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Utilisateur:Score Beethoven/Brouillon13

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Les cris de douleur suivent la l'annonce de la mort. L'activité s'arrête.Les connaissances du mort et ses proches convergent vers la maison du défunt qui devient souvent le lieu du deuil.

Le deuil attendu et le deuil soudain ne sont pas gérés de la même manière en pays Bamiléké.

Pour une mort attendue, (longue maladie, agonie, grand âge, ...) le défunt a souvent déjà prononcé sont testament, nommé sont successeur. Souvent oral, ces paroles sont supposées sacrées et inviolables. L'appel à l’unité de la famille aussi. Les disputes d'héritages font toutefois basculer les traditions dans des disputes de successions avec interventions des tribunaux et organes modernes de gestion des conflits.

Pour le chef, le corps doit être enlevé avant l'annonce de la mort. Personne de devant voir un chef mort.

En pays Bamiléké, on distingue les obsèques, le deuil et les funérailles.

Les obsèques[modifier | modifier le code]

Ce sont les evenement dès l'annonce du décès jusqu'à un ou deux jours après les cérémonies de l’enterrement. n

Le deuil.

C'est la période de durée variable d’affliction et de lamentation de durée variable. Selon le statut social du défunt, il peut durer neuf jours après l’inhumation mais aussi des semaines, ou des mois. Le Bamiléké pleure le mort selon des codes . on peut suspendre les activités sociales, les proches sont regroupés dans la maison du défunt, on s'assoie au sol, dans une posture d’affliction. L’hygiène corporelle est négligée, et tout le monde dort par terre sur des feuilles de bananier séchées. Ce temps permet d’apprivoiser la nouvelle donne familiale, dans un processus de catharsis collective, comme a pu le montrer. Le deuil est aussi entendu comme la période qui précède les funérailles, qui n’auront lieu, au plus tôt, qu’un an, voire une dizaine d’années, après le décès. Ï1 est une phase intermédiaire entre le départ dans la mort du défunt et son retour en tant qu’ancêtre. La vie reprend son cours, mais le souvenir du défunt est encore vécu douloureu¬sement. Les funérailles marqueront les retrouvailles joyeuses avec le défunt.

Les « funérailles », les réjouissances et les retrouvailles.

« Faire des funérailles [...], en finir avec les obsèques, détruire le deuil, le briser [...], on met ainsi un terme, c’est pour mieux retrouver le parent disparu7. »

Les funérailles sont des cérémonies organisées par la famille au bout d’un an. Ce sont pour ainsi dire les « petites » funérailles, qui marquent la fin de la période de deuil et la célébration joyeuse du disparu. Elles com¬portent deux étapes : une courte cérémonie (médza) permet d’abord de se souvenir avec douleur de celui qui est célébré ce jour-là ; puis viennent les réjouissances attendues : banquets et danses servent par leur abondance la vénération future du défunt. Montrer qu’il fut un « grand homme » est une condition d’accès à son ancestralité. A la fin de ces « petites » funérailles, vivants et morts sont apaisés. Les vivants ne pleurent plus leur disparu, et ce dernier se sent chaleureusement accompagné dans son voyage vers l’ancestralité.

Quelques années après les « petites » funérailles ont lieu les « grandes » funérailles. « Lorsque les funérailles sont célébrées, la tête du défunt est détachée du squelette et est déposée dans un canari [sorte de pot en terre cuite]. Les morts n’accèdent ainsi au monde des ancêtres qu’à la suite d’un développement rituel qui comprend, là encore, trois renversements : la désignation et l’intronisation de leur successeur, les funérailles qui exaltent conjointement leur mémoire mortelle et leur statut immortel d’ancêtres, enfin la séparation de la tête du corps qui disjoint l’ancêtre du mort8. »

Les funérailles marquent donc le retour à un ordre normal du monde. La mort ne rôde plus, puisque le mort n’est plus mort, que son successeur est désigné et que le vide laissé est comblé. Le défunt revient sous le statut d’ancêtre.

LE CULTE DES ANCÊTRES.

Les travaux de Cheikh Anta Diop sur l’origine du peuple bamiléké9 affirment que « le culte des ancêtres chez les Bamiléké est un héritage de leurs ancêtres de l’Egypte antique. Faisant suite à la conservation des corps momifiés, les Bamiléké, fuyards de guerre au cours de leur long périple d’Egypte jusqu’à la vallée du pays Tikar (entre le IXe et la 2e moitié du XIe siècle environ) [...], [p]our transporter facilement les restes de leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents en temps de guerre eurent l’idée géniale de ne conserver désormais que les têtes et d’enterrer le reste. C’est ainsi que chacun devait garder la tête momifiée de ses aïeux dans des jarres à enterrer dans un coin de la maison pour attendre une éventuelle fuite consécutive à une guerre perdue ou autre catastrophe majeure».

L9ancêtre.

Etre ancêtre, c’est avoir réussi son cheminement vers le monde où vivent les générations défuntes qui nous ont précédés jusqu’à Dieu. Ce parcours commence avec la mort et s’achève avec la résurrection symbolique lors de la cérémonie des crânes. Le défunt y revient prendre une place parmi les vivants. Celle place est matérialisée par une case, la « case des crânes » ou « case des ancêtres », que chaque famille se doit de posséder. Ce n’est pas un mausolée mais une case vivante et dynamique, consacrée à un seul ou à plusieurs membres décédés de la famille. Ils y sont présents, physique¬ment, par leurs crânes ; ils y « vivent » puisqu’on peut les y consulter, les nourrir, les associer à tous les événements ou à toutes les décisions impor¬tantes de la famille. Le crâne, plus que la case, est le symbole de la pré¬sence des ancêtres parmi les vivants. Le défunt qui revit est l’intercesseur de la famille auprès des ancêtres et auprès de Dieu.

Les relations entre les vivants et les ancêtres.

Les ancêtres interviennent dès la naissance à toutes les étapes de la vie sociale d’un individu. Ils valident les rites de passage qui l’intègrent dans son groupe. Ils sont les garants du bon ordre des choses.

Dans la culture bamiléké, tout individu peut prétendre à l’ancestralité. Chaque membre de la communauté étant issu d’une famille et en ayant lui-

même fondé une a vocation à devenir ancêtre, puisque, chez les Bamiléké. les liens entre générations ne sont jamais rompus. Solidarité vis-à-vis du groupe, respect des ascendants vivants et vénération des ancêtres sont les valeurs essentielles d’un Bamiléké. Y déroger serait s’exposer à des échecs répétés dans la vie, à des maladies, voire à la mort. Toute personne aspire à s’inscrire dans la continuité de ses prédécesseurs honorables et honorés, d’où le très fort engouement dans les familles pour l’accession au statut de successeur ou d’« héritier », alors même que ne sont en jeu que peu de biens matériels — mais la charge honorifique est importante. Les critères d’éligi¬bilité à l’ancestralité sont donc l’œuvre de toute une vie : respect des géné¬rations passées et des ancêtres en leur consacrant tous les rituels qui leur sont dus, existence respectable de chef de famille — nombreuse de préfé¬rence —, et transmission des valeurs morales et des biens matériels à ses descendants.

LE RITUEL DES CRÂNES.

« Il ne faut pas que les têtes restent dehors sous la pluie11. »

Le culte des ancêtres et le rituel des crânes revêtent un caractère abso¬lument sacré et incontournable dans les tribus bamiléké. Les ancêtres participent avec une discrète, mais ferme, autorité à la vie de chaque famille. Leur intervention peut être sollicitée, mais elle est aussi crainte. Ils sont invoqués et pris à témoin avant tout acte important pour la com¬munauté. Ils accompagnent les vivants au quotidien par leur pouvoir bienveillant, mais leur courroux peut être impitoyable s’il arrive que quelque chose les contrarie. Le respect scrupuleux des rituels est donc primordial pour éviter la «malchance», le doh. Les échecs répétés ou inattendus, les morts suspectes sont autant de signaux d’alerte que tout Bamiléké décrypte immédiatement comme l’indice de la « malchance du village », d’un dysfonctionnement dans la relation avec les ancêtres, un message envoyé par des ancêtres fâchés qu’il faut calmer. Leur a-t-on manqué de respect en ne les associant pas à un événement important dans la vie de la famille ? S’estiment-ils ou se sentent-ils « oubliés » ?

En effet, la vie moderne, de plus en plus urbaine, oblige les générations actuelles à une sorte de va-et-vient constant entre une existence, des modes de pensée « occidentalisés » et la tradition, tout comme leurs aînés ont oscillé entre les prescriptions du christianisme et leurs pratiques ancestrales traditionnelles. Un manquement, un oubli, une incapacité temporaire d’accomplir un acte rituel à destination des ancêtres peuvent provoquer de leur part un « rappel à l’ordre » ; se sentant « oubliés », « négligés », voire,

plus grave, «rejetés», ils réclament alors de façon plus ou moins véhé¬mente le respect qui leur est dû, c’est-à-dire le respect des traditions.

« Le “doh tous pfe”, la malédiction due aux ancêtres, aux morts, et qui ne peut être levée que par des rites sur les crânes des ancêtres en question explique en grande partie l’engouement pour le culte des ancêtres dans la culture bamiléké12. »

La nécessité du rituel.

Bien avant la cérémonie d’exhumation du crâne d’un défunt, une rela¬tion subtile s’est déjà installée entre le disparu et son «successeur», c’est-à-dire la personne qu’il a choisie de son vivant pour l’incarner après sa mort.

Le successeur, désigné par le défunt, est le membre de la famille qui va reprendre tous ses rôles familiaux et tribaux. Il ne jouera pas seulement le rôle du disparu, il sera le disparu. Le fils sera désormais son père disparu, et sera reconnu comme tel. Cette relation particulière d’identité entre le défunt et son successeur se manifeste durant le processus d’ancestralisa- tion du premier: c’est le successeur qui dirige l’enterrement, le deuil et les funérailles, même si les cérémonies de son intronisation n’ont pas encore eu lieu. S’il y a un doute sur son identité, s’il n’a pas clairement été désigné par le défunt avant sa mort, c’est l’aîné de la famille qui s’en charge. Il lui reviendra également d’organiser la désignation du successeur plus tard, occasion d’affrontement entre les membres de la famille, chacun revendi¬quant alors pour soi la place de successeur au nom de la « relation privilé¬giée » qu’il aurait eue avec le disparu de son vivant.

Ces « relations privilégiées » se manifestent par des marques d’affection et de confiance, le partage d’activités et de secrets entre le père de famille et celui qu’il envisage comme successeur. On dit alors qu’« ils marchent toujours ensemble». Cette relation, qui pourra être volontairement dis¬crète pour ne pas susciter la jalousie des autres membres de la famille, ne s’interrompt pas à la mort du père, mais se renforce : bientôt ils ne font plus qu’un. Après sa mort, le père vient rendre visite à son successeur pour lui faire des recommandations, lui donner des conseils, voire des ordres précis. Ces visites passent par des rêves. Ainsi, il n’est pas inhabi¬tuel d’entendre dire : « Untel [défunt] est venu me rendre visite en songe. Il n’est pas content. Il veut qu’on fasse une cérémonie [ou autre chose]. » Pendant tout le processus d’ancestralisation, le défunt ne reste pas inactif ; il communique en permanence avec son successeur.

De nombreuses années, voire des décennies, peuvent séparer le deuil et le rituel des crânes. Il est admis qu’un délai minimum d’un an doit être

respecté pour s’assurer de la réduction du corps, mais on considère que c’est le défunt qui « signale » à son successeur qu’il est prêt. Si celui-ci a un doute sur le message qu’il reçoit, il peut aller voir un voyant qui lui confir¬mera que « la tête [de son père] est déjà debout » ou bien qu’elle « s’est levée ». Ces formulations signalent que le défunt s’est réveillé et qu’il veut revenir. Il est alors temps de se préparer à l’accueillir.

Le changement de perception du statut du défunt est traduit dans le langage tout le long du processus d’ancestralisation. Au moment du décès, on dit que « le père s’est assoupi » ou bien qu’il « s’est endormi ». Pendant la période de deuil et jusqu’aux funérailles, on parlera de lui comme de «celui qui dort là-bas» ou bien «celui qui est couché là-bas». Puis, le processus et le temps avançant, il ne sera plus perçu que par sa tête, sym¬bole de sa dimension spirituelle. Comme le dit Tamoufe Simo : « Le corps représenté par le crâne est indissociable du tout. Il contient, encore et toujours, une part “spirituelle” de la personne défunte, celle-ci pouvant devenir agressive ou dangereuse pour les vivants13. »

Une expérience singulière.

Dans l’un des cas de rituels de crânes que nous avons observés et que nous décrirons ici, la communication entre le père et son fils successeur (que nous appellerons X) s’est mise en place une vingtaine d’années après le décès. Sa mort, survenue alors que son enfant, né et éduqué en Europe, était encore adolescent, n’avait pas permis au père de préparer X aux arcanes de la tradition. Les rituels d’enterrement et de deuil avaient donc été conduits par les frères du défunt.

La communication fut rétablie par l’intermédiaire d’une kamsi ren¬contrée par le plus grand des hasards dans la région parisienne. Les kamsi sont « des médiums qui écoutent les esprits, qui leur parlent (médiums entendants) ou alors qui les voient (médiums voyants) [...] ils sont investis de pouvoirs naturels de voyance et de prédiction14 ». Par son truchement, le père et son fils eurent ensemble de longues «conversations », mettant progressivement en place la relation privilégiée de défunt à successeur, sous la forme d’une « initiation » à la tradition. Se manifestèrent aussi les grands-parents paternels défunts, qui veillaient à éclairer leur petit-fils sur l’histoire lointaine de la famille. Durant ces cinq années d’initiation, des rituels vis-à-vis des ancêtres furent observés, consistant notamment à « leur donner à manger ». Le père prématurément parti, donc « mal mort », put ainsi désigner son successeur, mettre en ordre ses affaires, réduire les tensions au sein de la famille, prodiguer ses conseils et sa bénédiction. La voie vers son ancestralité était enfin ouverte.

Dans le cas observé, la communication entre le défunt et son successeur se manifesta également dans le sommeil de ce dernier, qui se réveilla un matin avec l’envie impérieuse de se rendre au Cameroun. Sans avoir trouvé d’explication ou de justification rationnelle à cette envie subite, ne sachant non plus ce qu’il voulait y faire, il prit un vol dans les deux jours qui suivirent. La kamsi lui avait suggéré de contacter l’homme qui avait joué le rôle d’aide de camp fidèle auprès de son père, et « marchait tou¬jours avec lui ». Celui-ci ne fit montre d’aucune surprise et lui dit juste: « Je t’attendais » ; puis : « La tête du vieux est debout, il est sous la pluie, il faut le déplacer. » S’ensuivit une présentation des différentes étapes du rituel des crânes.

Les différentes étapes du rituel des crânes.

Le départ pour le village paternel fut décidé pour les heures suivantes, le temps de réunir les quelques outils nécessaires à une exhumation. Pen¬dant ces quelques heures, X tomba en transe et ressentit la présence de son père, qui lui parlait et semblait vouloir le rassurer tout en lui communi¬quant son expérience douloureuse d’une lutte permanente contre la mort, ses préoccupations pour les siens, et la joie de leurs retrouvailles. Sorti de sa transe, X raconta ce qui venait de se passer à l’ancien aide de camp et celui-ci conclut : « Tu as vu ton père, maintenant il est en toi, vous ne faites désormais plus qu’un. Il t’attend. » La rencontre avait eu lieu spirituelle-ment, avant de se faire physiquement.

L ’exhumation du crâne.

A l’arrivée au village, contact fut immédiatement pris avec le représen¬tant du patriarche de la famille, qui conduisit X sur la tombe de son père, où ils eurent une courte conversation codée. Il lui dit : « Le vieux est sous la pluie.» X répondit: «Oui, c’est vrai, il faut le déplacer.» L’homme acquiesça et s’enquit du moment désiré. X répondit : « C’est maintenant qu’il faut le faire. » On entra alors dans les considérations pratiques de l’opération qui aurait lieu dans les heures suivantes, et le représentant s’en alla trouver les personnes adéquates. Suivant les conseils avisés de l’ancien aide de camp, X avait déjà préparé les objets nécessaires au rituel : le canari, où serait déposé le crâne, une grande quantité de graines de djidim — ou jujubes — qui serviraient d’offrande aux esprits, des branches de l’arbre de paix (Costus afer ou Dracoena desteliana), une bouteille de vin rouge. Le représentant du patriarche revint accompagné d’un homme âgé, hautement initié aux arcanes de la tradition, donc apte à diriger

l opération, et de deux jeunes hommes solides. L’exhumation du crâne pouvait commencer.

Le représentant adressa d’abord un petit discours au père défunt, annonçant que son fils était venu pour le « mettre à l’abri ». Puis il fit signe au grand initié tout en jetant des graines de djidim dans toutes les direc¬tions à l’intention des esprits présents, pour demander leur autorisation ou leur bénédiction. Les hommes entreprirent de creuser du côté où devait se trouver la tête.

A ce moment du rituel, on redoute la réaction du crâne. On rapporte que les « crânes fâchés peuvent se cacher, au point qu’on ne les retrouve pas dans la tombe15», pourtant restée close. Ce sont de très mauvais présages. Tout le monde espère donc que le crâne se laissera trouver facilement, qu’il ne fera pas de difficultés.

Bien qu’ayant malencontreusement creusé du côté des pieds, on trouva assez rapidement le crâne, au grand soulagement de toutes les personnes présentes. Il fut placé, ainsi que la mâchoire inférieure, dans le canari et recouvert d’une branche d’arbre de paix, puis porté en procession dans la maison du patriarche, où il allait séjourner en attendant qu’une case lui soit construite. Sur le seuil de la case, tous portèrent un toast et burent respectueusement une gorgée de vin en l’honneur du crâne qui réintégrait la maison familiale.

La construction de la maison des crânes.

Une maison, ou case, des crânes est semblable à la maison qu’aurait habitée le défunt de son vivant. Elle peut être occupée occasionnellement par un membre de la famille. Traditionnellement faites de briques en terre crue, elles sont aujourd’hui bâties en parpaings — néanmoins, on veille à ce que le sol reste de terre battue.

Le successeur étant censé savoir où le crâne voudrait résider, c’est lui qui désigne l’emplacement de la case. Cela ne se fait pas sans quelques tiraille¬ments familiaux : la présence d’une maison des crânes au milieu d’un ter¬rain rend ce dernier difficilement « exploitable » et la tentation peut donc être forte de la faire construire ailleurs.

L’entrée du crâne (de l’ancêtre) dans sa maison.

L’installation du crâne dans sa case est un moment solennel. Le défunt est alors officiellement de retour parmi les siens, doté du statut d’ancêtre. C’est un grand moment de communion. Un grand initié dirige la cérémo¬nie et assiste le fils.

Le premier temps de cette cérémonie réunit uniquement les membres de la famille proche. Le successeur en tête, le crâne est ramené en procession depuis le lieu où il avait été conservé. L’endroit où il sera déposé dans la case est déjà choisi — les crânes sont en général déposés le long des murs de la case, dans un angle. Le choix a été fait par le fils, qui, inspiré par le défunt et aidé par le grand initié, a su « reconnaître » le lieu.

Toute la famille proche était donc là, serrée dans la volonté manifeste d’être en contact physique et de dresser un rempart autour du crâne. Le grand initié remit le crâne à X, qui le déposa dans le trou creusé à cet effet avec une houe, et d’une profondeur équivalente à une demi-hauteur du canari. Le crâne fut recouvert de terre, on versa dessus de l’huile de palme, puis des branches feuillues d’arbre de paix recouvrirent l’ensemble. X pro¬nonça alors un mot de bienvenue à l’intention de son père, désormais ancêtre parmi les siens. Des prières et des chants traditionnels furent entonnés. Le fils, désormais père et représentant du père devenu ancêtre, bénit les membres de la famille, badigeonnant rituellement, à l’aide d’une plante sacrée, la poitrine de chacun d’un peu d’huile de palme. Puis eux- mêmes présentèrent leurs respects au fils, nouveau chef de la famille, et se congratulèrent mutuellement.

Enfin, un grand repas, offert à toute l’assemblée venue des alentours et aux personnalités importantes du village, consacra socialement le rituel traditionnel effectué dans l’intimité de la famille. Du vin de palme fut offert aux anciens, en signe de respect des traditions. Tout le village fêta son nouvel ancêtre.

Le culte des crânes chez les Bamiléké pose la question du statut du corps du défunt et en particulier celui du crâne. Le geste très symbolique de la décapitation post mortem témoigne de la dimension fortement eschatolo- gique de ce culte. Comme le dit Tamoufe Simo : «La construction d’un espace et d’un statut social pour le corps dans le contexte mortuaire inter¬roge la place des défunts dans les représentations collectives16. » Pour les Bamiléké, le défunt ne peut pas rester éternellement mort. Il réclame son retour auprès de sa descendance.

Le crâne n’est pas une relique commémorative qui servirait à entretenir le souvenir d’un défunt mais le « siège » d’un principe vivant : l’esprit du défunt. Il est la totalité, le corps, de nouveau vivant, d’un disparu devenu ancêtre et, désormais, aternporellement présent. Le processus d’ancestrali- sation des Bamiléké et les rituels qui lui sont liés s’inscrivent dans le schéma des doubles funérailles, qui vont de l’enterrement du cadavre du défunt, corps corruptible, à l’exhumation et au recueil du seul crâne, siège de l’esprit. Ces funérailles organisent une véritable résurrection du mort en ancêtre, entité vivante parmi les vivants.