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Alfred de Vigny - Le Cor

J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.(…)
Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée ! (…)
Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois !

Alfred de Vigny (27/03/1797-17/09/1863) – Le Cor (Poèmes antiques et modernes) [1]

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s:septembre 2013 Invitation 1

Nancy Huston - Révélation

Au moment où on s'approche de la maison - avant que mère ne nous crie dessus parce qu'on est en retard et qu'elle était morte de peur, avant qu'elle ne punisse Johann en 1'envoyant au lit sans souper, avant que la sirène ne se mette à hurler au milieu de la nuit, précipitant toute la famille dans la cave pieds nus et en pyjama, avant que toutes ces choses ne viennent briser la féerie de mouvement et de lumière et de musique qui jouait dans mon cœur pendant la longue marche de retour dans le noir aux côtés de Johann -, oui, juste au moment où on s'approche de la maison, Johann lâche la corde de la luge et me prend par les épaules et me tourne vers lui.

Posant un doigt sur ses lèvres, il me dit dans son allemand lent et singulier : "Pas Johann : Janek. Pas allemand : polonais. Pas adopté : volé. Mes parents sont vivants, ils habitent à Szczecin. Je suis volé, ma chère Fausse-Kristina. Et toi aussi."

Nancy Huston (16/09/1953) – Lignes de faille (éd. Actes Sud – 2006 , page 430)

s:septembre 2013 Invitation 2

Alfred de Vigny - Le Cor

J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,
J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.(…)
Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?
Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée
L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée ! (…)
Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois !

Alfred de Vigny (27/03/1797-17/09/1863) – Le Cor (Poèmes antiques et modernes) [2]

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s:septembre 2013 Invitation 3

Père Ubu, Mère Ubu

Père Ubu : - Merdre!

Mère Ubu : - Oh! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.

Père Ubu : - Que ne vous assom'je, Mère Ubu !

Mère Ubu : - Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner.

Père Ubu : - De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.

Mère Ubu : - Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?

Père Ubu : - De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins: capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ?

Mère Ubu : - Comment ! Après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d'Aragon ?

Alfred Jarry (08/09/1873 - 01/11/1907) – Ubu roi (1896) (Acte premier, scène première).

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s:septembre 2013 Invitation 4

Ivan Tourgueniev – Fièvre

J’aurais été bien embarrassé si l’on m’avait demandé de raconter par le menu tout ce que j’éprouvai au cours de la semaine qui suivit mon infructueuse expédition nocturne. Ce fut, pour moi, une époque étrange et fiévreuse, une sorte de chaos où les sentiments les plus contradictoires, les pensées, les soupçons, les joies et les tristesses valsaient dans mon esprit. J’avais peur de m’étudier moi-même, dans la mesure où je pouvais le faire avec mes seize ans. Je redoutais de connaître de mes propres sentiments. J’avais seulement hâte d’arriver au bout de chaque journée. La nuit, je dormais… protégé par l’insouciance des adolescents. Je ne voulais pas savoir si l’on m’aimait et n’osais point m’avouer le contraire. J’évitais mon père… mais ne pouvais pas fuir Zinaïda… Une sorte de feu me dévorait en sa présence… Mais à quoi bon me rendre compte de ce qu’était cette flamme qui me faisait fondre ?… Je me livrais à toutes mes impressions, mais manquais de franchise envers moi-même.

Ivan Tourgueniev (9/11/1818-03/09/1883) - Premier Amour (Chapitre XIX) (1860)

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s:septembre 2013 Invitation 5

Prosper Mérimée - Un bandit corse

Mateo Falcone était absent depuis quelques heures et le petit Fortunato était tranquillement étendu au soleil, regardant les montagnes bleues, et pensant que, le dimanche prochain, il irait dîner à la ville, chez son oncle le caporal, quand il fut soudainement interrompu dans ses méditations par l'explosion d'une arme à feu. Il se leva et se tourna du côté de la plaine d'où partait ce bruit. D'autres coups de fusil se succédèrent, tirés à intervalles inégaux, et toujours de plus en plus rapprochés ; enfin, dans le sentier qui menait de la plaine à la maison de Mateo parut un homme, coiffé d'un bonnet pointu comme en portent les montagnards, barbu, couvert de haillons, et se traînant avec peine en s'appuyant sur son fusil. Il venait de recevoir un coup de feu dans la cuisse. Cet homme était un bandit, qui, étant parti de nuit pour aller chercher de la poudre à la ville, était tombé en route dans une embuscade de voltigeurs corses.

Prosper Mérimée (28/09/1803-23/09/1870) - Mateo Falcone (1829)

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