Utilisateur:Lostinthiswhirlpool/Brouillon Germaine Montero

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Germaine Heygel est née à Paris le 22 octobre 1909 d’un père alsacien et d’une mère normande. Manifestant très tôt des talents musicaux, elle étudie le piano, le violon et le chant, encouragée par des parents qui envisagent pour leur fille un avenir à l’opéra. Puis durant son adolescence, elle part à Valladolid pour apprendre l’espagnol, langue qu’elle parlera couramment. Et comme son père est nommé au corps consulaire en République Espagnole, la famille s’installe à Madrid en 1932. C’est là que le théâtre s’empare de la jeune femme qui, à 23 ans et sous un nom hispanisant, Montero, débute sur les planches. Elle interprète les grands classiques : Lope de Vega, Calderón, mais aussi Federico García Lorca sous la direction du poète lui-même. Celui-ci a été nommé en 1931 directeur de la société de théâtre étudiante qui subventionne une organisation, La Barraca, chargée d’effectuer des tournées dans les zones rurales des provinces espagnoles pour y présenter le répertoire classique. Entrée dans la troupe, Germaine profite de ces tournées dans le pays profond pour y découvrir et recueillir des chansons populaires, dont elle fera plus tard un brillant usage !

De retour en France après la défaite des Républicains (et l’assassinat de García Lorca), elle se révèle au public en participant à la création de la comédie-ballet de Jean Anouilh (musique de Darius Milhaud), « Le Bal des Voleurs », mise en scène d’An-dré Barsacq, dont la première a lieu le 17 septembre 1938 au Théâtre des Arts. Elle joue le personnage d’Eva aux côtés de Jean Dasté, André Schlesser, Maurice Méric, Michel Vitold et Madeleine Geoffroy parmi les principaux rôles. On la découvre également dans des adaptations françaises du théâtre espagnol : « Fuenteovejuna (Font aux cabres) « de Lope de Vega (en 1937), et « Bodas de sangre (Noces de sang) » de García Lorca (en 1938), mise en scène de Marcel Herrand, au Théâtre de l’Atelier. Celui-ci l’ayant souvent entendu chanter, pour son plaisir et celui de ses amis, des airs traditionnels d’Espagne, fait son éloge auprès d’une certaine Agnès Capri qui anime un cabaret d’un genre nouveau au 5 de la rue Molière. Bien qu’elle n’ait jamais jusqu’à présent envisagé de chanter en public, Germaine Montero est enrôlée « pour quelques soirées »… qui durent deux saisons (1938-39). Sa voix forte, sans effets, sa façon de respecter avec beaucoup de rigueur et de naturel les musiques et les textes auxquels ses talents de comédienne donnent une dimension tragique, font grande impression. Toutefois, elle doit s’en tenir à son répertoire espagnol malgré les sollicitations de Jacques Prévert… car c’est la patronne qui se réserve les chansons du poète du groupe Octobre !

Parallèlement à son activité cabaretière, elle entre à la Radiodiffusion Nationale dans l’équipe de Jean Cassou qui, à la déclaration de guerre, est responsable des émissions destinées à l’Amérique Latine. Et c’est avec toute l’équipe que Germaine Montero est officiellement « évacuée » sur Bordeaux. Qu’y faire ? Elle rejoint Joseph Kosma qui se trouve à Palavas-les-Flots. Ensemble ils montent un tour de chant « Prévert » — le compositeur est au piano — qu’ils présentent, en 1941/42, dans les cabarets de la zone dite libre qui demeure très active sur le plan artistique : Nice (Le Perroquet), Cannes (Le Relais), Marseille (Chez Marianne Michel)… Le duo propose des chansons inédites et souvent déroutantes pour la plupart des spectateurs : Et puis après-Je suis comme je suis, Page d’écriture, En sortant de l’école… À la Radio Nationale, Germaine incarne Scarlett O’Hara dans le feuilleton « Autant en emporte le vent », qui compte Pierre Brasseur parmi les comédiens.

En 1941, elle fait ses débuts au cinéma (1), aux côtés de Micheline Presle, Tino Rossi, Charles Vanel et Pierre Brasseur, dans « Le Soleil a toujours raison » de Pierre Billon. L’année suivante elle passe en Suisse, pays natal de son mari, où elle présente son tour de chant au cabaret (Chez Gilles-Au Coup de Soleil) et à la Radio Suisse Romande. À l’été 1944, elle effectue ses premiers enregistrements pour le label suisse Élite Spécial : Maria la o, Jota (2), C’était un petit noir et C’était un jour de fête emprunté à Édith Piaf. La chanteuse semble ne conserver aucun souvenir de ces deux disques. Entre temps, elle a dû croiser Carco, Renée Lebas et Philippe-Gérard. Né en 1924 à Sao Paulo, ce jeune pianiste et compositeur français a effectué des études musicales à Paris, encouragé par Maurice Ravel. Pendant l’Occupation, il s’est, lui aussi, réfugié en Suisse (il est juif) et poursuit ses études au conservatoire de Genève sous l’autorité du chef d’orchestre Paul Paray qui le présente à Stravinsky. Il rencontre Francis Carco qui l’encourage à composer ses premières chansons pour Renée Lebas et Germaine Montero. Il commence à travailler dans les studios en 1945 à son retour à Paris, les débuts d’une carrière prolifique qui le verra participer à d’innombrables séances d’enregistrements, en particulier celles de Montero, et composer des centaines de chansons et des musiques de films.

Rentrée à Paris dès la Libération, la chanteuse donne un « Récital Germaine Montero » au Théâtre de l’Athénée (prêté par Louis Jouvet) le 27 juin 1945, mêlant Prévert et Kosma avec son large répertoire de chansons populaires espagnoles — au piano les compositeurs Philippe-Gérard, Joseph Kosma, Luigi Campolieti. À partir de 1949, elle chante à nouveau dans quelques cabarets : Le Quod Libet puis le Milord L’Arsouille de Francis Claude, Chez Gilles, et un retour chez Agnès Capri en 1950/51.

Mais ce sont d’autres scènes qui l’accaparent, celles des théâtres où s’affirme son grand talent de comédienne. Elle retrouve tout d’abord Marcel Herrand qui met en scène « Divines paroles », une pièce espagnole de Ramón María del Valle-Inclán au Théâtre des Mathurins en 1946.

Puis, en 1947, ce sont les débuts de sa collaboration avec Jean Vilar qui assure la direction artistique d’« Une Semaine d’Art en Avignon » ; trois créations dramatiques sont au programme. La semaine, qui se déroule du 4 au 10 septembre au Palais des Papes, sera considérée rétrospectivement comme le premier festival d’Avignon. Germaine joue dans deux pièces : « La Terrasse de midi » de Maurice Clavel (reprise l’année suivante au Vieux Colombier), et « La Tragédie du roi Richard II » de Shakespeare. À nouveau en Avignon en 1949, Germaine Montero reprend « La Terrasse de midi » et joue également « Pasiphaé » de Montherlant. Puis elle retrouve André Barsacq, directeur du Théâtre de l’Atelier depuis 1940, dans « Le Pain dur » de Paul Claudel en 1949, et « Henri IV » de Luigi Pirandello, à l’Atelier donc, avec Jean Vilar dans le rôle-titre.

Le TNP (Théâtre National Populaire) est créé en 1951, et la comédienne-chanteuse rejoint la troupe de Jean Vilar pour la grande épopée de « Mère Courage » de Bertolt Brecht, dont elle tire la charrette de théâtres de banlieues — la 1ère a lieu à Suresnes le 18 novembre, Colombes et Gennevilliers suivent — en chapiteaux (portes de Montreuil et Maillot). À ses côtés Gérard Philippe (Eilif), Jean Négroni, Jean Le Poulain, Monique Chaumette, Charles Denner, Jean-Paul Moulinot… L’orchestre est placé sous la direction de Maurice Jarre, et les costumes sont imaginés par Édouard Pignon. Germaine Montero en a été l’instigatrice. « Quand j’avais amené à Vilar la pièce inédite de Brecht, il avait décidé de la monter immédiatement. » Les débuts furent difficiles, comme le rappelait Jean Vilar : « Ce fut un échec à Suresnes, lorsque nous jouâmes cette pièce pour la première fois. « Œuvre communiste », criait-on. “Œuvre qui insulte l’armée, œuvre d’un Allemand de l’Est”. Il y eut un rapport au Sénat sur nos représentations. » Vilar faillit être démissionné. Mais, après le Palais de Chaillot où elle triomphe au TNP, la pièce tourne ensuite un peu partout en France (et à Genève) avant de d’atterrir à Avignon au bout de 104 représentations. La critique est enthousiaste. « Madame Montero déploie, dans un rôle écrasant, d’immenses qualités de comédienne authentique, des dons consacrés de chanteuse. Elle se montre tour à tour avec un égal bonheur sensible, combative, truculente, émouvante, odieuse… » écrit Jean Vigneron dans La Croix, accompagné par toute la presse, du Figaro (Jean-Jacques Gautier) à L’Humanité, en passant par Le Monde et L’Observateur. Après « L’Échange » de Claudel, mis en scène de Jean-Louis Barrault, au Théâtre des Célestins à Lyon en 1952, elle poursuit sa carrière théâtrale.

Mais à côté de cette voie, Germaine Montero va également suivre deux chemins parallèles. Tout d’abord, et c’est une attitude que l’on doit souligner, elle croit au disque. Accueillie par Renaud de Jouvenel au Chant du Monde, elle « enregistre ce qui lui plaît ». Elle commence en 1948 par Prévert et Kosma dont elle a depuis plusieurs années rôdé le répertoire, accompagnée par Philippe-Gérard au piano. Cinq poèmes mis en chansons répartis sur deux 78 tours : Je suis comme je suis (re-titré Et puis après), Et la fête continue, extraits de « Paroles », Chansons pour les enfants l’hiver et En sortant de l’école qui terminent le recueil « Histoires », et Les Enfants qui s’aiment, qui sera publié dans « Spectacle » (3). Mais ce n’est qu’en 1952, à 43 ans, alors qu’elle a quasiment abandonné le cabaret, que sa carrière phonographique commence vraiment avec un album de chansons traditionnelles espagnoles, « Paseando por España ». Ce microsillon 33 tours 17 cm obtient d’ailleurs le Grand Prix du Disque en 1953. « L’Espagne ne découvre volontiers, à la curiosité vulgaire, qu’un aspect de son multiple visage : le pittoresque andalou généralement frelaté, écrit Roland Manuel qui ajoute : Germaine Montero nous apporte bien autre chose. Elle nous propose, comme une guirlande rustique, un cycle de chants populaires où s’harmonisent les brûlants contrastes de la vie et de l’âme ibérique. (…) Ces chants, nés du cœur de la terre et du sang de la race, sont de ceux qui se refusent à tout accommodement. Ils défient la transcription. Il suffit de les entendre chanter par Germaine Montero pour se persuader que l’interprète les a pris à la source — qu’elle les tient de tradition orale. (…) Musicienne d’infaillible instinct, tragédienne de haut métier, Germaine Montero nous rapporte, avec une fidélité brûlante, ces secrets arrachés à la muse populaire. »

Les orchestres sont présents dans le studio (on ne re-recorde pas !), avec au piano et à la baguette le plus souvent Philippe-Gérard, ou Salvador Bacarisse pour la musique espagnole. L’enregistrement en direct est source de pur plaisir. En 1953, Le Chant du Monde édite un autre petit 33 tours comprenant un choix de chansons de « Mère Courage ». Quatre sont interprétées par Germaine Montero, deux par Jean-Paul Moulinot (4).

Elle assure également la création en 1952 de deux « Chansons pour accordéon » de Pierre Mac Orlan : La Fille de Londres et La Chanson de Margaret, prélude à une riche collaboration entre l’auteur et son interprète, collaboration qui s’illustre notamment sur les ondes.

Car à la radio, « elle est chez elle ». C’est le règne, inimaginable aujourd’hui, des grands patrons : Paul Gilson, Jean Tardieu. Donc, Pierre Mac Orlan, dont six « Chansons de soldats » tirées des « Chansons pour accordéon » (5) ont été mises en musique par Marceau et créées par Laure Diana, lui apporte son répertoire. Ils feront ensemble d’étonnants voyages immobiles dont témoigne le seul micro de la Radiodiffusion Française : La Chanson de mes villes, Chansons pour les beaux jours. Celle que Mac Orlan considérera comme étant sa meilleure interprète donnera heureusement au disque d’autres « Chansons de charme pour temps difficiles », toujours tirées du même recueil. Après La Chanson de Margaret et La Fille de Londres, Germaine Montero créera Le Pont du Nord (1954) puis Rue Saint-Jacques (1955), Chanson Rhénane (en 1965 seulement), et Rue de Chiaia (qu’elle ne déposera jamais sur un disque !). Au total, vingt-trois chansons de Mac Orlan seront enregistrées par Montero jusqu’en 1965, certaines à plusieurs reprises. L’auteur ne manqua jamais d’insister sur la qualité des interprétations de sa chanteuse : « J’ai déjà beaucoup écrit sur la personnalité de Germaine Montero et, toujours, j’ai commencé mes textes par ce détail, important pour moi, qu’elle fut la première à donner sa confiance aux paroles de mes chansons. Ce n’était pas une confiance de tout repos. Mais l’art de la grande comédienne réuni à une parfaite compréhension de la poésie populaire, presque toujours secrète, lui permit de gagner le jeu souvent difficile des mots. »

En 1954, elle participe à un feuilleton de 38 épisodes réalisé par Bronislaw Horowicz, « Les Mystères de Paris » d’après Eugène Sue. La musique est de Georges Van Parys et Germaine interprète notamment le long indicatif en forme de complainte, dont l’INA a conservé une trace. Quelques décennies plus tard, l’homme de radio témoignera encore avec émotion du grand professionnalisme tranquille de la chanteuse-comédienne.

Actrice, elle poursuit par ailleurs, pendant les années 50, une petite carrière au cinéma où, si elle occupe parfois les premiers rôles, on ne lui proposera jamais de composition à sa mesure : « Lady Paname » d’Henri Jeanson (1949), avec Suzy Delair, Jane Marken et Louis Jouvet, « Casimir » de Richard Pottier (1950), avec Fernandel (!), « Opération Magali » de Laslo V. Kish (1952), avec Raymond Souplex et André Le Gall, « Monsieur Ripois » de René Clément (1954), avec Gérard Philippe et une distribution anglaise (Natasha Parry, Valerie Hobson), où elle chante La Chanson de Margaret, « Treize à table » d’André Hunebelle (1955), avec Micheline Presle et Fernand Gravey, « Les Jeux dangereux » de Pierre Chenal (1958), avec Pascale Audret et Jean Servais, etc. Plus tard, on la verra notamment dans « Le Masque de fer » d’Henri Decoin (1962), avec Jean Marais, Jean-François Poron, Gisèle Pascal et Jean Rochefort, plus de petits rôles dans « Mélodie en sous-sol » d’Henri Verneuil (1963), «La Curée» de Roger Vadim (1966), « Robert et Robert » de Claude Lelouch (1978), et quelques autres productions moins notables. Elle apparaîtra enfin dans le film espagnol « El sur » de Víctor Erice en 1983, et dans « Stress » de Jean-Louis Bertucelli en 1984.

À cette modeste filmographie, il convient d’ajouter quelques traces uniquement sonores. En 1945, le film documentaire « Aubervilliers », réalisé par Eli Lotar, fait entendre trois chansons de Prévert — écrites pour le film, elles seront rassemblées dans « Spectacle » — que se partagent Germaine Montero et Fabien Loris. Resté inachevé en 1936, le film « Une partie de campagne » de Jean Renoir ne sort sur les écrans qu’en 1946 ; une chanson de Montero fait évidemment partie des éléments rajoutés (musique de Kosma). En 1954, elle interprète deux chansons (de Le Seyeux et Van Parys) dans le film « La Belle Otero » de Richard Pottier, avant une pièce plus forte et plus marquante, La Complainte des assassins, chanson générique de « Voici le temps des assassins » de Julien Duvivier (1956), musique de Jean Wiéner ; ces trois chansons seront enregistrées sur disque. On entend également la voix de la comédienne dans deux documentaires : « Paris mange ton pain » de Pierre Prévert (1958), et « Mourir à Madrid » de Frédéric Rossif (1962). Elle intervient enfin dans le film de Jacques Rutman, « Jean Vilar, une belle vie » (1972).

Germaine Montero avait d’ailleurs retrouvé Vilar et la troupe du TNP pour de nouvelles aventures de la «Mère Courage» aux festivals d’Avignon 1959 et 1960, avant la reprise de « Noces de sang » en 1963, mise en scène de Bernard Jenny, qui tiendra l’affiche trois saisons consécutives au théâtre du Vieux Colombier. Elle enchaînera avec « La Maison de Bernarda Alba », le troisième volet de la trilogie rurale de Lorca — « Noces de sang » étant le premier — au théâtre Récamier en 1966, mise en scène de Jacques Mauclair. Ce sera sa dernière apparition sur une scène de théâtre. Elle décide en effet de quitter les planches pour ne plus se consacrer qu’à la radio où elle participe à de nombreuses dramatiques jusqu’aux années 70. On la voit également à la télévision dans « Henri IV », réalisé par Claude Barma en 1961, une première pour le TNP, où Germaine Montero (Donna Mathilde) partage l’affiche avec Jean Vilar, Jean-Paul Moulinot et Dominique Paturel (6), puis dans l’adaptation de « La Machine infernale » de Jean Cocteau réalisée par Claude Loursais en 1963 ; elle y joue Jocaste aux côtés de Claude Giraud (Œdipe) et Sylvia Monfort (le Sphinx) (7).

Et la scène « chantante » dans tout cela ? Germaine se signale par un passage à l’Olympia en décembre 1956 (qui fit l’objet d’un disque) et… une absence « remarquée » sur la Rive Gauche de la Seine. Hormis une apparition à La Fontaine des Quatre Saisons des frères Prévert, elle abandonne très vite la vie des cabarets. On aura donc peu vu Germaine Montero chanter sur scène.

Par contre, sa discographie est conséquente. Suite au disque « Mère Courage », elle quitte le Chant du Monde et, après une participation à un disque Decca « Chansons de Jacques Prévert et Christiane Verger » avec trois poèmes tirés d’« Histoires », elle signe avec Pathé à la fin de l’année 1953. C’est là que ses choix éclectiques, souvent surprenants, vont se manifester à merveille. Répertoires et auteurs des plus variés et de toutes les époques vont se côtoyer dans des « super » 45 tours et surtout dans des 33 tours 25 cm thématiques. Tout d’abord « Paris et sa banlieue » (8), puis le répertoire d’Aristide Bruant qu’a bien connu Pierre Mac Orlan : « Dans les œuvres du poète de la rue que Germaine Montero anime en reconstituant le décor par le ton même de sa voix, une certaine grandeur, une certaine dignité se mêlent aux occupations déplorables de ces hommes et de ces filles, les uns promis à la guillotine (…), les autres à la déchéance absolue. » L’Espagne n’est pas oubliée avec un second recueil de chansons populaires en 1954, que suivent deux albums de poèmes et chansons de Federico García Lorca en 1955. « Plus que tout autre, Lorca croyait en la force évocatrice et musicale de la diction, écrivait Lucien Adès. Musicien détourné de sa vocation, il n’a cessé sa vie durant de plaider, à travers son œuvre, la cause de la musique sans qui la poésie lui semblait mutilée. » Suivent dix chansons de Béranger, et des 45 tours consacrés à Mac Orlan, à Léo Ferré, à Louis Ducreux, sans insister sur une pléiade de chansons de toutes sortes (9) qu’elle interprète toujours avec un goût très sûr, un placement et une diction exemplaires, une justesse jamais mise en défaut, bref, avec du style. On pourrait presque affirmer qu’elle conjugue à elle seule toutes les qualités de ses jeunes consœurs qui fonctionnent dans les mêmes registres : l’allant de Catherine Sauvage, la pureté de Cora Vaucaire, la gouaille fragile de Patachou… voire la distance complice un peu canaille de Juliette Gréco ! Toutes ses interprétations ont du caractère, même si elles sont déjà, ou plus connues par d’autres.

En 1959, la chanteuse passe chez Véga et, après un surprenant (?) hommage à Fréhel en quatre chansons, retrouve Lorca et de larges extraits du « Poema del Cante Jondo » écrit en 1921. « Germaine Montero (…) prête sa sensibilité et l’âpre beauté de sa voix à cette anthologie parlée du Cante Jondo. Elle a choisi la forme bilingue ; la plus complète, la plus vivante, la plus honnête pour la restitution parlée de textes étrangers. (…) Les mots revêtent ainsi (…) leur sens réel de notes de musique, coulant et frappant, roulant et diaprant, dans le rythme des phrases. Le message du poète précède ainsi celui du conteur, le prétexte s’efface dans le clair-obscur du thème pour mettre en lumière le diamant des mots (texte de pochette de Lucien Adès). » Elle s’attaque ensuite au répertoire de variétés madrilènes des années folles ! Puis ce sont les chansons de Xanrof, autrefois marquées par la voix indélébile d’Yvette Guilbert, de Van Parys et d’autres auteurs, avant de retrouver Prévert. Retour chez Pathé en 1965 où elle (ré)enregistre, pour sa filiale Trianon, quasiment tout son répertoire Mac Orlan. Elle fera de même avec Bruant en 1969 à nouveau pour Véga. Juste avant, en 1967, nous la retrouverons au Chant du Monde, dans une version plus complète de « Mère Courage » (en 33 tours 30 cm), que suivra une « Présence de Lorca » : retour à ses débuts espagnols et fidélité à la péninsule durant toute sa carrière.

Germaine Montero obtient un Grand Prix « In Honorem» de l’Académie Charles Cros en 1970 et tire un trait définitif sur le disque. Retirée dans la sérénité du petit village de Saint-Romain-en-Viennois (Vaucluse) près d’Orange, Germaine Montero s’éteint le 29 juin de l’an 2000 à l’âge de 91 ans, après avoir supervisé, peu de temps auparavant, la réédition d’un double-compact de ses chansons enregistrées dans les années 60 (10). Elle est inhumée au cimetière de Montrouge. Jean Buzelin et Marc Monneraye © Frémeaux & Associés

Remerciements particuliers à Matthieu Moulin et à Jean Weber. Photos : collections Jean Buzelin et Marc Mon-neraye.


Notes : 1) Certaine source discutable mentionne sa présence dans « Sapho » de Léonce Perret en 1934 ; aurait-elle donc quitté l’Espagne à cette période ? 2) Le 78 tours ES 4278 demeure introuvable. 3) Elle réenregistrera les cinq mêmes chansons en 1952, toujours pour Le Chant du Monde. Ces versions figurent dans le CD consacré aux débuts de la carrière de Germaine Montero : Chansons à mon plaisir (EPM 985262). 4) Un grand disque, beaucoup plus complet, sera enregistré en 1967. 5) Le recueil est publié chez Gallimard en 1953. 6) Cf. DVD des Grandes heures du TNP (Rym Musique 301759-0). 7) Elle jouait déjà le même rôle en 1954 dans l’adaptation radiophonique d’Henry Soubeyran, avec Jacques Dacqmine et Maria Casarès. 8) Neige sur la ville, Mon pot’ le Gitan, la Chanson de Bagatelle et Le Pont du Nord de Mac Orlan figurent dans cet album. 9) Ainsi les chansons de marins réunies sur le 45 tours « Par vents et marées » : Chanson des Saintes-Maries-de-la-Mer de Mac Orlan, Les Marins de Groix, Nous irons à Valparaiso, et Le Bar de la femme sans tête de Marcel Saint-Martin. Colette Renard, Édith Piaf… et Germaine Montero chantèrent les œuvres de ce photographe, peintre et poète landais. 10) Chansons espagnoles, chansons de Prévert… (Rym Musique 1919472).