Utilisateur:Webgardener/Oeconomie

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Et voici un extrait du livre de Pierre résumant son point de vue sur l'Oeconomie, et l'évolution historique de ce terme (à croiser avec la proposition de Jean. Je trouve pour ma part que les textes de Jean et de Pierre sont complémentaires). Il faut juste que je vérifie un petit truc sur la chrématistique d'Aristote, car il vaudrait peut être mieux réutiliser ses termes de bonne et mauvaise chrématistique, et peut être également mieux les expliciter.


En choisissant de parler d'oeconomie, lorsque j'ai commencé le livre en 2004, plutôt que de parler “d'économie responsable, plurielle et solidaire” comme j'avais tendance à le faire jusqu'alors dans la ligne des réflexions collectives de l'Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, je me suis appuyé sur l'étymologie du terme. Il me paraissait bien désigner ce dont il fallait aujourd'hui parler. Je m'étais naïvement imaginé que j'étais le seul à faire cette démarche. Illusion si fréquente et si fréquemment démentie : nous ne sommes jamais que l'expression plus ou moins consciente d'une évolution collective. Les recherches d'Aurore Lalucq sur internet ont montré d'abord que le mot oeconomie n'était qu'un juste retour aux sources puisque, jusqu'au XVIII è siècle, c'est ce mot qui prévalait sur celui d'économie. Elles ont montré aussi le nombre de personnes qui, au même moment que moi, s'intéressaient à ce mot et, derrière lui, à la manière dont était abordée, en gros avant la Révolution française, la question de l'oeconomie. Je m'appuie en particulier sur le document de travail du GRUEQUAN rédigé en novembre 2005 par Christophe Salvat1.


Rappelons d'abord qu'Antoine de Montchrétien (1576-1621) a écrit en 1615 un traité de l'oeconomie politique, destiné à Marie de Médicis et au jeune roi Louis XIII, pour les éclairer sur la politique à suivre. L'oeconomie, c'est alors l'art de gérer et les hommes et les choses. Antoine de Montchrétien parle de “mesnagerie publique” d'où va dériver aussi bien l'expression “d'économie ménagère” que le moderne terme de “management”. L'oeconomie est alors l'art de penser les relations entre les choses, les relations entre les hommes. En 1687, Pierre Poiret publie à Amsterdam “l'oeconomie divine ou système universel et démontré des oeuvres et des desseins de Dieu envers les hommes”. La notion d'oeconomie est alors inséparable de celle de système et de celle de conduite d'un système.Le livre du fameux botaniste Karl Von Linné (1708-1778) intitulé principes de l'oeconomie, publié en 1752, est plus précis encore. Il parle de principes de l'oeconomie fondés sur la science naturelle et sur la physique. C'est, selon lui, l'art de préparer les choses naturelles à notre usage, l'art de tirer parti de tous les biens de la Nature. Les “lois de l'oeconomie” auxquelles il fait allusion ne sont pas ce que nous entendons aujourd'hui sous ce terme. Elles sont inséparables des lois physiques : “ainsi, la connaissance de ces choses naturelles et celle de l'action des éléments sur les corps, et de la manière de diriger cette action à de certaines fins sont les deux pivots sur lesquels roule toute l'oeconomie”. Et c'est pourquoi sa décomposition de l'oeconomie se fait à partir de la nature des éléments à traiter : les métaux et les minéraux; le règne végétal; le règne animal. A l'image du texte de Pierre Poiret, cette reflexion est tout imprégnée de l'idée de providence divine. L'oeconomie n'est rien d'autre que l'art par les hommes de tirer parti de ce que Dieu leur a offert. Il écrit ainsi : “on serait en droit de dire que Dieu ne nous a pas seulement donné dans le règne végétal tout ce que nous pouvons souhaiter de meilleur pour notre nourriture, notre vêtement et notre logement; mais qu'il a encore voulu qu'il servît à délecter nos sens. Il a étendu sur toute la Terre un tapis de fleurs et il y a mis l'homme afin qu'il jouisse des plaisirs innocents que leurs odeurs et leurs saveurs variés à l'infini peuvent lui donner”. Ainsi, être ménager de la nature, c'est savoir en tirer parti : “un sage oeconome sait tirer parti de cette circonstance et faire en sorte que personne ne gagne plus que lui”. Puis il donne de nombreux exemples de la capacité de peuples à tirer parti des ressources propres à chaque contexte et à chaque pays.

Dans l'Encyclopédie, enfin, en 1754-1755, s'opère le basculement terminologique. Dans son discours sur l'oeconomie politique, Jean-Jacques Rousseau utilise les deux termes et il précise : “le mot oeconomie vient de oïkos, maison, et de nomos, loi. Il ne signifie originairement que le sage est légitime gouvernement de la maison pour le bien commun de toute la famille. Le sens de ce terme a été par la suite étendu au gouvernement de la grande famille que représente l'Etat. Pour distinguer ces deux acceptions, on l'appelle dans ce dernier cas économie générale ou politique et dans l'autre économie domestique ou particulière”.


De cette rapide plongée dans le XVII è siècle, encore tout imprégné des réflexions d'Aristote, on voit que l'art de gérer est tout inspiré de trois notions qui nous intéressent particulièrement aujourd'hui : la gouvernance, la gestion des relations et l'art de tirer parti de manière équilibrée des ressources naturelles. Cette idée de sage gouvernement des hommes et des choses, encore enracinée dans les vertus patriarcales d'une économie agraire va progressivement être remplacée par ce qu'Aristote appelait la chrématistique1. Aristote distinguait deux régimes de l'économie : “l'un qui reste solidaire de la nature et qui se charge de stocker, gérer, et rentabiliser les produits nécessaires à la vie (économie), l'autre, illimité, qui ne vise que l'enrichissement (chrématistique) et nécessite une vigilance éthique du fait de la substitution de l'argent aux biens eux-mêmes”. Avec la “valeur d'actionnaire” chère aux économistes des dernières années du XX ème siècle, nous avons parcouru tout l'itinéraire qui va de l'oeconomie à la chrématistique pure. Il est sans doute temps de faire le chemin inverse.

   1Marie-José Mondzain : le seuil, dictionnaire le Robert 2003
   1GRUEQUAN : document de travail n°2005 50 : oeconomies les articles oe/économies et leurs désignant dans l'encyclopédie, Christian Salvat, novembre 2005