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Utilisateur:Ps4/Séquence 1/Candide Ch.30 - Voltaire

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Séquence 1 Un mouvement littéraire et culturel : la Philosophie des Lumières. La remise en question de l'ancien régime par la littérature.
Chapitre XXX de Candide, Voltaire : le derviche et le vieillard

Texte[modifier | modifier le code]

Il y avait dans le voisinage un derviche très fameux qui passait pour le meilleur philosophe de la Turquie; ils allèrent le consulter; Pangloss porta la parole, et lui dit: Maître, nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi étrange animal que l'homme a été formé. -De quoi te mêles-tu? lui dit le derviche; est-ce là ton affaire? -Mais, mon révérend père, dit Candide, il y a horriblement de mal sur la terre. -Qu'importé, dit le derviche, qu'il y ait du mal ou du bien? quand sa hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s'embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou non? -Que faut-il donc faire? dit Pangloss. -Te taire, dit le derviche. Je me flattais, dit Pangloss, de raisonner un peu avec vous des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de l'origine du mal, de la nature de l'âme, et de l'harmonie préétablie. Le derviche, à ces mots, leur ferma la porte au nez. Pendant cette conversation, la nouvelle s'était répandue qu'on venait d'étrangler à Constantinople deux vizirs du banc et le muphti, et qu'on avait empalé plusieurs de leurs amis. Cette catastrophe faisait partout un grand bruit pendant quelques heures. Pangloss, Candide, et Martin, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d'orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu'on venait d'étrangler. Je n'en sais rien, répondit le bonhomme, et je n'ai jamais su le nom d'aucun muphti ni d'aucun vizir. J'ignore absolument l'aventure dont vous me parlez; je présume qu'en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu'ils le méritent; mais je ne m'informe jamais de ce qu'on fait à Constantinople; je me contente d'y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive. Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison; ses deux filles et ses deux fils leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu'ils faisaient eux-mêmes, du kaïmak piqué d'écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des dattes, des pistaches, du café de Moka qui n'était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss, et de Martin. « Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ? - Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice, et le besoin. »

Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s’être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons eu l’honneur de souper. - Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin Églon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baaza ; le roi Éla, par Zambri ; Ochosias, par Jéhu ; Athalia, par Joïada ; les rois Joachim, Jéchonias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d’Angleterre, Édouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l’empereur Henri IV ? Vous savez... - Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. - Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât, ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. - Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. »

Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de Mlle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. - Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »

Analyse[modifier | modifier le code]

L'errance du personnage principal est terminée : il a retrouvé Cunégonde. Ils se sont installés dans une métairie tous ensemble, mais ça ne fonctionne pas car tous s'ennuient : Martin, Cacambo, Pangloss, la vieille, Paquette et Giroflée. Il manque le baron, qui est mis dehors : il représente tous les préjugés de l'aristocratie. C'est en effet le seul qui n'a pas évolué : c'est une façon pour l'auteur de montrer que la métairie ne sera pas fondée sur les mêmes valeurs que celles du château du chapitre 1 : société fondée sur cet acte d'expulsion, ils vont donc travailler (un noble ne travaille pas). Ils vont effectuer deux rencontres.

La rencontre avec le derviche[modifier | modifier le code]

  • Il s'agit d'un derviche "fameux" et même "le meilleur philosophe". Ces superlatifs démontrent la sagesse du vieillard.
  • Pangloss et Candide parlent beaucoup (surtout Pangloss et le derviche). Sa question est métaphysique (existence de l'homme). Il est à la recherche d'un sens à l'existence de l'homme.
  • Pendant tout le livre, les personnages n'ont pas eu le temps de s'ennuyer et ont découvert le mal, ils sont maintenant confrontés à la tranquillité et l'ennui. Il y a du malheur dans les deux cas.
  • Pangloss demande ce qu'il faut faire. Il semble plus faible.
  • Sa dernière phrase avec son vocabulaire "effets et causes", "meilleur des mondes possibles" montre l'ancien Pangloss.
  • Un philosophe ne peut donc pas changer d'idée, se dédire de sa philosophie même s'il n'y croit plus car il a beaucoup souffert.
  • Candide intervient une seule fois pour dire : "il y a horriblement de mal sur la Terre" : il ne théorise pas avec des grands mots mais fait appel à son expérience. Il est lucide, il a tiré la conclusion de son expérience et est loin de l'enseignement de Pangloss.
  • Le derviche ("te taire") rejette la philosophie. Il ferme la porte au nez de Pangloss qui veut parler. Il montre ainsi la vanité des Hommes.
  • "Quand sa Hautesse (Dieu) envoie un vaisseau (la Terre) ... s'embarrasse-t-elle si les souris (les Hommes) sont à leur aise ?"
  • Le derviche dit que l'univers n'a pas été créé pour l'Homme. C'est une leçon d'humilité. Il faut être sage mais de façon réaliste : sur ce que l'on peut étudier (pas la métaphysique).

fin

La rencontre avec le vieillard[modifier | modifier le code]

  • Le monde est un chaos : il fonctionne très mal.
  • "Vizir", "muphti", "Constantinople", "étrangler", "empaler" : il est question de politique. Mais la politique du pays est catastrophique.
  • "Pendant quelques heures" : c'est de l'ironie. En fait c'est peu de choses. Les hommes ne s'intéressent pas longtemps à ce qui se passe : ils sont futiles.
  • Le Turc est indifférent à ce qui se passe, il est à l'écart de la politique.
  • Il "prenait le frais sous un oranger" : C'est une atmosphère intime, du plaisir.
  • Sa première phrase ("je n'en sais rien et je n'ai jamais ... "), "j'ignore", "je présume". Il revendique son ignorance passée, présente et future. La politique est vue comme un danger : "périssent".
  • Il formule un jugement négatif sur la politique.
  • "hommes le méritent" désigne la corruption et la malhonnêteté.
  • Il oppose à cette image celle de sa propre vie : "je me contente" (modestie, humilité, refus de la politique et de ses vices, absence d'ambition ...). Sa vie est faite de travail.
  • La question est "comment vais-je faire pour nourrir ma famille". Ce n'est pas une question métaphysique.
  • L'accumulation des noms de fruits montre la générosité du Turc, qui offre le fruit de son travail et montre l'aisance dans laquelle on peut vivre en travaillant.
  • Les "filles parfument les barbes" : tout est parfait.
  • Candide assimile la profusion avec la richesse foncière. La réponse du Turc "Je n'ai que 20 arpents, ma richesse c'est mon travail. Je les cultives avec mes enfants" : modestie et lien entre la famille et le travail. (Cette réponse annonce la dernière phrase de Candide).
  • C'est une famille différente de celle du chapitre 1 : égalité entre tous les membres qui travaillent tous et mangent les fruits de leur travail.
  • Maxime (vérité générale) : "le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin". Le travail s'oppose donc à ces trois grands maux.
    • Il a une fonction économique (éloigne le besoin)
    • Il a une fonction morale (éloigne le vice)
    • Il éloigne l'ennui

Conclusion[modifier | modifier le code]

  • Ces deux rencontres sont complémentaires : le derviche refuse la métaphysique, les bavardages (ce qu'il n'arrêtait pas de faire, mais dans le vide) et le Turc leur dit qu'il faut être actif.
  • Voltaire, dans cet extrait, démontre qu'il faut refuser la politique, la métaphysique. Ca peut être dangereux de se battre contre ce que l'on ne peut pas savoir : ça aboutit à l'intolérance et au fanatisme quand on prétend les connaître.
  • Il faut au contraire se tourner vers l'action pour rendre la vie supportable.