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Utilisateur:Hucbald.SaintAmand/Sémiologie de la musique

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La sémiologie de la musique (ou sémiotique musicale) est l'étude des significations et du sens de la musique. Dans son Cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure avait imaginé « une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; [...] nous la nommerons « sémiologie » [...]. »[1]. C'est le point de départ de la sémiologie (ou sémiotique) générale, dont la sémiologie musicale est l'une des branches, bien qu'elle soit en fait plus ancienne : Umberto Eco a noté que « la musicologie contemporaine, jusqu'à il y a quelques années, n'a été qu'à peine influencée par les études structuralistes en cours, qui s'occupent de méthodes et de thèmes qu'elle avait absorbés il y a des siècles »[2].

Musique et langage

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La réflexion sur les rapports entre musique et langage est l'une des constantes de la réflexion sur la musique :

  • Eduard Hanslick (1854) : « En musique, il y a du sens et de la logique, mais ils sont musicaux ; la musique est un langage que nous parlons et que nous comprenons, mais que nous ne pouvons pas traduire »[3].
  • Anton Webern (1933) : « Quelqu'un veut communiquer en sons quelque chose qui ne pourrait pas se dire autrement. La musique est dans ce sens un langage »[4].
  • Henrich Schenker (1935) : « La musique n'est jamais comparable aux mathématiques ou à l'architecture, plutôt et plus probablement seulement au langage, particulièrement à un langage musical [Ton-Sprache] »[5].
  • Theodor W. Adorno (1956) : « La musique est semblable au langage. [...] Mais la musique n'est pas le langage. [...] La musique est semblable au langage en tant que succession temporelle de sons articulés qui sont plus que seulement des sons. Ils disent quelque chose, souvent quelque chose d'humain. [Etc.] »[6].
  • Roland Barthes (1964) : « La sémiologie a [...] pour objet tout système de signes, quelle qu'en soit la substance, quelles qu'en soient les limites : les images, les gestes, les sons mélodiques, les objets et les complexes de ces substances [...] constituent, sinon des « langages », du moins des systèmes de signification »[7].
  • Claude Levy-Strauss (1971) : « la musique, c'est le langage moins le sens »[8].
  • Émile Benveniste (1974) : « Si la musique est considérée comme une « langue », [...] c’est une langue qui a une syntaxe, mais pas de sémiotique »[9].

Une caractéristique du langage, c'est qu'il est « articulé ». Selon la description d'André Martinet,

« La première articulation du langage est celle selon laquelle tout fait d'expérience à transmettre, tout besoin qu'on désire faire connaître à autrui s'analysent en une suite d'unités douées chacune d'une forme vocale et d'un sens. [...] La première articulation est la façon dont s'ordonne l'expérience commune à tous les membres d'une communauté linguistique déterminée. [...] Chacune de ces unités de première articulation présente [...] un sens et une forme vocale (ou phonique). Elle ne saurait être analysée en unités successives plus petites douées de sens. [...] Mais la forme vocale est, elle, analysable en une succession d'unités [...]. C'est ce qu'on désignera commme la deuxième articulation du langage. [...] On aperçoit ce que représente d'économie cette seconde articulation : si nous devions faire correspondre à chaque unité significative minima une production vocale spécifique et inanalysable, il nous faudrait en distinguer des milliers, ce qui serait incompatible avec les latitudes articulatoires et la sensibilité auditive de l'être humain. Grâce à la seconde articulation, les langues peuvent se contenter de quelques dizaines de productions phoniques distinctes que l'on combine pour obtenir la forme vocale des unités de première articulation. » [10]

Jean-Jacques Nattiez considère que la musique n'est pas articulée de la même manière. Pour lui, les notes, unités de seconde articulation, ne s'associent pas pour former des unité significatives : « la musique ne relie pas les significations dénotées ou connotées selon la logique propre au langage verbal ou à la littérature »[11]. Pour Nicolas Meeùs, cependant, en musique «  la question de la double articulation ne doit pas nécessairement se poser en termes de signification »[12]. Il explique que la notion linguistique de « signification » pourrait être remplacée en musique par celle de « pertinence analytique » et que l'un des critères qui font qu'un groupe de notes a cette pertinence, c'est qu'il est répété, ce qui peut en faire un « motif »[13].

Sémiotique générale

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Dans son Cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure imagine « une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; [...] nous la nommerons sémiologie (du grec sêmeîon, «signe»). [...] La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale ». C'est le point de départ de ce qu'on appelle la sémiologie (ou sémiotique) générale, dont la sémiologie musicale est l'une des branches. Jean-Jacques Nattiez note que la sémiologie musicale « est née et s'est développée au contact de disciplines non spécifiquement musicologiques »[14]. Roland Barthes a pourtant mis en doute la possibilité d'une sémiotique générale : « Il n'est pas du tout sûr qu'il existe dans la vie sociale de notre temps des systèmes de signes d'une certaine ampleur, autres que le langage humain »[15]. Selon Nattiez, « Barthes n'hésite pas à considérer a priori tous les systèmes de signes comme des langages, alors que chez Mounin ce travail comparatif est [...] préparatoire à une évalutation de l'importance réelle du modèle linguistique fondamental. Mais dans les deux cas le but est sémiotique ; les objets étudiés par Barthes sont les langages constitués de signes à deux faces, ceux de Mounin sont des signaux produits dans l'intention de communiquer »[16]. Pour François Rastier, « une sémiotique générale ne peut être que fédérative ; elle définit le champ où la linguistique, l’iconologie, la musicologie et les autres sciences sémiotiques procèdent à leurs échanges pluridisciplinaires »[17].

La sémiotique générale est la sémiotique en général, la sémiotique linguistique ou la sémiotique musicale n'en sont que des branches parmi d'autres, qui s'y rejoignent pour procéder « à leurs échanges pluridisciplinaires ». La sémiotique générale peut se définir de nombreuses manières : les deux faces des signes dont parle Barthes cité par Nattiez sont ceux formés de « signifiant » et de «signifié », tandis que pour Mounin, c'est « l'intention de communiquer » qui caractérise la sémiotique. Ce sont deux aspects importants.

Sémiologie et communication

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Eric Buyssens a écrit que « La sémiologie peut se définir comme l'étude des procédés de communication »[18]. Selon Oswald Ducrot, « Une des innovations de la linguistique de Saussure est de déclarer essentiel à la langue son rôle d'instrument de communication »[19] ; il ajoute que c'est aussi l'opinion de ceux qu'on appelle les fonctionnalistes[20]. Pour Winfried Nöth, « la recherche explicitement sémiotique [...] étudie les processus de signification et de communication »[21].

Mais Jean-Jacques Nattiez objecte que « La communication n'est qu'un cas particulier des divers modes d'échange, une des conséquences possibles des processus de symbolisation »[22].

Certains ouvrages remettent tôt en cause le rapport entre sémiotique et communication, par exemple Tomas Maldonado, « Communication & Semiotics », 1959, ou Ferruccio Rossi-Landi Significato, communicazione e parlare commune, 1961, cités par Sémir Badir, « Sémiotique et langage », Espaces théoriques du langage. Des parallèles floues, C. Normand & E. Sofia éd., Louvain-la-Neuve, Academia, p. 282. Et Benveniste : « Le locuteur doit se dégager de cette représentation de la langue parlée comme extériorisation et comme communication » Dernières leçons, Paris, Seuil/Gallimard, 2012 p. 93.

Sémiotique musicale

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Umberto Eco écrit en 1979 : « Jusqu'il y a quelques années, la musicologie contemporaine n'a été que peu influencée par le courant des études structuralistes, qui s'occupe de méthodes et de thèmes qu'elle avait absorbés il y a des siècles. Néanmoins, dans les deux ou trois dernières années, la sémiotique musicale a été fermement établie comme une discipline visant à trouver sa place et à développer de nouvelles perspectives. Parmi les travaux pionniers, on peut citer la bibliographie établie par J.-J. Nattiez dans Musique en jeu 5, 1971. Pour la relation entre musique et linguistique et entre musique et anthropologie culturelle, voir Jakobson (1964, 1967), Ruwet (1959, 1973) et Lévi-Strauss (1965, dans la préface de Le Cru et le cuit)[23].

Comme Nicolas Ruwet l'écrivait dès 1959, « La musique est langage. C'est-à-dire qu'elle est, parmi d'autres, un des systèmes de communication au moyen desquels les hommes échangent significations et valeurs »[24]. La sémiotique musicale a fait l'objet d'une théorisation importante dans le domaine musicologique francophone, à commencer par l'article fondateur de Jean Molino, « Fait musical et sémiologie de la musique », en 1975[25], rapidement suivi par les Fondements d'une sémiologie de la musique (1976) de Jean-Jacques Nattiez[26]. Le Projet International sur la Signification Musicale (IMSP) a été fondé à Paris en 1984 par Eero Tarasti[27].

Semiosis extroversive, semiosis introversive

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Roman Jakobson a proposé en 1971 une distinction entre « sémiose introversive » et « sémiose extroversive »[28]. Jean-Jacques Nattiez résume cette distinction en ces termes :

Roman Jakobson voit dans la musique un système sémiotique dans lequel la « sémiose introversive » – c’est-à-dire la référence de chaque élément sonore aux autres événements à venir – prédomine sur la « sémiose extroversive » – le lien référentiel avec le monde extérieur.[29]

On peut donc distinguer deux formes de référence en musique, la première d'éléments sonores à d'autres éléments sonores, la seconde vers le monde extérieur.

Eero Tarasti a fondé en 1986 à Imatra (Finlande) l'International Project on Musical Semiotics (IPMS)[30]. L'une des idées essentielles de ce projet est que la musique est un « art narratif »[31] : la signification de la musique serait donc ce que la musique raconte.

Kofi Agawu, dans Playing with Signs, oppose la sémiose extroversive, pour laquelle il prend exemple de la théorie des topiques, à la sémiose introversive, qu'il décrit à partir de l'analyse schenkérienne[32].

Tripartition

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Jean-Jacques Nattiez décrit la sémiologie musicale comme

« Deux sphères d'activités dont la deuxième se présente comme un dépassement et un débordement de la première:
« 1) l'utilisation, dans l'analyse musicale, des modèles élaborés par la linguistique structurale pour l'analyse des langues naturelles, et notamment la technique paradigmatique;
« 2) l'élaboration d'un cadre général d'analyse musicale reposant sur la reconnaissance de trois instances distinctes dans le fait musical: l'étude des stratégies compositionnelles, ou poïétique, l'étude des structures immanentes de l'œuvre, ou analyse du niveau neutre; l'étude des stratégies perceptives déclenchées par l'écoute de l'œuvre, ou esthésique. »[33]

Il lie donc la sémiologie musicale à l'analyse musicale. Dans Musicologie générale et sémiologie (1987), il utilise la tripartition sémiologique de Jean Molino[34] pour « démontrer l'existence symbolique de la musique » :

« À ces trois objets (que Molino dénomme respectivement niveau poïetique, niveau esthésique et niveau neutre) correspondent trois familles d'analyses qui tentent de cerner la spécificité du symbolique [...] »[35].

Dans ses Fondements d’une sémiologie de la musique (1977), Jean-Jacques Nattiez avait ancré son étude dans l’analyse des correspondances symboliques que la musique établit du niveau de sa création à celui de sa réception. Il explique que le langage musical s'établit à la fois au niveau créatif que le compositeur cherche à exprimer (niveau poïétique), et à ce que le récepteur fait de la perception formelle, du sens, de la structure (niveau esthésique). Il décrit un troisième niveau, intermédiaire entre ces deux là, celui de la partition ou « niveau neutre ».

Références

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  1. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, publié par Ch. Bailly et A. Séchehaye avec A. Riedlinger, Édition critique de T. de Mauro, Paris, Payot, 1967/1995, p. 33.
  2. Umberto Eco, A Theory of Semiotics, Indiana University Press, 1979, p. 10.
  3. Eduard Hanslick, Vom musikalisch Schönen, Leipzig, Weigel, 1854, p. 35.
  4. Anton Webern, Der Weg zur neuen Musik, Vorträge 1932-1933, W. Reich éd., Vienne, 1960, p. 17.
  5. Heinrich Schenker, Der freie Satz, Vienne, Universal, 1935, p. 19
  6. Theodor W. Adorno, « Musik, Sprache und ihr Verhältnis im gegenwärtigen Komponieren », Gesammelte Schriften 16, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1978, p. 649. Ce texte avait été publié deux fois en 1956, dans une publication de l'Archivo di Filosofia, Rome, et dans Jahresring 56-57.
  7. Roland Barthes, « Présentation », Communications 4 (1964), p. 1.
  8. Claude Lévi-Strauss, Mythologiques 4, L’Homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 579.
  9. Émile Benveniste, « Sémiologie de la langue », Problèmes de linguistique générale II, Paris, Gallimard, 1974, p. 56. La « sémiotique » était pour lui la relation signifiant–signifié décrite par Ferdinand de Saussure
  10. André Martinet, Éléments de linguistique générale, 2e éd., Paris, Colin, 1980, p. 13-15.
  11. Jean-Jacques Nattiez, « La Signification comme paramètre musical », Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 2, Les Savoirs musicaux, Actes Sud, 2004, p. 258.
  12. Nicolas Meeùs, « Musical Articulation », Music Analysis 21/2 (2002), p. 163. Traduction française en ligne, « Articulation musicale », http://nmeeus.ovh/NMSemio/Articulation.pdf, p. 3-4.
  13. Id, en particulier p. 166-168; traduction, p. 7-8.
  14. Jean-Jacques Nattiez, « Le mécanisme de l'invention dans l'élaboration de la sémiologie musicale », Études françaises 26/3 (hiver 1990), p. 91-99, p. 23.
  15. Roland Barthes, « Éléments de sémiologie », Communications 4 (1964), p. 91-135 (ici, p. 91), republié avec Le Degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier, 1965, p. 77-181.
  16. Jean-Jacques Nattiez, « The Contribution of Musical Semiotics to the Semiotic Discussion in General », A Perfusion of Signs, Th. A. Sebeok éd., Bloomington, Indiana University Press, 1977, p. 129.
  17. François Rastier, « Sémiotique et sciences de la culture », Linx, Revue des linguistes de l’université Paris X Nanterre 44(2001), p. 156.
  18. E. Buyssens, La communication et l'articulation linguistique, Paris, PUF, 1967, p. 11.
  19. Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1972, p.43.
  20. Luis Prieto, Messages et signaux, Paris, PUF, 1966 ; Georges Mounin, Clefs pour la linguistique, Paris, Seghers, 1968, et Introduction à la sémiologie, Paris, Minuit, 1970.
  21. Winfried Nöth, Handbook of Semiotics, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 1990, p. 3-4.
  22. Jean-Jacqques Nattiez, Musicologie générale et sémiologie, Paris, Bourgois, 1987, p. 39.
  23. Umberto Eco, A Theory of Semiotics, Bloomington, Indiana University Press, 1979, p. 10-11.
  24. Nicolas Ruwet, « Contradictions du langage sériel », Revue belge de Musicologie 13/1-4, p. 85.
  25. Jean Molino, « Fait musical et sémiologie de la musique », Musique en jeu 17 (1975), p. 37-62. Ce volume contient aussi d'autres articles importants, en particulier Jean-Jacques Nattiez, « De la sémiologie à la sémantique musicales », p. 3-9.
  26. Jean-Jacques Nattiez, Fondements d'une sémiologie de la musique, Paris, UGE, 1976.
  27. Voir notamment Eero Tarasti e.a., « Basic Concepts of Studies in Musical Signification: A Report on a New International Research Project in Semiotics of Music », The Semiotic Web 1986, Th. A. Sebeok et J. Umiker-Sebeok éd., Berlin, Boston, De Gruyter Mouton, 1987, p. 405-581.
  28. Roman Jakobson, « Language in Relation to Other Communication Systems », Selected Writings, vol. II, Word and Language, The Hague, Mouton, 1971, p. 704-705.
  29. Jean-Jacques Nattiez, « The Contribution of Musical Semiotics to the Semiotic Discussion in General », A Perfusion of Signs, Th. A. Sebeok ed., Indiana University Press, 1977, p. 125.
  30. Voir E. Tarasti e.a., « Basic Concepts of Studies in Musical Signification: A Report on a New International Research Project in Semiotics of Music », The Semiotic Web 1986, Th. A. Sebeok and J. Umiker-Sebeok éds., New York, Mouton de Gruyter, 1987, p. 405-581.
  31. Eero Tarasti, « La musique comme art narratif », Sens et signification en musique, Márta Grabócz éd., Paris, Hermann, 2007, p. 209.
  32. (en) V. Kofi Agawu, Playing with Signs, Princeton, Princeton University Press, , 154 p. (ISBN 0-691-09138-2)
  33. Jean-Jacques Nattiez, « Le Mécanisme de l'invention dans l'élaboration de la sémiologie musicale », Études françaises 26/3 (1990), p. 24.
  34. Jean Molino, « Fait musical et sémiologie de la musique », Musique en jeu 17 (1975), p. 46-49.
  35. Jean-Jacques Nattiez, Musicologie générale et sémiologieChristian Bourgois, 1987, p. 37-38.