Utilisateur:Sdjigo/Sophie Djigo
Sophie Djigo, née le 2 juillet 1982 en Lorraine, est une philosophe de terrain, chercheure spécialiste des questions migratoires et fondatrice du collectif Migraction59. Professeure de philosophie en khâgne, elle est aussi Fellow de l'Institut Convergences Migrations et membre des Non-Lieux de l'Exil.
Parcours universitaire
Après des études en classes préparatoires littéraires, Sophie Djigo s'oriente vers la recherche en philosophie, en intégrant le Magistère de philosophie contemporaine de l'ENS-Ulm, dont elle sera diplômée en 2006. Agrégée de philosophie en 2005, elle débute une carrière dans l'enseignement, dans différents lycées de France, avant de s'installer dans le Nord. Elle entame un thèse de philosophie sous la direction de Sandra Laugier, consacrée à l'éthique littéraire, appuyée sur la lecture des œuvres de l'écrivain autrichien Robert Musil. Pendant ces années de doctorat, elle participe au séminaire de Jacques Bouveresse au Collège de France, d'abord dédié aux rapports entre "Philosophie et littérature", puis au triptyque "Rationalité, Vérité, Démocratie". Formée à la philosophie autrichienne ainsi qu'à la philosophie analytique, elle publie un premier ouvrage tiré de son travail de doctorat La raison vivante (L'improviste, 2013), avant de travailler avec le philosophe américain Richard Moran dont elle publie la traduction française de l'ouvrage Authority and Estrangement. An Essay on Self-Knowledge. Après avoir interrogé les pouvoirs de la littérature à nous faire (ré-)agir, elle explore ceux du cinéma, en particulier notre fascination commune pour les figures de gangsters. (Le gangster au cinéma, PUR, 2013).
La rencontre avec le terrain
C'est au cours de ces années d'enseignement dans différents lycées de l'Académie de Lille que Sophie Djigo prend conscience de la présence migratoire. A bord des trains régionaux, elle entame une enquête sur la condition migrante, qui la conduira à explorer le quotidien des personnes exilées dans les campements à la frontière franco-britannique, en particulier la tristement célèbre "jungle" de Calais. Dans le livre Les migrants de Calais (Agone, 2016), elle décrit les spécificités d'une vie en transit, déterminée par les situations de blocage aux frontières. L'ouvrage remporte le Prix de l'Ecrit Social en 2017. Son travail de terrain la mène à collaborer avec le réalisateur militant Arthur Levivier autour du film documentaire "Regarde Ailleurs", sorti en 2018. Les choix en matière de politique migratoire la conduisent à analyser la politique migratoire française à l'aune des effets qu'elle produit sur les personnes exilées qui l'éprouvent. Dans Aux frontières de la démocratie (Le Bord de l'Eau, 2019), elle détaille ainsi les motifs idéologiques des décisions gouvernementales et la gestion policière des personnes en séjour irrégulier, leurs contradictions avec les principes du droit et la violence vécue par les personnes en exil. Dans son travail, Sophie Djigo poursuit une réflexion sur les rapports entre la conceptualisation philosophique et la réalité du terrain. Cet intérêt pour la méthode d'une philosophie en prise avec les éléments matériels, sociaux, politiques observés et racontés par les personnes concernées, aboutit à un travail collectif avec les philosophes Isabelle Delpla, Olivier Razac et Christiane Vollaire ("Des philosophes sur le terrain", Créaphis, 2022).
L'engagement militant
Confrontée à la violence vécue par les personnes exilées dans les campements et à leur dénuement, Sophie Djigo fonde en 2018 le collectif Migraction59, qui rassemble des volontaires dans tout le Nord-Pas-de-Calais. Chaque week-end, le collectif offre un accueil de répit aux personnes en transit à Calais. Depuis 2018, il a soutenu plus de 3000 personnes contraintes de vivre dans la clandestinité et dans des conditions indignes. Dans le texte intitulé "L'hospitalité à l'épreuve du terrain", elle clarifie la question de l'accueil des étrangers et défend un certain modèle d'hospitalité. En novembre 2022, alors qu'elle s'apprête à emmener ses étudiants d'hypokhâgne du lycée Watteau (Valenciennes) faire un travail ethnographique sur la frontière à Calais, elle devient la cible d'une campagne de haine organisée par l'extrême-droite, émanant du parti Reconquête, du RN ainsi que de groupes fascistes. Prenant conscience de l'ampleur des offensives fascistes sur les enseignants et les chercheurs, elle fonde avec d'autres collègues la Coordination Antifasciste pour l'Affirmation des Libertés Académiques et Pédagogiques (CAALAP). Cette coordination rassemble des enseignants, des chercheurs, des acteurs associatifs et éducatifs, des organisations syndicales dans le but de construire des outils d'autodéfense juridique et intellectuelle contre les opinions fallacieuses portées par des mouvances d'extrême-droite. Elle réaffirme la différence entre les savoirs et les opinions, en s'appuyant sur la puissance argumentative des sciences humaines et sociales à fragiliser les mythes fascistes.
L'utopie de l'ordinaire
A la convergence de la philosophie, de la littérature et de l'engagement, Sophie Djigo s'intéresse à la question de l'utopie. C'est d'abord chez Musil, auquel elle avait consacré sa thèse, qu'elle explore le paradoxe suivant: les utopies échouent successivement, alors qu'elles nous sont nécessaires. Le sens du possible est indispensable au changement du réel, à rebours de tout conservatisme ou des pensées réactionnaires. En 2017, Sophie Djigo, alors enseignante au lycée Baudelaire à Roubaix, débute un travail d'enquête dans les quartiers populaires de la ville, en particulier à l'Alma. A partir des entretiens menés avec les habitants d'un immeuble voué à la démolition, de rencontres avec les artistes, boxeurs et acteurs associatifs locaux, elle utilise les ressources fictionnelles de l'utopie pour réfléchir à la politisation des quartiers populaires. Quelques semaines après les émeutes de juin 2023 (suite à la mort du jeune Nahel, tué à Nanterre lors d'un contrôle policier), elle publie son premier roman "Sécession" (Les Etaques). En imaginant un possible qui se déploie sur la ligne de crête des conditions réelles qui sont celles de l'Alma, elle interroge l'énergie et les désirs de changement, la puissance d'agir des citoyens ordinaires, les entraves à l'action collective.
Bibliographie
Livres:
2024 (à paraître): Penser avec la frontière. Avec Bastien Deschamps, photographe, Paris, D'une rive à l'autre.
2023 "Sécession", Lille, Les Etaques.
2022 "L'hospitalité à l'épreuve du terrain", in Des philosophes sur le terrain, Paris, Créaphis.
2019 Aux frontières de la démocratie. De Calais à Londres sur les traces des migrants, Lormont, Le Bord de l’eau.
2016 Les migrants de Calais. Enquête sur la vie en transit, Marseille, Agone. Prix de l’Ecrit Social 2017.
2016 L’éthique du gangster au cinéma. Une enquête philosophique, Rennes, PUR.
2013 La raison vivante, Préface de Jacques Bouveresse, Paris, L'improviste.
Chapitres d'ouvrages et contributions à des collectifs
2022 (A paraître) : « Philosopher sur l’urbanité dans les quartiers de Roubaix », in Manifeste pour une philosophie de terrain, sous la direction de Jean-Philippe Pierron, Presses Universitaires de Dijon.
« Aux frontières du Nord : le collectif Migraction59 », in Migrations. Du mépris aux mobilisations solidaires, dir. Xavier Briké, Chloé Allen, Laurent Gilson, coll. Transitions sociales et résistances, Academia éditions.
« Calais : la disparition des migrants » in Regards croisés sur les mobilités et l’altérité, sous la dir. d’A. Stevellia Moussavou Nyama et al., coll. Société contemporaine, Presses Universitaires de Provence.
2021 « Identités errantes, identités perdues : tenir bon à Calais », in Discours et politiques de l’identité. A partir de Michel Foucault, sous la direction de Philippe Sabot, PUS.
« Interprétation expressive et connaissance de soi », in Phénoménologie de l’action, sous la direction de F. Boccaccini, Leiden, Brill.
2017 Chapitre « Le sujet », manuel de philosophie du CNED.
2014 « Leverage and Truth », in Theories of Action and Morality, ed. Olms Verlag, 2014.
2010 « Robert Musil : l'animal exposé et la morale du pas suivant », in La Voix et la Vertu. Variétés du perfectionnisme moral, collectif sous la direction de Sandra Laugier, PUF, 2010, p.207-221.
Articles dans des revues à comité de rédaction et/ou lecture :
2022 « Accueillir en temps de pandémie », in Pandémie : quels comptes pour les laissés-pour-comptes ?, Revue L’homme et la société, 2022.
« Des mobilisations discrètes : accueillir, c’est résister », in Akène n°4, « Accueillir, c’est résister ».
2020 « Rester soi-même avec ce qu’on a », Modes et pratiques, n°4 affections, décembre 2020, pp.326-329.
2015 « La philosophie d'Antée: Musil et l'esprit des faits », Austriaca, 2015.
2014 « Belief as cognitive and practical commitment », Ethics in Progress, vol. IV, n°2, pp. 34-45, 2014.
2013 « Auto-interprétation, délibération et expression. Moran, Finkelstein et la connaissance de soi », Methodos n°13, « Interpréter en contexte »
« Self-Utopia and the Robbers Ethics », in Germanic Review, vol.88, 1, 2013.
2010 « Free spirits : idealism and perfectionism », European Journal of Pragmatism and American Philosophy, « Moral perfectionism and pragmatism », vol.2, n°2, 2010, p.160-172.
« Robert Musil et la conception utopique de l'esthétique », Nouvelle revue d'esthétique, « Éthiques d'artistes », 6/2010, p.81-90.
« Musil et Emerson : les mots que nous citons », Archives de philosophie, Cahier 73-3, automne 2010, p.527-544.
2009 « L'Homme sans qualités et le « dixième caractère » : Musil lecteur d'Emerson », in Revue Française d'Études Américaines, n°122, 2009, p.94-105.
« L’ordinaire actuel et l’ordinaire possible : le perfectionnisme moral de Musil », in Alkemie, n°4, 2009, p.125-137.
« Robert Musil : un apolitisme de l'aversion », Sens Public, article publié en ligne : 2009, http://www.sens-public.org/article.php3?id_article=708
« L’Homme sans qualités : du principe d’économie à la générosité éthique », Corridor, vol.2, mai 2009, p.123-137.
2008 « From concept to analogy : an investigation into singularity » in Skepsi, vol. I (1), « Identities in question », Autumn 2008, p.34-48.
Traduction
2014 Autorité et aliénation, [Authority and Estrangement], Richard Moran, préface de Vincent Descombes, traduit de l'anglais, Vrin
Entretiens et conférences en ligne:
https://hal.univ-lorraine.fr/NLE/medihal-02281346v1
https://www.arte.tv/fr/videos/112531-003-A/parler-aux-migrants-c-est-la-philosophie-de-sophie/