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Utilisateur:Couacprod

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Manifeste discutable et superficiel du 03/03/09

 Blaireau : (1841, arg. milit. « conscrit, bleu ») FAM. Personnage naïf, insignifiant ou ridicule (==> bouffon) (Le petit Robert)

« Quand le cerveau se laisse envahir par la graisse… » A.Tarkovski.(Citation incomplète et inappropriée)

Je déclare appartenir à une génération de blaireaux. Une génération qui a grandi devant la télévision, Internet, les jeux vidéo et son téléphone portable. Une génération qui parle à voix haute au cinéma pendant la séance. Une génération qui écoute du Mozart en .mp3 et regarde du Fellini en .divx. Une génération qui s’ennuie d’un film s’il n’est pas monté comme un clip ou une pub. Car nous avons sans cesse besoin d’être distrait et sommes incapables de nous concentrer très longtemps, aussi, dans le soucis de me faire entendre de tous, j'essaierai autant que possible d'être bref, vague et superficiel. Ns ne lizon plu ou tres pe et ne savon plu ns exprimé corectemen. Notre orthograf est deplorable et érité du langage SMS. Notre vocabulaire est limité et aproximatif. Pour doné + de consistense a no propo ns zétoffon nos frazes 2 : « j’avoue », « t’as vu », « putain », « franchement », « C chaud »… Et ns n’hezitons pa a porter 2 serieu kou en 2sou de la s1tax. 1si, si j’arive en retard a la fac, je n’auré pa honte de dire : « Chuis désolé M’dam, mais la salle chavais pas C où ». L’écologie nous concerne et l’extrême droite nous débecte mais nous n’avons pas de réelles convictions politiques. Nos repères en la matière sont flous et hasardeux. La plupart d’entre nous sont désabusés et aucun des partis actuels ne semblent nous correspondre. Leurs représentants ne défendent pas un idéal, mais leur image de candidat. De plus en plus, la politique donne l’impression de n’être qu’une branche du « Showbizness ». Par ailleurs, les dirigeants semblent subir plutôt que contrôler la situation. Donnant au monde l’aspect d’une dictature qui chercherait encore son tyran. Nous consommons la culture comme s’il s’agissait d’un produit. Au cinéma, les courts-métrages avant les séances ont été remplacés par des publicités et des bandes-annonces. Hollywood règne en maître avec des films de série B aux budgets colossaux. Ce cinéma est généralement dépourvu d’audace car c’est le public qui en est le centre et non le film. À l’opposé, une élite d’« auteurs » continue de se branler la nouille au Festival de Canne en se récompensant entre eux. Le reste de la production audiovisuelle n’a aucun poids et manque cruellement d’appuis financiers. De plus en plus de films sont tournés chaque année, mais la plupart d’entre eux disparaissent une semaine après leur sortie, voire ne sont tout simplement pas diffusés. Dans ce contexte figé, les productions se ressemblent toutes et nous avons développé un attrait particulier pour les films foireux de séries Z dont les ratages et la débilité constituent souvent un bien meilleur spectacle. Nous n’écoutons plus de musique mais du « son », que l’on télécharge par gigas sur Internet. Beaucoup d’entre nous pourraient laisser tourner leur lecteur mp3 pendant plusieurs jours en continu sans jamais retomber sur le même titre. Néanmoins, comme souvent, perdus face à l’étendue du choix, nous nous retrouvons à toujours écouter la même chose. En quelques années, nous avons ruiné l’industrie du disque, forçant les artistes à se produire plus fréquemment sur scène. La photographie, les arts plastiques, la poésie, la danse et la littérature nous sont globalement étrangers. Au théâtre, nous allons principalement voir des « humoristes», qui soit dit en passant, en France en tout cas, sont devenus de bien meilleurs prescripteurs que les acteurs eux-mêmes. Les moyens techniques se sont démocratisés. Les caméras vidéos sont de plus en plus répandues chez les particuliers. La révolution multimédia et le piratage permettent à chacun de disposer de logiciels professionnels et performants. Internet et le Web 2.0 assurent une diffusion en masse pour ces vidéos faites maisons. Sur Dailymotion, tout le monde est logé à la même enseigne. Les amateurs, les professionnels, les amateurs qui tentent d’imiter un rendu professionnel et les professionnels qui utilisent un rendu amateur dans des pubs virales. Tout est brouillé, s’entremêle et encore une fois la liberté devient contrainte. Face à cette avalanche de vidéo, nous choisirons en priorité ce qui est court et de préférence débile ou spectaculaire.

Notre ignorance est préoccupante car la culture est indispensable afin de lutter contre la manipulation. Mais je ne suis pas non plus un de ces cyniques résignés et médiocres qui pensent que rien ne peut plus changer. Je crois réellement que nous sommes une génération unique et valable. Je n’ai pas honte d’être un blaireau et suis fier de faire en sorte de ne plus l’être. Par contre, je tenterais toujours de conserver cette inconscience passionnée qui nous permet d’être sincère sans être grave. Il est donc capital de se réapproprier ce qui aujourd’hui nous effraie et ne nous paraît pas abordable : la culture. Pour ce faire, nous devons nous y frotter sans plus attendre et pour notre plus grand plaisir, nous commencerons certainement par dire des âneries.

D’autre part, je pense que l’art repose en partie sur l’émotion et j’ai la prétention de croire que celles que j’ai éprouvées dans ma vie, si banale qu’elle soit, sont aussi fortes et aussi intenses que celles des personnages de fiction. Selon moi l’émotion qui s’empare de nous devant une œuvre n’est donc jamais nouvelle, et nous l’avons forcément déjà ressentie dans notre propre vie. À nous, donc de les débusquer dans nos vies pour les porter à l’écran.

Il est important qu’au moins une partie du cinéma aujourd’hui s’affranchisse de la pression des décideurs, distributeurs et autres diffuseurs, et acquiert finalement une liberté que n’aura jamais une industrie.

1. Nous devrons réussir à être complètement autonomes et pouvoir tourner nos films sans argent, sans moyens techniques et sans mêmes techniciens, ni acteurs professionnels. 2. Nous ne tenterons pas d’imiter un rendu professionnel avec des moyens amateurs mais à justifier ce rendu amateur. 3. Nous ne chercherons pas non plus à nier l’existence de la caméra et assumerons l’intégralité du dispositif. 4. Chacun sur le tournage sera susceptible de passer à la fois devant et derrière la caméra. 5. Rien ne sera totalement écrit. Rien ne sera totalement joué. 6. Tout sera mis en œuvre pour qu’au moment du tournage, nous ayons toutes les chances d’assister à une situation intéressante, porteuse de sens et d’émotions. La notion de « pari » est capitale. 7. Ces principes ne sont pas des règles et ne doivent en aucun cas devenir gêner la création.

Pour finir, je ne remettrai pas en cause notre légitimité puisque à l’heure actuelle, notre génération n’est pas représentée au cinéma. Non, ce n’est pas parce que nous ne savons pas nous exprimer que nous devons nous taire. Non, ce n’est pas parce que nous sommes ignorants que nous n’avons rien à dire. Et nous pourrons toujours au moins tenter d’exprimer, à quel point il est pénible et rageant de, justement, ne pas savoir s’exprimer correctement.

Chaque œuvre doit être un cri, un appel au secours, un caprice ou une insulte. Je veux retrouver dans l’art le chaos du monde, la débilité touchante de notre génération, sa délicate insouciance, sa spontanéité généreuse, l’arrogance capricieuse de celui qui réclame, la fraîcheur de l’esquisse, la fébrilité du changement, la naïveté et l’audace de celui qui croit inventer et la désinvolture provocante de celui qui bâcle. Car désormais, nous serons la règle et confirmerons l’exception.

« Parfois, la tête penchée en arrière, je regarde le ciel en lui montrant les dents. J’ai l’impression qu’elles sont plus longues, plus acérées et plus nombreuses. J’ai envie de mordre la vie jusqu’au sang, à m’en rayer les gencives. »


Annexes :

J’aurais pu modifier directement le texte du manifeste mais finalement je trouve plus intéressant de livrer les réactions des personnes à qui je l’ai soumis et les réponses que j’ai pu apporter. Le manifeste est terminé. Le débat et la réflexion restent ouverts…


I. Cédric Casanova, le 03/03/09

Cannes ça prend un « s » espèce de roi des blaireaux ! Il y a une phrase que j'ai pas compris(e) ! « Au théâtre, nous allons principalement voir des « humoristes», qui soit dit en passant, en France en tout cas, sont devenus de bien meilleurs prescripteurs que les acteurs eux-mêmes. » Sinon je suis d'accord, fan, j'adhère, je coopère !


Réponse d’Adrien Bonnemaison Ce que j’essayais de dire, c’est qu’aujourd’hui, en France, il vaut mieux avoir un humoriste qu’un acteur dans le casting pour vendre un film.


II. Mathieu Bréard, le 03/03/09  :

Tu ne fais définitivement pas partie de la génération que tu décris, je pense... peut-être que tu la côtoies simplement.

Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec toi sur une telle dégénérescence, mais il est vrai que je me suis parfois demandé si, comme pas mal d'autres civilisations avant nous, on était pas arrivés à l'âge de la décadence.

Est-ce qu'il n'y a pas simplement autant de blaireaux qu'avant, mais (grâce aux webs2.0, téléréalité et tout ça...) avec une bien plus grande visibilité ?

Parce que des gens intéressants, intelligents, et qui savent de quoi ils parlent, y'en a quand même beaucoup. J'en connais pas mal personnellement...

Enfin bref, on en rediscutera bourrés à 2h du mat une prochaine fois.

Je trouve cette note du blog de boulet assez appropriée (mais d'un point de vue technique plus que culturel) : http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20090301

En tout cas, ta plume me laisse encore sans voix (même si c'est un clavier)

bises gros


Réponse d’Adrien Bonnemaison, le 04/03/09 :

J'aime bien le truc de boulet, je vais lui envoyer le manifeste ;)

Sinon, je pense n'être ni bête, ni inintéressant (enfin ça dépend à partir de combien de grammes dans le sang) mais en revanche je n'en reste pas moins un blaireau : Je lis peu et très lentement, j'ai du mal en orthographe et je mets beaucoup de temps à formuler les choses à l'écrit ( tu n'imagines même pas combien de temps ça m'a pris pour écrire ces 4 pauvres pages), je n'ai pas de conviction politique, j'aime les films foireux, j'ai 60,43 Go de "son" sur mon ordi et j'écoute toujours la même chose, etc... En fait ce sont des travers que j'ai surtout remarqué chez moi et que j'ai cru déceler chez d'autres. C'est pour ça que je demandais confirmation.

Il s'agit peut-être, comme dit "Boulet", d'une ignorance dû à la spécialisation toujours plus précise de chacun dans son domaine et à l'extension inévitable et exponentielle du savoir humain. Certes on ne peut pas tout savoir mais la surspécialisation est dangereuse.

Quant à la dégénérescence de la civilisation, elle m'intéresse moins. Je pense qu'on est à priori plus décadent qu'en plein essor mais j'ai du mal à envisager l'issu de tout ça. Est-ce qu'on est au début de la chute ? Est-ce qu'on est tout près de la fin ? Ça on verra bien. En revanche, une bonne révolution culturelle, un peu d'effervescence et d'émulation dans les rues seraient les bienvenues (et puis ça me donnerait du travail).


III. Matthieu Yakovleff, le 10/03/09

Bon bonhomme, bah j'ai relu le bouzin.

En fait, j'ai compris mon problème. Je suis entièrement d'accord avec les propositions, mais absolument pas avec la constatation de la société que tu fais au départ (les 2 premiers paragraphes). Je vois de quelles personnes tu parles, mais ces gens ne me semblent être ni toi, ni moi, ni Cédric, ni Bréard, ni Youg ou n'importe lesquelles des personnes à qui tu as envoyé ce manifeste. Je comprends cette histoire d'inculture que tu évoques, qui cependant n'est qu'un déplacement à mon goût vers d'autres formes d'art. Là où mes grands parents s'y connaissent en littérature j'en connais 20 fois plus en cinéma par exemple. Est ce donc un constat de la société qui t'entoure et dont tu ne te sens pas franchement membre, ou est ce ta situation que tu décris dans les premières lignes de ce manifeste ? Car si tu fais ces remarques, c'est que tu ne te sens pas à l'aise avec ces comportements (comme moi d'ailleurs). D'autre part dans le lien à tout ce que tu racontes, le problème n'est il pas plutot le temps qui se raccourcit de génération en génération. Le temps que l'on consacre à la lecture, le temps que l'on est prêt à donner pour une expo, celui que l'on ne veut pas perdre à regarder une pièce de théatre,...

"Une génération qui s’ennuie d’un film s’il n’est pas monté comme un clip ou une pub. Car nous avons sans cesse besoin d’être distrait et sommes incapables de nous concentrer très longtemps" Ça je n'y crois pas vraiment. Le problème c'est le temps que l'on nous laisse libre.

Et je trouve d'autre part que dans ta réflexion tu écartes une partie importante du problème : la situation économique. Parce que les gens ne se sont pas mis à écouter du .mp3 parce que c'était mieux, mais bien parce que c'était moins cher, ils ont téléchargé du divx parce que ca ne coutait rien par rapport à aller au cinéma. À y réfléchir à première vue, j'ai l'impression qu'il s'agit surtout d'une génération que l'on a pas laissé libre, et pour laquelle les choses changent plus vite encore que pour les générations précédentes.

Voilà je crois le principal point qui m'a gêné à la première lecture de ce manifeste : ne pas véritablement me retrouver, ni toi ni les autres dans le constat de départ.

2 autres points précis m'ont dérangé :

« En quelques années, nous avons ruiné l’industrie du disque, forçant les artistes à se produire plus fréquemment sur scène. » Je ne vois pas ce qu'il y a eu du mal au fait que les artistes fréquentent plus les scènes. Et du coup, je ne vois pas l'intérêt de mentionner cette réalité.

« Face à cette avalanche de vidéo, nous choisirons en priorité ce qui est court et de préférence débile ou spectaculaire. » C'est ce que je te disais au kebab tout à l'heure, je ne trouve pas intéressant que ce mouvement soit la cachette pour justifier des vidéos débiles et sans sens.

Voilà les points qui me questionnent. Maintenant en le relisant je me retrouve d'accord avec la volonté et les envies de ce manifeste.

Je te laisse réfléchir la-dessus.

la bisette.

Matthieu


Réponse d’Adrien Bonnemaison, le 16/03/09 Blaireau est évidemment un mot péjoratif, voire une insulte. L’ironie du ton et mon penchant pour le cinglant, rendent le manifeste beaucoup plus critique qu’il ne devrait l’être. En réalité, je ne juge pas ce que je décris mais tente simplement d’être le plus honnête possible avec moi-même. Je ne pense pas que nous soyons plus cons qu’avant et j’essaye simplement de relever les changements et les transformations de notre époque. Il s’agit avant tout d’être conscient de nos forces et nos faiblesses pour finalement pouvoir « réagir » pertinemment, car l’art est avant tout une réaction. Il faut comprendre les enjeux de notre génération pour mieux la cerner et espérer la toucher avec nos films. Il n’y a d’ailleurs pas que des points négatifs dans ce que je décris et je pense que la question est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît. L’avènement du .mp3 en est un bon exemple : d’un côté, ils m’ont permis de diversifier mes goûts, d’élargir ma culture musicale et de redonner un second souffle à la musique live mais d’un autre côté, ils participent justement à couler l’industrie du disque et nous ont fait perdre en qualité d’écoute. Nous désigner comme des blaireaux est une façon de dédramatiser le problème en jouant la carte de l’autodérision. Ce n’est pas une excuse pour justifier les vidéos débiles et dénués de sens qui fleurissent sur Dailymotion et elles n’ont d’ailleurs pas besoin de nous pour acquérir une légitimité, puisqu’elles existent déjà et ne cessent de croître. En revanche, j’aime l’idée que sur une telle plateforme la nullité côtoie le génie. Car il faut redonner à l’art la place qu’il mérite et ne pas surestimer son utilité. L’art est un avant tout un moyen d’exprimer des choses que l’on ne peut pas forcément formuler avec le langage traditionnel. Ce n’est en aucun cas plus important que la vie elle-même et dans l’absolu, on pourrait s’en passer. D’autre part, je ne crois pas réellement pouvoir me mettre en retrait par rapport cette génération et qu’on le veuille ou non, elle est la nôtre. Évidemment je force le trait, et dire que je ne sais pas m’exprimer serait exagéré. Néanmoins, je me suis aperçu, lors de la rédaction de mon mémoire notamment, à quel point mon vocabulaire était limité et combien il m’était pénible de formuler clairement mes idées. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et je ne crois donc pas trop me tromper en affirmant qu’à force de délaisser la lecture, nous avons perdu en richesse et en précision dans notre manière même de penser. En revenant sur les .mp3, j’avoue sans honte ne pas entendre la différence entre une version CD et une version compressée. Là encore j’ai perdu quelque chose qui existait avant et pourtant je m’en contente largement. Je ne pense pas que le contexte économique soit forcément en jeu et je connais des tas de gens friqués qui passent leur temps à télécharger tout simplement parce qu’on leur en a donné la possibilité. Même chose pour les DVD’s (j’ai pris l’exemple des dvx. pour être plus flagrant et parce que cette pratique est maintenant très répandue), il s’agit d’une image compressée souvent regardée sur un écran mal étalonné et trop petit. Pourtant j’ai constitué la majorité de ma culture cinématographique grâce à ce support. Mais est-ce que je peux pour autant dire que j’ai réellement « vu » ces films ? Car je suis à chaque fois bien loin de l’impact que j’aurais eu en les visionnant en salle. Toujours est-il que notre rapport à l’art a évolué et c’est cela qui m’intéresse avant tout. Avant même de « combattre », « critiquer » ou « dénoncer » cette évolution, il faut en être conscient et comprendre ces changements pour réussir à proposer quelque chose en accord avec notre époque. Tu parles à un moment de « déplacement de centres d’intérêt », et tu as, je pense, raison. En revanche, je ne suis pas forcément sûr que ce soit au profit d’autres formes d’art. Mon père et tous les écumeurs de cinémathèque avaient plus de culture cinématographique que toi ou moi à notre âge. En revanche nous maîtrisons de plus en plus les outils multimédias et quand je vois ma mère en galère devant Internet, je me dis que c’est plus dans ces domaines que l’on a gagné quelque chose. Je n’ai pas l’impression non plus qu’il s’agisse d’une affaire de temps libre mais d’avantage du nombre exponentiel d’activités proposées. Et parmi ces activités, certaines demandent moins de concentration que d’autres et ce sont celle-là mêmes qui accaparent de plus en plus nos loisirs : jeux vidéos, films foireux, vidéos sur Internet, spectacle d’impro, émission télé, et autres trucs pas prises de tête que l’on consomme sans concentration. Encore une fois, je n’ai rien contre ce type d’activités et je les pratique comme tout le monde pour me détendre ou me distraire. Seulement j’ai le sentiment que l’homme possède une faculté incroyable d’adaptation et rien ne lui sera jamais acquis. Il évoluera toujours en fonction de ces besoins. Plus il lira, mieux il maîtrisera le langage. Plus il se concentrera et moins ça lui demandera d’effort de le faire. Évidemment l’inverse est aussi vrai, et de la même manière qu’il faut que je fasse de l’exercice pour maintenir mon corps en forme, il faut veiller, je crois, à « muscler » son esprit. À mon avis, notre inculture provient en partie de ce phénomène et c’est ce qui me gêne principalement dans les tendances que je décris. Au bout d’un moment, se cultiver demandera un effort insurmontable. Tu ne peux pas nier le fait que tu as des préjugés sur un réalisateur comme Fellini sans jamais vraiment t’y être intéressé. Pourtant Kusturica, dont tu t’inspires, se réclame de ce cinéaste... Je ne dis pas que tu apprécieras forcément les films de Fellini, mais il est important, je pense, de savoir à qui appartiennent les traces que l’on suit dans notre cheminement artistique. Même si nous ne sommes pas les plus incultes de notre génération, nous ne dérogeons en aucun cas à la règle. Nous avons vu apparaître de nombreux changements: l’essor des jeux vidéos, les débuts de la téléphonie mobile, l’apparition du DVD et des graveurs qui vont avec ; la naissance d’Internet et de tous les services qui l’accompagne (piratage compris). Nous sommes une génération qui vit à la charnière entre deux mondes et notre époque subit de nombreuses transformations. D’ailleurs, je t’ai déjà parlé de ce que j’avais de plus en plus de mal à regarder de vieux films depuis que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à ce qui faisait le rythme d’un montage et particulièrement à la narration. J’ai encore du mal à définir les causes de ce changement, mais j’ai l’intuition qu’il n’est pas simplement dû à l’évolution de mes goûts. J’ai globalement l’impression, que la narration a évolué, qu’elle devient plus complexe et plus audacieuse qu’avant. Je pense qu’il y a à la fois un mélange de mépris, de crainte et d’excitation par rapport à tout ça. J’ai encore du mal à me positionner, mais depuis quelques temps je me sens de plus en plus serein. Je ne sais toujours pas où on va mais on y fonce et la vitesse me fait vibrer. C’est la même sensation quand je suis sur scène en impro et que j’arrive à lâcher tout ce qui d’habitude m’empêche d’être « à fond ». Ces moments sont de plus en plus fréquents dans ma vie, c’est comme si je me remettais à vivre. Peut-être parce que je me remets enfin d’une longue dépression mais putain c’est excitant. Quant à tout ce que j’oublie évidemment j’en suis conscient. C’est pour ça que je parle en effet de manifeste incomplet et superficiel. Car le sujet est vaste et passionnant mais mon but c’est de faire des films avant tout. Donc il s’agissait surtout de désigner une génération entière par petites touches pour que chacun ensuite envisage le reste.