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Le passage à l'acte

mot clé: révolte & angoisse > agressivité > violence = terreur.

Quel être humain dans sa vie n’a pas été confronté à cette question : « Suis-je normal ? » Certaines périodes de la vie quotidienne (rupture amoureuse, adolescence, grossesse, accouchement, naissance d’un enfant, mort d’un être aimé, naissance d’un amour…) sont susceptibles de provoquer chez l’être qui les traverse des doutes plus ou moins sévères quant à la qualité de sa santé psychologique. Dans ces temps particuliers, l’être ne se trouvant plus préparé à comprendre le monde a parfois l’impression de devenir fou. Ces périodes sensibles ou critiques, nous pouvons les qualifier de « fonctionnements limites » pouvant affecter tout un chacun de façon transitoire.

Moment de bascule face à une menace sur la vie ou l'intégrité psychique du sujet, le passage à l'acte est un agir violent spectaculaire qu'il convient de replacer dans son contexte. Peut-on repérer des signes précurseurs ? Une prise en charge thérapeutique est-elle possible, notamment dans l’après-coup ? Alors que la pression sociale est forte pour évaluer la dangerosité de personnes souffrant de maladies psychiques, il est fondamental de nourrir l’approche clinique. La clinique du passage à l’acte

En dépit d’une apparence externe de normalité, l’existence interne est chaotique, conjuguant catastrophes, drames, sentiments d’impuissance et d’échec. Susceptible d’être envahi par la confusion – non qu’il ne dispose pas d’un système de bornage, mais plutôt que les lignes de partage construites par sa psyché soient poreuses et labiles – l’état limite parfois ne sait plus qui il est, qui il aime, s’il souhaite haïr ou aimer. Si les frontières de son identité sont poreuses, l’état limite – tel un « écorché vif » – en vient à se construire des murs défensifs. L’angoisse d’empiétement ou celle d’être deviné le conduisent souvent à élever des murs de mensonges, murs de la peur, murs d’images stéréotypées qui l’emprisonnent peu à peu dans une cellule dont il serait le seul gardien. Ainsi, prisonnier d’une existence à la recherche d’un sens, l’état limite va pouvoir mettre à l’épreuve certaines limites corporelles, affectives, sociales, légales, vitales. Paradoxalement débordant, ne rentrant résolument pas dans les modèles qui lui sont proposés, il questionne le rapport entre norme et folie, vérité et mensonge, amour et haine, vie et mort. En frôlant fréquemment la mort – par des défis, des transgressions, des mises en danger, des conduites auto – ou hétéroagressives (automutilations, marquages du corps, ivresses aiguës, prises de drogues, tentatives de suicide, agressions) – l’état limite ne cesse de fuir la désespérance liée au manque à être et à avoir, deux dimensions distinctes qu’il tend à confondre.Le sens ? La logique d’un parcours ? La mémoire de ses actes et de son identité ? [confusions, inconséquence, incohérence, amnésie, toxicomanies, l’agir compulsif vient remplacer l’acte élaboré par la pensée]. L’humain, en se développant, va s’organiser et se construire grâce à des opérations de délimitation. Le petit d’homme apprend progressivement à distinguer ce qui lui appartient de ce qui lui est étranger, ce qu’il désire de ce qu’il peut obtenir. Tandis que certaines limites seront imposées par l’extérieur, d’autres le seront depuis l’intérieur de la psyché ou bien par les limites du corps. Un certain nombre d’interdits peuvent être respectés, redoutés, mais pas forcément bien intériorisés. L’état limite attendra souvent que la limite soit posée par un agent de l’extérieur ou par ses limites corporelles. Il est radicalement différent de ne pas voler dans un magasin par peur du gendarme ou bien parce que sa conscience le lui interdit. Certains interdits fondamentaux comme ceux prohibant l’inceste et le meurtre doivent être intériorisés pour que perdure la civilisation. La condition humaine introduit l’homme dans la loi du « ne pas tout être, ne pas tout avoir ». L’excitation pulsionnelle, qu’il s’agisse d’attraction ou d’hostilité, doit rencontrer des butées. IV. Les limites, d’un point de vue psychopathologique : une lutte contre la confusion On ne saurait s’intéresser à la question des limites sans recourir à l’étude de la notion de « confusion ». Selon le Littré, ce substantif féminin désigne ce qui est pêle-mêle, indistinct, confondu. Terme de jurisprudence, utilisé en droit pour qualifier des qualités qui s’entredétruisent (par exemple créancier et débiteur), il signifie un mode d’extinction des obligations et implique qu’il n’y a pas d’« entente ». Le terme « confusion » renvoie à plusieurs registres : une promiscuité ; les troubles publics, l’ébranlement de l’ordre établi ; le manquement à reconnaître les distinctions, les différences, les nuances ; un défaut de l’ordre, de la clarté ; la profusion (sens vieilli), due à une grande multitude, une abondance de choses ; l’embarras, la gêne, que cause la honte de quelque faute, méprise, maladresse. L’étymologie latine, enfin (confusio), rappelle l’action de mêler, de fondre, de mélanger. Confusor, c’est aussi celui qui bouleverse, avec l’idée de brouillage, à l’opposé de la clarté ou de la netteté. Dans les différentes pistes ouvertes par cette définition, il est remarquable de noter que l’on retrouve étrangement certaines caractéristiques de l’« état limite » : la promiscuité : on notera la difficulté de ces sujets à garder la réserve d’une intimité, ou même d’une intériorité, comme si la distance sociale ou la pudeur n’existaient pas ; les troubles publics : l’état limite est bien connu dans les familles psychopathologiques pour son impulsivité, sa tendance au scandale, au passage à l’acte violent (auto – ou hétéroagressif), ses comportements compulsifs et/ou addictifs, ainsi que son potentiel à défier les lois ; le manquement à reconnaître les distinctions, les nuances : en organisant les éléments selon la règle bon/mauvais – bon lorsque l’objet cède immédiatement au désir et mauvais lorsque l’objet frustrant se dérobe à la satisfaction immédiate – l’état limite se lance immanquablement dans une fuite en avant où chaque objet frustrant est effacé, « gommé », ou remplacé par un nouvel investissement, « zappé », selon l’expression d’un patient ; la profusion : l’activité de distinction n’est pas aisée dans la profusion. Une limite (au plan temporel et spatial) appelle le manque, l’écart, l’attente, l’absence ; l’embarras, la gêne causée par quelque maladresse : viennent à l’esprit les « scènes infantiles », caprices, et les rages par lesquelles le sujet peut mettre dans l’embarras son entourage le plus proche ; confusor, ce qui bouleverse : l’état limite, comme souvent l’hystérique, se met en scène dans une dramaturgie où il se présente comme une victime. L’idée de brouillage s’impose chez les sujets qui côtoient de trop près l’état limite. Que veut-il au fond ? Quelle est sa politique de vie lorsque le moindre événement est vite vécu comme une catastrophe ? V. Comment se construisent les limites pour l’humain ? Ce que nous enseignent les mythes théogoniques des origines Comment sortir de la confusion pour fabriquer des limites qui tiennent ? À cette question, les mythes théogoniques d’Hésiode nous aident à concevoir comment les formes vivantes pour survivre et se reproduire ont dû construire des limites pour sortir du chaos originel. Les mythes qui rendent compte de l’origine de l’univers évoquent tout d’abord Chaos – nom de genre neutre – béance, abîme, gouffre où rien ne tient, rien n’a de forme, où tout est englouti dans l’obscurité sans fond. Lorsque naît Gaïa – nom de genre féminin – la Terre, un contour ferme est posé sur ce gouffre aspirant : un sol sur lequel les hommes comme les bêtes peuvent marcher. Ce plancher présente des reliefs : montagnes qui s’élèvent vers le ciel ou souterrains qui s’enfoncent vers le bas pour retrouver l’abîme. Ainsi va la terre ! Engendrée par l’abîme, elle donne une assise tout en s’appuyant sur la béance, se rattachant par le bas aux obscures profondeurs. Apparaît Éros, l’amour, force vive, pulsion érotique (impliquant la bisexualité et la dynamique du mouvement) qui permettra à Gaïa d’engendrer deux êtres, deux fils qui se complètent : Ouranos, le grand ciel nocturne, sombre, étoilé – nom de genre masculin – et Pontos, le flot marin – nom de genre masculin. La période de l’adolescence dans l’évolution d’une vie constitue souvent un temps limite où vacillent bien des repères. Entrer dans l’adolescence, c’est franchir un seuil (pubertaire, génital, relationnel) pour entrer dans la société. Le grand enfant commence à incarner son nom de famille comme potentiellement porteur d’une parentalité. Avec l’avènement de la sexualisation de l’existence, il commence à se projeter comme parent potentiel et apprend à devenir responsable de ses actes et de ses pensées. Interrogeant la souplesse et la solidité des limites, l’adolescent interroge le monde. Être adolescent, c’est commencer à se penser comme sujet et objet, à penser sa vie séparée de ses parents pour pouvoir s’autonomiser et se subjectiver. Une nouvelle distance relationnelle avec les parents est mise en place – naviguant entre le refus de l’intrusion et l’angoisse d’abandon. Le Moi doit pouvoir se faire une place entre ces deux angoisses : si on le regarde : « Qu’est ce que tu me veux encore ? » ; si on ne le regarde pas : « Tu t’en fous de moi, de toute façon tu te débarrasseras de moi… » Ces attitudes paradoxales, éprouvantes pour l’entourage proche, le sont aussi pour l’adolescent divisé, véritablement écartelé entre ses propres désirs contradictoires. Pour parvenir à se séparer du parent aimé, l’adolescent a parfois besoin de l’épreuve du dégoût. On trouve dans le film de Xavier Dolan J’ai tué ma mère (2009) une très belle illustration de cette quête de limites et de ces désirs contradictoires vis-à-vis de l’objet aimé. Tout en cherchant à prendre de la distance d’avec la mère, l’adolescent ne la lâche pas d’une semelle, l’observe étroitement : « Tu fais du bruit quand tu manges, tu me dégoûtes », etc. Les limites d’un sujet – séparatrices et unificatrices – prennent leur origine dans celles de l’autre. L’adolescent ne cesse de les tester, vérifiant avec acharnement leur solidité et leur souplesse. Pour tenter de sortir de la dépendance relationnelle, il peut construire d’autres objets de dépendance, objets toxiques de substitution qu’il a l’illusion de contrôler à sa guise. Durant cette période d’autonomisation (impliquant la séparation et l’individuation), la douloureuse problématique de la perte est réveillée. Cela explique en partie la fréquence de la symptomatologie dépressive à l’adolescence étroitement liée à la terreur de l’abandon. La perte de l’objet dans ce contexte est synonyme de perte de l’intégrité et du sentiment de continuité d’être. Durant ce temps de transformations et de métamorphoses vacillent un grand nombre de repères hérités de l’enfance. — Crise des identifications. Les parents sont démis de leur idéalisation infantile, les imagos parentales sont liquidées. Un grand nombre d’investissements hérités de l’enfance volent en éclat avant même que de nouveaux soient mis en place. L’adolescent passe d’un lien vertical (les parents) à un lien horizontal (les copains). Durant cette période, pour se démarquer de ses parents, il peut s’identifier à d’autres modèles plus provocateurs. Le groupe prend toute son importance durant cette période de crise de l’identité [Qui suis-je ?]. — Crise des valeurs. Il s’agit de trouver sa valeur propre qui n’est plus forcément en accord avec celle attendue par les parents. C’est une crise du narcissisme, de l’estime de soi, de l’amour-propre [qu’est-ce que je vaux ?]. Le déficit narcissique s’exprime souvent par un sentiment chronique de vide, d’ennui et de doute concernant sa propre valeur. — Crise du corps. Les limites du corps changent avec la puberté. Ces modifications corporelles – croissance des membres du corps, mue de la voix, naissance des poils, métamorphose des formes – articulées à la sexualisation de l’existence, bouleversent les repères fondés sur le corps infantile. L’identité personnelle étant étroitement liée à l’identité corporelle, la puberté est souvent vécue comme une effraction traumatique. Les contours changeant du corps rendent l’adolescent étranger à lui-même. — Crise de l’image de soi. Ce corps devenu méconnaissable explique le temps souvent passé devant le miroir, comme pour tenter de se reconnaître, d’accepter ces modifications. Le corps tente de s’arracher de la tutelle parentale, de prendre chair dans son existence. Pour apprivoiser ses nouvelles limites corporelles, l’adolescent pourra chercher ses « marques » à l’aide de tatouages, piercings, dreads, maquillage outrancier, qui contiennent son sentiment d’identité. La quête des enveloppes (sonores, corporelles, sensorielles) constitue souvent un réconfort pour ces adolescents en quête de limites. — Crise œdipienne. La survenue de la puberté et de la sexualisation rend désormais possible la mise en acte des vœux œdipiens. Ce qui fait limite n’est plus lié à l’âge ni aux capacités corporelles « quand je serai grand, j’épouserai maman et je lui ferai des bébés » mais à l’interdit, au système de limites posées au sein du fonctionnement familial, garantissant l’interdit de l’inceste et de la violence. Les attractions infantiles héritées de l’Œdipe inversé générant les tendances homosexuelles peuvent faire l’objet d’expérimentation. La quête d’un point de rupture. À l’adolescence, la recherche de l’excitation peut prendre une allure traumatophilique. Dans ce cas, le choc de la rencontre avec la réalité extérieure donne enfin à l’adolescent l’épreuve d’une limite, d’une butée, lui confirmant le sentiment d’exister. Certaines conduites à risque dans des comportements ordaliques peuvent être pensées comme des rituels d’initiation dans le monde des adultes. En dépit des souffrances qu’elles entraînent, ces conduites possèdent un versant positif dans la mesure où elles participent d’une tentative désespérée pour s’autonomiser, trouver ses marques, s’insérer dans un groupe et construire son identité. On peut même dire que de façon paradoxale elles peuvent protéger l’adolescent du suicide en ce sens où elles lui permettent de supporter sa vie à un moment où il ne la supporte plus. Comme nous l’avons vu, Ferenczi dans ses recherches cliniques, s’est particulièrement occupé des carences affectives vis-à-vis de l’objet primaire. De telles carences sont à l’origine des véritables blessures qui fragilisent durablement le Moi de l’enfant. Ferenczi a adopté avec ses patients une attitude réparatrice. Pour lui, la frustration comme ressort de la cure classique peut dans certains cas être nocive en ce sens, qu’elle peut répéter quelque chose du trauma originaire en reproduisant l’autorité rigide des parents, rendant ainsi le traitement « inadéquat, capricieux, dépourvu de tact, voire cruel ». De plus, cette « attente froide et muette » ainsi que l’absence de réaction de l’analyste peuvent entraver le jeu de la libre association. Il reconnaît « gâter » ses patients à la manière d’une « mère tendre qui n’ira pas se coucher le soir avant d’avoir discuté à fond avec son enfant, et régler dans le sens de l’apaisement, tous les soucis, les grands et les petits, peurs, intentions hostiles et problèmes de conscience restés en suspens » [4]. Il pose la question toujours actuelle de savoir dans quelle mesure les analyses classiques parviendront à atteindre les couches infantiles profondes de la personnalité si l’analyste ne s’autorise pas à régresser. Dénonçant l’hypocrisie professionnelle, il invite les thérapeutes à admettre leurs erreurs, à y renoncer, à autoriser les critiques des patients. Cette attitude modeste et honnête permettrait de gagner la confiance des patients – si essentielle au bon déroulement de la cure. Son importante pratique clinique avec de nombreux patients psychotiques ou « névrosés de caractère » l’amène à mettre l’accent sur d’autres types d’angoisses que celle œdipienne – névrotique par excellence – liée à la castration. Ferenczi réévalue l’importance des angoisses de nature identitaire lorsque le narcissisme a été blessé. Avec ce type de cas « rebelles » Ferenczi veut modifier la technique de soin, la rendant plus active, plus joueuse. Le 6 mai 1931, lors d’une conférence à Vienne à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de Freud, devant une assemblée de psychanalystes réservés face à ses idées nouvelles, Ferenczi tente de faire admettre la non-étanchéité des techniques entre psychanalyse d’enfants et psychanalyse d’adultes. Il propose de modifier le dispositif analytique traditionnel afin de permettre de rencontrer l’enfant dans l’adulte : « le jeu des questions et des réponses » permettrait à l’analyste de régresser plus avant avec le patient dans le jeu de la libre association. IV. Le jeu des questions et des réponses, l’interactivité de la communication clinique Ferenczi donne cet exemple : « un patient dans la force de l’âge se décide, après avoir surmonté de fortes résistances, notamment une méfiance intense, à faire revivre des événements de sa prime enfance. Je sais déjà, grâce à l’élucidation analytique de son passé, que dans les scènes revécues, il m’identifie à son grand-père. Tout à coup, en plein milieu de son récit, il me passe le bras autour du cou et me chuchote à l’oreille : “Dis, grand-père, je crains que je vais avoir un petit enfant.” J’ai alors eu l’idée heureuse, me semble-t-il, de ne rien dire tout d’abord du transfert ou d’une chose de ce genre, mais de lui retourner la question sur le même ton de chuchotement : “Oui, pourquoi donc penses-tu cela ?” Comme vous le voyez, je me suis laissé entraîner là dans un jeu qu’on pourrait appeler jeu de questions et réponses, tout à fait analogue aux processus que nous rapportent les analystes d’enfants, et cela fait un moment que ce petit tour de main marche fort bien. Mais ne croyez pas que, dans ce jeu, il me soit possible de poser n’importe quelle question. Si ma question n’est pas assez simple, si elle n’est pas vraiment adaptée à l’intelligence d’un enfant, alors le dialogue est rapidement rompu, et plus d’un patient m’a jeté à la figure que j’avais été maladroit, que j’avais pour ainsi dire gâché le jeu… » [5] Précurseur de l’idée de « l’analyse par le jeu », on se rend compte aujourd’hui à quel point l’œuvre de Ferenczi est poursuivie et approfondie dans les travaux de Winnicott. Dans « La lettre du baiser », Freud adresse à Ferenczi des critiques très sévères sur certaines de ses méthodes jugées trop « réparatrices ». Si on se réfère aux règles fondamentales de la psychanalyse, l’abstinence (de toucher) est une règle fondamentale dans le jeu analytique. La seule façon de toucher est par la parole, avec ses mots. L’abstinence de toucher dans l’acte, s’étend à une abstinence de toucher visuel – puisque dans le dispositif analytique le patient est allongé, le lien visuel est déjoué. Avec un patient limite, la position allongée est difficile, car il supporte généralement très mal d’être coupé du lien visuel. En ce sens, l’œuvre de Ferenczi est une œuvre pionnière, car il est l’un des premiers psychanalystes à aborder théoriquement – à partir de son expérience clinique – cette question du « tact psychologique » permettant au thérapeute d’engendrer le cadre thérapeutique en fonction de l’organisation psychopathologique du patient. Aujourd’hui, cette réflexion technique initiée par Ferenczi conserve toute son actualité. Ainsi, Daniel Widlöcher [6] recommande l’utilisation possible d’une communication interactive : dans la communication interactive, l’objet manquant est la réponse. Les états limites cherchent souvent un étayage dans la réaction de l’autre dont ils attendent une attitude de rejet ou d’acceptation. Widlöcher montre qu’avec un brin d’esprit, le thérapeute peut parvenir à mettre en mouvement une pensée qui cherchait à se refléter dans la réaction de l’autre. Il donne cet exemple d’une patiente hystérique souffrant de troubles d’équilibre : La patiente. – « Vous voyez, c’est toujours la même chose. » D. W. – « Effectivement, c’est toujours la même chose et c’est très préoccupant. » P. – « Enfin, le matin, ça va quand même mieux. » D. W. – « Oui mais enfin, si le progrès est limité à ce point, on se demande où on va. » P. – « Quand même, vous savez, le travail que je fais avec Mme B. (sa psychothérapeute), ce n’est pas rien. » Widlöcher souligne ici un retournement de la situation : elle ne s’attendait pas à un tel retournement de la situation, attendant une réponse du type : « Mais non, vous voyez la psychothérapie avec Mme B. avance. », ce qui lui aurait permis de dire « Je ne vois pas où ça nous mène »… Pour lui, il y a une manière d’amortir la communication, de la faire riper vers le troisième système de communication. Avec ce type de patients, la communication interactive est recommandée. V. Le modèle thérapeutique proposé par Otto Kernberg Otto Kernberg propose au thérapeute une technique de soin adaptée permettant de repérer les processus psychiques qui sous-tendent la symptomatologie et d’établir un diagnostic différentiel rigoureux, en mettant en lumière certains traits pathologiques communs à ces patients longtemps rangés sous la même étiquette plus « par défaut » que par la reconnaissance de critères précis quant à leur organisation intrapsychique. Pour réaliser ce diagnostic, le thérapeute est invité à évaluer à trois domaines précis : L’épreuve de réalité est-elle conservée ? Si oui, de quelle manière ? Quels mécanismes de défenses sont principalement utilisés par le patient ? Ces mécanismes sont-ils : de bas niveau (« primaires » ou « archaïques ») : clivage, déni, idéalisation primitive, projection, identification projective, toute puissance, dévalorisation… ; de haut niveau (« secondaires ») : refoulement, isolation, déplacement, intellectualisation, formation réactionnelle, annulation, rationalisation… Quel type de représentation le patient a-t-il de lui-même ? De son entourage ? Quel mode d’interaction le sujet utilise-t-il ? Suivant les réponses obtenues, le thérapeute identifie la structure psychopathologique qui charpente le fonctionnement psychique du sujet. Lorsque le rapport à la réalité est distordu, que les défenses sont principalement archaïques, que le patient a une représentation assez floue de lui-même (« syndrome d’identité diffuse ») et que les figures importantes de son entourage sont appréhendées plutôt sur le mode du clivage, de l’idéalisation-dévalorisation plutôt que sur le mode de l’ambivalence, le thérapeute peut – sans prendre trop de risques – poser un diagnostic d’organisation limite de la personnalité. Pour l’aider à cette tâche, il prend en considération : les informations verbales (ce qui est dit par le sujet) ; les informations non verbales (observées en dehors du langage) ; ses propres éprouvés au contact du patient (ce que l’on nomme le « contre-transfert »). Le thérapeute peut alors interpréter systématiquement les manifestations du transfert immédiat (positives et négatives), et tenter avec tact de souligner au patient ce qui peut être distordu, clivé, idéalisé, dénié, etc. dans sa perception des événements qu’il vit. Il insiste sur cette nécessité d’inclure la perception qu’a l’analyste de la « contradiction entre le réel et la réalité régressive psychique que le patient considère comme sa réalité » [7] avec les cas limites. Dans cette entreprise laborieuse, la dimension pédagogique ne doit pas être négligée, et il faudra progressivement s’attendre à ce que le patient, en se dirigeant vers l’unité, fasse l’épreuve d’une grande souffrance. En effet, plus le patient se familiarisera à un travail d’intégration psychique, plus les mécanismes de défenses archaïques qui le protégeaient de la souffrance seront malmenés, entraînant dans le même temps des états de détresse, une traversée douloureuse de l’angoisse. Au cours de cette période critique, il importe que le patient ne rompe pas le contrat établi avec son thérapeute, car, sinon, il se trouvera en danger. Cette étape difficile se présente comme paradoxale car dans un certain sens, plus le patient « ira mieux » du point de vue de l’intégration de son identité au sein d’une unité relativement stable, plus il sera susceptible d’être cliniquement « mal » et de douter, de fait, de l’aspect positif de son cheminement thérapeutique. VI. Le contre-transfert en question Les états limites – tels des adolescents avec leur parent – ont souvent tendance à malmener, ridiculiser, mettre au supplice le thérapeute. Chez ce dernier, des sentiments d’impuissance, d’incapacité, d’échec professionnel, d’immense inquiétude, de découragement peuvent alterner avec des affects d’agacement, de colère, voire d’hostilité pour ce patient impossible, cynique, ironique, provocateur et omnipotent. Étrangeté de ces patients se présentant comme si peu confiants, si insecure, clamant à chaque séance leur sentiment d’infériorité… mettant à d’autres moments en scène l’omnipotence, la tyrannie, les colères excessives. Avec ce type de sujet, le soignant est en droit de se demander avant chaque séance s’il a succombé à ses conduites à risques, s’il ne s’est pas suicidé. Il peut même en arriver à espérer qu’il ne vienne plus, qu’il disparaisse de sa vie. Dans ce type d’épreuve vécue par le thérapeute, il lui importe d’analyser attentivement ses affects contre-transférentiels qui lui donneront des indications sur le monde interne du patient. Si la personnalité du sujet borderline est organisée autour de la terreur de la séparation, du danger de la perte, l’état limite sera continuellement confronté à une menace double : celle de perdre son identité personnelle précaire (souvent fusionnée avec quelqu’un d’autre) et celle de perdre une relation interpersonnelle fragile (en se réfugiant dans un repli autistique psychotique). Dans ces cures difficiles, le thérapeute peut faire l’expérience d’une sorte de renversement des positions analytiques habituelles. Dans une configuration névrotique, l’interprétation de l’analyste est censée provoquer un effet de rupture dans le ronron narratif rationnel de l’analysant. Avec les états limites, le thérapeute peut être surpris de parler autant en séance, avec l’impression de se déverser en l’autre, dans son vide aspirant. Ce bain de parole permet parfois au patient d’interrompre le thérapeute pour dire : « Ce que vous dites, ça me fait penser à… » Corinne Ehrenberg [8] note avec justesse les sentiments d’impuissance, d’épuisement, de furor sanandi pouvant être éprouvés : « Le psychanalyste est parfois sollicité au-delà de ce qu’il peut tolérer. On en vient même à se demander comment “être” et non plus seulement comment écouter, car c’est toute la personne qui est engagée dans le transfert ». L’analyste se tient sur une ligne de crête assez inconfortable pour rester neutre et non excitant tout en donnant de sa personne : ni du côté de ce que Ferenczi a pu appeler l’hypocrisie professionnelle, après que ses patients lui en ont fait le reproche, une sorte de faux-self analytique qui lui ferait supporter l’insupportable sans se départir d’une pseudoneutralité bienveillante, ni du côté d’un furieux désir de guérir qui est en réalité un désir de réparer et qui entraîne automatiquement une neutralisation de la potentialité thérapeutique de son activité [9]. » Au cours de ces cures, l’analyste doit faire le pari de familiariser progressivement le patient à une logique affective la plus honnête possible, pour le mettre au contact d’une parole qui s’efforce de choisir chacun de ses mots avant de parler. Le temps passé dans l’après coup devient aussi important que celui vécu in vivo dans le déroulement de la séance. Dans ces psychothérapies, la création d’un espace psychique temporel potentiel – permettant la fabrication d’une présence sur fond d’absence (et inversement) – devient l’enjeu déterminant. Dans ces échanges éprouvants, le thérapeute expérimente une patience qui rencontre des limites. Parfois trop attaqué frontalement, le thérapeute ne peut plus écouter. Le thérapeute en quelque sorte devient patient. Pour Simone Korff-Sausse : « Ce qui compte, ce n’est pas seulement le contenu de l’interprétation, mais encore le processus par lequel elle se construit. Au moyen d’un autre appareil psychique, l’interprétation rend pensable des émotions qui n’avaient pas pu être partagées. » [10]. Cette dimension émotionnelle de partage dans la parole psychothérapique est essentielle.

Les personnalités dites « orales » Une personne adulte fixée au stade oral dans la construction de sa personnalité sera dominée dans ses besoins, ses envies, ses comportements par les pulsions orales mal jugulées. Sur le plan amoureux, elle cherchera à communier et à s'unir à l'autre de façon fusionnelle et sera très et sera très dépendante de l'être aimé. D'autres traits se retrouvent chez ces personnalités : la peur de la solitude, l'impatience, le « tout ou rien » dans ses choix, le principe de plaisir dominant sur le principe de réalité ; avec, en amour, une certaine tyrannie de la demande, un investissement massif plaçant la sexualité au second plan par rapport à la présence et à la relation amoureuses, la recherche du grand amour, l'importance accordée à l'expression des sentiments amoureux et aux preuves d'amour, et enfin un rapport distancié avec l'argent (mauvaise gestion, dépenses excessives).e caractère exigeant et égocentrique de l'adulte dominé par l'oralité s'accompagne parfois d'une forme de sadisme (en écho au plaisir primordial de la morsure) se manifestant dans la tendance à vouloir imposer immédiatement aux autres sa volonté. Mais la pulsion orale n'est pas la seule concernée par les troubles du comportement alimentaire en lien avec les émotions.

 Le caractère exigeant et égocentrique de l'adulte dominé par l'oralité s'accompagne parfois d'une forme de sadisme (en écho au plaisir primordial de la morsure) se manifestant dans la tendance à vouloir imposer immédiatement aux autres sa volonté.