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Amour

Le jour s’était levé, un jour clair et bleu ; le soleil apparaissaient au fond de la vallée et nous songions à repartir, quand deux oiseaux, le col droit et les ailes tendues, glissèrent brusquement sur nos têtes. Je tirai. Un d’eux tomba presque à mes pieds. C’était une sarcelle au ventre d’argent. Alors, dans l’espace au dessus de moi, une voix, une voix d’oiseau cria. Ce fut une plainte courte, répétée, déchirante ; et la bête, la petite bête épargnée se mit à tourner dans le bleu du ciel au dessus de nous en regardant sa compagne morte que je tenais entre mes mains. (...)

« Laisse-la par terre, me dit Karl, (le mâle) approchera tout à l’heure. »

Il approchait, en effet, insouciant du danger, affolé par son amour de bête pour l’autre bête que j’avais tuée.

Karl tira ; ce fut comme si l’on coupait la corde qui tenait suspendu l’oiseau. Je vis une chose noire qui tombait ; j’entendis dans les roseaux le bruit d’une chute. Et Pierrot me le rapporta.

Je les mis, froids déjà, dans le même carnier...et je repartis, ce jour-là, pour Paris.

Guy de Maupassant - "Amour" (1887)

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s:Machiavel - Le Prince

Nicolas Machiavel - Notre libre arbitre

Combien, dans les choses humaines, la fortune a de pouvoir, et comment on peut y résister. Je n’ignore point que bien des gens ont pensé et pensent encore que Dieu et la fortune régissent les choses de ce monde de telle manière que toute la prudence humaine ne peut en arrêter ni en régler le cours : d’où l’on peut conclure qu’il est inutile de s’en occuper avec tant de peine, et qu’il n’y a qu’à se soumettre et à laisser tout conduire par le sort. Cette opinion s’est surtout propagée de notre temps par une conséquence de cette variété de grands événements que nous avons cités, dont nous sommes encore témoins, et qu’il ne nous était pas possible de prévoir - aussi suis-je assez enclin à la partager.

Néanmoins, ne pouvant admettre que notre libre arbitre soit réduit à rien, j’imagine qu’il peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu’elle en laisse à peu près l’autre moitié en notre pouvoir.

Nicolas Machiavel (1469 - 21 juin 1527) , Le Prince - Chapitre 25

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s:Luigi Pirandello - Six personnages en quête d'auteur

Luigi Pirandello - Personnages et acteurs

_ Le père : Mais puisque c’est nous qui sommes les personnages...

_ Le directeur : « Les personnages », d’accord ; mais au théâtre, cher monsieur, ce ne sont pas les personnages qui jouent la comédie. Au théâtre, ce sont les acteurs qui la jouent. Quant aux personnages, ils sont là, dans le manuscrit (il montre le trou du souffleur) – lorsqu’il y en a un !

_ Le père : Justement ! Puisqu’il n’y a pas de manuscrit et que vous avez la chance, mesdames et messieurs, de les avoir ici devant vous, vivants, ces personnages...

_ Le directeur : Oh, elle est bien bonne, celle-là ! Est-ce que vous voudriez tout faire tout seuls ? jouer la pièce, vous présenter vous-mêmes devant le public ?

_ Le père : Mais oui, tels que nous sommes.

_ Le directeur : Eh bien je vous assure que ça donnerait un drôle de spectacle !

Luigi Pirandello (28 juin 1867 - 1936), Six personnages en quête d'auteur (éd. Folio -Gallimard, 1997)

s:René Char - Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!

René Char - Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!

Tes dix-huit ans réfractaires à l'amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu'au ronronnement d'abeille stérile de ta famille arden­naise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d'abandon­ner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l'enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples.

Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme! On ne peut pas, au sortir de l'enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi.

René Char (14 juin 1907 - 1988), Fureur et mystère (éd. Gallimard, 1967)

s:Charles Baudelaire - Une charogne

Charles Baudelaire - Une Charogne

(...) — Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire (1821-1867) - Les Fleurs du mal (XXIX) (juin 1857)

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s:Guy de Maupassant - Amour

Amour

Le jour s’était levé, un jour clair et bleu ; le soleil apparaissaient au fond de la vallée et nous songions à repartir, quand deux oiseaux, le col droit et les ailes tendues, glissèrent brusquement sur nos têtes. Je tirai. Un d’eux tomba presque à mes pieds. C’était une sarcelle au ventre d’argent. Alors, dans l’espace au dessus de moi, une voix, une voix d’oiseau cria. Ce fut une plainte courte, répétée, déchirante ; et la bête, la petite bête épargnée se mit à tourner dans le bleu du ciel au dessus de nous en regardant sa compagne morte que je tenais entre mes mains. (...)

« Laisse-la par terre, me dit Karl, (le mâle) approchera tout à l’heure. »

Il approchait, en effet, insouciant du danger, affolé par son amour de bête pour l’autre bête que j’avais tuée.

Karl tira ; ce fut comme si l’on coupait la corde qui tenait suspendu l’oiseau. Je vis une chose noire qui tombait ; j’entendis dans les roseaux le bruit d’une chute. Et Pierrot me le rapporta.

Je les mis, froids déjà, dans le même carnier...et je repartis, ce jour-là, pour Paris.

Guy de Maupassant - "Amour" (1887)

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s:Karek Shoeman – le veld

Karel Schoeman - Le veld

La pluie avait cessé, les nuages se dissipaient, l'air était frais et pur. Il s'éloigna de la maison, emprunta un petit sentier pierreux qui grimpait le long d'une colline, s'arrêta et se retourna. Il contempla les toits et les murs de pierre de la ferme nichée au creux des cactus et des figuiers, puis l'éolienne et, tout autour, l'immensité du veld. Etait-ce là ce qu'il était venu chercher ? La réponse qu'il attendait ? Le pays dont sa mère rêvait, et dont elle se languissait tant ? Etait-ce vers ces paysages qu'elle s'était retournée une dernière fois dans son lit, le bras tendu, à moitié abrutie par les médicaments que le médecin lui avait prescrits ? Une maison solitaire entourée d'arbres, un chemin pierreux, et ce ciel immense et muet où défilaient les nuages ?

De l'autre côté de la colline, la silhouette d'un homme devant qui allaient quelques vaches s'avançait vers lui ; de loin, George reconnut Hattingh et attendit que ce dernier le rejoignît.

_ Et voilà, dit Hattingh lorsqu'il fut arrivé à sa hauteur. Je suis allé chercher les vaches. Sacrée averse, pas vrai ? L'année été bonne, grâce à Dieu ; parfois, on a du mal à joindre les deux bouts, on a tout juste de quoi survivre, mais cette année il n'y a pas à se plaindre.

Karel SchoemanRetour au pays bien-aimé, page 36 (éditions Phébus, 2006)