Plaidoyer (politique)

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En politique, le plaidoyer (advocacy en anglais[1]), rassemble les stratégies d'influence politique entreprises par des organisations de la société civile (associations, collectifs militants, ONG, syndicats, etc.) pour défendre une opinion, une cause, les droits et conditions de vie de groupes défavorisés ou discriminés.

Tirant ses racines dans les engagements des associations environnementales et des mobilisations des années 1970, puis dans la création d'ONG emblématiques comme Agir Ici[2] (futur Oxfam France) qui assument l'idée qu'il faut conduire une action auprès des pouvoirs publics occidentaux pour soutenir le développement international, le plaidoyer occupe aujourd'hui une place croissante dans la palette d'action des associations.

Formes de plaidoyer[modifier | modifier le code]

Le plaidoyer peut être :

  • direct (interactions directes avec les décideurs publics) ou indirect (mobiliser l'opinion publique ou les citoyens pour mettre la pression ou influencer indirectement les décideurs publics),
  • proactif (défendre une cause, mettre une idée à l'agenda),
  • ou défensif (s'opposer ou freiner une réforme susceptible d'être adoptée).

[3]

Le plaidoyer peut s'exercer du niveau local au niveau international.

Les moyens utilisés pour mettre en œuvre le plaidoyer sont nombreux. Citons :

  • Les pétitions
  • L'interpellation indirecte des décideurs via la pressions des citoyens, via l'envoi en masse de lettres (mode d'action historique d'Amnesty International), de courriels, ou de messages sur les réseaux sociaux. Ces actions peuvent être plus ou moins massives selon le nombre de personnes mobilisées.
  • L'interpellation directe des décideurs via un argumentaire préparé par des experts (lobbying). On peut viser à influencer des cibles variées :
  • La prise de parole dans les médias
  • La production et la publication d'études, de rapports, et de documents visant à documenter et mettre en lumière une cause ou un problème. Ces documents contiennent le plus souvent des recommandations de réforme.
  • Des actions de sensibilisation du grand public : publications sur les réseaux sociaux, prises de parole dans les médias, publication de livres de vulgarisation.
  • Le travail de veille politique, médiatique et réglementaire
  • Le contentieux stratégique, c'est-à-dire des actions en justice visant à obtenir une jurisprudence pour provoquer un changement politique.
  • Enfin, le plaidoyer peut se conduire en influençant les achats des consommateurs, via des campagnes de consommation responsable.

Le choix des cibles à influencer se fait sur la base d'un travail préalable de cartographie des acteurs et de la chaîne de décision. Il peut y avoir des cibles principales et des cibles secondaires. L'ONG Sidaction, dans un document sur les stratégies de plaidoyer[5], propose une liste de pouvoirs qui peuvent être ciblés : pouvoir politique et législatif, pouvoir juridique (juges, tribunaux...), pouvoir religieux, pouvoir culturel (médias, artistes connus), pouvoir scientifique (universitaires), pouvoir économique (chefs d'entreprise), pouvoir citoyen (individus, militants, associations etc.)

Exemples de campagnes de plaidoyer[modifier | modifier le code]

Parmi les associations dont les campagnes et stratégies de plaidoyer sont référencées sur Wikipedia, on peut citer :


Exemples de campagnes de plaidoyer marquantes (actuelles ou passées), ou bien de réformes pour lesquelles les ONG ont joué un rôle actif :

Différence entre plaidoyer et lobbying[modifier | modifier le code]

La question de la différence entre le plaidoyer et le lobbying n'est pas une question consensuelle. Le sociologue Étienne Ollion considère que le mot "plaidoyer" est à la fois une pratique (et en ce sens, le plaidoyer emprunte assez largement les méthodes du lobbying - même si la cause est différente et les pratiques généralement plus ouvertes et plus transparentes) et une action de représentation (porter la voix des personnes que l'on défend ou que l'on représente)[11].

La frontière entre les deux notions est aussi un débat sémantique[12]. En général, les personnes exerçant une action d'influence dans une association utilisent le terme "plaidoyer", alors que dans les cabinets de lobbying et dans les entreprises on privilégie généralement l'expression "affaires publiques". Cependant, certaines entreprises s'approprient le mot plaidoyer[13], tandis que certaines ONG ou certains militants assument le mot lobbying (en général en parlant de "lobbying citoyen" ou "lobbying éthique")[14].

Impact du plaidoyer[modifier | modifier le code]

L'impact du plaidoyer est difficile à mesurer. De nombreuses campagnes de plaidoyer ont permis d'obtenir des réussites significatives (cf section précédente). Cependant, l'influence des ONG reste limitée dans un grand nombre de domaines, en particulier en matière de droits des étrangers, d'égalité face au système de santé, de lutte contre l'échec scolaire, etc.[15]

Transparence du plaidoyer[modifier | modifier le code]

Les ONG qui conduisent des actions de plaidoyer auprès des pouvoirs publics (plaidoyer direct) sont assimilées, au sens de la loi, à des représentants d'intérêts. A ce titre, elles doivent s'enregistrer sur le répertoire des représentants d'intérêts de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. En 2022, les associations représentent 19% des organisations inscrites sur ce répertoire[16].

Les associations concernées doivent déclarer leur budget de lobbying. Selon les données de la HATVP, le budget moyen alloué au lobbying par les ONG en 2022 se situait entre 50 000 et 75 000€ et le budget médian entre 10 000 et 25 000€[17]. Autrement dit, la majorité des ONG inscrite sur le répertoire de la HATVP ont un budget de plaidoyer inférieur à 25 000€ par an.

Professionnalisation du plaidoyer[modifier | modifier le code]

Le plaidoyer peut être exercé à titre bénévole, mais aussi comme salarié employé d'une association ou d'une ONG. Cette profession attire un nombre croissant de jeunes diplômés, et des formations spécifiques ont été ouvertes à l'université pour répondre à cette demande[18].

Les personnes peuvent occuper différents intitulés de poste : chargé.e de plaidoyer, chargé.e de campagne, chargé.e de relations institutionnelles, chargé.e de projet, etc.

Le chercheur en sciences politiques Guillaume Courty a mis en avant que 72% des personnes travaillant dans le domaine du plaidoyer sont des femmes[19]. L'autrice Elsa Foucraut pointe la difficulté à établir le nombre de chargés de plaidoyer en France : selon ses recherches, au moins 4000 personnes travaillant dans un organisme à but non lucratif font apparaître le mot "plaidoyer" dans leur profil Linkedin[3].

De plus en plus fréquemment, on observe des allers-retours entre les sphères politiques et associatives[20], avec d'anciens ministres ou parlementaires qui deviennent directeur.rice.s d'ONG (exemples : Cécile Duflot, Najat Vallaud-Belkacem, Benoit Hamon, etc.) et inversement avec des personnalités politiques issues de parcours en ONG (Yannick Jadot, Nicolas Hulot, Manon Aubry, Aurélie Trouvé, etc.). L'ancien ministre Pascal Canfin a dirigé la fondation WWF entre ses fonctions de ministre et d'eurodéputé.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Martin Petry, Naygotimti Bambé, Le pétrole du Tchad: rêve ou cauchemar pour les populations ?, Éditions Karthala, 2005, (ISBN 2845866216 et 9782845866218) p. 365
  2. Oxfam France, « Oxfam France, 25 ans d'engagements : le témoignage de Jean-Marie Fardeau, l'un des fondateurs d'Agir Ici », sur Oxfam France, (consulté le )
  3. a et b Elsa Foucraut, Guide du plaidoyer - Bâtir sa stratégie d'influence pour faire évoluer la loi, Paris, Dunod, , 224 p., p. 13-14
  4. Vies brisées : Plaidoyer pour un contrôle renforcé sur les ventes d’armes à l’échelon international, Oxfam France-Agir ici, 11 janvier 2003
  5. Sidaction, « Construire une stratégie de plaidoyer » [PDF], (consulté le )
  6. Victoire Caila, « La fabrique du discours politique des ONG : l’exemple d’une campagne de plaidoyer du CCFD-Terre Solidaire contre l’impunité des multinationales », Université Sorbonne-Nouvelle (mémoire),‎ (lire en ligne [PDF])
  7. Guillaume Delalieux, « La loi sur le devoir de vigilance des sociétés multinationales : parcours d'une loi improbable », Droit & societe : theorie et sciences sociales du droit. [Carnet hypotheses.org], vol. 106, no 3,‎ , p. 649–665 (lire en ligne, consulté le )
  8. Transparency International France, « Biens mal acquis / Antoine Dulin : "A l’origine, notre volonté était de rendre visible le blanchiment international et le pillage des pays du sud." », sur Transparency France International, (consulté le )
  9. « [INTERVIEW] “C'est un miracle que nous ayons cette interdiction du chalutage profond” », sur Actu-Environnement, (consulté le )
  10. « La France continue de soutenir la pêche profonde », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. Étienne Ollion, « Des mobilisations discrètes : sur le plaidoyer et quelques transformations de l’action collective contemporaine », Critique internationale, vol. 67, no 2,‎ , p. 17–31 (ISSN 1290-7839, DOI 10.3917/crii.067.0017, lire en ligne, consulté le )
  12. Lucile Desmoulins, « Lobbying and advocacy: the question of demarcation between strategic communication activities in the service of political influence objectives », Communication et organisation, no 60,‎ , p. 43–59 (ISSN 1168-5549 et 1775-3546, DOI 10.4000/communicationorganisation.10422, lire en ligne, consulté le )
  13. « Comment les entreprises peuvent s'emparer du plaidoyer dans leur stratégie d'influence », sur Entrepreneurs, (consulté le )
  14. « A Bruxelles, l’émergence de lobbyistes « éthiques » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  15. Jean-Marie Fardeau, « Le rôle de la société civile », Revue Projet, vol. 354, no 5,‎ , p. 68–72 (ISSN 0033-0884, DOI 10.3917/pro.354.0068, lire en ligne, consulté le )
  16. Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, « Répertoire des représentants d’intérêts : bilan annuel des déclarations 2022 » Accès libre, (consulté le )
  17. HATVP, « Répertoire des représentants d’intérêts Bilan des déclarations d’activités 2022 » [PDF], sur hatvp.fr, (consulté le )
  18. « « Etre capable de politiser une cause » : le plaidoyer, débouché prisé des étudiants engagés », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. « Guillaume Courty sur LinkedIn : Forum », sur fr.linkedin.com (consulté le )
  20. Dominique Albertini, « Engagements dans une ONG ou en politique, le chassé-croisé », sur Libération (consulté le )

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Ressources produites par des ONG[modifier | modifier le code]

Bibliographie - Ouvrages & articles[modifier | modifier le code]

  • Philippe Ryfman, « Un nouveau paradigme pour les ONG : le plaidoyer ? », dans Courty (Guillaume), Milet (Marc), Les groupes d'intérêts en France, Paris, Garnier, (ISBN 978-2-406-13295-0) - Chapitre sur les ONG et le plaidoyer au sein d'un ouvrage universitaire de référence sur le lobbying en France.
  • (en) Alberto Alemanno, Lobbying for change, Icon Books, (ISBN 978-1785782855) - Ouvrage avec un mélange de théorie et de pratique, centré sur les institutions européennes.
  • Elsa Foucraut, Guide du plaidoyer - Bâtir sa stratégie d'influence pour faire évoluer la loi, Paris, Dunod, , 224 p. (ISBN 978-2-10-085147-8) - Ouvrage qui présente les différentes actions de plaidoyer, avec un mélange de théorie (notamment des apports de la sociologie des problèmes publics) et d'exemples tirés de campagnes de plaidoyer récentes.
  • Sarah Durieux, Changer le monde - Manuel d'activisme pour reprendre le pouvoir, Paris, First Editions, (ISBN 978-2-412-06161-9) - Ouvrage qui aborde les théories du changement social et présente de nombreux exemples de campagnes de plaidoyer, avec un prisme sur la mobilisation citoyenne.
  • Olivier Petitjean, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, coll. « Poche », 2020, 170 p. (ISBN 978-2-84377-219-1). - L'auteur retrace les grandes étapes de la construction de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales.