comprendre la descente infinie suggérée par Legendre et la formaliser
cerner les lacunes de la « preuve »
Moyens :
traquer les égalités
distinguer clairement ce qui est issu du texte original de ce par quoi il est remplacé de façon indispensable ou, plus accessoirement, par goût personnel
Réf : A. M. Legendre, « Recherches sur quelques objets d'analyse indéterminée et particulièrement sur le théorème de Fermat », dans Essai sur la théorie des nombres. Second supplément, Paris, , 40 p. (lire en ligne) (voir p. 26-29), réimprimé en 1827 (à une modification près de la dernière page) dans Mémoires de l'Académie royale des sciences, t. 6, 1823 [sic] (lire en ligne), p. 1-60 (voir p. 35-41)
Supposons que y5 + z5 = –x5 avec x, y, z entiers non nuls, premiers entre eux deux à deux et 5 | x. Notons p = y + z.
Alors, x = –5tr et p = 54t5 avec r positif et premier à 10t.
Démonstration
Legendre fait référence à son § 8 mais cela n'y est pas démontré, et au § 6 sa « preuve » me semble comporter un cercle vicieux. C'était cependant certainement classique (Euler ?, …, Germain).
Montrons plus généralement que pour tout nombre premier impair n, si yn + zn = –xn avec x, y, z entiers non nuls, premiers entre eux deux à deux et n | x alors x = –ntr et p := y + z = nn–1tn avec r positif et premier à 2nt.
Notons C = (yn + zn)/p et q = y – z.
C est impair (car égal à yn–1 – yn–2z + … – yzn–2 + zn–1 avec y et z non tous deux pairs), n divise p (d'après le petit théorème de Fermat) donc ne divise pas q, or 2n–1C = [(p + q)n + (p – q)n]/p ≡ nqn–1 mod p2 donc
C est divisible par n mais pas par n2 ;
C/n et p sont premiers entre eux ;
Cp = –xn
donc p = nn–1tn et C = nrn avec r premier à 2nt, et x = –ntr. De plus, r est positif car C l'est (le polynôme (Tn + 1)/(T + 1), facile à factoriser sur ℂ, est positif sur ℝ).
Supposons de plus x (ou t, ou p) impair, autrement dit yz pair et notons a = yz/2 et b = p2/5 – a (premiers entre eux puisque yz et p le sont). Alors
donc (d'après le lemme clé de Dirichlet, dont Legendre donne deux « preuves » fausses, ici et au § 45 — voir aussi l'analogue au § 46) il existe des entiers f, g, m et n tels que m2 – 5n2 = 1 et m > 0 et
On a donc :
F et G premiers entre eux, ainsi que f et g (puisque a et b le sont) ;
–r5 = F2 – 5G2 et –r = f2 – 5g2 ;
F = f(f4 + 50f2g2 + 125g4) et G = 5g(f4 + 10f2g2 + 5g4) ;
m + n√5 = (9 + 4√5)k avec k entier, dont on peut évidemment limiter les valeurs à 0, ±1 et ±2. Puisque (d'après la ligne précédente) 25 | (m + n)F + (m + 5n)G, on trouve alors k = –1, c'est-à-dire m = 9 et n = –4 puis, mod 5, 0 ≡ F – 11G/5 ≡ f5 – 11gf4 donc 5 | h := f – g et
Legendre effectue ensuite de longs calculs aboutissant à l'égalité suivante :
On peut la retrouver plus rapidement, en introduisant une expression intermédiaire utile dès à présent, mais que Legendre ne signale qu'au § 47 :
Par unicité de la racine cinquième (d'après la structure du groupe des unités de ), est lui aussi aussi le nombre noté ainsi là-bas.
Le choix de Legendre correspond à la décomposition
Celui de Dirichlet est différent :
mais ils sont reliés par
La preuve de Dirichlet ne comporte qu'une extraction de racine cinquième (construction de à partir de , suivie d'un bon choix de ), qui est itérable donc constitue déjà l'étape de descente. Legendre, qui veut fonder sa descente sur des normes positives mais commence par choisir tel que , est obligé de compenser ce choix par celui de son (suivi d'une deuxième extraction de racine 5e) avant de mettre en place son étape de descente.
L'expression intermédiaire prouve que a'2 – 5b'2 est premier avec h (tout facteur premier commun à r et h étant impair et divisant g2 – 5g2, il divise g et donc aussi f — Legendre le montre d'une autre façon) mais aussi qu'il est positif (puisque r l'est). Ceci, joint à l'égalité
vue précédemment, justifie la conclusion de Legendre :
avec t = ur' et r' premier à 5u.
À nouveau grâce au lemme clé de Dirichlet (dont les hypothèses sont encore vérifiées, d'après les équations ci-dessus), il existe des entiers f', g', m' et n' tels que m' + n'√5 = (9 + 4√5)k' avec k' égal à 0, ±1 ou ±2 et
d'où 512u20 = h2 = a' + 3b' = (m'F' + 5n'G') + 3(m'G' + n'F') = (m' + 3n')F' + (5n' + 3m')G', ce qui prouve que cette expression est divisible par 25 donc k' = –2, m' = 161, n' = –72 puis, mod 5, 0 ≡ –F' + 3G'/5 ≡ –f'5 + 3g'f'4 donc 5 | h' := 3g' – f' et
Il existe alors des entiers f", g", m" et n" tels que m" + n"√5 = (9 + 4√5)k" avec k" égal à 0, ±1 ou ±2 et
Démonstration
La « preuve » (fausse) de Legendre, du même style que celles des étapes analogues des § 43 et 45, peut à nouveau être remplacée par l'utilisation du lemme clé de Dirichlet, puisque
« Nous retombons ainsi sur une équation semblable à l'équation déjà considérée 512u20 = 123G' – 55F' ; d'où il suit que les mêmes transformations pourront être continuées à l'infini […] t = ur' = u'r'r" = u"r'r"r"' […] les nombres r, r', r", etc. […] ne pourront être moindres que 2, ce qui rendra infinie la valeur de t. »
À l'appui de ses explications, Legendre signale les égalités r'10 = r2 + 5rh2 + 5h4 et r"20 = r'4 + 5r'2h'2 + 5h'4, que nous avons établies plus haut.
Remarque
On peut simplifier le principe de cette descente en utilisant que la suite h, h', h", etc. est strictement décroissante (et non pas « rapidement croissante » comme l'affirme Legendre) car
D'ailleurs, même sans la précaution inutile de Legendre — probablement suscitée par cette erreur — de toujours choisir des a, b tels que a2 – 5b2 soit positif (sauf lors de sa première étape où, sans comprendre qu'il rallongeait ainsi en vain sa preuve, il ne s'est pas encore résigné à affronter les demi-entiers), la suite h, h', h", etc. est strictement décroissante, et c'est ce qui fondera la descente de Dirichlet :
En notant F et G les deux polynômes à coefficients entiers définis par (X + Y√5)5 = F(X, Y) + G(X, Y)√5, le lemme suivant fonde cependant la descente suggérée par Legendre.
Lemme de descente — Soit w un entier impair tel qu'il existe deux entiers f et g premiers entre eux tels que f2 – 5g2 soit positif et non divisible par 5 et, pour un certain entier naturel i, 25w5i = 123G(f, g) – 55F(f, g). Alors w possède un diviseur strict vérifiant la même propriété.
Démonstration
On démontre comme à la fin du § 45 que h := 3g – f est divisible par 5 puis, comme au § 46, que h divise 5w5i et qu'il existe des entiers f' et g' premiers entre eux tels que, en notant R = f2 – 5g2 et R' = f'2 – 5g'2,
La « preuve » de Legendre (de septembre 1825) aurait donc pu être considérée la première preuve complète du théorème de Fermat pour l'exposant 5, s'il avait bien voulu citer, à plusieurs reprises, le lemme nouveau et crucial du mémoire de juillet 1825 de Dirichlet (dont il était rapporteur), plutôt que d'en donner des pseudo-démonstrations de son cru. Il aurait ainsi devancé la preuve complète de Dirichlet (de novembre 1825).