Utilisateur:AYE R
Bonjour !
Enseignant dans le secondaire, j’ai pu constater à quel point Wikipedia était continuellement utilisé par les élèves, généralement pour faire des exposés ou pour satisfaire les exigences de la nouvelle épreuve d’Histoire des Arts. Les enseignants universitaires font de leur côté le même constat. Si Wikipedia est assez bien alimenté pour la période contemporaine, et particulièrement sur les grands conflits (ou les experts pullulent), il n’en est pas de même pour les périodes un peu plus reculées. C’est le cas du XVIe, XVIIe, et XVIIIe siècles où la plupart des articles sont souvent d’une désolante médiocrité.
Il n'est bien-sûr pas possible à un seul contributeur de tout compléter. Au départ, lorsque j'ai commencé à écrire, il s'agissait de faire des petites retouches à droite et à gauche pendant mes temps libres. Au final, comme nombre de contributeurs, je me suis mis à réécrire totalement certains articles. Je contribue fondamentalement sur les questions navales et coloniales concernant ces trois siècles. C'est mon sujet de lecture et de travail préféré, que je pense maîtriser assez correctement. J’essaie de mettre en ligne les produits des travaux universitaires -nombreux- qui ont largement renouvelé l’approche de ces questions lors des trente dernières années. Trop de contributions sont de médiocres copier-coller récupérés à droite et à gauche sur des sites plus ou moins biens référencés, sans parler du recopiage en ligne d’ouvrages anciens tombés dans le domaine public et qui témoignent d’une historiographie dépassée. Et que dire des affligeantes traductions -façon Google translator- d’articles d’origine anglaise et souvent écrits eux-aussi à partir d’ouvrages anciens. Seule consolation : les défauts de méthode sont les mêmes dans les deux cultures !
Je ne crois pas à Sainte Neutralité. Cette notion ne veut même rien dire en Histoire, discipline vivante parcourue de nombreux courants qui parfois s’opposent mais qui le plus souvent se complètent au fil des décennies. Analyser des faits ou des comportements supposent forcément une certaine subjectivité. Émettre un jugement ne porte pas atteinte à la philosophie de Wikipedia si celui-ci est argumenté au vu de l’état de la recherche historiographique. Je cite souvent à ce sujet les travaux menés sur les rois de France. Regardons-y en détail avant de revenir aux affaires navales. Louis XIII était jusqu’à il y à peu un roi assez méprisé, un quasi minus hésitant et fragile, vivant dans l’ombre de son premier ministre et mentor Richelieu. Il a fallu attendre la biographie magistrale de Jean-Christian Petitfils (2008) pour découvrir qu’il s’agissait d’un grand roi animé d’une volonté de fer afin de venir à bout des complots intérieurs et des menaces extérieures. Louis XIV reste encore un sujet de débat entre historiens : certains, comme Pierre Goubert, ne peuvent s’empêcher de le piétiner (1966)[1], d’autres, comme François Bluche, de l’admirer (1986)[2]. Il a fallu attendre la biographie de Jean-Christian Petitfils (1995) pour dresser -enfin- un portait nuancé du « Roi Soleil »[3]. Sur Louis XV, l’histoire était entendue : c’était un quasi fainéant, un jouisseur dépensier plus préoccupé de ses maîtresses que des affaires de l’État. Il a fallu que Michel Antoine passe 40 ans de sa vie dans les archives pour faire justice des clichés issus de deux siècles d’historiographie républicaine. Sa biographie de Louis XV (1989) nous a fait découvrir un prince à la personnalité complexe (anxieux, timide et secret), pacifique à l’extérieur, presque libéral et tolérant sur les questions intérieures, au point d’avoir été mal compris et taxé de faiblesse. Quant à Louis XVI... Trainé dans la boue par les manuels d’histoire depuis la Révolution française (gros, faible, impuissant, indécis, réactionnaire faisant appel à l’étranger etc…), il a fallu beaucoup de temps aux Historiens pour y voir clair, d’ailleurs au fur et à mesure que la Révolution française perdait de son aura et se trouvait à son tour soumise à la critique. La dernière biographie sur Louis XVI, parue en 2005 sous la plume de Jean-Christian Petitfils, a achevé de réhabiliter ce monarque sans qu’on puisse soupçonner son auteur de sympathie à retardement pour la Monarchie Absolue. Exit Sainte Neutralité...
Il en est de même sur l’histoire navale. Traditionnellement, en France, ce thème n’intéresse qu’un public étroit de passionnés, souvent militants. Les publications sont assez nombreuses, mais peu médiatisées. La TV et le cinéma en témoignent. Combien d’émissions régulièrement destinées à la mer hormis le classique Thalassa et ses reportages réguliers sur l’Hermione ? Sur les chaines spécialisées dans le documentaire, la plupart de ce qui est diffusé en matière d’histoire navale est d’origine anglo-saxonne. Un flux qui permet d’alimenter continuellement le tempo de l’histoire écrite par la BBC avec ses grands marins, ses découvreurs, ses vaillants amiraux tous ou presque de langue anglaise... Mais à qui la faute ? Les marins français ont disparu des manuels d’Histoire au fur et à mesure que l’historiographie française se détachait de l’événementiel pour se tourner vers l’économique et le social. Quel bachelier a déjà entendu parler de Champlain, Duquesne, Jean Bart, Tourville, De Grasse ou Suffren ? On éprouve même parfois l’impression que la France n’a jamais existé sur les mers hormis pour le triste épisode de Trafalgar, seule bataille navale que sont capable de citer spontanément nos compatriotes. Des générations d’écoliers s’en vont faire des voyages linguistiques en Angleterre, visiter les musées où s’étale l’histoire navale de ce pays, parfois même le Victory à son ancrage, où on leur conte complaisamment le comportement héroïque de l’amiral Nelson (j’en ai été témoin)... Après quoi, il n’y a plus qu’à applaudir à la belle tenue de Russel Crowe en officier droit dans ses bottes face à la menace française napoléonienne dans Master and Commander[4]. Des clichés qui ne sont pas neuf : déjà dans les films de pirates des années 30, les Français y jouent souvent (en compagnie des Espagnols) les méchants de service contre les bons anglais naturellement destinés à maîtriser les mers (voir par exemple Captain Blood en 1935). La télévision québécoise, qui porte une francophonie militante issue d'un passé douloureux, fait beaucoup plus d'efforts, mais ses productions franchissent assez peu l'Atlantique. Est-ce un problème d'accent ou une ultime preuve de notre indécrottable mentalité de continentaux repliés sur nos affaires intérieures ? Avons-nous abdiqué notre part d'Histoire navale ?
Car tout se tient en matière de culture. De mémoire de ciné-téléphile, je n’ai jamais vu de héros mis en scène sur des vaisseaux de guerre français. Les péripéties des escadres de De Grasse en Amérique ou de Suffren aux Indes s’y prêteraient pourtant à merveille… Dans les années 60, la TV et le cinéma français se sont au mieux intéressés aux corsaires, mais sans jamais chercher à aller plus loin d’un genre qui ressemble d’assez près à des « films de pirate » populaires (voir la médiocre série Corsaires et Flibustiers ou Surcouf, l’aigle des mers). Dans les années 70, Daniel Costelle, surfant sur le succès de sa série Les grandes batailles, avait produit une très intéressante Histoire de la marine, mais centrée essentiellement sur l’évolution des bateaux, des techniques de construction, du commerce et de l’armement depuis l’Antiquité dans un cadre mondial. Depuis, plus rien. Quant à l’« usine à rêve » d’Hollywood, elle poursuit la réécriture de l’histoire à sa façon. C’est ainsi que Roland Emmerich a pu en 2000 faire un film évoquant la victoire franco-américaine de Yorktown (1781) ou n’y passe qu’un Français, alors que les effectifs de Rochambeau étaient supérieurs à ceux de Washington et que la marine de louis XVI avait engagé plus de 35 vaisseaux dans cette opération (à peine visibles à la fin du film)… Ainsi va l’histoire. Il y a quelques années, la Cinq avait produit une série portant le titre ambitieux d’Histoire de l’armée française[5]. Une série passionnante, mais portant mal son nom puisqu’on n’y voyait presque exclusivement que l’armée de terre. A quand une Histoire de la marine française allant du Moyen-âge à nos jours en cinq ou six parties ? Il ne manque sans doute qu’un déclic sur ARTE ou les diverses chaines du « service public » pour lancer la production. Les chercheurs ont depuis longtemps renouvelé la matière. Il suffit d’ouvrir les livres de Jean Meyer, Martine Acerra, André Zysberg, Michel Vergé-Franceschi, Patrick Villiers, Etienne Taillemite et d’autres.
Utilisant leurs travaux, j’ai entrepris de compléter des articles incomplets ou issus d’une mauvaise traduction anglaise. J’en refonds d’autres entièrement, en essayant à chaque fois de détailler les évènements politico-militaires et les analyses qu’en font aujourd’hui les historiens. J’essaie de mettre des titres dynamiques qui ont du sens et qui activent la curiosité du lecteur. Quoi de plus désolant que les sous-titres du genre « contexte » suivi par « la bataille » et enfin de la « conclusion » que l’on trouve dans la plupart des articles trop rapidement écrits ? Je fais de multiples retouches pour compléter les références, améliorer la ponctuation et la mise en forme des paragraphes. J’épluche les images numérisées des grands sites institutionnels (culture.fr, nmm.ac.uk et d’autres) pour illustrer au mieux les contributions. J’ai parfois l’impression d’écrire pour quelques dizaines de lecteurs du monde francophone, ou pour essuyer les remarques des grincheux qui trouvent que « c’est trop long ». J’assume tout d’avance, même si je ne participe pas aux débats du « bistrot du port » que je trouve le plus souvent sans intérêt. Coincée entre l’anecdotique et les clichés, l’histoire de la France et de la mer reste encore à écrire sur le net et surtout à tirer de l'oubli.
AYE R
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966.
- Louis XIV, Paris, Fayard, 1986.
- Louis XIV, Perrin, 1995.
- En 2011, pour inciter des scolaires à partir en Angleterre, j'ai vu une brochure de voyagiste vanter la visite du Victory qui « a servi pour faire le galion de Pirate des Caraïbes. » Ces bêtises qui arrivent jusqu'en salle des professeurs sont affligeantes.
- Série visible sur le net, mise en ligne par des passionnés : Histoire de l'armée française.