésie qui ouvre un terrain de rencontre entre Scott et Miron2. Collaborateur occasionnel aux Écrits du Canada français, ami du sociologue ean-Charles Falardeau qui l’oriente vers les nouveaux auteurs, le poète anglophone a commencé à traduire des poèmes d’Anne Hébert dès 1952, et John Sutherland, le directeur du magazine Northern Review où quelques-unes de ces traductions ont paru, lui a sûrement parlé de sa rencontre avec Miron, Marchand et Pilon à la Fête des poètes de novembre 1953.282

Quand Scott s’amène rue Lacombe en 1957, il a un autre projet en tête dont il a déjà fait part à Glassco, enthousiaste : une anthologie bilingue des poètes du Canada français, incluant naturellement ceux de l’Hexagone. 283

Malgré cette rencontre et d’autres contacts ultérieurs, l’anthologie de Scott ne verra jamais le jour. L’intérêt évident d’une telle entreprise se heurte rapidement à des difficultés de communication et, sans doute, à des incompatibilités de style et de milieu. 284

Plus profondément, la réalité des « deux nations » ou des « deux solitudes », développée dès 1945 par le romancier Hugh MacLennan7, un autre grand ami de Scott, mine sans doute les meilleures volontés d’échange et de dialogue. 284

C’est justement grâce à une bourse du Conseil des Arts du Canada que Miron pourra s’embarquer pour Paris en 1959 285

En ce printemps 1957, Miron suit de près la crise majeure qui secoue le monde ouvrier. Organisés en syndicat, les mineurs de Murdochville, en Gaspésie, ont vu leur accréditation férocement contestée par leur employeur, la compagnie Noranda. Les événements violents se multiplient et, comme dans le cas de la grève de l’amiante de 1949, l’intervention musclée de la Police provinciale et la complaisance de Duplessis soulèvent la colère dans les milieux sympathiques aux travailleurs. Des manifestations d’appui ont lieu à Québec et à Montréal : Miron, accompagné de Pierre Vallières, se retrouve aux côtés du militant syndical et politique Michel Chartrand 287

Pour le moment, il est urgent d’en découdre avec Duplessis et d’affirmer les valeurs de la démocratie et de la justice sociale, que seule l’intervention de l’État peut assurer. Ce sont ces valeurs qui inspirent avant tout les militants québécois du PSD en 1957. Michel Chartrand, Jacques Ferron et Miron lui-même ont décidé de se porter candidats aux élections fédérales du 10 juin. 288

PSD, l’aile québécoise du CCF

De toute manière, la question ne se pose pas : dans Outremont, Miron obtient environ 1 200 voix contre le candidat libéral qui en récolte onze fois plus. 289

de nouvelles élections : le 31 mars 1958, Miron y obtient sensiblement le même résultat, contre le candidat libéral 289

Miron ne s’engagera plus jamais par la suite dans le jeu électoral, sauf par dérision, en 1972, au Parti Rhinocéros de Jacques Ferron : faire signer des pétitions, ameuter des passants dans la rue, intervenir dans une assemblée, manifester sur la place publique, voilà les modes d’intervention politique qui conviennent davantage à son tempérament. Ou encore, instruire un disciple, comme le jeune Pierre Vallières…289

Pourtant, au début de l’automne 1957, Miron est fatigué. Sa « marche à l’amour » se déroule depuis longtemps en plein désert : après Isabelle et Thérèse, aucune femme n’est venue habiter sa vie de façon durable et cette absence le ronge. 289-90

En 1957, il y a une vingtaine de manuscrits en attente et les problèmes se multiplient : à la suite de la vente de la maison Portugais dans Côte-des-Neiges, l’Hexagone fonctionne désormais avec une simple case postale : « C.P. 31, station N, Montréal », qui apparaît dans L’Étoile pourpre de Grandbois en décembre et qui sera conservée, légèrement modifiée (C.P. 337) jusqu’au milieu des années 1980. Du même coup, l’essentiel du travail de secrétariat doit désormais se faire chez Jean-Guy Pilon, rue Northcliffe, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Quant à l’entreposage des livres, c’est le couple Marchand-Ganzini, maintenant établi dans sa maison de la rue Lemay dans l’est de la ville25, qui va l’assurer pendant quelques années 292

Si tous ces problèmes d’organisation et de manuscrits en attente préoccupent Miron, il en est de même pour les difficultés financières croissantes qu’éprouve l’éditeur. 292

le Conseil des Arts du Canada, nouvellement créé à Ottawa : à plus long terme, c’est de cette source, en effet, que proviendra le soutien financier indispensable à la survie de l’Hexagone, comme d’ailleurs de la plupart des maisons d’édition québécoises. 293

La critique de l’élitisme, typique d’une époque qui en appelle à la démocratie et à la justice sociale, s’exacerbe chez Miron à la fin des années 1950.

Depuis ses années à l’Ordre de Bon Temps et au Clan Saint-Jacques, il n’a cessé d’être porté par un esprit communautariste privilégiant des valeurs de solidarité et d’identification à la condition commune. Ce qui lui a permis de tenir le coup dans ses détresses, ce sont les amitiés, les camarades, ce sont « les bivouacs de la chaleur humaine35 ».

De plus en plus toutefois, c’est l’ensemble de la communauté ellemême qu’il voit en détresse, dans un état de déliquescence qui appelle un salut, une rédemption. Le défi est de prendre d’un seul bloc, comme un tout dynamique, la déchéance et l’essor, de coller à l’écrasement collectif tout en disant la résistance et la révolte. S’identifier au plus grand nombre, s’humilier, certes, mais dans la noblesse et la dignité. Ses modèles, ce sont Simone Weil et aussi, comme il l’explique encore à Rina Lasnier, Albert Camus, 295

été 1957 Maison Montmorency, qu’elle souhaite mettre à la disposition des groupes syndicaux et intellectuels pour des réunions et des colloques. L’idée de tenir une rencontre des poètes près de Québec plaît à Pilon et à Miron, qui y voient l’occasion de sortir du cercle montréalais et d’attirer des jeunes poètes de Québec déjà connus de l’Hexagone,

Quoi qu’il en soit, la première rencontre des poètes se tient à la Maison Montmorency durant la dernière fin de semaine de septembre. En route vers Québec, Miron et Pilon ont pris au passage des amis poètes de Trois-Rivères, Alphonse Piché et Clément Marchand. C’est celui-ci qui va d’ailleurs imprimer pour l’Hexagone les actes de la rencontre, à l’Imprimerie du Bien public, sous le titre La Poésie et nous, qui paraît en 1958 dans la collection « Les Voix ». 298

Un peu plus d’un mois après la rencontre tenue à la Maison Montmorency, les tensions des dernières années et la fatigue accumulée ont finalement raison de sa constitution robuste. Plus jeune, on l’a connu quelque peu hypocondriaque, mais il s’agit à présent d’un mal bien réel dont il n’est pas facile de cerner la nature ni la gravité exactes. Lui-même a parlé tantôt d’une « syncope », tantôt d’un « effondrement » ou d’un « affaissement » du système cardiovasculaire, tantôt même d’une « crise cardiaque46 ». Le fait qu’il doit être traité à l’Institut de cardiologie indique à tout le moins que le problème n’est pas bénin ; plus tard dans sa vie, un électrocardiogramme de routine révélera d’ailleurs des lésions causées par un léger infarctus 299-300

Personne ne pourrait prétendre sans sourire que Miron ait été à l’aise financièrement depuis son arrivée à Montréal en 1947, et les témoignages ne manquent pas au sujet de ses emplois éphémères entrecoupés de périodes de chômage. Mais il faut voir aussi que la pauvreté chez Miron dépasse largement toutes les conditions concrètes de son existence : poète sans amour, poète sans foyer, poète sans instruction, poète sans langue, poète sans argent—tous ces manques se rassemblent quelque part dans une même figure hyperbolique de la dépossession et de la déchéance, toutes ces carences créent aussi un extraordinaire appel d’air, un puissant désir de réalité, d’affirmation et de grandeur. 302-303

Sur le strict plan physique, la crise de novembre 1957 a entraîné des séquelles durables et les périodes d’épuisement se multiplient. À la fin de 1958, il remet sa démission à la Librairie Beauchemin et il envisage un moment d’aller rejoindre son ami Claude Dansereau qui s’est trouvé du travail à Sept-Îles 308

Paris, pourtant, demeure Paris et on ne compte plus les connaissances ou les amis de Miron qui y ont déjà séjourné, d’Hubert Aquin à Roland Giguère, de Jacques Languirand à Jean-Guy Pilon, et bien d’autres encore. Et puis, son ami Haeffely l’attend toujours avec impatience à Massugas. Le problème reste celui du financement, et les choses vont plutôt mal sur ce plan puisque la demande de bourse qu’il s’est empressé de faire, au début de 1958, au Conseil des Arts du Canada récemment créé, a reçu une réponse négative : « De nouveau je vois mes espoirs s’effondrer pour un séjour en Europe34 », écrit-il alors à Claude Haeffely. 316

l est révélateur que, à peine un mois après le départ de Pichette, Miron dépose une nouvelle demande de bourse auprès du Conseil des Arts. À titre d’auteur, il veut terminer, explique-t-il dans sa lettre, « un recueil de poèmes de longue haleine intitulé La Batèche » et élargir sa culture littéraire ; comme éditeur, il souhaite parfaire sa connaissance du métier et s’informer du mode de fonctionnement des grandes maisons d’édition40. 318

Cette fois, sa démarche est couronnée de succès : en avril 1959, le Conseil des Arts du Canada lui accorde finalement une bourse de 2 000 $. 318

part pour l'Europe en septembre 1959

En fait, à l’approche de ses trente-deux ans Miron n’a toujours habité que son petit coin de pays et il ne connaît du monde extérieur que ce que lui en ont appris ses lectures, la radio et la télévision ou des amis comme Ambroise Lafortune ou Claude Haeffely. 324

Se trouvant à Paris au seuil de la nouvelle décennie, Miron peut donc vivre en direct la montée de la décolonisation pendant qu’au Québec s’organisent les premiers mouvements indépendantistes 325

Au terme du voyage en train depuis Le Havre où l’Homeric a accosté une semaine jour pour jour après son départ de Montréal, Miron arrive à Paris épuisé par la traversée. 326

Miron doit plutôt s’orienter vers la Maison des étudiants canadiens de la Cité universitaire, boulevard Jourdan, 327

Chose certaine, l’année et demie passée en France ne paraît guère productive.329

Son programme de bourse prévoyait qu’il allait parfaire ses compétences comme éditeur et il s’est mis dès les premiers jours à faire des démarches auprès d’institutions qui offrent des formations diverses dans ce domaine. Dans le Quartier latin, Miron s’informe auprès de l’Institut national des industries et arts graphiques et il songe un moment à s’inscrire à l’École de librairie et d’édition, boulevard Saint-Germain, qui donne des cours de perfectionnement au personnel des entreprises du livre. L’admission y étant toutefois compliquée, c’est finalement du côté de l’École Estienne qu’il va se tourner, une institution très réputée, fondée à la fin du XXe siècle et qui n’a cessé d’évoluer avec le développement des nouvelles technologies de la gravure et de l’impression, tout en demeurant soucieuse d’assurer une solide formation artistique à ses étudiants. Le mariage de la technique de pointe et de l’esthétique la plus soignée est la marque de commerce de l’École Estienne ; des écrivains aussi prestigieux que Colette et Jean Cocteau y ont fait paraître de petits ouvrages à tirage limité. 330-331

il ne suit que quelques cours en début de soirée, à raison d’une heure et demie du lundi au jeudi. Il n’empêche que l’école laissera des traces importantes sur la suite de sa carrière d’éditeur : il peut s’y initier à l’histoire de l’imprimerie et de ses techniques et, surtout, y affiner une sensibilité déjà grande à l’égard de la mise en page, de la composition, du graphisme, de la typographie, de la reliure — en un mot, approfondir divers aspects de la fabrication du livre pour lesquels il lui manquait un certain savoir technique. 331-332

Quelles que soient ses misères, affichées en toute complaisance dans ses lettres, au point de laisser croire qu’il reste la plupart du temps cloîtré dans sa chambre, Miron ne cesse d’établir des contacts, et la rencontre du groupe d’Esprit est assurément un événement majeur de son premier séjour parisien. Des amitiés durables s’y tissent, en même temps que ses idées politiques s’y affinent. Mais à l’inverse, la revue fondée par Emmanuel Mounier dans les années 1930 et dirigée par Jean-Marie Domenach depuis 1957 voit arriver en Miron un porteparole de la réalité québécoise à la fois fascinant et dérangeant, après avoir connu pour principal relais l’équipe de Cité Libre au cours des années 1950. Les ambitions de Miron exprimées avant son arrivée ne relevaient pas que de la vantardise : il va bel et bien « donner » quelque chose aux Français de la revue Esprit, et pour Domenach, c’est le début d’une lente évolution qui, tout au long des années 1960, le conduira à se rapprocher de plus en plus de la position souverainiste sur la question du Québec, jusqu’à assister, à la fin de cette décennie, à un congrès du Parti québécois30. 334

On ne saurait trop insister sur le rôle de guide et de relais qu’a joué Henri Pichette pour introduire Miron dans le milieu intellectuel et littéraire parisien et le cercle d’Esprit. 334

Dès lors, il peut préparer son sac à dos et partir sillonner les routes de l’été 1960 347

Or, Hurtubise vient d’apprendre que Michel Foulon, le PDG de Foma-France, est à la recherche d’un directeur pour son bureau de Montréal. 360

plutôt que directeur, Miron sera « promoteur des ventes » et, à ce titre, il aura pour principales tâches « l’organisation des ventes » et du « travail des représentants », les relations avec les « grossistes » et les « clients importants » ainsi que « l’organisation des expositions ».360

Toujours est-il qu’au lieu de s’embarquer le 4 février comme il l’avait prévu il doit prendre l’avion pour revenir en toute hâte à Montréal le 13, deux jours avant son entrée en fonction. Le premier chapitre parisien est clos : si le bilan poétique est assez mince et le désastre amoureux total, son séjour lui a apporté une ouverture sur le monde, des connaissances nouvelles en édition et surtout des relations nombreuses, des amitiés durables qui joueront un rôle important dans l’accueil de son œuvre poétique en France. 361

Quand Miron se réinstalle à Montréal, au 4451 de la rue Saint-André, à la mi-février 1961363

Comme chez Miron, mais d’une manière souvent plus radicale, la passion religieuse et la soif de justice vont se reconvertir très vite dans des pensées politiques de gauche 365

Presque absent de la revue Liberté depuis son lancement en 1959, il va se manifester dans deux numéros consécutifs du printemps et de l’été 1961, au moment où la revue, momentanément dirigée par Jacques Godbout, se trouve en plein essor et se prépare à passer à un rythme mensuel de parution. 370

Mais la contradiction n’est qu’apparente. Depuis l’âge du « pauvre Cadou », la souffrance amoureuse a été la caisse de résonance du « Damned Canuck » : c’est dans cet espace ravagé où le corps n’est guère plus qu’une loque, dans cette absence glaciale de la femme aimée, qu’il éprouve au plus fort le terrible défaut de vie, la coupable apathie collective que constatent avec exaspération plusieurs de ses contemporains et que lui-même observe sans paraître pour l’instant y trouver de remède 372-373

Fomac distribue alors au Canada les livres de plus d’une vingtaine d’éditeurs français, dont le Seuil, Plon, Julliard. 373

Le Québécois encore en gestation est-il, oui ou non, un colonisé ? Cité Libre, la grande revue libérale de la décennie précédente, refuse catégoriquement d’adhérer à une telle vision, tandis que la génération de Parti pris, du côté de laquelle se range Miron, l’adopte au contraire résolument. Moins radicale et à l’écart du marxisme, Liberté va dans le même sens. 375

Après avoir pratiqué bien des métiers, frôlé les carrières d’animateur de loisir, de travailleur social et fait ses premières armes chez Beauchemin, Miron semble avoir enfin trouvé chez Fomac un emploi qui convient à ses compétences et qui lui assure un certain statut et un revenu stable, l’édition de poésie n’ayant jamais procuré à quiconque un vrai gagne-pain. Après avoir fait ses preuves, il a accédé au poste de « directeur commercial », il a son bureau, son champ d’action. 375

Sans doute connaît-il des accès sporadiques d’enthousiasme et d’énergie : il est heureux par exemple d’organiser à la mi-mars 1962 le lancement du premier roman de Jacques Godbout, L’Aquarium, dont Fomac assure la distribution puisqu’il est publié au Seuil 376

On a jugé que l’état qui était le mien n’était pas propice à la direction (c’est juste). J’y fais de la vente pour y vivre et m’y occuper de public relations à l’occasion30. » C’est tout dire et ce n’est plus qu’une question de temps avant que l’aventure Fomac ne trouve son dénouement, à l’automne 1963. 377

Cette « situation », terme assez impropre en l’occurrence, Miron ne saurait la trouver ailleurs que chez lui-même, à l’Hexagone. Malgré des emplois divers par la suite, toujours à temps partiel et à forfait, jamais plus il ne se soumettra au régime qu’il a connu chez Beauchemin et chez Fomac.

C’est bien à l’Hexagone qu’il les trouve, « son industrie, son poste de commande » ! À une nuance près : ce poste qui lui épargne les patrons et qui construit quelque chose de durable ne peut lui procurer que des revenus très médiocres. Il ne deviendra jamais un « bourgeois » et, de toute manière, il ne le voudrait pas… 378

L’équipe de l’Hexagone, en 1961, a changé de visage. Pilon s’est retiré pour se consacrer entièrement à son travail de réalisateur à Radio-Canada. Même si Louis Portugais fait toujours officiellement partie du groupe et reste actionnaire de la société créée en 1956, il ne participe plus guère aux travaux, ni d’ailleurs Gilles Carle, 379

Du sextuor fondateur de 1953, il ne reste donc plus en réalité que Miron lui-même.

Subordonné à l’impératif national, le socialisme de Miron n’a pas cette flamme, mais il faut dire que le vocabulaire volontiers marxiste adopté par ses jeunes émules de Parti pris repose lui-même sur des bases assez fragiles 417

Est-ce un hasard si celui qui était « directeur commercial » chez Fomac se retrouve sans emploi au moment même où Parti pris prend son essor à l’automne 1963 ? Déjà rétrogradé à la publicité, il a voulu, écrit-il à la mi-décembre, reprendre sa liberté « pour enfin écrire94 » ! À tout le moins, il y a une coïncidence symbolique dans ce retour de Miron au statut de « prolétaire » et de « chômeur », tandis qu’il s’efforce de tenir à flot, capitaine sans grand équipage, le navire Hexagone. Mais la perte d’un salaire paraît fâcheuse, d’autant plus que ce revenu lui permettait d’aider ponctuellement sa famille dont la pauvreté paraît plus que jamais endémique. 418-419

L’année 1964 n’est guère plus reluisante pour Miron. Après plusieurs mois de chômage, il obtient un emploi à la Librairie de la Paix, rue de Bleury, en face du Gesù 419

Vite harassé par son labeur de libraire, Miron ne tient le coup, rue de Bleury, que l’espace d’un été avant de repartir pour la Foire de Francfort. Le voyage en Allemagne lui procure un nouvel intermède salutaire et l’occasion de passer quelques jours à Paris pour y revoir Jacques Berque, qui vient de publier Dépossession du monde, et ses amis, Pichette, Marteau, Frénaud. 419

Le paradoxe devient évident si l’on observe que les Notes sur le non-poème et le poème se présentent comme un « art pré-poétique ». Or, presque tout L’Homme rapaillé tel qu’on pourra le lire en 1970 est déjà écrit au milieu des années 1960, y compris la majorité des pièces, telle La Corneille, qui composeront la dernière partie du recueil, J’avance en poésie. 425

Un fait s’impose, à l’évidence : les grands textes de 1965 donnés à paraître dans Parti pris annoncent sa période la plus pauvre en poésie depuis sa jeunesse. Sans doute a-t-il rarement connu l’abondance, mais les nouveaux poèmes deviendront particulièrement rares à partir de cette date. Les Courtepointes parues dix ans plus tard recyclent pour l’essentiel des pièces déjà écrites dans les années 1950, et ce n’est pas avant 1977-1978 que Miron entreprendra une nouvelle suite intitulée Femme sans fin, qui ajoutera un important volet à sa poésie amoureuse. 426

[La femme que j’aimais à l’époque] refusait certaines parties de mon militantisme. Elle souhaitait que j’oublie ces rencontres, ces liens clandestins, comme si cela n’existait pas. Je lui disais : « Tu sais bien que je suis dans le FLQ, que j’aide ces gars-là, que je ramasse de l’argent pour eux, mais tu fais semblant de l’ignorer, tu ne veux pas te mêler de cela. Tu te mêles d’autres choses, du féminisme par exemple, mais tu ne veux pas entendre parler de mes activités. (...) je me souviens qu’elle refusait cet aspect de mon militantisme, l’aspect violent, l’aspect clandestin, l’aspect terroriste3 431

En outre, ne pouvant plus s’appuyer sur une véritable équipe à l’Hexagone depuis 1964, il porte tout le poids du fonctionnement de la maison sur ses épaules 442

Quant à Alain Horic, il s’occupe toujours de l’administration, mais son poste de directeur de rayon au magasin Dupuis Frères exige de longues heures, sans compter qu’il doit composer comme cadre avec une grève des employés qui a d’ailleurs d’importants échos à Parti pris. 442

Pas plus que dans les années 1950, les succès littéraires de sa maison, que ce soient ceux de Giguère ou d’autres auteurs, n’assurent toutefois à Miron un gagne-pain digne de ce nom. De quoi vit donc l’éditeur chômeur en ne publiant ainsi que trois ou quatre recueils de poésie par an, même s’ils se vendent parfois à plusieurs milliers d’exemplaires et remportent des prix ? Il y a d’abord sa présence au sein de l’Association des éditeurs canadiens, qui ne lui permet pas seulement de prendre l’avion chaque automne vers l’Europe, d’y loger dans de bons hôtels et de se sentir ainsi un peu moins pauvre. Le reste de l’année, J. Z. Léon Patenaude, qui a mis sur pied le Salon du livre de Montréal, et Claude Hurtubise, dont les Éditions HMH prennent de l’essor, lui accordent fréquemment de petits contrats. Il arrive aussi qu’un soutien momentané tombe du ciel : ainsi, Guy Sylvestre lui annonce, à la rentrée de septembre 1965, une allocation ponctuelle de 100 $ par mois accordée par la Société des écrivains canadiens, sans même que le bénéficiaire en ait fait la demande ! À partir de 1966, Miron peut profiter d’un autre petit revenu comme pigiste, grâce à la chronique « Les livres à lire » qu’il tient mensuellement dans le magazine Maclean, dont le rédacteur en chef est son ami Paul-Marie Lapointe 445-446

Miron quittera les pages de Maclean peu après la naissance de sa fille Emmanuelle, en 1969 ; il dispose alors d’une bourse de 4 000 $ du ministère des Affaires culturelles du Québec obtenue pour mettre la dernière main à son œuvre poétique. Le fait qu’il puisse quitter sa pauvre chambre de la rue Saint-André et emménager pour la première fois dans un appartement du carré Saint-Louis, au cours de l’été 1968, n’indique certes pas qu’il connaît désormais le grand luxe mais qu’à tout le moins un progrès de sa situation financière est survenu 447

De plus en plus dans la deuxième moitié des années 1960, Miron représente ce cas, rarissime en littérature, d’un auteur parvenu à la renommée sans même avoir publié un livre qui porte sa seule signature. 447

Le problème, c’est que Sylvestre travaille alors à la préparation d’une anthologie bilingue à paraître en 1967, Un siècle de littérature canadienne / A Century of Canadian Literature24, commanditée par la Commission du centenaire de la Confédération. C’en est trop et, au printemps 1966, Miron écrit en toute amitié à l’anthologiste afin de lui signifier son refus d’accorder les droits pour la reproduction de Tristesse, ô ma pitié, mon pays (Héritage de la tristesse), pour des raisons politiques sans équivoque : il se trouve « en désaccord » avec la Société des écrivains « canadiens » de Sylvestre, et il serait « illogique » pour lui « de publier dans une anthologie “canadienne” eu égard à [s]on engagement pour l’indépendance du Québec ou pour les États associés25 » ; il s’agit, explique-t-il, d’une question d’intégrité personnelle, une ligne de conduite adoptée aussi par Paul Chamberland. C’est un signe des temps : parler de littérature ou de poésie « québécoise » devient à l’époque un acte politique, et cette désignation gagnera du terrain au cours des années suivantes.448-449

Mais pour ce qui touche à son œuvre poétique elle-même, il reste qu’aucun événement antérieur à la parution de son livre n’aura connu un retentissement aussi profond et durable que la conférence prononcée à l’Université de Montréal par Jacques Brault, le 10 février 1966, dans le cadre des « Conférences J. A. de Sève ». On peut parler d’un moment fondateur, d’un texte dont le titre même, « Miron le magnifique », fait date et dont le contenu demeurera une référence indispensable à toutes les lectures ultérieures de l’œuvre. 452

Mais à peu de chose près, il dit vrai, et il ne ment pas non plus, pour une fois, en soutenant qu’il a (presque) cessé d’écrire — ce qui lui permet d’autant plus de s’activer tous azimuts, comme le « forcené » qu’il dit être et qu’il n’est pas vraiment, ayant toujours profité d’un sain équilibre mental. 455

Paul Chamberland qualifie Miron de « pollinisateur », et il est vrai que le captif du « non-poème » ne cesse d’animer, d’encourager, d’inspirer. Si l’on souhaite un regard informé sur la poésie et sur l’identité québécoises, on pense tout de suite à lui. 459

L’année précédente, Pierre Vallières et son camarade Charles Gagnon ont tenté en vain d’alerter l’opinion mondiale sur la situation québécoise en manifestant à New York devant l’édifice de l’Organisation des Nations unies. Bientôt ramenés au Canada et emprisonnés, ils attendent toujours leur procès en 1967-1968, et un journaliste engagé dans la gauche indépendantiste, Jacques Larue-Langlois, imagine un grand spectacle-bénéfice qui réunirait chansonniers et poètes afin de recueillir des fonds pour la défense des deux prisonniers politiques accusés d’incitation au terrorisme. Le journaliste militant ne tarde pas à contacter Pauline Julien 463

Les poètes sont moins nombreux, mais Miron fait le poids en compagnie de Claude Gauvreau, et d’autres poèmes pourront être lus par des comédiens, Jean Duceppe et Michèle Rossignol 464

Le succès du premier spectacle permet à Larue-Langlois d’envisager une tournée. Dans une lettre à tous les participants, il en résume les deux objectifs : « 1. Recueillir des fonds pour le Comité d’aide Vallières-Gagnon ; 2. Politiser les masses en les rendant conscientes du degré de colonisation dont elles sont chaque jour victimes47. » Pauline Julien demeure la coordonnatrice et Miron va partir avec la troupe du 10 au 14 octobre pour des représentations à Hull, à Québec, à Trois-Rivières et à Sherbrooke. Porté par l’enthousiasme, Larue-Langlois parle d’un impact comparable à celui de Refus global, que l’on vient d’ailleurs de rééditer et qui, vingt ans après sa parution, se trouve en parfaite consonance avec l’époque. Le spectacle sera repris une dernière fois à Montréal, sur la scène de la Comédie-Canadienne, le futur Théâtre du Nouveau Monde, en février 1969 464-65

la disparition de la revue annoncée à la rentrée de l’automne 1968 : les discordes idéologiques au sein de la gauche auront été fatales à la publication, dont le déclin

était sensible depuis plusieurs mois. Miron lui-même a d’ailleurs abandonné le navire l’automne précédent. 466

Un autre chapitre important se clôt pour lui à l’automne 1968 : celui de la Foire de Francfort, où sa fonction de délégué des éditeurs canadiens lui a permis de fréquenter sur une période de six ans (sauf en 1967) le marché mondial du livre et de croiser de nombreux écrivains. Le dernier rapport qu’il présente à l’Association des éditeurs canadiens, à son retour de Francfort, s’avère particulièrement étoffé. 467

D’ailleurs, ne profite-t-il pas de la bourse que vient de lui accorder le ministère des Affaires culturelles, justement pour publier son œuvre5 ? 473

mais surtout Pierre Elliott Trudeau qui devient premier ministre du Canada le 25 juin 1968, et le maire Jean Drapeau, qui s’est montré tiède et plutôt embarrassé par le passage fracassant du général de Gaulle à Montréal et qui paraît désormais aligné sur la réaction et la répression. Le jour de la Saint-Jean, au parc La Fontaine, Miron participe au grand affrontement entre les indépendantistes et le duo Trudeau-Drapeau, tous deux assis au premier rang de la tribune des notables devant la Bibliothèque municipale : c’est l’une des pires émeutes qu’a connues la métropole. 474

Ce soir-là, un cinéaste de l’ONF, sensible à la voix des poètes, s’est mêlé au public. À la fin du spectacle, il s’est frayé un chemin vers Claude Haeffely, l’air consterné : comment se fait-il que personne n’ait songé à filmer un événement aussi mémorable, ni même à prendre des photos ? Ce cinéaste, Jean-Claude Labrecque, a de la suite dans les idées : pendant deux ans, il travaillera à concevoir et à mettre sur pied un événement qui réunirait sur scène toutes les voix importantes de la poésie québécoise. Miron, Haeffely et quelques autres viendront l’épauler dans la préparation : ce sera la Nuit de la poésie du 27 mars 1970, un événement mythique de la poésie québécoise contemporaine et un film qui, cette fois, en conservera la mémoire 476

ainsi que par l’avocat Robert Lemieux, un des membres fondateurs, avec Miron, du Mouvement pour la défense des prisonniers politiques québécois en 1970 478

La machine à écrire crépite, les lettres déferlent. Tantôt c’est pour semoncer l’éditorialiste de La Presse, Renaude Lapointe, qui n’a jamais de mots assez durs contre les « séparatistes », tantôt c’est pour contredire telle déclaration du président de la Place des Arts, d’un député fédéral, d’un chroniqueur du journal Montréal-Matin, quand ce n’est pas pour dénoncer les pratiques mesquines de crédit au magasin Dupuis Frères. Plus tard dans l’année, le premier ministre Jean-Jacques Bertrand lui-même, le successeur de Daniel Johnson, recevra une lettre de « Gaston Miron, technicien en édition » ( !), ironisant sur la prétendue « priorité » du français comme langue de travail, quand il est impossible de trouver un emploi pour lequel on ne demande pas d’entrée de jeu : « Parlez-vous anglais ? » 482-483

Le combat du MIS s’étend désormais à une cause plus audacieuse, pour ne pas dire improbable : la francisation d’un des bastions de la culture anglophone à Montréal, l’Université McGill. La manifestation « McGill français » du 28 mars 1969, à laquelle participent Miron et plusieurs personnalités connues, dont le légendaire frère Untel, pourtant un modéré, tourne à la violence et donne lieu à de nouvelles scènes de matraquage et d’arrestations. Montréal est survolté et le maire Jean Drapeau, qui a vu croître l’agitation depuis l’émeute de la Saint-Jean en 1968, songe à un règlement qui interdirait carrément les manifestations. 483

Le surgissement de la question de la langue dans le champ politique est un fait majeur du Québec contemporain, et la figure familière de Miron en militant linguistique doit beaucoup à la crise de 1968-1969. Ses grands textes de réflexion sur la langue, qu’il finira par intégrer aux éditions tardives de L’Homme rapaillé, tel « Le bilingue de naissance » ou encore « Le mot juste », sont tous postérieurs à cette tumultueuse fin de décennie 484

Il n’y a pourtant plus de retraite possible : Emmanuelle Miron naît à l’hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc, voisin de l’Hôtel-Dieu, à l’aube du 16 juillet 1969. 485

Le « bill 63 » suscite aussitôt un tollé chez les militants nationalistes, qui y voient une consécration du bilinguisme : un Front du Québec français présidé par François-Albert Angers, professeur à l’École des hautes études commerciales, est institué et Miron y représente les écrivains. En quelques jours, le Front organise une grande manifestation devant le parlement de Québec. Le matin de la manifestation, le dernier jour d’octobre, alors que Gérald Godin et Pauline Julien se préparent à partir pour la capitale, des policiers se présentent chez Pauline, rue Selkirk, dans le centre-ouest de Montréal, munis d’un mandat de perquisition contre les Éditions Parti pris : parmi d’autres ouvrages et des numéros de la défunte revue, on saisit Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières, toujours en prison et maintenant accusé de sédition avec son camarade Charles Gagnon. Le comité d’aide à Vallières-Gagnon, qui s’est déjà manifesté grâce au spectacle Poèmes et chansons de la résistance, va beaucoup solliciter Miron au cours de l’année qui vient 488

Miron a pris la parole pour dénoncer une loi qui équivaut selon lui à un « autogénocide » : Il est temps de se donner, au Québec, une langue officielle de travail et de vie : l’unilinguisme français. Une fois pour toutes, nous l’exigeons, il nous le faut ! Notre lutte ne prendra pas fin avec le retrait du projet de loi 63 mais seulement lorsque nous aurons obtenu l’unilinguisme français22 489

On pourrait s’étonner pour une autre raison : le poète couronné n’a même pas, à ce qu’on sache, publié de livre depuis sa jeunesse ! Mais c’est que ce prix est d’une nature particulière : il est accordé non pas à un ouvrage publié mais sur manuscrit. 491

Après la lettre reçue de Vachon dans les premiers jours de mars, les choses se précipitent. Le mardi 10, les PUM convoquent une conférence de presse au Centre communautaire de l’université pour annoncer le nom du lauréat et le titre de son ouvrage : L’Homme rapaillé. Il a donc fini par trouver le terme exact qui aurait dû lui venir à l’esprit bien plus tôt, tant il paraît évident. Rapaillé : ce mot lui permet d’exprimer l’idée de rassemblement en puisant dans le fonds paysan, où l’on parle depuis longtemps de rapailler pour décrire l’action de ramasser la paille laissée sur un champ après qu’on en a fauché le blé. En outre, le mot renvoie à la langue familière québécoise, qui l’a repris métaphoriquement : « Rapaille tes vêtements, tes objets » ou même simplement « Rapaille-toi ». Mais l’histoire littéraire se trouve également évoquée, l’historien Lionel Groulx ayant publié un recueil de contes, en 1916, sous le titre Les Rapaillages 499

La question des liens entre littérature et politique, surtout quand celle-ci préconise la violence, n’a certes pas fini de susciter la controverse, et lui-même aura à s’en expliquer. Comment, par exemple, devra-t-on lire son « salut » à Pierre Vallières et Charles Gagnon ? S’agit-il d’un appui explicite aux actions du FLQ ? La réponse n’est pas simple, et l’on peut penser que, sur ce plan, depuis les premiers événements terroristes de 1963, il a toujours cultivé l’ambiguïté33 500

Un événement d’une portée autrement considérable que cette lecture-causerie tenue à l’université précède la publication de L’Homme rapaillé : la « Nuit de la poésie » du 27 mars, dont l’idée a germé en 1968 et à laquelle Jean-Claude Labrecque, son collègue cinéaste Jean-Pierre Masse et leur équipe travaillent depuis plusieurs mois 500

Mais les huit cents sièges à peine pourront-ils suffire ? Les avis sont partagés au sein du comité : certains craignent un auditorium à moitié vide, d’autres imaginent déjà une salle comble. Personne, à vrai dire, n’aurait pu prévoir un tel déferlement : de trois à quatre mille personnes, en très grande majorité des jeunes, se pressent joyeusement dans la rue de Bleury, 501

L’Homme rapaillé sort de l’imprimerie Thérien et Frères le 8 avril. 505

Mais il n’empêche que l’université et son ami Brault auront eu raison de lui et, le soir du 14 avril, la grande confrérie littéraire chère au poète se presse dans un salon du centre communautaire, boulevard Édouard-Montpetit, pour assister à un événement que l’on ne croyait plus possible : la sortie de son maître livre. Pour étonner davantage tant le public que les journalistes, on peut voir « ce geste inouï, Gaston Miron acceptant, sous la lentille des appareils photographiques, un chèque de 2,000 dollars37 » des mains de Danielle Ros, directrice des PUM. 505-506

Le succès de L’Homme rapaillé demeure un phénomène unique dans l’histoire de la poésie québécoise. Il est rare qu’un homme et son livre forment à ce point un seul bloc infrangible, que la qualité littéraire d’une œuvre et la personnalité publique de l’auteur puissent autant se nourrir mutuellement, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de poètes dont les frasques, chez les plus turbulents, n’attirent guère en général que l’attention d’un cercle restreint. Porté par la personnalité flamboyante de son auteur et par une attente interminable qui a fatalement avivé la curiosité, L’Homme rapaillé profite en même temps d’une conjoncture sociopolitique dont le livre paraît cerner les fondements et la genèse d’une manière emblématique. 507

Si Miron et son Homme rapaillé font malgré tout l’objet, en 1970, d’un véritable couronnement, celui-ci, du moins pour une bonne partie de la nouvelle génération, ne va pas sans ambiguïté : Miron fait figure de maître, mais un maître en voie d’être dépassé par ses disciples ; il incarne un père en poésie à qui tous sont redevables, mais comme tous les pères, il devra accepter que son meilleur temps soit révolu et que désormais il revienne à ses enfants de mener le jeu. Cependant, qu’on se s’y trompe pas : l’homme est assez malin pour avoir prévu le coup et il leur montrera, notamment comme éditeur, qu’il n’a rien d’un attardé des années 1950 et 1960…508

Pour sa part, Gatien Lapointe confirme le titre de « poète national » accordé jadis à l’auteur, à l’exemple des Maïakovski, Guillén, Neruda et des poètes français de la Résistance. 510

Pourtant, il y a du vrai dans son affirmation à Jean Basile : il a eu beau se porter candidat du PSD, puis détenir sa carte du RIN dès son retour de Paris en 1961, cette « inscription » est loin d’avoir donné lieu à un militantisme soutenu au sein de ces partis, pas plus qu’au Parti québécois. Mais craignant de paraître tiède à l’égard de l’engagement politique, il s’empresse de faire parvenir un rectificatif au Devoir, qui va le publier le samedi suivant : « Je précise. Je crois ne m’être jamais dérobé aux refus et aux choix par lesquels un homme se définit concrètement10. » En fait, l’essentiel de cette mise au point vise à justifier le fait qu’il n’a pas adhéré au Parti québécois, même s’il juge qu’il faut appuyer « stratégiquement » le seul parti indépendantiste. L’argument selon lequel le parti de René Lévesque n’est pas un vrai parti de gauche est-il vraiment déterminant ? 512

Quelques mois plus tard, après la crise d’Octobre qu’il a connue en direct comme professeur invité à l’Université de Montréal, Dominique Noguez conclut ainsi sa recension de L’Homme rapaillé dans La Quinzaine littéraire : Miron est la parole du Québec, comme le Ronsard des Discours, le Hugo des Châtiments ou les poètes de la Résistance [qui] se voulurent la parole de la France meurtrie. Il est le Césaire et le Senghor des Nègres blancs d’Amérique17 514

Une remarque glissée dans le rapport de 1971 est frappante : « L’ouvrage [de Miron] continue de connaître un grand succès surtout auprès des étudiants de cégeps, où il est inscrit au programme18. » Nul doute qu’un des facteurs importants de la longévité de L’Homme rapaillé tient à sa pénétration dans le réseau d’enseignement des collèges et des universités. Année après année, les PUM pourront faire état de ventes oscillant entre 2 500 et 3 000 exemplaires, de sorte qu’au seuil des années 1980 on aura atteint les 30 000 exemplaires vendus depuis la parution. 515

Désormais, seuls les recueils inscrits dans les programmes d’enseignement peuvent espérer, sauf de rares exceptions, dépasser les 200 ou 300 exemplaires vendus. Or, avec Nelligan, Saint-Denys Garneau et Anne Hébert, Miron est de loin le poète le plus enseigné au Québec. En outre, L’Homme rapaillé demeure l’emblème par excellence, tout au long des années 1970, d’une génération (celle des baby-boomers) dont l’adolescence a été contemporaine de la Révolution tranquille et qui a connu la montée de l’affirmation nationale du Québec et l’épanouissement de sa littérature — une génération qui occupe désormais massivement les postes dans l’enseignement. 515

L’« appui stratégique » accordé au PQ ne l’empêche pas d’avoir le cœur ailleurs, surtout du côté de celui qui a été son jeune disciple, Pierre Vallières, en prison depuis bientôt quatre ans et toujours en attente de procès. Mais la grève de la faim que le détenu a entreprise le 18 mai portera des fruits : il obtient sa libération provisoire huit jours plus tard et peut rejoindre son camarade Gagnon qui a déjà été relâché en février. Sans avoir perdu sa raison d’être (puisque le procès reste à venir), le comité d’aide Vallières-Gagnon sent le besoin de s’élargir, plusieurs felquistes étant toujours en prison, dont Pierre-Paul Geoffroy, condamné à perpétuité en 1968. L’objectif à moyen terme est de récolter 50 000 $ grâce à une campagne de financement, ce qui permettra notamment de payer les avocats. Une réunion a lieu à la mi-juin, à laquelle participent des représentants des grands syndicats, Fernand Daoust pour la FTQ, Guy Marsolais pour la CSN. Miron y représente le milieu des écrivains et des artistes, mobilisé dès la première heure pour les prisonniers politiques, et aux côtés de Marsolais, il est nommé au comité de coordination du nouveau Mouvement pour la défense des prisonniers politiques québécois, le MDPPQ, qui sera présidé par le Dr Serge Mongeau, un médecin progressiste très en vue à l’époque, grâce à ses ouvrages sur la sexologie, la contraception et l’avortement.516-517

la gauche militante se donne des structures d’action : la fondation officielle du MDPPQ présidé par Mongeau, le 30 juin, suit de quelques semaines celle du FRAP, le nouveau parti municipal qui entend faire la lutte à Jean Drapeau aux élections d’octobre. C’est à ces deux mouvements de gauche que Miron fera don d’une partie de la bourse accompagnant son Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal, au début de 1971 517-18-

Au MDPPQ, il côtoie ses amis Gérald Godin, Pauline Julien et Jacques Larue-Langlois. Du point de vue de la police et des services de sécurité, le mouvement se trouve aisément assimilé à une aile militante du FLQ, d’autant plus que Robert Lemieux, l’avocat des felquistes, mal vu par le Barreau et l’establishment des juristes, fait partie du groupe fondateur. 518

que les membres fondateurs du MDPPQ soient apparus en priorité sur la liste des personnes arrêtées après l’adoption de la Loi des mesures de guerre 518

en fait, depuis 1968 la maison paraît fonctionner largement sur l’erre d’aller. 518

Sous des dehors sans grand éclat, une réorganisation de l’Hexagone ne s’en trame pas moins, dont les effets ne deviendront sensibles qu’à partir de 1972. Dans un premier temps, le 30 juillet, les trois coactionnaires de la société avec Miron depuis 1956, soit Gilles Carle, Jean-Guy Pilon et Louis Portugais, déclarent officiellement devant la Cour supérieure qu’ils se retirent de toute participation à la maison d’édition. Puis, deux jours plus tard, une nouvelle « société de l’Hexagone » voit le jour, enregistrée le 27 août. Si l’on excepte une part symbolique de 1 % conservée par Louis Portugais, qui ne jouera de toute manière aucun rôle dans la gestion et la prise de décision, seuls deux actionnaires subsistent : Miron à 51 % et Alain Horic à 48 %. En fait, il s’agit d’un partenariat égalitaire, car le contrat stipule que « toutes les décisions en rapport avec cette société devront être prises du consentement unanime de Gaston Miron et Alain Horic », quel que soit le partage des tâches, le premier privilégiant l’aspect littéraire, le second l’administration. La Librairie Déom, au 1247, rue Saint-Denis, se voit par ailleurs confirmée comme « dépositaire légal et officiel » des Éditions de l’Hexagone. 519

avant l’aube du vendredi 16 octobre

Miron ne va retrouver sa liberté que onze jours plus tard, le 27 octobre 523

Pour Miron lui-même, le départ d’Emmanuelle pour l’Outaouais se révèle on ne peut plus opportun, puisque, peu avant son emprisonnement, il a reçu une lettre d’Eugène Roberto, directeur du Département des lettres françaises de l’Université d’Ottawa, l’invitant dans la capitale fédérale comme « écrivain résident » pour l’hiver et le printemps suivants. 527

À partir de janvier 1971, malgré ses nombreuses activités à Montréal, Miron prend donc chaque semaine l’autocar pour Ottawa, où il reçoit à son bureau de la rue Waller, tous les mercredis après-midi, les étudiants intéressés à parler de poésie et d’édition ou à obtenir ses conseils sur les textes qu’ils écrivent, 527

La conséquence principale de cette résidence d’écrivain sera d’un ordre plus proprement poétique, assez inattendue pour un poète qui, à l’époque, écrit moins que jamais. L’idée de conserver une trace durable du séjour de Miron a germé assez tôt dans l’esprit d’Eugène Roberto : pourquoi ne pas lui suggérer de rassembler des poèmes inédits susceptibles de faire l’objet d’une plaquette publiée par le département ? Le poète qui vient de se « rapailler » n’a-t-il pas autre chose dans ses cartons, quelques autres extraits de sa fameuse Batèche, à moins qu’il ne profite de son statut d’écrivain résident pour écrire de nouveaux poèmes ? L’idée est louable, mais combien hasardeuse ! Pourtant, c’est le projet des Courtepointes qui vient de s’esquisser et qui, par la patience bienveillante du professeur-éditeur, au pas de tortue que pratique l’écriture de Miron, verra finalement le jour à la toute fin de 1975, pour enrichir à plus long terme la structure de L’Homme rapaillé 528

nov 1970

En même temps que la parution du Document Miron de La Barre du jour, il apprend en novembre qu’un jury français présidé par Pierre Emmanuel, et composé notamment de Michel Bernard, Alain Bosquet et Jean Cayrol, lui décerne le prix France-Canada qui, malgré son nom, est en réalité un prix québécois offert par le ministère des Affaires culturelle 529

Après Ottawa, c’est à l’Université de Sherbrooke qu’il va occuper le poste d’écrivain résident au cours de l’hiver 1972. On l’invite comme conférencier à l’Université McGill, à l’Université Queen’s de Kingston, dans les cégeps ; et à partir de 1974, on le verra enseigner la poésie aux futurs comédiens de l’École nationale de théâtre. 535

Or, au cours de la seule année 1972, pas moins de quatorze titres voient le jour, comme pour manifester un passage décisif à l’édition professionnelle et à l’âge de l’abondance. Jamais plus par la suite on ne retrouvera le bas régime des décennies précédentes 537

Depuis longtemps déjà, Denise Boucher a perçu chez lui, comme chez Pierre Vallières, un héritage religieux se traduisant à la fois par un rapport difficile à la sexualité et par un « messianisme » du rassemblement et de l’avènement collectif, envers et contre toutes les tensions et polarisations idéologiques. Miron, homme de la communauté réunie, enfin présente à elle-même : lui qui a pensé le projet national sous l’éclairage sartrien et marxiste de Parti pris fréquente à présent l’équipe de la revue Maintenant, fondée par les Dominicains et exerçant sa critique sociale dans les termes de l’humanisme chrétien et de la théologie de la libération. C’est toujours, finalement, l’héritage de Mounier et de la revue Esprit et le projet anthropologique de Jacques Berque : là se trouvent les fidélités les plus profondes du « poète national ». 539

Cette vision critique n’empêche pas des engagements ponctuels, même s’il faut considérer comme un épiphénomène la candidature de Miron pour le Parti Rhinocéros de Jacques Ferron aux élections fédérales d’octobre 1972. En fait, il s’agit surtout de régler des comptes avec Pierre Elliott Trudeau, le maître d’œuvre de la Loi des mesures de guerre. Miron « affrontant » Trudeau dans le comté de Mont-Royal, c’est un joli pied de nez, 552-553

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Ce qui ne fait aucun doute, c’est que Miron est « fonctionnaire », plus précisément commis au palais de justice à l’époque de la fondation de l’Hexagone, et qu’en 1954 il ira travailler au bureau des permis d’armes à feu de la Police provinciale, rue Saint-Gabriel. Une chronique parue dans un journal en août 1955 annonce finalement : « Gaston Miron, des Éditions de l’Hexagone, a quitté le fonctionnarisme provincial pour passer à la Maison Beauchemin42 », mais il est vrai que la nouvelle est alors en retard de plusieurs mois…

Au printemps 1953, il vient de lire également le Panorama de la nouvelle littérature française de Gaëtan Picon45. Dès qu’il en a le temps, il bouquine à la Librairie Tranquille, chez Flammarion, dans les librairies d’occasion où il reste toujours à l’affût d’une aubaine : un Tristan Corbière, les Feuillets d’Hypnos de René Char, tel recueil d’Henri Michaux : « Je reviens chez moi, mes livres sous le bras, heureux de contentement et de chasse46. » C’est là sa véritable thérapie. En janvier 1953, il a pu dire en outre son admiration pour l’un des plus grands poètes contemporains en signant dans La Galette un court hommage à Paul Éluard, décédé à la fin de l’année précédente. 205-206

Néanmoins, au-delà des nuances qu’on doit lui apporter, le constat rétrospectif d’une éclosion soudaine de sa poésie à partir de l’automne 1952 est loin d’être faux. Car jusque-là, malgré les rencontres et les lectures, des résistances formelles persistent, comme en témoignent Le Laid, Potence (paru dans Le Devoir en mai 1953) et les autres poèmes les plus anciens publiés dans Deux Sangs. Or, pudiquement tenue secrète, c’est l’histoire d’amour avec Isabelle qui aura, plus que toute autre chose, précipité cette mutation.206

C’est la suite qui change tout, comme chez les grands musiciens capables de transformer les mélodies les plus ordinaires en développements magnifiques. Ici résonne déjà, dans une forme libérée, le départ de Miron pour son fameux « voyage abracadabrant », en même temps que se fait entendre une tonalité unique, le gémissement de l’animal blessé. Car il l’a confié à Olivier Marchand au printemps 1952 : « Je suis une bête à souffrance. » 207-208

Et alors, du même coup, ce sont toutes les formes apprises et les quatrains jolis qui éclatent, pulvérisés par une force irrépressible. C’est comme la permission de tout dire, sans apprêt, de lancer une danse folle qui fait voyager même le folklore vers l’espace du poème et qui pousse violemment le corps vers les mots 208

Projet de roman : Dans le naufrage de son amour pour Isabelle, trois grands mouvements d’écriture se dessinent en 1953-1954, dissimulés par la publication de Deux Sangs. En premier lieu, c’est le roman ou le récit autobiographique, le genre le moins « naturel » à Miron. Depuis 1949 au moins, il portait en lui un projet romanesque centré sur le personnage de Cadou. On pourrait croire qu’au gré des engagements au Clan et à l’OBT ce personnage accablé est finalement mort et enterré : mais si tel était le cas, le mal d’amour de 1953 signe la résurrection de Cadou. Le plan est clair dans les feuillets manuscrits de Miron : Cadou doit être la figure centrale d’un roman qui aura pour titre, nul ne s’en étonnera, « ISABELLE »… Celle-ci ne sera présentée qu’indirectement, on ne la verra jamais en scène 210

En réalité, ce roman aux intentions salvatrices va dévier presque aussitôt vers une autre forme, plus complexe et incertaine, dans laquelle le romanesque se trouve mêlé au journal intime, à l’analyse psychologique et au récit autobiographique. Le fait que Miron l’a soigneusement dactylographié, sur de nombreux feuillets qui portent fréquemment en en-tête la mention « Manuscrit : La bataille de soi », indique assez l’importance qu’il accordait à ce texte en prose.210-211

L’auteur de ce récit pour le moins bancal n’est pas à l’aise, on le devine, dans la fiction narrative : Miron digresse et dérive, il ne soutient pas le ton, il moralise à l’excès et il finit par revenir au journal intime, ou carrément au poème. Bien davantage chez lui dans le fragment, il rédige parallèlement à « La Bataille de soi » de très nombreuses « notes », et c’est là un deuxième grand mouvement d’écriture qui s’ouvre à lui 211

Dans les années 1980, son œuvre poétique à peu près terminée, il continuait de mûrir le projet de publier un recueil de ces fragments à la fois autobiographiques, philosophiques et poétiques.212

Le moraliste chrétien doublé d’un animateur social s’estompe au profit de l’écrivain.212

Récit autobiographique, notes fragmentaires : ces deux ensembles pointent à l’évidence vers un troisième ensemble, le plus important : le projet poétique lui-même. À première vue, celui-ci se présente en lambeaux, en une trame si déchirée que l’on voit mal comment une œuvre continue et cohérente pourrait en résulter.214

Dès l’été 1953, la suite poétique prend forme 214 « Paroles du très-souvenir ».

Ce livre, bien sûr, on ne le trouvera jamais sur les rayons d’une librairie ou d’une bibliothèque, ce qui ne l’empêche pas d’exister, sous la forme d’une longue suite demeurée à l’état de manuscrit 215

En effet, au début des années 2000, le manuscrit des Paroles du très-souvenir, sorti d’on ne sait où, a été vendu aux enchères par un marchand d’art montréalais, et l’on a même pu le voir exposé, rue Sherbrooke Ouest, avant l’encan tenu en soirée à l’hôtel Ritz-Carlton. Parmi des tableaux de Jean-Paul Riopelle et d’autres œuvres et objets de valeur, la longue suite poétique de Miron a été acquise par une riche collectionneuse de Westmount — mais comme une ombre qui passe, ce n’était que pour disparaître de nouveau, le manuscrit ayant été égaré par la suite dans un déménagement73 215

Heureusement, il existe de nombreux brouillons des Paroles du très-souvenir 74. Le poème en plusieurs parties est aussi bien un hymne à « Ise » / « Isa » que la complainte d’un homme meurtri. L’ensemble n’égale pas, il s’en faut de beaucoup, La Marche à l’amour, mais on repère partout des motifs, certains accents, des images encore embryonnaires que l’on retrouvera dans le grand poème de 1962.215-216

1953 Il a démissionné de La Galette en juin, Deux Sangs a vu le jour en juillet et dans les mois qui suivent, appelé par le projet inchoatif des Éditions de l’Hexagone, Miron va se désengager progressivement de ses activités dans les mouvements de jeunesse. Il mène résolument « la bataille de soi » en remplissant des dizaines et des dizaines de feuillets. 214-15

en 1959-1960, effectue un séjour à Paris où il suit les cours de l'école Estienne.

Miron rédigera à titre de délégué de l’Association des éditeurs canadiens à la Foire du livre de Francfort, au cours des années 1960

De retour au pays, il entre chez Formac ltée/HMH où il travaille pendant cinq ans.

Par la suite, il se consacre à l'écriture et à la gestion de l'Hexagone.

Écrivain invité à l'Université d'Ottawa (1971) et à l'Université de Sherbrooke (1971-1972), il enseigne la littérature à l'École nationale de théâtre à Montréal, de 1973 à 1978.

De 1972 à 1980, il a aussi été attaché aux Éditions Leméac.

Politiquement engagé, il milite au sein de plusieurs partis et associations, notamment le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), le Parti socialiste québécois et le Parti québécois.

Il participe également à l'organisation de récitals et de rencontres de poètes.

Son oeuvre lui a mérité le prix de la revue « Études françaises » (1970), le Grand prix littéraire de la ville de Montréal (1971), le prix Duvernay (1978), le prix Apollinaire (1981), le prix Athanase-David (1983) ainsi que plusieurs décorations dont les insignes de commandeur des Arts et des Lettres de la République française.

Il meurt à Montréal en 1996

Enfance et formation

Né en 1928 à Sainte-Agathe-des-Monts, il est le fils de Charles-Auguste Miron et de Jeanne Raymond dit Michauville.

Aîné d'une famille de cinq enfants,

4 filles, et une morte-née

Gaston Miron se trouve donc entouré de femmes durant son enfance. C’est un monde heureux, confortable, dont il tire à titre d’aîné et de seul garçon certains privilèges.

il a 12 ans quand son père, menuisier et propriétaire d'une petite entreprise de portes et fenêtres, meurt.

Tout jeune, il subit ses premiers chocs culturels : il découvre que son grand-père, qu'il admire, est totalement analphabète, et que lui-même vit en pleine dualité linguistique, où l'anglais tend à prédominer. Sainte-Agathe se transforme l'été en centre de villégiature pour anglophones fortunés : la langue de la minorité, qui est aussi celle de l'argent, plonge les siens dans un état de dépendance servile.

Il fait son deuxième cycle d'études à Granby dans un juvénat des Frères du Sacré-Cœur. On l'initie à la poésie d'Octave Crémazie, de Pamphile Le May, de Nérée Beauchemin… Entre-temps, sa mère « avec ses mains d'obscures tendresses » se remarie et la famille déménage à Saint-Jérôme. Il la rejoint à la fin de ses études et travaille un an comme manœuvre auprès de plombiers.

À 19 ans, il quitte le milieu familial et s'installe à Montréal. Le jour, il y exerce un peu tous les métiers : commis de bureau, instituteur, serveur… Le soir, il étudie les sciences sociales à l'Université de Montréal et rencontre Olivier Marchand qui le met en contact avec la poésie moderne : Éluard, Desnos, Aragon… Ce même Marchand l'introduit à l'Ordre de Bon Temps, un mouvement « canadien-français » issu de la JEC (au Québec : Jeunesse étudiante catholique) et voué à la défense du folklore canadien-français.

L’éditeur

En 1953, il est un des six cofondateurs de la première maison d’édition de poésie québécoise, les Éditions de l’Hexagone, en compagnie de cinq jeunes connus à l’Ordre de Bon Temps : le poète Olivier Marchand, l’épouse de celui-ci, Mathilde Ganzini, le décorateur Jean-Claude Rinfret, et les futurs cinéastes Louis Portugais et Gilles Carle. Auparavant, nos poètes devaient publier à leurs frais : seuls quelques poètes issus de la bourgeoisie pouvaient se permettre d'éditer leur œuvre. En 1956, l’Hexagone devient une société légale et participe à la publication des revues Parti pris et Liberté en 1959 sous la direction de Jean-Guy Pilon, qui remplace Miron à la direction de l’Hexagone quand ce dernier est parti étudier deux ans en France. De 1961 à 1971, l’Hexagone publie deux à quatre titres par année. La maison connaît un essor dans les années 1970 et 1980, devenant une entreprise commerciale, propriété de Gaston Miron, Alain Horic et Louis Portugais. Miron dirige l'Hexagone durant les trente premières années, jusqu'en 1983. À partir des années 1970, l'Hexagone devient davantage une entreprise commerciale et se diversifie, publiant des essais et des romans en plus de la poésie. Elle sort sa collection de poche, Typo, en 1985.

Le poète diffuseur

Gaston Miron publie ses poèmes dès les années 1950, dans divers quotidiens et périodiques, dont Le Devoir, Liberté et Parti pris. En 1953, il publie avec Olivier Marchand leur recueil de poésie, Deux sangs, qui inaugurera les Éditions de l’Hexagone.

Ayant obtenu une bourse du Conseil des Arts du Canada pour étudier en France, Gaston Miron séjourne à Paris de 1959 à 1960 où il suit un cours sur l’édition à l’École Estienne.

Gaston Miron, qui se qualifie lui-même de « commis voyageur de la poésie », œuvre dans le milieu de l'édition et de la diffusion du livre, en parallèle avec son travail d’écrivain. On le retrouve ainsi chez Beauchemin, Leméac et aux Messageries littéraires. Membre du bureau de direction de l’Association des éditeurs canadiens, il représente l’édition québécoise à la Foire du livre de Francfort de 1963 à 1968.

Important artisan du réveil culturel et politique québécois des années 1950 et 60, il fut incarcéré sans preuve ni accusation ni jugement de cours, durant plus d’une semaine, comme environ 450 autres artistes, poètes, activistes, nationalistes québécois, en octobre 1970, à la suite de l’invocation d’une vieille loi d’exception (la loi fédérale dite des mesures de guerre) par le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau,.

Étant insatisfait d'avoir publié ses poèmes de manière éparse durant vingt ans, ce n’est qu’à l’aube des années 1970 qu’il se laisse convaincre de les regrouper, avec quelques-uns de ses textes en prose, dans un recueil intitulé L’homme rapaillé, qui sera son « maître ouvrage » (prix Guillaume-Apollinaire). Le publiant d'abord en 1970 aux Presses de l’Université de Montréal (et non pas aux Éditions de l’Hexagone), Miron retravaille constamment cette œuvre : sept éditions de ces textes auront été ainsi publiées de son vivant, sur quelque 25 ans. Cette œuvre fut aussi éditée en plusieurs traductions, dont : en italien, anglais, portugais, ukrainien, polonais, hongrois, roumain et espagnol.

Gaston Miron est encore aujourd’hui considéré comme un grand poète du Québec contemporain, par la force et la profondeur du questionnement universel qu’il se pose, sur lui-même et les conditionnements culturels qui lui étaient imposés à l’époque, dans un Québec anglicisé de toute part.

Son poème La marche à l'amour s'avère ainsi l'un des plus connus et des plus beaux jamais écrits en Amérique française.

Katia Stockman écrit en conclusion, sur le site de l'Infocentre littéraire des écrivains québécois :

« Gaston Miron est considéré comme l'un des plus grands poètes québécois et comme une sorte de modèle pour les générations qui le suivent. Son écriture, placée au cœur de la langue de son pays, est riche en rythmes, mélodies et mots évocateurs de la réalité québécoise. Ses poèmes d'amour, amour pour les êtres et pour sa nation, sont à la fois les plus passionnés et les plus révoltés des textes de son époque. »

Œuvres Poésie et prose Recueils Deux sangs (recueil de poèmes de Gaston MIRON et d'Olivier MARCHAND), Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1953. L’homme rapaillé, Montréal, Presses de l’Université de Montréal (pour la première édition du recueil), 1970. L'homme rapaillé. Les poèmes, édition définitive présentée par Marie-Andrée Beaudet, préface d'Édouard Glissant, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1998. L'homme rapaillé : poèmes, 1953-1975, texte définitif annoté par l'auteur, préface de Pierre Nepveu, Montréal, l'Hexagone, 2015. Courtepointes, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1975. Poèmes épars, édition préparée par Marie-Andrée Beaudet et Pierre Nepveu, Montréal, Éditions de l’Hexagone, coll. « L'appel des mots », 2003. Un long chemin. Proses, 1953-1996, édition préparée par Marie-Andrée Beaudet et Pierre Nepveu, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2004. Correspondance À bout portant. Correspondance de Gaston Miron à Claude Haeffely, 1954-1965, Montréal, Éditions Leméac, 1989. À bout portant. Correspondance 1954-1965, édition préparée par Pierre Filion, Montréal, Éditions BQ, 2007. Lettres, 1949-1965, édition établie par Mariloue Sainte-Marie, Montréal, l'Hexagone, 2015, 600 p. Entretiens L'avenir dégagé. Entretiens 1959-1993, édition préparée par Marie-Andrée Beaudet et Pierre Nepveu, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2010. Jacques Picotte, Rencontre avec Gaston Miron, Nouveau Monde, Montréal, 15 juillet – 15 août 1972. Entretien et texte reproduit avec la permission de l'auteur, dans Tolerance.ca, Ma rencontre avec Gaston Miron, 27 décembre 2011. Album Marie-Andrée Beaudet, Album Miron, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2006, 212 p. Archives

Le fonds d'archives de Gaston Miron est conservé à BAnQ Vieux-Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Préfaces, postfaces 1983 : « Après-dire », dans Michaël La Chance, Le Prince sans rire, gravures de Louis-Pierre Bougie, Montréal et Paris, Éditions Lui-même, n p., BNQ|RES/CA/216 1987 : « Le froid, l'effroi... », dans Michaël La Chance, Forger l’effroi, gravures de Louis-Pierre Bougie, Montréal, Ed. la Griffe d’acier, n p., BNQ|RES/CC/160 Paroles du poète « Le sentiment dévorant de disparaître sur place de ce peuple qui n'en finit plus de ne pas naître. » « C'est un peu de nous tous en celui qui s'en va et c'est en celui qui naît un peu de nous tous qui devient autre. » « Nous reviendrons, nous aurons à dos le passé, et à force d'avoir pris en haine toutes les servitudes, nous serons devenus des bêtes féroces de l'espoir. » « L'avenir dégagé, l'avenir engagé. » « Le temps c'est une ligne droite et mourante de mon œil à l'inespéré. » « Je n'ai jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays. » « Hommes, souvenez-vous de vous en d'autres temps. » « Nous ne serons jamais plus des hommes si nos yeux se vident de leur mémoire. » « Voici mes genoux que les hommes nous pardonnent / nous avons laissé humilier l'intelligence des pères... » Honneurs 1970 : Prix de la revue Études françaises 1970: Lauréat du prix littéraire France-Canada 1971 : Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal, pour L'homme rapaillé 1972 : Prix littéraire Canada-Communauté française de Belgique 1978 : Prix Ludger-Duvernay 1981 : prix Guillaume-Apollinaire pour L'homme rapaillé 1983 : Prix Athanase-David 1985 : Prix Molson 1988 : Prix Fleury-Mesplet 1991 : Médaille de l'Académie des lettres du Québec 1991 : Ordre des francophones d'Amérique 1993 : Prix Le Signet d'Or, catégorie Rayonnement à l’étranger 1993 : Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française 1995 : Doctorat honorifique de l’Université de Montréal 1996 : Officier de l’Ordre national du Québec Posthumes 1997 : Sa ville natale, Sainte-Agathe-des-Monts, nomme « Bibliothèque Gaston-Miron » la bibliothèque municipale Une plaque commémorative a été dévoilée en 2010 par Bernard Landry, ex-premier ministre du Québec et Grand officier de l'Ordre national du Québec. Cette plaque est installée  sur la maison du 4451 rue Saint-André à Montréal où a habité Gaston Miron à l’époque où il écrivait L'homme rapaillé. Sources bibliographiques Jacques Brault, « Miron le magnifique », dans Chemin faisant, Montréal, La Presse, coll. « Échanges », 1975, p. 23-55. (ISBN 0-77770-170-7)/ Boréal, coll. « Papiers collés », 1995, 202 p. Claude Filteau, L’espace poétique de Gaston Miron, préface de Jerusa Pires Ferreira, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, coll. « Francophonies », 2005, 310 p. « Gaston Miron, un poète dans la cité », dans Études françaises, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, vol. 35, no 2-3, 1999, 237 pages. Yannick Gasquy-Resch, Gaston Miron, tel un naufragé, biographie, préface de Jean Raymond, Éditions Aden, coll. « Le cercle des poètes disparus », 2008, 301 p. Yannick Gasquy-Resch, Gaston Miron, le forcené magnifique, essai biographique, préface d'André Brochu, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, coll. « AmÉrica », 2003, 158 p. Pierre Nepveu, Les mots à l’écoute, poésie et silence chez Fernand Ouellette, Gaston Miron et Paul-Marie Lapointe, Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. « Vie des lettres québécoises », 1979, 292 p. / Éditions Nota bene, coll. « Visées critiques », 2002, 360 p. Pierre Nepveu, Gaston Miron, la vie d'un homme, Les Éditions du Boréal, 2011, 900 pages. Mariloue Sainte-Marie, Écrire à bout portant. Les lettres de Gaston Miron à Claude Haeffely, 1954-1965, Québec, Éditions Nota bene, 2005. Andrea Galgano, "Il rimpatrio di Gaston Miron", in "Frontiera di pagine", Roma, Aracne, 2016, p. 341-344. Notes et références

Eugène Roberto, « Miron, Gaston » dans l’Encyclopédie canadienne.

« Motion sans préavis, pour souligner le décès du poète Gaston Miron », Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, le lundi 16 décembre 1996.

Marie-Andrée Beaudet, « À propos des funérailles nationales de Gaston Miron », lettre parue dans Le Devoir le 18 mars 2004.

Daniel Lemay, « Gaston Miron: de la légende à l'homme réel » , La Presse, 2 septembre 2011.

Jean-Louis Lessard, « Gaston Miron : notice biographique » sur cyberscol.qc.ca

[vidéo] « L'Hexagone, l'aventure de l'éditeur », Gérald Godin et Gaston Miron, interviewés (13 min 41 s) à l'émission télévisée Femme d’aujourd’hui, le 28 février 1979, Archives de la SRC.

« Gaston Miron, notice biographique », sur le site des Éditions Typo.

[vidéo] « Octobre 1970 (au Québec) : récits de prisonniers », à l'émission Format 60, télévision de la SRC, le 27 octobre 1970 (7 min 28 s).

Louis-Guy Lemieux, « Gaston Miron, poète : L'Homme rapaillé ne veut pas mourir », Le Soleil, le 13 décembre 2009.

« Miron, Gaston : Notice biographique, Œuvres », sur http://www.litterature.org (L'Île : l'Infocentre littéraire des écrivains, du Québec, qui est « le résultat du partenariat entre l'Uneq, le Crilcq, la BAnQ et l'Aiéq »).

« Fonds Gaston Miron (MSS410) », Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

« Gaston Miron : lauréat du prix France-Canada », extrait (5 min) de l'émission Carnet arts et lettres, à la radio de la SRC, le 24 novembre 1970, allocution d'Alain Bousquet.

« Gaston Miron », Prix Athanase-David 1983.

« Gaston Miron », Ordre national du Québec, Officier, 1996.

Josée Legault, « Gaston Miron – c’était en 1996.... », Journal de Montréal, 14 décembre 2016 (lire en ligne)

Voir aussi Louis-Joseph Doucet Article connexe Littérature québécoise Liens externes  Gaston Miron sur le site de l'Encyclopædia Universalis Gaston Miron et les créateurs d’une littérature enfin québécoise. Un texte de Pierre Nepveu (12 mai 2015 - Fondation Lionel-Groulx) Notices d'autorité : Fichier d’autorité international virtuel • International Standard Name Identifier • Bibliothèque nationale de France (données) • Système universitaire de documentation • Bibliothèque du Congrès • Gemeinsame Normdatei • Bibliothèque royale des Pays-Bas • Bibliothèque universitaire de Pologne • Bibliothèque nationale de Suède • Base de bibliothèque norvégienne • WorldCat Gaston Miron : parole de poète - Archives de Radio-Canada Marie-Andrée Beaudet, « Bibliothèque personnelle de Gaston Miron » (circonstances et bilan d'un inventaire, CRILCQ) « Centre d'archives Gaston-Miron (CAGM, 2008) » (en) Miron, l'élément chez l'Université Athabasca. Plusieurs liens hypertextes, e.g. un extrait de L'homme rapaillé

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