Utilisateur:Brémon3
BARKOVA Anna Alexandrovna 1901-1976
[modifier | modifier le code]Anna Barkova est née en 1901 à Ivanovo-Voznessensk, ville ouvrière marquée par les grèves de 1905, surnommée la « Manchester russe ». Elle mène une enfance solitaire dans une famille frappée par des deuils répétés au milieu des fumées d’usines, elle se rappelle l’isba obscure qui ne sentait pas « ...l’herbe odorante, / Mais la vodka, le souci du quotidien,/ La vie hargneuse... » Elle est secrète, chétive, et se réfugie dans la lecture, passionnément. Fille d’un gardien du lycée privé de la ville, elle bénéficie d’une excellente éducation classique et humaniste. Alors, « De rares éclairs ont transpercé mes ténèbres / Et l’amour quelquefois m’a touchée de son aile. » Quand survient la Révolution en 1917, elle s’enthousiasme pour les idées nouvelles et prend part au mouvement prolétarien à Ivanovo. Elle publie ses premiers poèmes dans la revue Rabotchij kraj [Рабочий край] dirigée par Voronski. Si, en « Amazone » ou « Communiste de la campagne » Anna Barkova exalte les promesses de « l’ère nouvelle », elle ne cache pourtant pas ses « larmes secrètes » ni ses craintes : « Ces usines écraseront notre “moi”…». Sa sincérité touche Lounatcharski, le Commissaire du peuple à l’Instruction. Décelant son talent précoce, il lui écrit en 1921 : « J’admets tout à fait l’éventualité que vous deviendrez la meilleure poétesse russe de toute la littérature déjà existante. » Il préface son recueil Femme qui paraît en 1922, et l’invite à venir à Moscou. Il veut faire d’elle la « Madone prolétarienne » susceptible de rivaliser avec Anna Akhmatova pour proposer un modèle de femme conforme aux attentes de l’époque. Mais travaillant auprès de lui au Kremlin, elle flaire la trahison de l’esprit révolutionnaire et l’avènement de la dictature communiste. Très vite elle émet des critiques à l’égard du régime. En 1923, elle publie une pièce, Nastassia Le Feu [Настасья Костер] qui, outre son tempérament, reflète une certaine conception de l’histoire et de la politique. A partir de 1924, elle mène dans la capitale une vie d’errance, à la tsigane : « Sous quel toit trouver un abri ?/ J’erre légère, de par le monde… » sans plus se fier à la raison. Elle dénonce une société construite sur le mensonge et la haine et fustige une nouvelle barbarie : « A coups de dents, à coups de griffes,/ Nous lacérons nos père et mère./ A notre frère, nous ne jetons la pierre,/ Nous le visons d’une balle en plein cœur. ». En décembre 1934, elle est arrêtée, la répression s’abat sur elle. Elle connaît ensuite, par trois fois, l’épreuve du goulag (1935-1939 au Kazakhstan), (1948-1956 dans le Grand Nord), (1958-1965 en Sibérie et Mordovie), avec les longs transferts mortifères en train, la privation des biens et des droits, la promiscuité imposée, le travail forcé, la mort qui rôde mais aussi l’amour. La passion lui inspire de magnifiques poèmes : « Je me jette dans l’amour comme en un précipice/ Comme dans l’oubli, la drogue, l’anesthésie./ Je me jette dans l’amour comme dans le salut/ De tous ces jours et ces nuits déchiquetés… ». Entre temps, elle subit la relégation durant la guerre à Kalouga, dans des conditions vraiment terribles. Trente ans d’humiliation, de lutte pour la survie, de torture par la faim et le froid, de silence obligatoire. Officiellement, elle n’existe plus. Lors de ses procès de 1935 et de 1948, Anna est condamnée pour délit d’opinion, la première avant les futurs dissidents. Durant toutes ces années, malade, elle ne cesse d’écrire, refusant la falsification de l’histoire et les idéologies. Enfin libérée en 1965, Anna termine sa vie dans la solitude et la misère à Moscou, au milieu des livres. Elle découvre Kafka, Soljénitsyne, Grossman, Akutagawa, elle relit ses chers Anatole France et Thomas Mann, sans jamais oublier Dostoïevski, « le plus grand amour de sa vie ». Elle se remémore son chemin de vie, le Christ lumineux de son enfance et les épreuves qu’elle a partagées avec son peuple. « J’avance étrangère à moi-même / Arrivant au bout du chemin… Ô mon moi inconnu,/ Ô mon âme égarée,/ Faites écho à mon appel ! ». Elle meurt en 1976. Ses poèmes ont été publiés à Moscou en 2002 avec une édition critique, ses œuvres en prose et son journal en 2009 aux éd. Sergej Dubov. En français, L’aujourd’hui blessé (ed. Verdier, 1997) présente un recueil de poèmes écrits par des femmes pendant la terreur stalinienne, dont quelques-uns d’Anna Barkova. Dans Anna Barkova, La voix surgie des glaces, Catherine Brémeau présente une biographie illustrée par de nombreux poèmes traduits, avec une préface d’Olga Sedakova (ed. Harmattan 2010).