Utilisateur:Cynorrhodon/Objectivité

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L'objectivité est un concept philosophique et scientifique qui caractérise le rapport à un objet. En philosophie, ce concept peut donc s'étudier de deux façons :

  • en épistémologie, l'objectivité est une qualité de la connaissance scientifique ("une connaissance objective") ;
  • en éthique, l'objectivité décrit l'attitude adoptée par rapport à une thématique, le jugement et le discours résultant de cette attitude ("un point de vue, un avis, un texte objectif").

Objectivité en épistémologie[modifier | modifier le code]

L'objectivité est une caractéristique de la connaissance scientifique. Elle peut être considérée comme un idéal à atteindre, dont on se rapprocherait en produisant des connaissances plus ou moins objectives, ou une propriété effective, qui distinguerait les connaissances objectives des connaissances subjectives. Une connaissance objective n'est pas le synonyme d'une connaissance vraie même si l'objectivité fait partie des vertus permettant de se rapprocher de la vérité.

L'objectivité est également à distinguer des notions d'intersubjectivité et de consensus qui sont des subjectivités à plusieurs ou mises en commun : ainsi un groupement de personnes portées par des intérêts communs aurait le même point de vue sur un objet, sans que cela ait pour conséquence de rendre ce point de vue objectif.

Objectivité est aussi un ouvrage de Lorraine Daston et Peter Galison consacré à cette notion (2012). Il y définissent l'objectivité comme le fait d'« aspirer à un savoir qui ne garde aucune trace de celui qui sait »[1]. En ce sens, ce n'est pas une propriété de la connaissance mais une vertu épistémique comme la vérité, la précision, qui est observée afin de respecter un ethos scientifique.

Origine du terme[modifier | modifier le code]

Avant Kant, le mot objectivité n'existe pas et les termes objectif et subjectif ont le sens inverse de celui d'aujourd'hui. Dans l'usage scholastique introduit par Guillaume d'Ockham et Duns Scot au XIVe siècle, est objectif ce qui est tel qu'il se présente à la conscience, c'est-à-dire tel que nous le percevons, tandis que le subjectif renvoie à la chose en soi, à l'objet tel qu'il est[2]. Ces termes tombent en désuétude après le Moyen Âge avant d'être dépoussiérés par Kant et le poète Coleridge qui donnent naissance en sens moderne[3]. L'objectivité devient alors synonyme d'universalité tandis que la subjectivité renvoie au point de vue particulier d'un individu.

L'histoire de l'objectivité est l'histoire du rejet de la subjectivité, laquelle implique une conception moderne (kantienne) du soi ou sujet doué de volonté. Le sujet est polarisé en un sujet scientifique, objectif, et un sujet artiste qui se cultive et s'exprime[4].

Formes de l'objectivité[modifier | modifier le code]

L'objectivité scientifique peut avoir plusieurs sens et s'opposer à des notions différentes.

  • La vérité d'après nature[5] est le principe adopté par les naturalistes du XIXe siècle pour représenter la nature. Pour parvenir à une représentation objective, ils considèrent que le sujet doit s'effacer pour être le plus fidèle à son objet ; cette fidélité repose cependant sur la pratique d'un jugement avisé qui permet de ne pas choisir un spécimen au hasard, ce qui pourrait introduire des caractéristiques accidentelles dans la représentation. L'objectivité ne renvoie donc pas à une passivité du sujet scientifique qui exerce un contrôle actif sur le dessinateur qui exécute la représentation.
  • L'objectivité mécanique[6] renvoie à l'instrumentation technique de l'objectif ; est objectif ce qui est produit par la machine et non par l'individu. Cette vision de l'objectivité coïncide avec l'apparition de techniques comme la photograpĥie ou la coloration de Golgi qui permet de distinguer les tissus nerveux. L'idée de "laisser parler la nature", sans céder à la tentation esthétique que peut éprouver un illustrateur, s'opère par la médiation de machines sans volonté, mécaniques et automatiques, par opposition à un sujet kantien doué de raison et de volonté.
  • L'objectivité structurale[7] est issue de la constatation que la science ne repose pas que sur les faits expérimentaux et que, quelle qu'en soit la médiation, le témoignage des sens ne peut que déformer le réel et empêcher d'atteindre l'objectivité. Celle-ci doit donc être recherchée dans les structures de la connaissance comme la logique, les mathématiques, la syntaxe. Conformément à l'idée kantienne selon laquelle la communicabilité d'un jugement est l'indice de son objectivité, des philosophes comme Frege réfléchissent à la possibilité de mettre au point un langage scientifique objectif tel que l'idéographie.

Objectivité comme ethos scientifique[modifier | modifier le code]

La mise en perspective historique de l'objectivité montre qu'il est difficile de la considérer comme une propriété de la connaissance scientifique car celle-ci est toujours imprégnée de subjectivité. Ainsi le caractère mécanique de la photographie scientifique n'enlève pas le caractère subjectif de la perception que l'on a de la photographie : il s'agit d'un jugement exercé[8] qui fait la synthèse de l'image mécanique (la photographie) et de l'image interprétée (celle que perçoit le savant).

Il faut alors considérer l'objectivité comme une dimension de l'ethos scientifique, c'est-à-dire une vertu qu'il faut cultiver pour être chercheur. Considérant que la connaissance repose sur un sujet kantien doué de volonté, le sujet doit dompter cette volonté de sorte qu'elle ne fasse pas obstacle au progrès scientifique. Contrairement à l'artiste qui met en avant sa personnalité, la cultive et l'exprime de façon sophistiquée, le chercheur s'efforce au contraire de s'effacer derrière son objet et de mettre de côté ses opinions et ses intérêts.

L'objectivité comme ethos scientifique est associée à plusieurs topoï de l'investigation scientifique :

  • dans la deuxième moitié du XIXe siècle, s'exprime le topos du travail lent et pénible, où le chercheur tend à n'être qu'un support passif d'inscription des observations[9] ;
  • à partir des années 1960-1970, on voit apparaître le topos de la fulgurance du génie, où la persévérance peut être une impasse, le chercheur n'ayant qu'à attendre passivement que la fulgurance se produise[10].

Ces figures du chercheur font de l'objectivité une caractérisation de sa pratique plutôt que des connaissances qui en résultent.

Critiques de l'objectivité[modifier | modifier le code]

En philosophie[modifier | modifier le code]

La phénoménologie husserlienne met l'accent sur l'intentionnalité de la conscience et fait de l'expérience vécue le fondement de toute connaissance. Dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, il écrit ainsi :

« La méthode objective scientifique repose sur un fondement subjectif profondément caché.[11] »

Il considère donc l'objectivisme comme une "naïveté transcendantale"[12] qui occulte le fait que toute connaissance est conditionné par l'esprit humain, lequel constitue le socle de toute expérience et donc de toute science. Il appelle donc à une distanciation vis-à-vis de cet objectivisme naïf : c'est l'épochè qui ne remet pas en cause l'existence objective du monde mais met en évidence le fait que cette existence a elle-même pour fondement le sujet phénoménologique.

En sociologie des sciences[modifier | modifier le code]

En analysant la construction sociale des savoirs scientifique, la sociologie des sciences (le programme fort de David Bloor par exemple) a montré que la pratique scientifique n'était pas un geste absolu et atemporel mais qu'elle s'inscrivait dans un contexte socio-politique. L'aspiration à l'objectivité est ainsi contrebalancée par des enjeux culturels et sociaux, des contraintes institutionnelles et des arbitrages politiques qui déterminent eux aussi la teneur des énoncés scientifiques.

Néanmoins, en mettant en lumière ces déterminations socio-culturelles, la sociologie des sciences peut aider les institutions scientifiques à prendre conscience de ces déterminations et à atteindre une plus grande objectivité.

En sciences humaines[modifier | modifier le code]

Les sciences humaines et sociales ont une dimension incompressible de subjectivité. D'une part, bien qu'elles aspirent à la même objectivité que les sciences naturelles, elles reposent encore beaucoup sur l'interprétation des phénomènes observés : malgré la bonne volonté des chercheurs, cette interprétation est nécessairement subjective, relative à un point de vue. Les sciences humaines et sociales sont donc bien rationnelles mais reposent sur une rationalité interprétative[13]. Par ailleurs, l'humain est à la fois l'objet étudié et le sujet qui étudie : l'objet est donc inséparable du sujet, ce qui limite ses capacités d'objectivation.

Il ne faut pas considérer cependant que l'objectivité est absente des sciences humaines et qu'elle ne fait pas partie de leurs ambitions. Ainsi l'objectivisme d'Emile Durkheim invite à considérer les faits sociaux comme des choses[14] de manière à atténuer les liens entre le sujet et l'objet et à rendre possible une science objective de la société.

Objectivité en éthique[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Objectivité, Lorraine Daston et Peter Galison, 2012, Les Presses du Réel, p. 25
  2. Daston et Galison, p. 39
  3. Daston et Galison, p. 41
  4. Daston et Galison, p. 48
  5. Daston et Galison, chapitre II
  6. Daston et Galison, chapitre III
  7. Daston et Galison, chapitre V
  8. Daston et Galison, chapitre VI
  9. Daston et Galison, p. 278
  10. Daston et Galison, p. 360
  11. La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Edmund Husserl, 2004, Gallimard, p. 115
  12. Husserl, p. 218
  13. Epistémologie des sciences sociales, Jean-Michel Berthelot (dir.), 2001, PUF, p. 218
  14. Berthelot, p. 251