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Catherine GUYOT ARVHA Benoît KERMORGANT Sociologue Marta SZYDLOWSKA Philologue Novembre 2012 INTRODUCTION

   Le décret du 7 Juillet 2011 (2011-822) relatif aux dispositions sur l’égalité professionnelle prévues dans le cadre de la loi 9 novembre 2010 sur les retraites, a enfin établi les sanctions auxquelles s’exposent les entreprises qui ne disposent pas d’objectifs ni d’actions pour assurer une égalité effective entre les femmes et les hommes. Le décret a également précisé les modalités d’actions dont celles-ci doivent s’acquitter pour être en règle. 

Dans une volonté d’accompagner l’installation de ce cadre légal, l’ARVHA œuvre avec le concours de diverses institutions pour établir un diagnostic précis concernant les inégalités existantes entre les femmes et les hommes dans le secteur de l’architecture.

Forte d’une expérience de recherche et d’analyse effectuée sur la région Ile de France en 2010-2011, l’association a obtenu le soutien du Fonds Social Européen pour conduire une enquête nationale. Celle-ci vise à établir des indicateurs d’inégalités spécifiques à ce secteur d’activité et à diagnostiquer les logiques sociales responsables des inégalités effectivement constatées par les acteurs de la profession eux-mêmes. L’objectif, au-delà d’une mission centrale de lutte contre les inégalités, est aussi d’aider la profession à s’emparer des problématiques et à s’investir pour renforcer l’égalité dans le secteur de l’architecture : institutionnels, organisations professionnelles, responsables d’agences, salariés avertis, chacun détient une partie des informations nécessaires à la compréhension des inégalités et des forces indispensables pour les combattre. 

Les inégalités entre les femmes et les hommes s’inscrivent bien sûr dans un contexte historique, que nous avons tenu à prendre en compte. La division sexuelle du travail, œuvre de l’idéologie traditionaliste et patriarcale, a exclu les profils féminins des principales sphères publiques et professionnelles, en particulier des travaux de production et des sujets techniques en général. Les femmes étaient cantonnées à la sphère familiale et aux tâches pouvant se comprendre dans des travaux de reproduction. Le monde de l’architecture, de par la nature de son activité, ne pouvait qu’être concerné au plus haut point par l’application de cette idéologie qui structura le destin des hommes et des femmes dans la société française durant près d’un siècle et demi à partir de l’époque de la Révolution française. De fait, très peu de femmes furent autorisées à suivre des études d’architecture et à exercer, la profession étant depuis le XIXe siècle particulièrement encadrée par l’État. La révolution culturelle des années 1960 a bien décidé de l’abandon de cette idéologie, mais les habitudes et réflexes institués ont mis du temps à être remplacés par des alternatives devant nécessairement être inventées une à une. Depuis les années 1970, le nombre de femmes est en augmentation constante dans la profession. Le nombre d’étudiantes est d’ailleurs désormais supérieur à celui des étudiants, mais celui des femmes inscrites en tant qu’architectes à l’Ordre des Architectes est encore bien inférieur à celui des hommes. Aujourd’hui encore, très peu de femmes exercent en tant qu’architectes à leur compte (en libéral), elles sont majoritaires en tant que salariées dans les agences d’architecture. Des difficultés, liées à l’insertion professionnelle mais aussi à des logiques inégalitaires de considération et de rémunération entre les femmes et les hommes, se font ressentir et freinent la finalisation de l’intégration des femmes dans ce secteur. Les quelques données et indicateurs statistiques que nous possédions déjà avant l’enquête témoignaient en effet de difficultés supplémentaires rencontrées par les femmes, notamment chez les jeunes. La conjoncture économique ne favorise pas le comblement de certains écarts, mais elle n’explique pas à elle seule, par exemple, la faible accession des femmes à des postes à responsabilités, des coefficients hiérarchiques plus faibles, une répartition très sexuée des postes et des écarts de rémunération conséquents. Il ne s’agit pas non plus d’un phénomène de génération : les jeunes hommes, pourtant eux-mêmes confrontés à des difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi, en rencontrent moins que les jeunes femmes, alors que leur niveau de formation est le même et qu’ils sont moins nombreux qu’elles dans les écoles de formation.

Ces données et indicateurs statistiques se devaient d’être complétés, approfondis et actualisés. Telle est la première mission que s’est donnée l’ARVHA au travers de son enquête nationale, afin d’avoir une représentation précise des phénomènes inégalitaires, en interrogeant un grand nombre de critères qui rentrent en compte dans la construction des trajectoires professionnelles. Mais ces indicateurs ne doivent pas à eux seuls servir de diagnostic. Ils ne sont que la face visible de logiques sociales inégalitaires qui reproduisent de manière souvent invisible les inégalités. 

C’est l’autre mission de l’ARVHA dans ce projet : identifier les logiques sociales responsables de la formation des inégalités afin de savoir comment les remplacer par des logiques sociales plus égalitaires.

Toutes les données et conclusions produites ont donc pour vocation d’être le moteur de la construction de préconisations précises et ciblées pour bâtir, avec tous les acteurs de la profession, une politique d’égalité forte et efficace dans le secteur de l’architecture. 








Première partie

Mise en contexte

1. Activité et situation globale du secteur


a. Conjoncture et organisation de la profession

Le Conseil National de l’Ordre des Architectes a demandé, en 2011, à l’Institut de sondage IFOP de réaliser une étude portant sur la profession d’architecte . L’objectif de l’étude est de produire des données statistiques et qualitatives sur les pratiques professionnelles, la perception du métier par les professionnels, et l’image de l’ordre des architectes. Cette étude nous donne aussi des précisions importantes sur l’état économique du secteur.

Les données recueillies permettent d’affirmer que la crise économique se fait de plus en plus ressentir par la profession d’architecte dans son ensemble. Le nombre moyen de commandes fermes est en baisse (12.3 commandes par an), et par conséquent le chiffre d’affaires l’est aussi. Cela semble être en partie dû à une forte baisse des offres publiques.


Source : Conseil National de l’Ordre des Architectes

L’étude montre également que les professionnels restent malgré tout relativement satisfaits de travailler dans ce secteur d’activité : ainsi 73 % des architectes se déclarent satisfaits de leur situation, ce qui est cependant en diminution depuis 2008 (où ils étaient 78%). Seuls 12% se disent réellement très satisfaits de leur situation professionnelle. L’étude montre que la moyenne d’ancienneté d’exercice est de 20 ans, ce qui est en légère hausse par rapport aux années précédentes.

 Les répondants désignent leurs activités principales en 2010 comme étant surtout liées à la construction de maisons individuelles, de logements, et d’équipements publics dont la demande est en forte baisse. Les architectes s’estiment néanmoins plutôt optimistes dans l’évolution de leurs activités sur les prochains mois. Un regain d’optimisme dans la profession a pu être observé depuis 2009. 


Source : Conseil National de l’Ordre des Architectes

 Le chiffre d’affaires moyen enregistré dans les agences n’a que faiblement diminué dans ce secteur d’activité, mais les chiffres fournis par cette enquête montrent une grande disparité dans les chiffres d’’affaires des agences en France. Aux alentours de 278 000 euros en 2010, le chiffre d’affaires moyen termine à 276 000 euros en 2011, dont 27% des agences ne dépassant pas les 50 000 euros, et 12% étant au-dessus de la barre des 500 000 euros. 
  

Source : Conseil National de l’Ordre des Architectes

  Pour les acteurs de la profession, le sentiment d’avoir un impact sur différents secteurs de la société est globalement en baisse. La prise en compte des désirs et des modes de vie des habitants reste le domaine où l’apport de l’architecte leur semble le plus important selon les architectes, et un point sur lequel ils devraient encore accentuer leurs efforts. 
Une analyse sociologique des données issues de cette enquête, concernant la perception de l’évolution du métier par les architectes, montre que ceux-ci ne s’intéressent guère aux  changements de type organisationnel pour promouvoir l’égalité et la mixité. De légères remises en cause sur l’évolution des méthodes de travail, pour être en conformité avec les nouvelles normes (accessibilité) et procédures dans l’accès à la commande publique, sont simplement signalées par les interrogés. Les changements se concentrent principalement sur la qualité des produits et non sur les règles organisationnelles internes. 
 Les interrogés de cette enquête pensent que l’Ordre des Architectes a plutôt une bonne image, car celui-ci apparait comme étant le garant de la déontologie, témoigne d’une considération réelle pour les architectes, et sait bien défendre les intérêts de la profession. On peut voir dans ces critères l’attente de voir l’Ordre incarner une certaine moralité, dans des logiques masculines très inspirées de l’ordre traditionnel et patriarcal : solide, protecteur, immuable. 

Des données fournies par l’Observatoire des Métiers des Professions Libérales nous apportent des précisions sur les typologies courantes des entreprises travaillant dans le secteur de l’architecture. Trois typologies d’entreprises sont recensées par l’étude : - Polyvalentes : en moyenne 5 activités, - Récentes : conception, missions complètes, missions de direction de chantier, - Spécialisées : se positionnent sur une seule activité (un seul associé et 5 salariés en moyenne).


b. Innovations et transformations récentes du secteur


Une autre enquête, menée également par l’Ordre des Architectes en 2011 , distinguant les données entre les architectes et les artisans du secteur, démontre que la profession est sujette à des innovations techniques et technologiques importantes, que les acteurs se doivent de prendre en compte s’ils veulent rester compétitifs dans leurs prestations. 

Les architectes en forte majorité considèrent que l’utilisation d’Internet est indispensable à leur activité, ce qui n’est pas le cas des artisans, bien que les deux profils affirment avoir une utilisation quotidienne d’Internet. Les sites web apportent selon une majorité d’interrogés de nouveaux clients, ainsi que de nombreuses informations capitales sur les nouveaux matériaux. Beaucoup de commandes de matériaux se font d’ailleurs en ligne. En revanche, les réseaux sociaux ne sont guère sollicités par les architectes ou par les artisans pour développer leurs activités.

Les nouvelles techniques concernant la facilité de mise en œuvre et l’aspect environnement sont les plus intégrées aux préoccupations et aux méthodes de travail des professionnels. Les clients sont une très grande majorité à être attentifs à ce qui est relatif au développement durable.

  Pour mettre à niveau ses acteurs à ses innovations techniques et technologiques, la profession a beaucoup recours aux systèmes de formation continue. L’enquête du Conseil National de l’Ordre des Architectes   nous informe que le nombre d’architectes ayant suivi une formation a nettement diminué entre 2008 et 2011. Cependant, plus de la moitié des architectes interrogés (55%)  affirment en avoir suivi. En règle générale,  plus le chiffre d’affaires est important, plus les salariés de ces entreprises suivent de formations. Les architectes désignent les types de formation les plus suivies en 2011 comme étant celles concernant le développement durable et la qualité environnementale, l’informatique et la PAO/DAO, ainsi que les formations portant sur l’accessibilité.
A noter également que depuis une réforme des études d’architecture entreprises en 2007, la formation post-mater H.M.O.N.P pour exercer la maitrise d’œuvre en son nom propre, les titulaires de cette formation sont maintenant clairement distingués des personnes n’ayant qu’un Diplôme d’Etat d’Architecte, dits Architectes d’Etat Diplômés, et qui ne peuvent pas contrairement aux premiers être inscrits au Tableau de l’Ordre des Architectes et signer en leur nom un projet architectural. 




c. Accès et intégration des femmes à la profession


La publication du recensement du nombre d’inscrits dans les agences d’architecture en France depuis 1983 nous permet d’avoir une représentation de la progression du nombre de femmes travaillant dans le secteur, même si celle-ci est sans doute incomplète du fait qu’une partie importante des acteurs de la profession n’est pas inscrite à l’Ordre. En 1983, on dénombrait seulement 16% des inscrits comme étant des femmes, en 2009 ces dernières sont plus de 40%, portant leur nombre à plus de 6000, contre plus de 23 000 pour les hommes.


D’après le sociologue Olivier Chadoin , il faut attendre en France une réforme de la profession dite « Malraux », en 1968, pour assister à l’ouverture du système d’enseignement aux femmes et pour que celles-ci puissent réellement intégrer les ateliers d’architecture, lieu d’apprentissage des normes et des valeurs propres à la profession. En 1960, les femmes ne représentaient que 0.8% des architectes inscrits à l’Ordre. Selon le sociologue, l’entrée des femmes dans la profession a provoqué une redéfinition de la représentation de la profession ainsi que de la cohérence entre les rôles de ses différents acteurs. 

Olivier Chadoin précise d’abord que les codes, méthodes, valeurs, et logiques comportementales valorisées dans la profession sont historiquement très masculins. Ce phénomène explique le fait, à l’image de nombreuses autres professions historiquement masculines, que les femmes ne furent pas les bienvenues pour s’intégrer, car l’intégration supposait une transgression des codes traditionnels féminins par les femmes.

 L’arrivée des femmes dans le secteur de l’architecture est analysée par le sociologue comme une source de diversification interne des fonctions et des modes d’exercice dans la profession. Très peu de femmes ayant eu la possibilité d’exercer le métier d’architecte en étant à leur compte en libéral, beaucoup se sont reportées sur des postes annexes à l’architecture, en salariat, moins valorisés par les acteurs de la profession, et étrangement plus proches dans leurs missions des valeurs et logiques considérées comme historiquement féminines : l’aménagement intérieur, la décoration, l’architecture domestique… 
Cette répartition des tâches et des statuts, entre les femmes et les hommes, s’apparente selon Olivier Chadoin à une ligne de fracture imaginaire entre ce qui est  « pur » et « impur » dans le domaine de l’architecture. Ainsi dans la représentation, l’aspect noble du métier concerne le fait d’exercer le métier d’architecte en titre, à son compte en libéral, ceci correspondant à la situation des hommes. L’aspect décadent du métier serait représenté par la situation des femmes salariés, dans une situation plus précaire, effectuant des tâches dites annexes et aux qualités considérées comme spécifiquement féminines. 

Ainsi, ces représentations ne correspondant absolument pas à la réalité de la diversité des statuts et de l’activité réelle des acteurs de la profession, seraient d’après le sociologue responsables du fait qu’un certain nombre d’acteurs de la profession assimile l’entrée des femmes dans la profession à une précarisation du secteur. Il soutient qu’il s’agirait plutôt d’un processus conduisant à la fois à la dispersion des acteurs de la profession, mais aussi à une extension des positions occupées par la profession


2. Situation générale de l’emploi


 En 2007, le Service de l’Architecture de la Direction Générale des Patrimoines a commandé un rapport  dans lequel figurent des données sur l’évolution du mode d’exercice des architectes de 1999 à 2007, dont certaines en fonction du sexe. Celles-ci montrent clairement une diminution de l’exercice en tant que libéral, salarié et fonctionnaire, mais une forte croissance de l’exercice en tant qu’associé. 


 Les données sexuées nous démontrent une répartition très inégale des modes d’exercice selon le sexe : de 1999 à 2007, on constate que parmi les hommes, le nombre de personnes exerçant en tant que libéral et associé est plus élevé que parmi les femmes. A l’inverse, le taux de femmes travaillant dans le secteur en tant que salarié est systématiquement le double de celui des hommes. Les femmes sont également plus nombreuses à exercer en tant que fonctionnaire. D’après les analystes de l’étude, ces données témoignent du fait que les femmes se répartissent de façon plus large que les hommes entre les différents modes d’exercice possibles. 


Le même rapport nous donne des précisions sur l’évolution de la forme juridique des entreprises du secteur. Celles-ci montrent que plus de 90% des sociétés sont sous les statuts SARL, SARL à associé, EURL, et SCPA, soit des formes juridiques propres à de petites structures.

 Entre 1999 et 2007, le nombre de SA a très fortement diminué (-43.80%) ainsi que le nombre de SCPA. En revanche, le nombre de sociétés en EURL et SARL a très fortement progressé (82% et 101.85%). Ces dernières données apparaissent comme cohérentes avec le fait qu’une majorité de salariés déclarent exercer sous le statut libéral. 
  L’Observatoire des Métiers des Professions Libérales a conduit en 2009 une enquête d’ordre quantitative auprès des entreprises d’architecture de France  dans le but d’obtenir des statistiques précises sur l’importance des différents types d’emplois dans la profession, ainsi que sur les multiples trajectoires professionnelles individuelles des acteurs concernés et des facteurs influant ces trajectoires.  

Les chiffres avancés dans cette étude montrent que 60% des salariés du secteur (ayant répondu à l’enquête) se déclarent employés, et 95 % des personnes interrogées sont en CDI. Une majorité des emplois se trouve dans la conception, l’administration, et le suivi de chantier.

 53% des salariés enquêtés exerçant dans le secteur « activité d’architecture » sont des femmes. La pyramide des âges parait équilibrée, mais on peut constater une sur-représentation des femmes quadragénaires, et une sous-représentation des femmes à partir de 55 ans.
 Parmi les statistiques concernant l’emploi occupé par les enquêtés, on constate une répartition très sexuée des emplois exercés dans le monde de l’architecture : 

- 92% de femmes exercent dans les emplois administratifs et d’entretien - 78% d’hommes dans les emplois de direction, de suivi de chantier, d’économie, d’ingénierie

Seuls les emplois de conception présentent une répartition quasi équilibrée femmes-hommes (44% contre 54%).

Les postes d’encadrement représentent 25,4 % des emplois. Seuls 19.1 % des femmes du secteur sont cadres. D’après l’analyse, la répartition des salariés en fonction de leur sexe montre une inégalité d’accès aux postes d’encadrement.

Les analystes de l’étude en concluent que les entreprises d’architecture confient plus de postes d’encadrement aux femmes que l’ensemble des entreprises au niveau national (les femmes occupent 45.5% des emplois de cadres dans le secteur en 2009). Elles n’étaient que 37.6 % en 2007 (soit 7.9 % d’augmentation en 2 ans).

Les contrats à temps partiel concernent 21.2% des salariés dans les activités d’architecture, les femmes étant plus fréquemment à temps partiel que les hommes (31% contre 10%). Les emplois administratifs, occupés à 92% par des femmes, sont plus souvent à temps partiel, tandis que 99% des postes de direction, occupés à 77% par des hommes, sont à temps plein. Les contrats à durée déterminée (CDD) représentent quant à eux 13% des salariés du secteur.


71% des employeurs misent sur des effectifs stables en 2009, et 21% des employeurs prévoient une diminution. Les entreprises qui prévoient le plus de recrutements sont les entreprises polyvalentes qui ne font pas d’expertise judiciaire. 

Les employeurs ne considèrent pas que le suivi d’une formation continue soit un critère déterminant dans l’attribution des formations. Cependant, les hommes bénéficient plus d’une augmentation de coefficient faisant suite à une formation que les femmes : 44% contre 41%. Les données montrent que l’impact des formations est avant tout lié à la sanction du niveau de formation et non au type de poste ou au profil des salariés. Les salariés ayant Bac+5 sont majoritaires chez les nouveaux arrivants et ascendants dans les entreprises.

L’étude permet d’affirmer que les hommes sont autant concernés que les femmes par un changement de trajectoire professionnelle. Les formations continues expliquent en partie les changements, surtout pour les salariés considérés « ascendants » dans une entreprise.

Le temps partiel, beaucoup plus fréquent pour les salariés femmes, peut être le signe d’une difficulté d’adéquation entre la vie professionnelle et la vie familiale dans ce secteur d’activité. La profession peine à trouver des solutions pour rénover les conditions de travail et l’organisation de celui-ci dans les agences. Il serait judicieux d’étudier plus en détail, par une enquête qualitative, les motivations personnelles et les contraintes qui pèsent sur la réalisation de ces contrats à temps partiel.

D’un point de vue analytique, on peut considérer que l’étude présente des données intéressantes sur la structure organisationnelle interne aux entreprises du secteur. La répartition des emplois entre les hommes et les femmes apparait comme particulièrement forte, et significative d’un héritage encore fort des logiques de la division sexuée du travail institué à la fin du XIXème. Celles-ci réservaient les sphères publiques et professionnelles aux hommes et aux valeurs masculines, et notamment ce qui concernait les travaux de production et les sujets techniques.

Les chiffres présentés par le Conseil National de l’Ordre des Architectes concernant le chômage dans la profession jusqu’en 2010 , issus des données statistiques recensées par le Pôle Emploi, nous permettent d’avoir une vision large sur les difficultés d’emploi du secteur sur une période allant de 2007 à 2010. D’Août 2007 à Juillet 2008, une stagnation globale du chômage s’était maintenue sous la barre des 2500 chômeurs, mais une forte hausse a démarré en Août 2008 en passant de 2750 à plus de 4000 en Septembre 2009. Une diminution constante s’est ensuite produite, autour de la barre des 3000 chômeurs.


  Il est important de signaler que toutes les zones géographiques de la France Métropolitaine ne sont pas équitablement concernées par le chômage des architectes. Cette carte, présentée par le CNOA ,   représente en couleur sombre les zones les plus affectées. 


 Les données recensées en 2010 par le CNOA  permettent de représenter le salaire médian de la profession comme étant de  27 000 euros par an et un salaire moyen de 2303 euros mensuel. Une des rares données sexuées de l’enquête semble montrer que l’écart se réduit entre le niveau de salaire des hommes et celui des femmes (tout de même en moyenne 36 942 euros contre 25 435 euros). Hors cette différence est loin d’être négligeable : soit 11 507 euros annuels en moins pour les femmes en moyenne, et 31% d’écart entre le salaire des hommes et celui des femmes, noté par le CNOA comme une amélioration….. 

3. Indicateurs d’inégalités femmes-hommes préexistants.


a. Chômage et insertion professionnelle Les principaux indicateurs d’inégalités dont nous disposons déjà concernent principalement la répartition sexuée du nombre de chômeurs dans la profession. L’enquête de Nicolas Nogue sur le chômage dans la profession en 2010 nous démontre que dans le métier d’architecte, le chômage a davantage augmenté chez les femmes (en bleu, +77.6 %) que pour les hommes (en rouge, +76.8 %). Cela peut être lié au fait que les femmes sont nombreuses à arriver des écoles d’architecture, plus jeunes et moins qualifiées, tandis que les hommes restent plus stables car plus anciens et plus expérimentés.


Les plus fortes croissances d’inscription à Pôle Emploi concernent les femmes de moins de 25 ans (+ 153 %) et les jeunes hommes de la même tranche d’âge (+ 95 %). L’insertion sur le marché de l’emploi semble donc plus difficile pour les femmes que pour les hommes, alors même que les chiffres montrent qu’elles sont plus nombreuses que les hommes dans les écoles de formation, et qu’elles ont représenté 55% des diplômés en 2009. Un manque de réseau de soutien, mais aussi des préjugés sur leur crédibilité, peuvent être des hypothèses possibles de logiques sociales responsables de cette inégalité. 


Ce tableau montre un nombre identique – ou très légèrement supérieur - de femmes au chômage par rapport aux hommes dans la même tranche d’âge, hors elles ne représentent que 20 % de la profession, ce qui signifie qu’elles sont beaucoup plus nombreuses en % que les hommes à se trouver dans cette situation.


b. Coefficient hiérarchique


L’enquête de l’Observatoire des Métiers des Professions Libérales de 2010 nous livre des données sexuées pour ce qui concerne le coefficient hiérarchique des salariés des agences d’architecture. Ces données montrent le pourcentage de salariés faisant partie de ceux considérés comme cadres (à partir d’un coefficient supérieur à 370) et non cadres, et le taux d’hommes et de femmes présents aux différents niveaux hiérarchiques.

Les chiffres avancés par l’enquête témoignent donc du fait que le nombre de postes de cadres est assez limité dans la profession, mais aussi et surtout que très peu de femmes occupent ces postes. Seules 19.1% des femmes dépassent le coefficient 370 qui borne la distinction entre cadre et non-cadre, contre 35.1% des hommes présents dans ce type de fonction. A l’inverse, 72.4 % des femmes du secteur de l’architecture occupent des postes inférieurs au coefficient 370, contre 45.5% des hommes du secteur. 

Ces données peuvent être le signe d’une inégalité d’accès pour les femmes aux postes d’encadrement. Des hypothèses liées à des logiques de discrimination mettant en exergue des préjugés sur la disponibilité des femmes et sur leurs capacités à mettre en œuvre les logiques de savoir-être exigées sur des postes de management (fermeté, goût pour la compétition entre cadres, mise en avant de Soi, sens du leadership) sont plausibles pour expliquer cette inégalité de présence sur des postes de cadre, et ont pu être vérifiées dans des enquêtes portants sur d’autres secteurs professionnels.

c. Types de contrats de travail

La même enquête de l’Observatoire des Métiers des Professions Libérales nous fournit des données concernant le taux de contrat à temps partiel réparti en fonction du coefficient hiérarchique des salariés.


Ces données nous permettent d’affirmer que plus le coefficient hiérarchique est bas, plus le nombre de contrats de travail à temps partiel est élevé. Il concerne ainsi très peu de postes d’encadrement et un grand nombre de postes d’administratif ou d’entretien. En mettant en rapport les données présentes et celles présentant la répartition des salariés en fonction du sexe et du coefficient hiérarchique, on peut en conclure que les femmes sont davantage sujettes au temps partiel que les hommes.

Cet indicateur ne nous témoigne d’une inégalité que dans la mesure où l’on peut considérer qu’une part des contrats à temps partiel ne sont pas volontaires mais imposés par l’employeur ; et que de plus le taux de chômage étant plus important chez les femmes que chez les hommes, la demande de contrat à temps plein peut être considérée comme étant plus forte. Des données concernant la part des contrats à temps partiel non volontaires renforceraient encore la pertinence de cet indicateur. 

d. Ecarts de rémunération

Les derniers chiffres dont nous disposons concernant les écarts de rémunération entre femmes et hommes sont anciens, datant de 2005 .  Ces données montrent très clairement que le nombre de femmes atteignant le dernier niveau de rémunération (plus de 100 000 euros) dans la profession d’architecte est très limité et bien plus faible que pour les hommes, de même que pour tous les grades dépassant les 20 000 euros annuels de salaires. 
On peut constater sans difficultés que plus de 60% des femmes architectes gagnent moins de 20 000 euros par an, alors que plus de 60 % des hommes sont rémunérés plus de 20 000 euros par an. Le nombre plus important de temps partiels chez les salariés femmes et le coefficient hiérarchique plus élevé des hommes sont des hypothèses sérieuses pouvant  expliquer de tels écarts. 
Deuxième partie

Enquête nationale

ARVHA 2012






1. Enjeux et méthodologie

 Planifiée de juillet 2011 à juin 2012, l’enquête se focalise sur deux grands axes. Le premier concerne la construction de statistiques sur le différentiel de situation professionnelle entre les femmes et les hommes dans le secteur d’activité et le recensement des actions et positionnement des entreprises concernant l’égalité professionnelle. Le deuxième axe s’intéresse à la recherche de données qualitatives pour connaître avec précision les besoins en termes de construction de la parité, de promotion des profils féminins, d’équilibrage vie privée-vie professionnelle que peuvent exprimer les femmes dans leurs situations professionnelles. Les indicateurs statistiques sont donc ici pris comme point de départ d’un diagnostic des logiques sociales responsables de situations inégalitaires, diagnostic seul capable de fournir des précisions sur des stratégies possibles de lutte contre les inégalités. 
 Les enjeux de la recherche sont donc d’ordre empirique mais aussi et surtout opérationnel. Les données recensées doivent nécessairement aider à la mise en œuvre d’actions concrètes. Le projet de l’ARVHA est en effet de construire, grâce aux analyses et conclusions de l’enquête, des outils pratiques et des préconisations à diffuser aux responsables de la profession et aux professionnels eux-mêmes afin de permettre au plus grand nombre de se responsabiliser et de s’impliquer pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’objectif est donc aussi de faire en sorte que les données recensées soient le plus contextualisées possible, c’est-à-dire prenant en compte la taille de la structure, la région géographique, la situation économique, les profils de genre en présence dans chaque structure notamment. Plus les données seront contextualisées, plus elles seront utiles pour permettre à chaque acteur d’agir plus efficacement et plus rapidement dans son propre contexte. 

Deux questionnaires distincts ont été élaborés : - Le premier, qui reprend la thématique du premier axe, est à destination des dirigeants d’entreprises afin de connaître la composition de celles-ci, le chiffre d’affaires en fonction du sexe du dirigeant, les grilles de salaires et les réflexions en matière d’égalité professionnelle. La diffusion de ce questionnaire s’est focalisée sur trois régions françaises, lesquelles représentent plus de 53 % de l’effectif national des architectes : Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes. Au total, plus de 65 agences ont répondu à cette sollicitation ; - Le deuxième questionnaire a été établi en direction des salariés, ce qui représente près de 160 personnes au sein des agences qui ont répondu à notre enquête. Des questions ouvertes ont été proposées afin que chacune puisse y exprimer toutes ses expériences personnelles et ses vécus en termes d’inégalités dans l’entreprise entre les femmes et les hommes.

Notre analyse a ensuite pris pour point de départ les nouveaux indicateurs statistiques d’inégalités que permettent de mettre en œuvre les données issues du premier questionnaire, ainsi que l’établissement de corrélations avec les logiques sociales recensées par le deuxième questionnaire. Cette initiative inclut une analyse des comportements et des choix effectués par les clients privés et publics en fonction du sexe de l’architecte. Ainsi, les indicateurs d’inégalités permettront d’illustrer l’ampleur de logiques inégalitaires à l’œuvre dans le secteur de l’architecture. Dans un second temps, nous analyserons les données recueillies dans la perspective de plans d’action ou de mesures égalitaires à développer dans les agences pour construire une meilleure égalité entre les femmes et les hommes.

Les difficultés de mise en œuvre de l’enquête ont concerné principalement une tendance de certains acteurs à ne pas prendre suffisamment conscience de l’importance des écarts de salaires dans la profession, y compris dans les instances élevées de la profession. La thématique de l’égalité femmes-hommes n’est donc pas encore ressentie comme un sujet prioritaire et grave par un grand nombre d’acteurs de ce secteur. Le peu de données genrées présentes dans les enquêtes internes à la profession et dans la presse spécialisée témoignent de ce phénomène.


2. Présentation de l’échantillon

 Près de la moitié des agences ayant répondu au premier questionnaire se situent en Ile de France, région qui recense le plus d’architectes parmi toutes les autres : plus de 9711 architectes inscrits à l’ordre y sont recensés sur une population nationale de 29416 inscrits en 2007.  C’est aussi la région qui connait le plus fort nombre d’architectes au chômage. La deuxième région ayant le plus répondu sur les trois est Rhône-Alpes, ce qui peut s’expliquer par une implication importante du conseil de l’ordre départemental dans la distribution des questionnaires

Près de 50 % des agences répondantes ont le statut de SARL, et 30% sont représentées par des professionnels en libéral, ce qui caractérise le fait qu’il s’agit plutôt de petites structures qui regroupent 2 ou 3 associés principalement.

Sur 87 dirigeants recensés dans les 65 agences répondantes, 54 sont des hommes et 33 sont des femmes. Nous pouvons établir par un graphique une visualisation de l’âge des dirigeants en fonction de leur sexe. Une majorité de femmes dirigeantes dans les agences sollicitées ont entre 25 et 55 ans, et une majorité d’hommes sont dirigeants dans les agences dont les dirigeants ont 55 ans et plus. Au sein de ces agences sollicitées travaillent 130 femmes et 164 hommes, soient 294 personnes.

Le dirigeant a le statut de gérant dans 40 % des agences interrogées et de libéral dans 36% des agences interrogées.





3. Indicateurs d’inégalités


3.1 Répartition des fonctions et des statuts

a. Salariat

Les données dont nous disposions nous permettaient déjà de savoir qu’une très large majorité de femmes occupe les emplois administratifs et techniques. Les données recensées par notre enquête nous permettent d’avoir une vision bien plus précise de la répartition des fonctions entre les hommes et les femmes dans les agences d’architecture.


 On constate ainsi une très faible présence des hommes dans les emplois de secrétariat comptable et de secrétariat assistant par rapport à celle des femmes dans les mêmes emplois. Mais cet écart s’inverse sur le poste de secrétaire technique, où l’on dénombre beaucoup plus d’hommes que de femmes. 

Au total, sur les trois fonctions de secrétariat, les femmes sont deux fois nombreuses que les hommes. Les données montrent également une très faible présence des femmes sur les postes de coordination de travaux par rapport à celle des hommes, postes qui impliquent notamment un suivi des chantiers. Quant aux postes concernant le cœur de métier, on peut constater un écart d’environ 5% de présence des hommes en plus que les femmes.













b. Dirigeants

Il est intéressant de mettre en relation ces résultats avec les données recensées concernant les statuts des hommes et des femmes dirigeants interrogés. Les données démontrent qu’il y a moins de femmes gérantes que d’hommes et qu’il n’y a pratiquement pas de femmes salariées dirigeantes.

Les femmes sont aussi bien moins nombreuses que les hommes à être actionnaires ; elles se retrouvent plus largement sous le statut de libéral, ce qui n’exclut en rien la possibilité de diriger une agence. Il faut noter qu’il est possible qu’un(e) dirigeant(e) puisse avoir plusieurs statuts en même temps.





3.2 Ecarts de rémunération

a. Rémunération des dirigeants

Les dirigeants hommes ont de toute évidence une meilleure rémunération que les femmes dirigeantes, celles-ci sont cantonnées dans les revenus majoritairement inférieurs à 75 000 euros, tandis que les hommes dirigeants ont des revenus souvent supérieurs à cette somme (35 % ont des revenus supérieurs à 75 000 euros).




b. Rémunération des salariés et collaborateurs

Concernant maintenant la rémunération des architectes en titre, si l’on compare entre les femmes et les hommes les niveaux de salaires moyens les plus bas et ceux les plus hauts, on constate des différences notables de rémunération sur les salaires les plus bas (environ 2300 euros pour les femmes et 2700 pour les hommes) autant que sur les salaires les hauts, aux alentours de 3000 euros pour les femmes et 4600 euros pour les hommes.


SALAIRES MOYENS DES ARCHITECTES EN TITRE PAR SEXE



Les écarts de salaires pour les postes identiques sont de l’ordre de 500 à 1000 euros par mois. D’autres écarts de rémunération peuvent également être constatés, notamment sur les postes de collaborateurs d’architectes et de coordinateurs de travaux.








SALAIRES MOYENS DES COLLABORATEURS D’ARCHITECTES


1 : salaires les plus bas 2 : salaires les plus hauts

Les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne à ceux des hommes sur un même poste.


SALAIRES MOYENS DES COORDINATEURS DE TRAVAUX



1 : salaires les plus bas
 2 : salaires les plus hauts 


Les salaires des coordinateurs de travaux sont identiques dans la tranche basse car il s’agit du salaire minimum obligatoire, mais dans les tranches plus élevées les hommes sont mieux payés en moyenne de 1000 euros, ce qui est considérable.

Ces données nous permettent de signaler que des écarts de salaires moyens entre les femmes et les hommes peuvent dépasser les 1 000 euros, tant sur un poste de collaborateur d’architecte que sur un poste de coordinateur de travaux. Quant aux postes de secrétaires techniques, même s’il peut arriver que les femmes soient mieux rémunérées que les hommes lorsque leurs salaires sont les plus bas, les salaires les plus hauts des hommes dépassent encore ceux des femmes. 


SALAIRES MOYENS DES SECRETAIRES TECHNIQUES



Les chiffres recensés nous permettent d’affirmer que sur n’importe quel poste, y compris ceux où les hommes sont minoritaires, les salaires les plus hauts sont toujours ceux des hommes par rapport à ceux des femmes. On peut aussi remarquer que l’écart entre les salaires les plus bas et ceux les plus hauts sont moins importants chez les femmes que chez les hommes.3. 3    Chiffres d’affaires des agences


Les données issues de l’enquête nous permettent de reconstituer le chiffre d’affaires moyen des agences selon le fait qu’elles soient tenues par des hommes ou par des femmes en 2011, en


 Les données indiquent que près de la moitié des agences réalisent un chiffre d’affaires compris entre 50 000 et 250 000 euros, et que près de 30 % des agences réalisent un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros. Mais les données sexuées nous démontrent que les entreprises gérées par les hommes dépassent le million d’euros pour plus de 52 % d’entre elles, contre seulement 17.60% des entreprises gérées par des femmes. 70% des entreprises gérées par les femmes ne réalisent pas un chiffre d’affaires supérieur à 250 000 euros, contre 23% des entreprises gérées par les hommes. 
Ces chiffres suggèrent un écart important quant à l’activité entre les agences tenues par les hommes et celles tenues par les femmes. 

Cet écart s’explique par le fait que les projets des agences conduites par les femmes sont de moindre importance que ceux confiés aux hommes. Les gros projets et les grandes commandes sont proposés, soumis et donnés aux hommes, peu de femmes arrivent à rentrer dans le cercle restreint des « grandes agences ». Celui-ci est également visible dans les chiffres portant sur les années précédentes. Ceux-ci montrent que sur la période allant de 2008 à 2011, aucune entreprise de notre échantillon gérée par un homme n’a réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 50 000 euros, alors qu’entre 20 et 30% des entreprises gérées par les femmes ne dépassent pas ce plafond. L’année 2009 est la seule qui a vu quelques entreprises gérées par des femmes (4%) atteindre un chiffre d’affaires de 2 500 000 euros. Globalement, les revenus des entreprises des femmes sont en baisse alors que ceux des entreprises des hommes sont plutôt en hausse. Les graphiques suivants expriment ces réalités par années en fonction du pourcentage d’entreprises concernées par chaque tranche de chiffre d’affaires.

4. Facteurs explicatifs

4.1 Une survalorisation historique des valeurs masculines à certains postes

 Le secteur de l’architecture a tenu une place particulière dans l’application de l’idéologie traditionnelle et patriarcale en France. Cette idéologie, installée progressivement de la Révolution Française aux années 1960, soutenait que les hommes et les femmes disposaient de capacités et de qualités naturellement et définitivement différentes, lesquelles commandaient légitimement qu’ils réalisent des tâches différentes au sein de la société. 
Considérée comme naturellement désignée pour les travaux de reproduction et de soin, l’éducation des enfants et l’entretien du foyer fut placé sous la responsabilité exclusive des femmes. Les travaux de production, de force, les questions scientifiques et techniques étant présentées comme relevant naturellement du savoir-faire des hommes, l’espace public et en particulier la sphère professionnelle leur furent exclusivement réservée . Mais l’idéologie traditionnelle et patriarcale a également mis en place un registre de genre spécifique à chaque sexe : ceux-ci désignent un  répertoire de valeurs, logiques, attitudes, construit de manière binaire. Chaque homme avait pour obligation de respecter au maximum dans son comportement les valeurs, logiques, attitudes inscrites dans le répertoire masculin, de même que pour les femmes avec le registre féminin. Le registre de genre se devait aussi de régir toutes les normes afférant au domaine réservé au sexe de celui qui devait les respecter : c’est ainsi que valeurs, logiques, attitudes féminines régirent la sphère domestique et que le registre masculin régît la sphère publique dont le monde professionnel. 

La profession d’architecte, ayant un grand nombre d’aspects techniques, s’est donc comme beaucoup de secteurs professionnels construite non seulement sur une hégémonie des travailleurs de sexe mâle, mais aussi des techniques de travail et un code de relation entre collègues qui se devaient de respecter les grands principes du registre masculin traditionnel de l’époque  : valorisation par la force (physique ou symbolique), absence d’émotion et d’empathie, l’autorité par le fait de susciter de la crainte, la logique de compétition, le culte de la performance, le sens de la hiérarchie, et l’abandon de soi dans une identité collective en sont les plus marquantes. Ces valeurs se confondaient avec celles de l’Etat et de la République, et ces derniers donnèrent pour mission aux professionnels de l’architecture de matérialiser, d’illustrer cette morale nationale, cette doctrine d’organisation de la société, au moins dans la construction des bâtiments administratifs, mais aussi parfois de bâtiments privés. L’encadrement de la profession par les services de l’Etat se comprend aussi dans cette logique.

Bien sûr, la révolution culturelle des années 1960 a mis à plat, notamment après 1968, l’application de cette idéologie traditionaliste et patriarcale par l’Etat . D’autres traditions ont disparu, comme le bizutage dans les écoles d’architecture qui était un frein à l’entrée des femmes dans ce métier. Mais les habitudes, les logiques d’organisation, les opportunités de positionnement ou repositionnement des individus ont mis du temps à inventer et installer des alternatives solides à la division sexuelle du travail et au respect immuable des codes traditionnels de genre.  L’ouverture de tous les secteurs professionnels et l’émancipation tant des femmes que des hommes face aux normes féminines et masculines traditionnelles se sont heureusement produites en même temps, mais de manière insuffisante pour garantir encore aujourd’hui à chacun la liberté de choix de son destin, notamment professionnel. 

A l’heure actuelle, dans de nombreux secteurs professionnels historiquement masculins, les conséquence de cette hégémonie historique des valeurs et logiques de genre masculines peuvent être encore visibles. On exige dans l’exercice de certains postes, notamment de management, en plus des compétences et savoir-faire validés par un diplôme, la tenue de certains critères dits de « savoir-être », qui correspondent en réalité à des valeurs, attitudes, ou logiques masculines traditionnelles. Ainsi, certains profils d’hommes et de femmes, que l’on interprète par un jugement sommaire comme n’appliquant pas assez les valeurs, logiques, ou attitudes masculines, se voient dans certains cas disqualifiés d’office en dépit de leurs compétences ou de leur savoir-faire. Les valeurs, logiques, attitudes féminines ne sont alors pas considérées comme légitimes ou appropriées pour telle ou telle fonction, notamment pour celles en haut de l’échelle hiérarchique. A l’inverse, les valeurs et logiques féminines peuvent être survalorisées sur d’autres postes, souvent moins gradées, davantage tournés vers l’assistance, ce qui peut amener à un sur-recrutement arbitraire des profils féminins sur ce type de poste. C’est l’autre versant de l’inégalité des genres.

 Cette inégalité se distingue d’une logique discriminante d’inégalité des sexes (sexisme) qui soutient que les femmes ne sont pas biologiquement capables de réaliser le même travail qu’un homme, car il s’agit ici d’une pensée qui pose les valeurs, logiques, et attitudes féminines traditionnelles comme illégitimes sur certains postes de travail. Ces discriminations  s’opèrent souvent par un principe de catégorisation artificielle qui juge les individus sur le paraitre et non sur leurs capacités professionnelles réelles. Cette inégalité des registres de genre dans le monde professionnel peut concerner aujourd’hui aussi bien des femmes que des hommes.

Nous avons recherché, au travers des témoignages des salariés interrogés par questionnaires, et des architectes interviewés, des illustrations concrètes de cette inégalité des genres qui se rajoute à l’inégalité des sexes (ou sexisme, qui existe aussi dans l’architecture et que nous aborderons plus tard) et qui la renforce.

La discrimination liée au registre de genre ne se ressent pas, d’après les femmes architectes interrogées, au moment de la formation. Une architecte témoigne : « Pendant mes études, on était autant de femmes que d’hommes, on avait des femmes professeurs qui avaient dû sûrement lutter un peu donc qui étaient vraiment des maitresses-femmes quand même, mais qui avaient déjà ouvert la profession aux femmes. Ma génération est arrivée dans une école tout à fait sans discriminations ». Le constat est partagé par une majorité des femmes architectes interrogées, quelque soit leur structure de formation initiale, à Paris ou en province. Cependant, une femme architecte nous témoigne qu’elle a eu des difficultés pour être recrutée comme professeur dans un organisme de formation : « Quand j’ai décidé d’être prof, j’ai passé le concours et j’ai dit ‘maintenant ça suffit’ au directeur, ‘j’en ai marre de votre système où vous pensez que c’est mieux que ce soit les hommes et ainsi de suite… »

En revanche, des logiques discriminantes peuvent être relevées dans les propos et sarcasmes qu’ont pu entendre les femmes architectes lors de visites sur les chantiers. Olivier Chadoin, dans son étude sur la construction sociale du corps professionnel des architectes , avait déjà pu noter la présence de propos intéressants à étudier du point de vue de l’inégalité des genres, tels que : « Mais que voulez-vous qu’une femme foute dans ce métier ! Ce n’est pas la peine de se pointer sur les chantiers en jupe et de monter les échafaudages, ce n’est pas sérieux ! ». Un témoignage qui à lui seul pourrait illustrer la représentation des valeurs, logiques, attitudes féminines comme étant illégitimes et inadaptées au métier, ainsi que le principe d’une catégorisation arbitraire qui conduit à penser que toutes les femmes respectent à la lettre le modèle traditionnel du registre de genre féminin, et ce dans toutes les circonstances.

 Les architectes femmes que nous avons nous-mêmes rencontrées ont quasiment toutes vécu le même procès de crédibilité en opérant des visites sur les chantiers. Une architecte témoigne : « Pour moi, ce qui a été le plus difficile c’était sur le chantier…le maçon me disait ‘Ma petite dame, les choses c’est comme cela et vous n’y connaissez rien ». Une autre architecte témoigne que le gérant de l’agence dans laquelle elle travaillait ne l’amenait jamais sur les chantiers : « Moi je vois très bien comment cela s’est passé en agence…l’architecte chez qui je travaillais au départ ne m’a pas mise sur le chantier, bon j’y trouvais mon compte en conception mais je pense que si j’avais été un homme, cela aurait été différent, j’aurais été plus présente sur le chantier. ». 
 Dans la représentation de certains acteurs de la profession, les valeurs masculines et féminines n’ont visiblement pas la même pertinence dans le secteur de l’architecture. Dans son autobiographie, l’architecte Claude Parent écrit sur sa vision personnelle de l’impertinence des valeurs féminines dans l’architecture : « Dans l’exercice de cet adoucissement décadent de l’architecture française, la femme a tenu un rôle capital. Gardienne des traditions du foyer, elle n’a cessé depuis le XVIII siècle d’apaiser, d’éroder les passions créatrices et leurs actions dévastatrices. L’aventure architecturale n’est pas de son fait. La permanence des structures surannées du vécu, l’apaisement de l’ambiance intérieure du logement, le frou-frou, le moelleux, le doré, sont pour elle les plus sûrs garants de la pérennité familiale et sociale». Clairement, l’architecte suggère que seules les valeurs masculines d’ordre, de force symbolique, de solidité, sont les plus légitimes pour l’architecture car les valeurs féminines n’auraient d’intérêt qu’à l’intérieur de l’espace domestique. Une manière aussi de dire, peut-être, que le cœur de métier de l’architecture devrait concerner l’enveloppe, la structure, et non l’aménagement intérieur, et que les valeurs masculines sont forcément meilleures pour garantir la solidité des structures, et par extension l’organisation de tout l’espace extérieur. 
  En 1980 déjà, une revue d’architecture soutenait que les valeurs et logiques féminines avaient, pour certains acteurs, une place à part dans la profession : « De nouvelles spécialités se créent, qui sont plus accessibles aux femmes, parce que ce sont des champs nouveaux et parce qu’il s’agit de tâches facilement considérées comme féminines : travail d’étude, de gestion, de conseil, de pédagogie, d’animation, d’information, d’aménagement intérieur ». Une répartition des tâches dans l’esprit de certains qu’ont pu ressentir également certaines architectes interrogées. Une architecte parisienne témoigne : « C’est vrai que l’on nous catalogue. Quand je dis que je suis architecte, souvent, on me demande : Ah, vous êtes architecte d’intérieur ? Je réponds  ‘non ! Je construis des bâtiments !’ ». Une autre architecte a vécu des expériences similaires : « Je travaille avec mon mari qui est également architecte. Souvent, pour les questions d’aménagement, de décoration, c’est à moi que le maitre d’ouvrage s’adresse et pas à lui. Alors que ces questions ne m’intéressent pas. » Clairement, les valeurs et logiques féminines traditionnelles ne sont pas toujours perçues comme correspondant aux valeurs et logiques du cœur du  métier de l’architecte, mais comme étant plutôt adéquates à des tâches annexes au cœur de métier, telles que la gestion et l’aménagement intérieur des espaces.
Les architectes que nous avons interrogés semblent avoir, hommes comme femmes, une  conception des valeurs et logiques du métier d’architecte encore relativement basée sur le registre de valeurs et logiques masculines. Pour beaucoup, un architecte doit d’abord savoir jouer des rapports de force et des rapports de pouvoir, tant pour se voir attribuer des projets que pour maitriser la chaine d’élaboration et de la construction. Une logique de forte compétition est visible dans leurs propos, mais celle-ci est à mettre autant sur le compte de la faiblesse de la demande et des offres que sur la volonté de se valoriser par rapport aux autres, de figurer à de bonnes places dans des classements. Le culte de la performance, également très visible, est également à comprendre dans cette optique de compétition. 
Les aspects techniques et scientifiques tiennent une place majeure dans la profession, devant les questions sociologiques et environnementales, même si ces dernières ont récemment gagné une nouvelle importance. Ces positions majoritaires sont des valeurs et des logiques qui étaient inscrites dans le registre de valeurs, logiques, et attitudes masculines traditionnelles. Le fait que les femmes que nous avons interrogées accordent autant d’importance que les hommes à ces critères montrent bien, contrairement aux préjugés,  qu’elles ont su s’adapter aux traditions masculines  du métier. 
De la survalorisation des valeurs masculines à propos de la fonction d’architecte en titre, et notamment de la conception de l’enveloppe, à la survalorisation des valeurs féminines pour des missions, d’architecte également, mais annexes et spécifiques, l’histoire peut apporter ses explications. Le principe sociologique d’une catégorisation identitaire artificielle, où l’on considère que toutes les femmes doivent vraisemblablement respecter les valeurs féminines traditionnelles, sans même juger les compétences réelles ou l’application effective des valeurs féminines dans leur travail, peut amener à une disqualification des femmes pour certaines fonctions, ou pour la réalisation de certains projets. Et bien sûr, les mêmes logiques orientent arbitrairement les femmes vers des fonctions, moins gradées, dont on considère qu’elles correspondent mieux aux valeurs et logiques féminines traditionnelles.

http://www.egalite-pro-femme-archi.eu/ 4.2 Une logique de sexisme plus discrète mais encore présente

La logique de naturalisation des compétences, qui soutient que les hommes et les femmes, ont des qualités et capacités biologiquement et définitivement différentes, s’est considérablement affaiblie dans son application au niveau de la sphère professionnelle depuis les années 1960. Il est possible que le principe soutenant l’inégalité des sexes cause moins de discrimination que celui de l’inégalité des genres que l’on vient d’examiner. Cependant, ce n’est pas parce que son application et ses dégâts peuvent s’avérer moindres qu’il  convient de ne pas l’analyser. 
 
  Dans les entretiens réalisés tant avec des architectes hommes ou femmes, très peu expriment le fait d’avoir perçu des propos ou des attitudes laissant à penser que les femmes ne seraient pas biologiquement, naturellement, capables d’exercer la même fonction que les hommes. Beaucoup en restent donc sur l’idée que du fait que les femmes doivent respecter davantage de valeurs féminines que masculines, leurs préoccupations et méthodes de travail doivent être plus ou moins différentes. Deux facteurs d’explication sont possibles pour cette faible évocation de la théorie de la différence biologique des compétences entre hommes et femmes.  D’une part, depuis les années 1970, de plus en plus de femmes exercent la fonction d’architecte en titre, ce qui crée des exemples visibles pour tous les acteurs que les femmes peuvent réussir dans le métier et sont capables d’assumer la charge de travail et les responsabilités d’un architecte.  D’autre part, une logique d’attitude dite du « politiquement correct » est très en vigueur en ce moment dans la sphère professionnelle française, laquelle amène à ne pas exprimer des positions discriminantes d’un point de vue global, mais en particulier des positions essentialistes, donc sexistes, en public. 
  
Des exemples de mise en cause des capacités biologiques des femmes, pensées comme différentes ou inférieures, peuvent être tout de même rapportés.  Dans son enquête réalisée en 2007, Ollivier Chadoin avait quant à lui pu repérer que certains (rares) professeurs d’architecture osaient encore émettre, devant leurs élèves, des doutes quant aux possibilités pour la « nature féminine » de «  lire dans l’espace ». D’après le même sociologue, quelques autres professeurs insisteraient également pour soutenir que les femmes seraient naturellement plus douées, de par leur sensibilité, pour l’aménagement, la décoration intérieure, ou encore le logement ordinaire. Une architecte que nous avons rencontrée suspecte que sur un chantier, une entreprise lui ait tendu un piège pour savoir si elle avait les capacités de monter sans assistance sur une grande échelle suspendue dans le vide : « Au cœur d’une voute dans une église, l’échafaudage était installé comme un grand plancher à dix-huit mètres du sol. Mais il fallait emprunter une grande échelle pour y accéder. Ce n’était pas réglementaire, mais l’entreprise voulait voir si j’allais pouvoir monter, c’est tout. Moi je n’avais pas peur du vide alors cela n’avait pas d’importance, j’ai monté rapidement, et puis je leur ai fait la morale… sur la sécurité ! ». 
 Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, l’essentiel des doutes sur la capacité naturelle des femmes à exercer le métier semble se focaliser davantage sur des possibilités physiques que sur le potentiel intellectuel, ce qui serait en cohérence avec le fait qu’une majorité de ces mise en cause sur les capacités naturelles se réalisent sur les chantiers et non dans les agences. L’application de cette logique peut être responsable pour une femme de difficultés à être recrutée sur certains postes, notamment de coordinatrice de chantier, de se faire respecter auprès de certains interlocuteurs, ce qui peut nuire à l’établissement du professionnalisme d’une personne. Cependant, du fait de la logique du politiquement correct, il est très difficile d’avoir une représentation précise de l’impact du respect de la notion de différence naturelle et indépassable des compétences et qualités des deux sexes. En tout état de cause, il s’agit de rester vigilant et de maintenir l’effort pédagogique de déconstruction de la représentation stéréotypée et naturalisante des qualités des hommes et des femmes. 

4.3 Une organisation structurelle encore défavorable aux profils féminins

 La progressive intégration des femmes dans le secteur de l’architecture a entrainé, comme dans de nombreux secteurs professionnels, des réorganisations structurelles importantes sur plusieurs aspects. Une négociation entre la tenue des responsabilités professionnelles et la gestion des responsabilités familiales  a dû s’opérer. 

Autrefois, l’architecte pouvait se prévaloir d’une très grande disponibilité du fait qu’il avait la possibilité -et l’habitude- de déléguer toutes les tâches familiales à son épouse. Désormais, qu’il soit un homme ou une femme, cette option ne peut plus être d’actualité, du fait de la réintégration des femmes dans l’espace professionnel et des difficultés posées aux femmes comme aux hommes par le manque de possibilités de garde des enfants. Hors cette tradition de grande disponibilité a créé des attentes, des exigences de la part des acteurs qui travaillent avec des architectes. Elle reste aussi induite par l’importance de la charge de travail d’un architecte.

Congés maternité ou paternité

Pour beaucoup de femmes architectes interrogées, le moment de la grossesse fut un moment très difficile à gérer. Les maitres d’ouvrages se montrent parfois très sceptiques sur la possibilité d’une femme à gérer des projets en même temps que d’être enceinte. Une architecte témoigne : « Lors des consultations ou des présentations, ce n’est pas forcément en votre faveur quand vous venez avec un gros ventre. Ils vous posent des questions : mais comment allez-vous faire ? Vous allez pouvoir être disponible ? Et si cela se passe mal ? ». La demande de disponibilité est à ce point importante que la même architecte nous livre une anecdote sur l’absence de limites de celle-ci dans l’esprit de certains acteurs : «  Même à la clinique, j’ai reçu un coup de fil d’un des clients, le lendemain de mon accouchement : ‘Oui j’ai besoin de telle ou telle chose, est-ce que vous ne pourriez pas le faire ? Je lui dis ‘Ecoutez je viens d’accoucher !’ et il me répond ‘Ah pardon, mais est-ce que vous ne pourriez pas quand même… ». 

Comme dans beaucoup de secteurs, des difficultés peuvent apparaitre pour les mères au retour de leur congé maternité. Des cas de personnes qui ne retrouvent pas leur précédent poste, qui n’accèdent pas à une promotion, ou même qui ont été licenciées à leur retour ont été décelés. Pour les hommes, la prise du congé légal de paternité s’avère aussi parfois très difficile, car celui-ci est très mal considéré par les employeurs.


L’équilibre vie professionnelle et vie familiale

La question de l’adéquation entre les responsabilités familiales et professionnelles est induite par une négociation, en amont, entre les conjoints sur le partage des tâches familiales. Cependant, ce partage ne peut être réalisé que si l’employeur de chacun des membres du foyer accepte de rendre quelque peu flexibles les horaires de travail. Les hommes ayant beaucoup de difficultés à obtenir cette disposition, la question du partage des tâches familiales du foyer mais aussi de la répartition entre responsabilités professionnelles et familiales s’avère très délicate pour de nombreuses femmes. De plus, les systèmes de garde d’enfants sont, comme nous le savons, très insuffisants et onéreux.  Les femmes doivent souvent demander de plus forts aménagements du temps du travail du fait de ces deux logiques. 

En conséquence, la solution du temps partiel s’avère être une nécessité par manque d’alternative pour un certain nombre de femmes salariés. Egalement, le positionnement sur un poste annexe à l’architecture ou à moindre responsabilité, exigeant une moindre disponibilité, peut être induit par le même principe. La demande de possibilités de télétravail peut également être à comprendre dans ce contexte, bien que celui-ci reste très peu développé dans l’architecture, du fait notamment de la nécessité de travailler en équipe dans les agences. Si la prise d’une demi-journée ou d’une journée est plus souvent tolérée pour les femmes que pour les hommes, l’initiative est fortement dévalorisée non seulement par les employeurs, mais aussi les autres salariés des agences. Pour les femmes architectes libérales, beaucoup n’ont d’autres choix que de sacrifier leur vie familiale si elles souhaitent conserver leur activité. Ceci dit, une majorité de femmes architectes s’accordent pour admettre que malgré le déséquilibre, le partage des tâches familiales est de plus en plus équitable entre les femmes et les hommes, les agences commençant à accorder de plus en plus d’horaires flexibles pour les hommes.

Les critères de recrutement et de promotion

Les architectes que nous avons interrogés dénoncent en majorité le flou qui entoure parfois les critères de recrutement et de promotion dans les agences, notamment dans les petites structures. La disponibilité du personnel, et le fait d’être à temps plein, sont des critères utilisés, selon les interrogés, par de nombreuses structures pour atteindre un poste à responsabilités ou une augmentation des salaires. Il arrive que ces critères aient même plus d’importance que l’expérience et les compétences professionnelles. Les femmes, plus concernées par le temps partiel et les aménagements d’horaires du fait des difficultés  que nous venons d’évoquer, sont donc prioritairement concernées par le phénomène. Beaucoup se plaignent de l’inexistence dans certaines agences d’entretiens individuels annuels afin de faire un point sur les compétences et sur les perspectives d’évolution. D’autres inégalités concernant l’accroissement des qualifications par la formation continue peuvent aussi exister, comme nous allons le voir plus tard. 
Dans le secteur public, les critères de recrutement et de promotion sont fixés et contrôlés de manière administrative, et les salaires sont strictement encadrés par une grille des salaires identique pour tous. Mais les difficultés pour les architectes se trouvent ailleurs, notamment dans le fait que l’administration n’intègre pas l’ancienneté des salariés ayant exercé une carrière antérieure sous le statut de libéral. Or, les données issues de notre enquête montrent que les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à exercer sous ce statut. 

Le poids des réseaux

De l’aveu des architectes que nous avons interrogés, et d’autres professionnels du secteur, l’importance d’être soutenu par un réseau est essentiel pour accéder à des commandes importantes. Des logiques de parrainage, entre anciens stagiaires et tuteurs, sont comme dans d’autres secteurs des réalités à ne pas nier. Des logiques de cooptation pour intégrer des réseaux d’entraide et de soutien se fabriquent parfois dans des lieux et des temporalités peu accessibles aux femmes, et sur la base de codes relativement masculins. Il peut s’agir par exemple de réunions nocturnes, organisées par des entreprises invitant des maitres d’ouvrages, des entrepreneurs, des décideurs économiques et politiques. Les femmes ont en général très peu accès à ces réunions, car elles s’organisent souvent sur la base de valeurs et logiques masculines que l’on juge en décalage avec les rôles féminins traditionnels. 

Il existe par ailleurs des réseaux de femmes architectes, à dimension nationale et internationale, mais qui ne sont encore pas suffisamment puissants pour rivaliser avec ceux fréquentés par les hommes. Parmi ces réseaux de femmes, on peut noter l’UIFA (Union Internationale des Femmes Architectes) ou le WIA (Women In Architecture, fondé par Angela BRADY, présidente du Royal Institute British of Architects) qui ont une vocation internationale majeure. Des réseaux nationaux restent encore à développer en France, lesquels restent encore au stade embryonnaire.

La répartition de l’effort de formation L’intégration des profils féminins dans le secteur de l’architecture s’est faite, comme nous l’avons vu, avec une répartition des postes qui veut que les femmes se trouvent aujourd’hui davantage sur les postes d’architecte dits ‘annexes’ que sur des postes dits de « cœur de métier ». Les données qualitatives de notre enquête nous précisent que l’accès à la formation pour les salariés non positionnés sur des fonctions dites de « cœur de métier » est relativement difficile. Plusieurs facteurs sont conjointement responsables de ce fait : la difficulté de trouver des formations adaptées à ces postes annexes sur l’ensemble du territoire national, le coût de celles-ci, l’organisation qu’elles demandent en termes de temps et de répartition de la charge de travail sur d’autres collègues en sont les principaux.

Il est aussi à prendre en compte le fait que les postes dits de « cœur de métier » sont soumis à une exigence de formation continue relativement forte par rapport à d’autres professions. Les formations sur la PAO/DAO, sur les nouveaux matériaux, les questions d’accessibilité, s’avèrent indispensables pour maintenir le niveau concurrentiel des compétences d’une agence. Pour celles-ci, et notamment pour les toutes petites structures, l’effort de formation s’avère relativement lourd et difficile à réaliser pour l’ensemble des postes.

La question de la répartition de l’effort de formation est pourtant cruciale pour la construction de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur de l’architecture. Les qualifications et compétences rentrent pour une part importante dans l’établissement des niveaux de salaires et dans les critères de promotion, mais aussi dans les exigences envers les architectes qui se présentent à des concours publics.

Le respect de la législation

  Progressivement, les lois portant sur la lutte contre les discriminations d’une part, et sur l’égalité professionnelle d’autre part, ont conduit les entreprises à développer des réflexes et des bonnes pratiques en matière d’égalité femmes-hommes. Certes, la petite taille de la plupart de structures privées de l’architecture fait que la plupart d’entre elles ne sont pas assujetties à la nouvelle obligation (loi de 2010, décret de 2011) de réaliser un bilan de situation comparée sur les inégalités entre les hommes et les femmes et de mettre en place des actions en cas de constatation d’inégalités manifestes. Cependant, elles ont, comme toute entreprise, l’obligation de respecter les principes de non-discrimination, lesquels excluent les différences de traitement, dans des situations comparables et à compétences comparables, entre les hommes et les femmes. 

L’existence de ce cadre législatif est globalement connu par les employeurs, mais les modalités d’application, concernant notamment ce que représente la notion de « situation comparable » reste faiblement maitrisé tant par les gérants d’agence que par les salariés eux-mêmes. Ainsi des écarts de rémunération entre hommes et femmes, sur des postes équivalents, à expériences et compétences équivalentes, peuvent persister sans même que les salariés ne sachent par quelles procédures réagir. La logique de compétition entre salariés,  assez présente dans ce secteur professionnel, n’aide pas non plus à une grande transparence sur le niveau de salaire des uns et des autres dans une agence ou une entreprise. 

La mise en place d’actions

 Sans être contrainte par les lois sur l’égalité professionnelle s’adressant en général à des entreprises de plus de 50 salariés, où qui possèdent des sections syndicales,  certaines entreprises ou agences d’architecture ont d’elles-mêmes décidé de la mise en place de certaines actions ou bonnes pratique en faveur de l’égalité femmes-hommes. .  Elles ont bien voulu en faire part dans notre enquête.  Il faut signaler que le cadre légal de la non-discrimination s’adresse, quoi qu’il en soit, à toutes les entreprises.  

Du point de vue de la formalisation des actions, beaucoup reste à faire. Cependant, même si aucune des entreprises qui ont répondu à notre questionnaire adressé aux gérants d’agences n’y est obligée, il s’avère que tout de même 25 % d’entre elles réalisent un bilan social annuel. Ces bilans leur ont permis de constater que le nombre de femmes présentes à des postes clés est en progression de 33% sur une échelle de 5 ans. Outre le bilan social, certaines entreprises témoignent de leur bonne volonté par des accords professionnels, ce qui concerne 3.7% de nos répondants. En revanche, aucune agence ne possède de stratégie affichée en matière d’égalité professionnelle telle que des chartes.

Pour ce qui concerne les actions concrètes, et ciblées,  réalisées par les agences et les salariés eux-mêmes, une grande diversité et inventivité sont visibles. La participation à une action de sensibilisation sur l’égalité professionnelle organisée par une association, l’inscription de son agence dans le réseau « Femmes entreprendre ensemble », la création d’un plan de formation individuel, la réalisation d’entretiens individuels concernant les compétences, l’aménagement des temps de pauses afin de finir la journée plus tôt, ou une réflexion sur l’ergonomie de certains postes sont les exemples d’actions les plus cités. Les agences qui s’investissent dans la question de l’égalité professionnelle ne manquent pas de possibilités d’actions quand elles se donnent la peine d’identifier les causes de ces inégalités. 
La plupart des agences interrogées s’avèrent très réticentes à l’idée de mener des actions dites « positives », c’est-à-dire offrant des avantages spécifiques aux femmes. Une majorité des salariés interrogés, d’hommes comme de femmes, ne sont pas non plus favorables à ce type de mesures. Pour exemple, l’aménagement d’horaires spécifique pour les femmes est, dans le contexte, plutôt mal accepté en agence. Une majorité d’agences et de salariés préféraient ainsi conserver des horaires identiques pour tous, ne concevant une politique d’égalité salariale que si elle se base sur des actions permettant une mise à égalité des conditions de travail. 

Conclusion de l’étude

La corrélation entre les données fournies par nos indicateurs d’inégalités et les données qualitatives des facteurs explicatifs permet de distinguer au moins trois phénomènes distincts responsables d’inégalités entre les femmes et les hommes dans le secteur de l’architecture. 

En premier lieu, des difficultés d’accès à des fonctions d’architecte dites de « cœur de métier », liées à un contexte historique de survalorisation des valeurs et logiques masculines sur ces postes, sont en partie responsables d’une répartition sexuée des fonctions et des missions attribuées aux hommes et aux femmes architectes entre ces fonctions et des fonctions considérées comme annexes mais qui requièrent tout de même un diplôme d’architecte.

En second lieu, une logique d’inégalité des sexes est en fort déclin depuis 1960 mais reste toujours présente dans certaines circonstances, notamment sur les chantiers. L’accession à des postes de gestion de chantier et l’exercice professionnel des femmes sur ces terrains sont rendus difficiles par cette logique de sexisme qui considère que les femmes ne sont biologiquement pas capables d’assumer des tâches techniques.

Enfin, il faut noter que l’organisation structurelle du secteur peut s’avérer encore difficilement conciliable avec certaines contraintes souvent supportées par les femmes liées aux rôles traditionnels familiaux. En conséquence, la problématique de la gestion des temps, entre exigence de disponibilité et contraintes familiales, est une source d’inégalité importante entre les femmes et les hommes. Elle amène à réaliser des choix contraints de cantonnement à des postes plus souples en termes d’horaires mais aussi à moindres responsabilités et plus précaires, comme nous le démontrent nos indicateurs d’inégalités. Cette organisation structurelle trop rigide amène aussi à des prétextes de moindre rémunération, de moindre promotion et à une plus forte méfiance envers la capacité des femmes à exercer le métier. Ces conséquences sont corroborées par les indicateurs d’inégalités statistiques de notre enquête : coefficients hiérarchiques plus faibles, rémunérations inférieures à celles des hommes, chiffres d’affaires inégaux notamment.

6. Perspectives de plans d’action

 Les résultats de notre enquête en termes de localisation des inégalités et d’explication de leur existence mettent en lumière les thématiques à prendre en compte dans la construction d’une politique d’égalité propre au secteur de l’architecture et des indications précieuses concernant la mise en place d’actions.

a.Les thématiques à aborder

Les éléments suivants sont notamment déterminants :

-la représentation des qualités que l’on attribue aux hommes et aux femmes, notamment dans le contexte des chantiers, afin de déconstruire les préjugés sur les moindres compétences techniques des femmes.

-la demande de disponibilité très importante qui amène à un besoin de modes de garde des enfants qui soient relativement souples et financièrement accessibles.

-l’adaptation et l’accessibilité des formations pour les personnels occupants des fonctions qui ne pas considérées comme « cœur de métier » et qui sont occupées par beaucoup de femmes architectes

- le besoin de transparence à propos des critères de rémunération et de progression en agence, notamment liées au culte du présentéisme ou au savoir-être

-la dévalorisation des fonctions dites « annexes » à l’architecture, et des champs de compétences nouveaux, issus des nouvelles préoccupations sociologiques et environnementales

-l’illégitimité supposée de certaines valeurs et logiques féminines pour la conception de l’enveloppe (la structure) et des aménagements extérieurs

-les logiques de cooptation et de soutien entre architectes par des réseaux exclusivement masculins qui défendent leurs propres intérêts.

-La désapprobation par les gérants d’agence comme par les salariés des mesures dites « positives » en faveur des femmes pour ce qui concerne l’aménagement des conditions de travail.

b.Adapter les actions au secteur de l’architecture

Une étude de la structure organisationnelle du secteur d’activité permet de distinguer les approches méthodologiques les plus appropriées dans la mise en place d’actions ou de programmes de lutte contre les inégalités et les discriminations. À la vue des indications apportées par notre étude, plusieurs orientations importantes pour l’efficacité d’actions dans le secteur sont à signaler.

Les agences d’architecture, qui représentent la plus grande source d’emploi dans le secteur, sont souvent de très petites structures, qui ne dépassent pas les 4 ou 5 employés. Ces structures ne sont pas soumises à la plupart des lois concernant la mise en place d’actions pour l’égalité professionnelle, puisque celles-ci ne s’adressent souvent qu’aux entreprises de plus de 200 salariés. Ces agences sont toutefois contraintes par le cadre de la lutte contre les discriminations, lequel interdit des traitement inégaux dans des situations comparables, notamment sur le critère du sexe, mais qui ne détaille pas de procédures pour corriger les inégalités.

Afin de motiver les agences à agir, il apparaît judicieux de communiquer en priorité sur les avantages que peut apporter l’introduction ou le renforcement de la mixité et de la parité, tout en rappelant les sanctions prévues dans le cadre des lois antidiscriminatoires. S’appuyer sur le cadre législatif de l’égalité professionnelle risquerait de faire prendre conscience aux acteurs professionnels de l’absence de sanctions prévues pour le type d’organisation structurelle des agences, et donc de décourager les gérants de ces agences de s’investir dans cette problématique.

  L’adaptation des outils de construction de l’égalité et de la parité à la taille des agences, en termes de nombre de salariés mais aussi de moyens financiers et de temps. La réalisation d’un bilan social annuel peut s’avérer à la fois difficile, longue et impertinente pour une structure qui ne possède que 5 salariés. La proposition de la comparaison des écarts de salaires sur un même poste entre hommes et femmes est par exemple, à l’image de beaucoup d’autres propositions générales courantes, parfaitement inutile dans notre cas. Il faut donc construire des guides spécifiques au secteur qui ne présentent que les efforts de diagnostics compatibles avec l’organisation des agences : étudier la répartition des postes, les différences de salaires entre les fonctions, la distribution égale des opportunités de formation et de promotion, etc., et mettre en place des outils d’évaluation simplifiés. 
 Un autre point peut concerner la mise en place de négociations pour corriger les inégalités : il peut s’avérer utile de proposer une procédure simplifiée mais bien délimitée par étapes progressives pour amener les salariés et les gérants à négocier dans un contexte de proximité et de lien étroit entre les salariés et entre les salariés et le gérant. L’important est que chaque acteur puisse avoir le temps de connaître ses droits et ses devoirs, et de mettre sur pied un argumentaire ou des éléments en vue de défendre ses intérêts sans perturber le climat social de l’agence.  
Un dernier point concerne l’échelle d’organisation des actions ou des programmes en faveur de l’égalité professionnelle, et la répartition des responsabilités accordées à chaque acteur. Comme dans beaucoup d’autres secteurs historiquement masculins ou féminins, la lutte contre les stéréotypes et contre l’attribution de qualités ou de rôles différents aux femmes ou aux hommes se fait de la manière la plus appropriée à l’échelle nationale. Pour ce qui concerne la mise en place de mesures d’accompagnement de l’intégration ou de la progression des femmes dans certains postes, la position des Ordres Régionaux de l’Architecture peut être plus intéressante. Ceux-ci sont en effet parfois directement en contact avec des maîtres d’ouvrage importants et les représentants ou gérants des agences elles-mêmes. Les ordres régionaux, de par leurs contacts, peuvent aussi mener une prévention de proximité à propos des logiques de cooptation entre hommes et des réseaux de soutien exclusivement masculin

CONCLUSION GENERALE

  Un long chemin parcouru depuis les années 1960 a été réalisé pour intégrer une population féminine jusqu’ici quasiment exclu de la profession d’architecte pour des raisons idéologiques. Mais des inégalités importantes demeurent encore aujourd’hui entre les hommes et les femmes architectes. Une absence de repérage des logiques inégalitaire est, sans doute, responsable du fait que l’idéologie traditionaliste et patriarcale continue d’influer, d’orienter leur destin et leur exercice professionnel en fonction de leur sexe. 
L’architecture est un milieu qui s’est construit, comme l’essentiel des métiers de la sphère professionnelle, sur des valeurs masculines traditionnelles. Le secteur doit cependant spécifiquement apprendre à se défaire d’une responsabilité historique en matière de diffusion et de matérialisation des valeurs, logiques, principes d’Etat inspirées de manière hégémonique par les valeurs masculines traditionnelles. Deux principes en terme de construction de l’égalité s’impose dans un tel contexte : démontrer que les femmes peuvent (et réussissent) à respecter les valeurs et logiques masculines spécifiques à l’architecture aussi bien que ne le font les hommes, et affirmer également que les valeurs féminines apportent des richesses précieuses pour le métier sans remettre en cause les acquis. 

L’étude de la restructuration nécessaire à l’intégration ou à la promotion (selon les circonstances) des profils féminins dans l’architecture témoignent non seulement de l’actualité des phénomènes inégalitaires mais aussi des contraintes lourdes qui pèsent sur les responsables d’entreprises et les acteurs de l’égalité professionnelle pour unir les femmes et les hommes dans l’établissement de conditions d’exercice professionnelle équivalentes. La répartition sexuée des postes, la dévalorisation des fonctions « annexes » au cœur de métier, les critères de recrutement et de promotions fondées sur un savoir-être genré ou le culte du présentéisme sont des questions qu’il convient d’aborder sans tabou. Une meilleure répartition du prestige, des avantages professionnels, et des responsabilités familiales peuvent se faire au bénéfice tant des hommes que des femmes, en plus d’être les conditions d’une égalité professionnelle réelle dans le secteur.

10 PRECONISATIONS POUR CONSTRUIRE L’EGALITE PROFESSIONNNELLE 1.Agir dès la formation initiale, pour garantir l’égalité des chances Mettre en place une option « création d’agence » pour les HMNOP– cours adaptés Mener des actions de préventions sur les inégalités et préjugés au cours de la formation initiale Mettre en place des tutorats et des parrainages pour faciliter la création des jeunes entreprises via les professeurs, l’ordre ou les syndicats…

2.Mieux accompagner l’insertion professionnelle, pour éviter une ségrégation des réussites Inciter à la création d’agences aux compétences complémentaires par une diffusion d’informations sur l’état du marché Améliorer l’information et l’accès aux centres multi services et aux pépinières d’entreprise

3.Penser la formation continue comme moteur de promotion, y compris à partir des postes annexes au « cœur de métier » Bénéficier d’une formation spécialisée aux techniques métiers et évolution des métiers spécialisés pour architectes Adapter les formations spécifiquement pour les personnels travaillant sur des postes dits « annexes » au cœur de métier, qui sont plus souvent des femmes.

4.Diffuser le cadre législatif et prévenir des risques de sanctions

5. Renforcer la visibilité des femmes dans le métier, et lutter contre les préjugés Organiser davantage d’expositions de femmes architectes, des articles, parler d’elles dans les revues … et pas seulement pour des microprojets, au même titre que les hommes. Revaloriser les fonctions dites « annexes » au cœur de métier, souvent exercées par des femmes architectes

6.Aménager, organiser le temps de travail en faveur d’un équilibre vie familiale-vie professionnelle pour les femmes comme pour les hommes Organisation des réunions entre 9h et 18h uniquement; Aider à la mise en place de systèmes de garde compatibles avec une demande de forte disponibilité en agence

7.Apporter des outils pratiques aux professionnels, pour soutenir la mise en place de bonnes pratiques Produire des kits pour expliquer les étapes nécessaires pour appliquer des mesures en faveur de l’égalité

8.Impliquer et responsabiliser tous les acteurs, afin de répartir les efforts et démultiplier les forces de construction de l’égalité Fixer des règles de transparence à propos des critères de rémunération et de promotion,

Créer un prix spécifique de l’égalité pour les cabinets d’architecture particulièrement engagés sur ce thème

9.Développer des réseaux, pour renforcer et enrichir les actions

10.Mobiliser les instances, pour renseigner sur les inégalités et contrôler l’application des lois : proposition de créer un observatoire de l’égalité dans l’architecture Disposer de données genrées dans l’observatoire de l’ordre sur la profession S’assurer que les grandes entreprises du secteur appliquent la législation sur l’égalité par des contrôles.


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Etre architecte : les vertus de l’indétermination. De la sociologie d’une profession à la sociologie du travail professionnel, Olivier Chadoin, PULIM, p. 104, Limoges, 2007






















Nous avons recherché, au travers des témoignages des salariés interrogés par questionnaires, et des architectes interviewés, des illustrations concrètes de cette inégalité des genres qui se rajoute à l’inégalité des sexes (ou sexisme, qui existe aussi dans l’architecture et que nous aborderons plus tard) et qui la renforce.

La discrimination liée au registre de genre ne se ressent pas, d’après les femmes architectes interrogées, au moment de la formation. Une architecte témoigne : « Pendant mes études, on était autant de femmes que d’hommes, on avait des femmes professeurs qui avaient dû sûrement lutter un peu donc qui étaient vraiment des maitresses-femmes quand même, mais qui avaient déjà ouvert la profession aux femmes. Ma génération est arrivée dans une école tout à fait sans discriminations ». Le constat est partagé par une majorité des femmes architectes interrogées, quelque soit leur structure de formation initiale, à Paris ou en province. Cependant, une femme architecte nous témoigne qu’elle a eu des difficultés pour être recrutée comme professeur dans un organisme de formation : « Quand j’ai décidé d’être prof, j’ai passé le concours et j’ai dit ‘maintenant ça suffit’ au directeur, ‘j’en ai marre de votre système où vous pensez que c’est mieux que ce soit les hommes et ainsi de suite… »

En revanche, des logiques discriminantes peuvent être relevées dans les propos et sarcasmes qu’ont pu entendre les femmes architectes lors de visites sur les chantiers. Olivier Chadoin, dans son étude sur la construction sociale du corps professionnel des architectes , avait déjà pu noter la présence de propos intéressants à étudier du point de vue de l’inégalité des genres, tels que : « Mais que voulez-vous qu’une femme foute dans ce métier ! Ce n’est pas la peine de se pointer sur les chantiers en jupe et de monter les échafaudages, ce n’est pas sérieux ! ». Un témoignage qui à lui seul pourrait illustrer la représentation des valeurs, logiques, attitudes féminines comme étant illégitimes et inadaptées au métier, ainsi que le principe d’une catégorisation arbitraire qui conduit à penser que toutes les femmes respectent à la lettre le modèle traditionnel du registre de genre féminin, et ce dans toutes les circonstances.

 Les architectes femmes que nous avons nous-mêmes rencontrées ont quasiment toutes vécu le même procès de crédibilité en opérant des visites sur les chantiers. Une architecte témoigne : « Pour moi, ce qui a été le plus difficile c’était sur le chantier…le maçon me disait ‘Ma petite dame, les choses c’est comme cela et vous n’y connaissez rien ». Une autre architecte témoigne que le gérant de l’agence dans laquelle elle travaillait ne l’amenait jamais sur les chantiers : « Moi je vois très bien comment cela s’est passé en agence…l’architecte chez qui je travaillais au départ ne m’a pas mise sur le chantier, bon j’y trouvais mon compte en conception mais je pense que si j’avais été un homme, cela aurait été différent, j’aurais été plus présente sur le chantier. ». 
 Dans la représentation de certains acteurs de la profession, les valeurs masculines et féminines n’ont visiblement pas la même pertinence dans le secteur de l’architecture. Dans son autobiographie, l’architecte Claude Parent écrit sur sa vision personnelle de l’impertinence des valeurs féminines dans l’architecture : « Dans l’exercice de cet adoucissement décadent de l’architecture française, la femme a tenu un rôle capital. Gardienne des traditions du foyer, elle n’a cessé depuis le XVIII siècle d’apaiser, d’éroder les passions créatrices et leurs actions dévastatrices. L’aventure architecturale n’est pas de son fait. La permanence des structures surannées du vécu, l’apaisement de l’ambiance intérieure du logement, le frou-frou, le moelleux, le doré, sont pour elle les plus sûrs garants de la pérennité familiale et sociale». Clairement, l’architecte suggère que seules les valeurs masculines d’ordre, de force symbolique, de solidité, sont les plus légitimes pour l’architecture car les valeurs féminines n’auraient d’intérêt qu’à l’intérieur de l’espace domestique. Une manière aussi de dire, peut-être, que le cœur de métier de l’architecture devrait concerner l’enveloppe, la structure, et non l’aménagement intérieur, et que les valeurs masculines sont forcément meilleures pour garantir la solidité des structures, et par extension l’organisation de tout l’espace extérieur. 
  En 1980 déjà, une revue d’architecture soutenait que les valeurs et logiques féminines avaient, pour certains acteurs, une place à part dans la profession : « De nouvelles spécialités se créent, qui sont plus accessibles aux femmes, parce que ce sont des champs nouveaux et parce qu’il s’agit de tâches facilement considérées comme féminines : travail d’étude, de gestion, de conseil, de pédagogie, d’animation, d’information, d’aménagement intérieur ». Une répartition des tâches dans l’esprit de certains qu’ont pu ressentir également certaines architectes interrogées. Une architecte parisienne témoigne : « C’est vrai que l’on nous catalogue. Quand je dis que je suis architecte, souvent, on me demande : Ah, vous êtes architecte d’intérieur ? Je réponds  ‘non ! Je construis des bâtiments !’ ». Une autre architecte a vécu des expériences similaires : « Je travaille avec mon mari qui est également architecte. Souvent, pour les questions d’aménagement, de décoration, c’est à moi que le maitre d’ouvrage s’adresse et pas à lui. Alors que ces questions ne m’intéressent pas. » Clairement, les valeurs et logiques féminines traditionnelles ne sont pas toujours perçues comme correspondant aux valeurs et logiques du cœur du  métier de l’architecte, mais comme étant plutôt adéquates à des tâches annexes au cœur de métier, telles que la gestion et l’aménagement intérieur des espaces.
Les architectes que nous avons interrogés semblent avoir, hommes comme femmes, une  conception des valeurs et logiques du métier d’architecte encore relativement basée sur le registre de valeurs et logiques masculines. Pour beaucoup, un architecte doit d’abord savoir jouer des rapports de force et des rapports de pouvoir, tant pour se voir attribuer des projets que pour maitriser la chaine d’élaboration et de la construction. Une logique de forte compétition est visible dans leurs propos, mais celle-ci est à mettre autant sur le compte de la faiblesse de la demande et des offres que sur la volonté de se valoriser par rapport aux autres, de figurer à de bonnes places dans des classements. Le culte de la performance, également très visible, est également à comprendre dans cette optique de compétition. 
Les aspects techniques et scientifiques tiennent une place majeure dans la profession, devant les questions sociologiques et environnementales, même si ces dernières ont récemment gagné une nouvelle importance. Ces positions majoritaires sont des valeurs et des logiques qui étaient inscrites dans le registre de valeurs, logiques, et attitudes masculines traditionnelles. Le fait que les femmes que nous avons interrogées accordent autant d’importance que les hommes à ces critères montrent bien, contrairement aux préjugés,  qu’elles ont su s’adapter aux traditions masculines  du métier. 
De la survalorisation des valeurs masculines à propos de la fonction d’architecte en titre, et notamment de la conception de l’enveloppe, à la survalorisation des valeurs féminines pour des missions, d’architecte également, mais annexes et spécifiques, l’histoire peut apporter ses explications. Le principe sociologique d’une catégorisation identitaire artificielle, où l’on considère que toutes les femmes doivent vraisemblablement respecter les valeurs féminines traditionnelles, sans même juger les compétences réelles ou l’application effective des valeurs féminines dans leur travail, peut amener à une disqualification des femmes pour certaines fonctions, ou pour la réalisation de certains projets. Et bien sûr, les mêmes logiques orientent arbitrairement les femmes vers des fonctions, moins gradées, dont on considère qu’elles correspondent mieux aux valeurs et logiques féminines traditionnelles.

4.2 Une logique de sexisme plus discrète mais encore présente

La logique de naturalisation des compétences, qui soutient que les hommes et les femmes, ont des qualités et capacités biologiquement et définitivement différentes, s’est considérablement affaiblie dans son application au niveau de la sphère professionnelle depuis les années 1960. Il est possible que le principe soutenant l’inégalité des sexes cause moins de discrimination que celui de l’inégalité des genres que l’on vient d’examiner. Cependant, ce n’est pas parce que son application et ses dégâts peuvent s’avérer moindres qu’il  convient de ne pas l’analyser. 
 
  Dans les entretiens réalisés tant avec des architectes hommes ou femmes, très peu expriment le fait d’avoir perçu des propos ou des attitudes laissant à penser que les femmes ne seraient pas biologiquement, naturellement, capables d’exercer la même fonction que les hommes. Beaucoup en restent donc sur l’idée que du fait que les femmes doivent respecter davantage de valeurs féminines que masculines, leurs préoccupations et méthodes de travail doivent être plus ou moins différentes. Deux facteurs d’explication sont possibles pour cette faible évocation de la théorie de la différence biologique des compétences entre hommes et femmes.  D’une part, depuis les années 1970, de plus en plus de femmes exercent la fonction d’architecte en titre, ce qui crée des exemples visibles pour tous les acteurs que les femmes peuvent réussir dans le métier et sont capables d’assumer la charge de travail et les responsabilités d’un architecte.  D’autre part, une logique d’attitude dite du « politiquement correct » est très en vigueur en ce moment dans la sphère professionnelle française, laquelle amène à ne pas exprimer des positions discriminantes d’un point de vue global, mais en particulier des positions essentialistes, donc sexistes, en public. 
  
Des exemples de mise en cause des capacités biologiques des femmes, pensées comme différentes ou inférieures, peuvent être tout de même rapportés.  Dans son enquête réalisée en 2007, Ollivier Chadoin avait quant à lui pu repérer que certains (rares) professeurs d’architecture osaient encore émettre, devant leurs élèves, des doutes quant aux possibilités pour la « nature féminine » de «  lire dans l’espace ». D’après le même sociologue, quelques autres professeurs insisteraient également pour soutenir que les femmes seraient naturellement plus douées, de par leur sensibilité, pour l’aménagement, la décoration intérieure, ou encore le logement ordinaire. Une architecte que nous avons rencontrée suspecte que sur un chantier, une entreprise lui ait tendu un piège pour savoir si elle avait les capacités de monter sans assistance sur une grande échelle suspendue dans le vide : « Au cœur d’une voute dans une église, l’échafaudage était installé comme un grand plancher à dix-huit mètres du sol. Mais il fallait emprunter une grande échelle pour y accéder. Ce n’était pas réglementaire, mais l’entreprise voulait voir si j’allais pouvoir monter, c’est tout. Moi je n’avais pas peur du vide alors cela n’avait pas d’importance, j’ai monté rapidement, et puis je leur ai fait la morale… sur la sécurité ! ». 
 Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, l’essentiel des doutes sur la capacité naturelle des femmes à exercer le métier semble se focaliser davantage sur des possibilités physiques que sur le potentiel intellectuel, ce qui serait en cohérence avec le fait qu’une majorité de ces mise en cause sur les capacités naturelles se réalisent sur les chantiers et non dans les agences. L’application de cette logique peut être responsable pour une femme de difficultés à être recrutée sur certains postes, notamment de coordinatrice de chantier, de se faire respecter auprès de certains interlocuteurs, ce qui peut nuire à l’établissement du professionnalisme d’une personne. Cependant, du fait de la logique du politiquement correct, il est très difficile d’avoir une représentation précise de l’impact du respect de la notion de différence naturelle et indépassable des compétences et qualités des deux sexes. En tout état de cause, il s’agit de rester vigilant et de maintenir l’effort pédagogique de déconstruction de la représentation stéréotypée et naturalisante des qualités des hommes et des femmes. 

4.3 Une organisation structurelle encore défavorable aux profils féminins

 La progressive intégration des femmes dans le secteur de l’architecture a entrainé, comme dans de nombreux secteurs professionnels, des réorganisations structurelles importantes sur plusieurs aspects. Une négociation entre la tenue des responsabilités professionnelles et la gestion des responsabilités familiales  a dû s’opérer. 

Autrefois, l’architecte pouvait se prévaloir d’une très grande disponibilité du fait qu’il avait la possibilité -et l’habitude- de déléguer toutes les tâches familiales à son épouse. Désormais, qu’il soit un homme ou une femme, cette option ne peut plus être d’actualité, du fait de la réintégration des femmes dans l’espace professionnel et des difficultés posées aux femmes comme aux hommes par le manque de possibilités de garde des enfants. Hors cette tradition de grande disponibilité a créé des attentes, des exigences de la part des acteurs qui travaillent avec des architectes. Elle reste aussi induite par l’importance de la charge de travail d’un architecte.

Congés maternité ou paternité

Pour beaucoup de femmes architectes interrogées, le moment de la grossesse fut un moment très difficile à gérer. Les maitres d’ouvrages se montrent parfois très sceptiques sur la possibilité d’une femme à gérer des projets en même temps que d’être enceinte. Une architecte témoigne : « Lors des consultations ou des présentations, ce n’est pas forcément en votre faveur quand vous venez avec un gros ventre. Ils vous posent des questions : mais comment allez-vous faire ? Vous allez pouvoir être disponible ? Et si cela se passe mal ? ». La demande de disponibilité est à ce point importante que la même architecte nous livre une anecdote sur l’absence de limites de celle-ci dans l’esprit de certains acteurs : «  Même à la clinique, j’ai reçu un coup de fil d’un des clients, le lendemain de mon accouchement : ‘Oui j’ai besoin de telle ou telle chose, est-ce que vous ne pourriez pas le faire ? Je lui dis ‘Ecoutez je viens d’accoucher !’ et il me répond ‘Ah pardon, mais est-ce que vous ne pourriez pas quand même… ». 

Comme dans beaucoup de secteurs, des difficultés peuvent apparaitre pour les mères au retour de leur congé maternité. Des cas de personnes qui ne retrouvent pas leur précédent poste, qui n’accèdent pas à une promotion, ou même qui ont été licenciées à leur retour ont été décelés. Pour les hommes, la prise du congé légal de paternité s’avère aussi parfois très difficile, car celui-ci est très mal considéré par les employeurs.


L’équilibre vie professionnelle et vie familiale

La question de l’adéquation entre les responsabilités familiales et professionnelles est induite par une négociation, en amont, entre les conjoints sur le partage des tâches familiales. Cependant, ce partage ne peut être réalisé que si l’employeur de chacun des membres du foyer accepte de rendre quelque peu flexibles les horaires de travail. Les hommes ayant beaucoup de difficultés à obtenir cette disposition, la question du partage des tâches familiales du foyer mais aussi de la répartition entre responsabilités professionnelles et familiales s’avère très délicate pour de nombreuses femmes. De plus, les systèmes de garde d’enfants sont, comme nous le savons, très insuffisants et onéreux.  Les femmes doivent souvent demander de plus forts aménagements du temps du travail du fait de ces deux logiques. 

En conséquence, la solution du temps partiel s’avère être une nécessité par manque d’alternative pour un certain nombre de femmes salariés. Egalement, le positionnement sur un poste annexe à l’architecture ou à moindre responsabilité, exigeant une moindre disponibilité, peut être induit par le même principe. La demande de possibilités de télétravail peut également être à comprendre dans ce contexte, bien que celui-ci reste très peu développé dans l’architecture, du fait notamment de la nécessité de travailler en équipe dans les agences. Si la prise d’une demi-journée ou d’une journée est plus souvent tolérée pour les femmes que pour les hommes, l’initiative est fortement dévalorisée non seulement par les employeurs, mais aussi les autres salariés des agences. Pour les femmes architectes libérales, beaucoup n’ont d’autres choix que de sacrifier leur vie familiale si elles souhaitent conserver leur activité. Ceci dit, une majorité de femmes architectes s’accordent pour admettre que malgré le déséquilibre, le partage des tâches familiales est de plus en plus équitable entre les femmes et les hommes, les agences commençant à accorder de plus en plus d’horaires flexibles pour les hommes.

Les critères de recrutement et de promotion

Les architectes que nous avons interrogés dénoncent en majorité le flou qui entoure parfois les critères de recrutement et de promotion dans les agences, notamment dans les petites structures. La disponibilité du personnel, et le fait d’être à temps plein, sont des critères utilisés, selon les interrogés, par de nombreuses structures pour atteindre un poste à responsabilités ou une augmentation des salaires. Il arrive que ces critères aient même plus d’importance que l’expérience et les compétences professionnelles. Les femmes, plus concernées par le temps partiel et les aménagements d’horaires du fait des difficultés  que nous venons d’évoquer, sont donc prioritairement concernées par le phénomène. Beaucoup se plaignent de l’inexistence dans certaines agences d’entretiens individuels annuels afin de faire un point sur les compétences et sur les perspectives d’évolution. D’autres inégalités concernant l’accroissement des qualifications par la formation continue peuvent aussi exister, comme nous allons le voir plus tard. 
Dans le secteur public, les critères de recrutement et de promotion sont fixés et contrôlés de manière administrative, et les salaires sont strictement encadrés par une grille des salaires identique pour tous. Mais les difficultés pour les architectes se trouvent ailleurs, notamment dans le fait que l’administration n’intègre pas l’ancienneté des salariés ayant exercé une carrière antérieure sous le statut de libéral. Or, les données issues de notre enquête montrent que les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à exercer sous ce statut. 

Le poids des réseaux

De l’aveu des architectes que nous avons interrogés, et d’autres professionnels du secteur, l’importance d’être soutenu par un réseau est essentiel pour accéder à des commandes importantes. Des logiques de parrainage, entre anciens stagiaires et tuteurs, sont comme dans d’autres secteurs des réalités à ne pas nier. Des logiques de cooptation pour intégrer des réseaux d’entraide et de soutien se fabriquent parfois dans des lieux et des temporalités peu accessibles aux femmes, et sur la base de codes relativement masculins. Il peut s’agir par exemple de réunions nocturnes, organisées par des entreprises invitant des maitres d’ouvrages, des entrepreneurs, des décideurs économiques et politiques. Les femmes ont en général très peu accès à ces réunions, car elles s’organisent souvent sur la base de valeurs et logiques masculines que l’on juge en décalage avec les rôles féminins traditionnels. 

Il existe par ailleurs des réseaux de femmes architectes, à dimension nationale et internationale, mais qui ne sont encore pas suffisamment puissants pour rivaliser avec ceux fréquentés par les hommes. Parmi ces réseaux de femmes, on peut noter l’UIFA (Union Internationale des Femmes Architectes) ou le WIA (Women In Architecture, fondé par Angela BRADY, présidente du Royal Institute British of Architects) qui ont une vocation internationale majeure. Des réseaux nationaux restent encore à développer en France, lesquels restent encore au stade embryonnaire.

La répartition de l’effort de formation L’intégration des profils féminins dans le secteur de l’architecture s’est faite, comme nous l’avons vu, avec une répartition des postes qui veut que les femmes se trouvent aujourd’hui davantage sur les postes d’architecte dits ‘annexes’ que sur des postes dits de « cœur de métier ». Les données qualitatives de notre enquête nous précisent que l’accès à la formation pour les salariés non positionnés sur des fonctions dites de « cœur de métier » est relativement difficile. Plusieurs facteurs sont conjointement responsables de ce fait : la difficulté de trouver des formations adaptées à ces postes annexes sur l’ensemble du territoire national, le coût de celles-ci, l’organisation qu’elles demandent en termes de temps et de répartition de la charge de travail sur d’autres collègues en sont les principaux.

Il est aussi à prendre en compte le fait que les postes dits de « cœur de métier » sont soumis à une exigence de formation continue relativement forte par rapport à d’autres professions. Les formations sur la PAO/DAO, sur les nouveaux matériaux, les questions d’accessibilité, s’avèrent indispensables pour maintenir le niveau concurrentiel des compétences d’une agence. Pour celles-ci, et notamment pour les toutes petites structures, l’effort de formation s’avère relativement lourd et difficile à réaliser pour l’ensemble des postes.

La question de la répartition de l’effort de formation est pourtant cruciale pour la construction de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur de l’architecture. Les qualifications et compétences rentrent pour une part importante dans l’établissement des niveaux de salaires et dans les critères de promotion, mais aussi dans les exigences envers les architectes qui se présentent à des concours publics.

Le respect de la législation

  Progressivement, les lois portant sur la lutte contre les discriminations d’une part, et sur l’égalité professionnelle d’autre part, ont conduit les entreprises à développer des réflexes et des bonnes pratiques en matière d’égalité femmes-hommes. Certes, la petite taille de la plupart de structures privées de l’architecture fait que la plupart d’entre elles ne sont pas assujetties à la nouvelle obligation (loi de 2010, décret de 2011) de réaliser un bilan de situation comparée sur les inégalités entre les hommes et les femmes et de mettre en place des actions en cas de constatation d’inégalités manifestes. Cependant, elles ont, comme toute entreprise, l’obligation de respecter les principes de non-discrimination, lesquels excluent les différences de traitement, dans des situations comparables et à compétences comparables, entre les hommes et les femmes. 

L’existence de ce cadre législatif est globalement connu par les employeurs, mais les modalités d’application, concernant notamment ce que représente la notion de « situation comparable » reste faiblement maitrisé tant par les gérants d’agence que par les salariés eux-mêmes. Ainsi des écarts de rémunération entre hommes et femmes, sur des postes équivalents, à expériences et compétences équivalentes, peuvent persister sans même que les salariés ne sachent par quelles procédures réagir. La logique de compétition entre salariés,  assez présente dans ce secteur professionnel, n’aide pas non plus à une grande transparence sur le niveau de salaire des uns et des autres dans une agence ou une entreprise. 

La mise en place d’actions

 Sans être contrainte par les lois sur l’égalité professionnelle s’adressant en général à des entreprises de plus de 50 salariés, où qui possèdent des sections syndicales,  certaines entreprises ou agences d’architecture ont d’elles-mêmes décidé de la mise en place de certaines actions ou bonnes pratique en faveur de l’égalité femmes-hommes. .  Elles ont bien voulu en faire part dans notre enquête.  Il faut signaler que le cadre légal de la non-discrimination s’adresse, quoi qu’il en soit, à toutes les entreprises.  

Du point de vue de la formalisation des actions, beaucoup reste à faire. Cependant, même si aucune des entreprises qui ont répondu à notre questionnaire adressé aux gérants d’agences n’y est obligée, il s’avère que tout de même 25 % d’entre elles réalisent un bilan social annuel. Ces bilans leur ont permis de constater que le nombre de femmes présentes à des postes clés est en progression de 33% sur une échelle de 5 ans. Outre le bilan social, certaines entreprises témoignent de leur bonne volonté par des accords professionnels, ce qui concerne 3.7% de nos répondants. En revanche, aucune agence ne possède de stratégie affichée en matière d’égalité professionnelle telle que des chartes.

Pour ce qui concerne les actions concrètes, et ciblées,  réalisées par les agences et les salariés eux-mêmes, une grande diversité et inventivité sont visibles. La participation à une action de sensibilisation sur l’égalité professionnelle organisée par une association, l’inscription de son agence dans le réseau « Femmes entreprendre ensemble », la création d’un plan de formation individuel, la réalisation d’entretiens individuels concernant les compétences, l’aménagement des temps de pauses afin de finir la journée plus tôt, ou une réflexion sur l’ergonomie de certains postes sont les exemples d’actions les plus cités. Les agences qui s’investissent dans la question de l’égalité professionnelle ne manquent pas de possibilités d’actions quand elles se donnent la peine d’identifier les causes de ces inégalités. 
La plupart des agences interrogées s’avèrent très réticentes à l’idée de mener des actions dites « positives », c’est-à-dire offrant des avantages spécifiques aux femmes. Une majorité des salariés interrogés, d’hommes comme de femmes, ne sont pas non plus favorables à ce type de mesures. Pour exemple, l’aménagement d’horaires spécifique pour les femmes est, dans le contexte, plutôt mal accepté en agence. Une majorité d’agences et de salariés préféraient ainsi conserver des horaires identiques pour tous, ne concevant une politique d’égalité salariale que si elle se base sur des actions permettant une mise à égalité des conditions de travail. 


Conclusion de l’étude

La corrélation entre les données fournies par nos indicateurs d’inégalités et les données qualitatives des facteurs explicatifs permet de distinguer au moins trois phénomènes distincts responsables d’inégalités entre les femmes et les hommes dans le secteur de l’architecture. 

En premier lieu, des difficultés d’accès à des fonctions d’architecte dites de « cœur de métier », liées à un contexte historique de survalorisation des valeurs et logiques masculines sur ces postes, sont en partie responsables d’une répartition sexuée des fonctions et des missions attribuées aux hommes et aux femmes architectes entre ces fonctions et des fonctions considérées comme annexes mais qui requièrent tout de même un diplôme d’architecte.

En second lieu, une logique d’inégalité des sexes est en fort déclin depuis 1960 mais reste toujours présente dans certaines circonstances, notamment sur les chantiers. L’accession à des postes de gestion de chantier et l’exercice professionnel des femmes sur ces terrains sont rendus difficiles par cette logique de sexisme qui considère que les femmes ne sont biologiquement pas capables d’assumer des tâches techniques.

Enfin, il faut noter que l’organisation structurelle du secteur peut s’avérer encore difficilement conciliable avec certaines contraintes souvent supportées par les femmes liées aux rôles traditionnels familiaux. En conséquence, la problématique de la gestion des temps, entre exigence de disponibilité et contraintes familiales, est une source d’inégalité importante entre les femmes et les hommes. Elle amène à réaliser des choix contraints de cantonnement à des postes plus souples en termes d’horaires mais aussi à moindres responsabilités et plus précaires, comme nous le démontrent nos indicateurs d’inégalités. Cette organisation structurelle trop rigide amène aussi à des prétextes de moindre rémunération, de moindre promotion et à une plus forte méfiance envers la capacité des femmes à exercer le métier. Ces conséquences sont corroborées par les indicateurs d’inégalités statistiques de notre enquête : coefficients hiérarchiques plus faibles, rémunérations inférieures à celles des hommes, chiffres d’affaires inégaux notamment.


6. Perspectives de plans d’action

 Les résultats de notre enquête en termes de localisation des inégalités et d’explication de leur existence mettent en lumière les thématiques à prendre en compte dans la construction d’une politique d’égalité propre au secteur de l’architecture et des indications précieuses concernant la mise en place d’actions.

a. Les thématiques à aborder

Les éléments suivants sont notamment déterminants :

- la représentation des qualités que l’on attribue aux hommes et aux femmes, notamment dans le contexte des chantiers, afin de déconstruire les préjugés sur les moindres compétences techniques des femmes.

- la demande de disponibilité très importante qui amène à un besoin de modes de garde des enfants qui soient relativement souples et financièrement accessibles.

- l’adaptation et l’accessibilité des formations pour les personnels occupants des fonctions qui ne pas considérées comme « cœur de métier » et qui sont occupées par beaucoup de femmes architectes

- le besoin de transparence à propos des critères de rémunération et de progression en agence, notamment liées au culte du présentéisme ou au savoir-être

- la dévalorisation des fonctions dites « annexes » à l’architecture, et des champs de compétences nouveaux, issus des nouvelles préoccupations sociologiques et environnementales

- l’illégitimité supposée de certaines valeurs et logiques féminines pour la conception de l’enveloppe (la structure) et des aménagements extérieurs

- les logiques de cooptation et de soutien entre architectes par des réseaux exclusivement masculins qui défendent leurs propres intérêts.

- La désapprobation par les gérants d’agence comme par les salariés des mesures dites « positives » en faveur des femmes pour ce qui concerne l’aménagement des conditions de travail.

b. Adapter les actions au secteur de l’architecture

Une étude de la structure organisationnelle du secteur d’activité permet de distinguer les approches méthodologiques les plus appropriées dans la mise en place d’actions ou de programmes de lutte contre les inégalités et les discriminations. À la vue des indications apportées par notre étude, plusieurs orientations importantes pour l’efficacité d’actions dans le secteur sont à signaler.

Les agences d’architecture, qui représentent la plus grande source d’emploi dans le secteur, sont souvent de très petites structures, qui ne dépassent pas les 4 ou 5 employés. Ces structures ne sont pas soumises à la plupart des lois concernant la mise en place d’actions pour l’égalité professionnelle, puisque celles-ci ne s’adressent souvent qu’aux entreprises de plus de 200 salariés. Ces agences sont toutefois contraintes par le cadre de la lutte contre les discriminations, lequel interdit des traitement inégaux dans des situations comparables, notamment sur le critère du sexe, mais qui ne détaille pas de procédures pour corriger les inégalités.

Afin de motiver les agences à agir, il apparaît judicieux de communiquer en priorité sur les avantages que peut apporter l’introduction ou le renforcement de la mixité et de la parité, tout en rappelant les sanctions prévues dans le cadre des lois antidiscriminatoires. S’appuyer sur le cadre législatif de l’égalité professionnelle risquerait de faire prendre conscience aux acteurs professionnels de l’absence de sanctions prévues pour le type d’organisation structurelle des agences, et donc de décourager les gérants de ces agences de s’investir dans cette problématique.

  L’adaptation des outils de construction de l’égalité et de la parité à la taille des agences, en termes de nombre de salariés mais aussi de moyens financiers et de temps. La réalisation d’un bilan social annuel peut s’avérer à la fois difficile, longue et impertinente pour une structure qui ne possède que 5 salariés. La proposition de la comparaison des écarts de salaires sur un même poste entre hommes et femmes est par exemple, à l’image de beaucoup d’autres propositions générales courantes, parfaitement inutile dans notre cas. Il faut donc construire des guides spécifiques au secteur qui ne présentent que les efforts de diagnostics compatibles avec l’organisation des agences : étudier la répartition des postes, les différences de salaires entre les fonctions, la distribution égale des opportunités de formation et de promotion, etc., et mettre en place des outils d’évaluation simplifiés. 
 Un autre point peut concerner la mise en place de négociations pour corriger les inégalités : il peut s’avérer utile de proposer une procédure simplifiée mais bien délimitée par étapes progressives pour amener les salariés et les gérants à négocier dans un contexte de proximité et de lien étroit entre les salariés et entre les salariés et le gérant. L’important est que chaque acteur puisse avoir le temps de connaître ses droits et ses devoirs, et de mettre sur pied un argumentaire ou des éléments en vue de défendre ses intérêts sans perturber le climat social de l’agence.  
Un dernier point concerne l’échelle d’organisation des actions ou des programmes en faveur de l’égalité professionnelle, et la répartition des responsabilités accordées à chaque acteur. Comme dans beaucoup d’autres secteurs historiquement masculins ou féminins, la lutte contre les stéréotypes et contre l’attribution de qualités ou de rôles différents aux femmes ou aux hommes se fait de la manière la plus appropriée à l’échelle nationale. Pour ce qui concerne la mise en place de mesures d’accompagnement de l’intégration ou de la progression des femmes dans certains postes, la position des Ordres Régionaux de l’Architecture peut être plus intéressante. Ceux-ci sont en effet parfois directement en contact avec des maîtres d’ouvrage importants et les représentants ou gérants des agences elles-mêmes. Les ordres régionaux, de par leurs contacts, peuvent aussi mener une prévention de proximité à propos des logiques de cooptation entre hommes et des réseaux de soutien exclusivement masculins.





CONCLUSION GENERALE

  Un long chemin parcouru depuis les années 1960 a été réalisé pour intégrer une population féminine jusqu’ici quasiment exclu de la profession d’architecte pour des raisons idéologiques. Mais des inégalités importantes demeurent encore aujourd’hui entre les hommes et les femmes architectes. Une absence de repérage des logiques inégalitaire est, sans doute, responsable du fait que l’idéologie traditionaliste et patriarcale continue d’influer, d’orienter leur destin et leur exercice professionnel en fonction de leur sexe. 
L’architecture est un milieu qui s’est construit, comme l’essentiel des métiers de la sphère professionnelle, sur des valeurs masculines traditionnelles. Le secteur doit cependant spécifiquement apprendre à se défaire d’une responsabilité historique en matière de diffusion et de matérialisation des valeurs, logiques, principes d’Etat inspirées de manière hégémonique par les valeurs masculines traditionnelles. Deux principes en terme de construction de l’égalité s’impose dans un tel contexte : démontrer que les femmes peuvent (et réussissent) à respecter les valeurs et logiques masculines spécifiques à l’architecture aussi bien que ne le font les hommes, et affirmer également que les valeurs féminines apportent des richesses précieuses pour le métier sans remettre en cause les acquis. 

L’étude de la restructuration nécessaire à l’intégration ou à la promotion (selon les circonstances) des profils féminins dans l’architecture témoignent non seulement de l’actualité des phénomènes inégalitaires mais aussi des contraintes lourdes qui pèsent sur les responsables d’entreprises et les acteurs de l’égalité professionnelle pour unir les femmes et les hommes dans l’établissement de conditions d’exercice professionnelle équivalentes. La répartition sexuée des postes, la dévalorisation des fonctions « annexes » au cœur de métier, les critères de recrutement et de promotions fondées sur un savoir-être genré ou le culte du présentéisme sont des questions qu’il convient d’aborder sans tabou. Une meilleure répartition du prestige, des avantages professionnels, et des responsabilités familiales peuvent se faire au bénéfice tant des hommes que des femmes, en plus d’être les conditions d’une égalité professionnelle réelle dans le secteur.


10 PRECONISATIONS POUR CONSTRUIRE L’EGALITE PROFESSIONNNELLE 1. Agir dès la formation initiale, pour garantir l’égalité des chances Mettre en place une option « création d’agence » pour les HMNOP– cours adaptés Mener des actions de préventions sur les inégalités et préjugés au cours de la formation initiale Mettre en place des tutorats et des parrainages pour faciliter la création des jeunes entreprises via les professeurs, l’ordre ou les syndicats…

2. Mieux accompagner l’insertion professionnelle, pour éviter une ségrégation des réussites Inciter à la création d’agences aux compétences complémentaires par une diffusion d’informations sur l’état du marché Améliorer l’information et l’accès aux centres multi services et aux pépinières d’entreprise

3. Penser la formation continue comme moteur de promotion, y compris à partir des postes annexes au « cœur de métier » Bénéficier d’une formation spécialisée aux techniques métiers et évolution des métiers spécialisés pour architectes Adapter les formations spécifiquement pour les personnels travaillant sur des postes dits « annexes » au cœur de métier, qui sont plus souvent des femmes.

4. Diffuser le cadre législatif et prévenir des risques de sanctions

5. Renforcer la visibilité des femmes dans le métier, et lutter contre les préjugés Organiser davantage d’expositions de femmes architectes, des articles, parler d’elles dans les revues … et pas seulement pour des microprojets, au même titre que les hommes. Revaloriser les fonctions dites « annexes » au cœur de métier, souvent exercées par des femmes architectes

6. Aménager, organiser le temps de travail en faveur d’un équilibre vie familiale-vie professionnelle pour les femmes comme pour les hommes Organisation des réunions entre 9h et 18h uniquement; Aider à la mise en place de systèmes de garde compatibles avec une demande de forte disponibilité en agence

7. Apporter des outils pratiques aux professionnels, pour soutenir la mise en place de bonnes pratiques Produire des kits pour expliquer les étapes nécessaires pour appliquer des mesures en faveur de l’égalité

8. Impliquer et responsabiliser tous les acteurs, afin de répartir les efforts et démultiplier les forces de construction de l’égalité Fixer des règles de transparence à propos des critères de rémunération et de promotion,

Créer un prix spécifique de l’égalité pour les cabinets d’architecture particulièrement engagés sur ce thème

9. Développer des réseaux, pour renforcer et enrichir les actions

10. Mobiliser les instances, pour renseigner sur les inégalités et contrôler l’application des lois : proposition de créer un observatoire de l’égalité dans l’architecture Disposer de données genrées dans l’observatoire de l’ordre sur la profession S’assurer que les grandes entreprises du secteur appliquent la législation sur l’égalité par des contrôles.







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