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Max Elskamp - À mon père

Mon Père Louis, Jean, François,
Avec vos prénoms de navires,
Mon Père mien, mon Père à moi,
Et dont les yeux couleur de myrrhe,
Disaient une âme vraie et sûre,
En sa douceur et sa bonté,
Où s'avérait noble droiture,
Et qui luisait comme un été,
Mon Père avec qui j'ai vécu
Et dans une ferveur amie,
Depuis l'enfance où j'étais nu,
Jusqu'en la vieillesse où je suis.

Max Elskamp ( 5/5/1862-10/12/1931)- La chanson de la rue Saint-Paul (1922)

s:décembre 2011 Invitation 1

Flaubert - Et ce fut tout.

Onze heures sonnèrent.

— Déjà ! dit-elle ; au quart, je m’en irai.

Elle se rassit ; mais elle observait la pendule, et il continuait à marcher en fumant. Tous les deux ne trouvaient plus rien à se dire. Il y a un moment, dans les séparations, où la personne aimée n’est déjà plus avec nous.

Enfin, l’aiguille ayant dépassé les vingt-cinq minutes, elle prit son chapeau par les brides, lentement.

— Adieu, mon ami, mon cher ami ! Je ne vous reverrai jamais ! C’était ma dernière démarche de femme. Mon âme ne vous quittera pas. Que toutes les bénédictions du ciel soient sur vous !

Et elle le baisa au front comme une mère.

Mais elle parut chercher quelque chose, et lui demanda des ciseaux.

Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent.

Elle s’en coupa, brutalement, à la racine, une longue mèche.

— Gardez-les ! adieu !

Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre, Mme Arnoux, sur le trottoir, fit signe d’avancer à un fiacre qui passait. Elle monta dedans. La voiture disparut.

Et ce fut tout.

Gustave Flaubert (12/12/1821-8/55/1880) - L’Éducation sentimentale (1869) (Troisième partie, fin du ch. VI).

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s:décembre 2011 Invitation 2

Max Elskamp - À mon père

Mon Père Louis, Jean, François,
Avec vos prénoms de navires,
Mon Père mien, mon Père à moi,
Et dont les yeux couleur de myrrhe,
Disaient une âme vraie et sûre,
En sa douceur et sa bonté,
Où s'avérait noble droiture,
Et qui luisait comme un été,
Mon Père avec qui j'ai vécu
Et dans une ferveur amie,
Depuis l'enfance où j'étais nu,
Jusqu'en la vieillesse où je suis.

Max Elskamp ( 5/5/1862-10/12/1931)- La chanson de la rue Saint-Paul (1922)

s:décembre 2011 Invitation 3

Jean Pierre Chabrol - La crève du vieux pays

C’est long de mourir. C’est insupportable, une langueur ! Y aurait de quoi se flinguer un bon coup. Surtout quand il ne s’agit pas que de sa propre mort, quand se mourir soi-même ne suffit plus, quand il faut bien, se mourant, mourir aussi son pays. Crever sa mort dans la mort de sa terre. On ne peut que rester le soir au coin de sa cheminée, quand on en a encore une, à regarder flamber les dernières bougnes des derniers mûriers. Mais il y a pire, mais il est des soirs, des nuits, l’hiver surtout, par des temps à ne pas mettre un assureur dehors, où personne ne passe, où personne ne vient s’accroupir dans l’autre coin, outre-flammes. Alors on se résout à sortir, à chercher un toit, un autre feu, un autre coin, un autre agonisant, un mourant veinard qui voit, lui guilleret, quelqu’un venir mourir avec lui dans la crève du vieux pays.

Les feuilles mortes ont un tel poids qu’elles font crier le sol.

Jean-Pierre Chabrol (11/6/1925-01/12/2001) - Le crève Cévenne (1972, éd. Plon)

s:décembre 2011 Invitation 4

Léopold Sédar Senghor - La Nuit de Sine

Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure.
Là-haut les palmes balancées qui bruissent dans la haute brise nocturne
À peine. Pas même la chanson de nourrice.
Qu'il nous berce, le silence rythmé.
Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons
Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brume des villages perdus.
Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale
Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes
Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère
Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés.
C'est l'heure des étoiles et de la Nuit qui songe
Les toits des cases luisent tendrement. Que disent-ils, si confidentiels, aux étoiles ?
Dedans, le foyer s'éteint dans l'intimité d'odeurs âcres et douces.

Léopold Sédar Senghor (9/10/1906-20/12/2001) - Chants d’ombre (Éditions du Seuil, 1945)

s:décembre 2011 Invitation 5

Saint-Amant - Assis sur un fagot, une pipe à la main

Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L'espoir qui me remet du jour au lendemain,
Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée,
Et me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu'un Empereur Romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu'en mon premier état il me convient descendre,
Et passer mes ennuis à redire souvent :
Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d'espérance,
Car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent.

Marc-Antoine Girard de Saint-Amant (30/9/1594-29/12/1661) - Œuvres poétiques (1649)