Assassinat de Tahar Acherchour
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L'assassinat de Tahar Acherchour est celui d'un ouvrier cégétiste et étoiliste d'origine algérienne, abattu le par son patron dans une usine de Clichy. Il décède de ses blessures le lendemain à l'hôpital Beaujon.
Son assassinat suscite une vive émotion à une période marquée par le Front populaire. Plus de 200 000 personnes assistent à ses obsèques. Paul Cusinberche, l'auteur des coups de feu meurtriers, est acquitté en 1938.
Éléments biographiques[modifier | modifier le code]
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Tahar Acherchour naît le à Medjane[1], et est originaire de Sidi Aïch en Petite Kabylie[2],[3]. Immigré, âgé de 28 ans, il est domicilié au 167 boulevard Victor-Hugo à Saint-Ouen, dans le département de la Seine[1] et est manœuvre dans l'industrie chimique à la savonnerie Cusinberche[2].
Syndicaliste adhérant la Confédération générale du travail (CGT)[1], il est délégué du personnel dans son usine[4]. Il est aussi militant communiste[1] et militant à l'Étoile nord-africaine[5].
Les faits[modifier | modifier le code]
L'usine Cusinberche est une fabrique de savons et de bougies située au 200 quai de Clichy[1], dont la plupart des ouvriers sont Nord-Africains[6]. En plein Front populaire, une grève éclate à la suite de licenciements et l'usine est alors occupée par les ouvriers grévistes. Le , après 18 jours d'occupation, une vingtaine d'hommes violents menée par Paul Cusinberche, le fils du directeur et trésorier de la 18e section des Croix-de-Feu, pénètrent dans l'usine. Ils sont équipés de matraques et de barres de fer et Paul Cusinberche est lui-même armé de deux revolvers[1],[7]. Les grévistes n'ont quant à eux, selon les fouilles effectuées par la police, pas d'armes[8].
Des affrontements éclatent entre les ouvriers grévistes et les briseurs de grève[9]. Paul Cusinberche tire à deux reprises sur Tahar Acherchour. L'une le blesse au bras et l'autre lui perfore le foie et l'intestin[1], avec un total de onze blessures abdominales[1]. Sept autres grévistes sont blessés[6].
Transporté à l'hôpital Beaujon, Tahar Acherchour meurt le des suites de ses blessures[10],[11].
Jugement[modifier | modifier le code]
Paul Cusinberche est acquitté le par la cour d'assises de la Seine.
Réactions et manifestations[modifier | modifier le code]
La mort tragique de Tahar Acherchour suscite une vive émotion[12],[13] dans les milieux communistes et de l'Étoile nord-africaine (ENA)[5]. L'Union syndicale CGT de la région parisienne prend à sa charge les frais d'obsèques[7] et le rapatriement du corps en Algérie.
Dès le lendemain de l'agression, et durant une semaine, L'Humanité, organe de presse du Parti communiste français (PCF), consacre sa une à l'affaire[6],[7]. Le premier jour, il titre sur trois colonnes « À la tête d'une bande fasciste armée un patron assaille ses ouvriers et fait feu sur eux[6]. » Tahar Acherchour y figure photographié sur son lit d'hôpital et Paul Vaillant-Couturier lui dédie son éditorial[7], dans lequel il met en avant le fait que Paul ait été militant Croix-de-Feu. Le lendemain, il titre sur « l'usinier assassin et ses complices fascistes »[6]. Le décès de Tahar Acherchour est annoncé le en ces mots : « Tahar Acherchour est mort de la balle patronale. Châtiment exemplaire pour l'assassin et ses complices fascistes ! » et le quotidien appelle à ce que « les travailleurs [fassent] une grandiose escorte au corps de leur frère nord-africain »[7]. Il n'est pas le seul à voir dans cette mort l'œuvre du fascisme contre la classe ouvrière. Ainsi, Messali Hadj, président de l'Étoile nord-africaine, évoque une « victime du fascisme ». Lors d'un meeting à Nanterre le , il lui rend hommage et déclare que les Algériens sont prêts à donner leur vie pour combattre le fascisme[5].
L'appel à une manifestation le jour des obsèques est reproduit par L'Humanité dans les jours suivants[7], en première page[6]. Alors qu'un premier meeting de protestation organisé le avait réuni 3 000 personnes à Clichy[14], c'est un cortège immense[7] (200 000 personnes selon L'Humanité[6]) qui est présent le . Il suit le déplacement du corps de la maison des syndicats, située avenue Mathurin-Moreau dans le 19e arrondissement de Paris, à la gare de Lyon[6]. S'associent notamment à cette manifestation la CGT, l'Étoile nord-africaine et le Parti communiste (avec la présence de Marcel Cachin et de Paul Vaillant-Couturier)[7] ; le cortège de tête est celui des Nord-Africains[6]. Le corps de Tahar Acherchour est ensuite emmené en Algérie, accompagné par une délégation cégétiste conduite par Gaston Monmousseau[7]. Il est inhumé à Sidi Aïch[6].
Des manifestations en mémoire d'Acherchour se poursuivent jusqu'en Algérie[15].
Dans ses mémoires, Messali invective le PCF qui l’a lâché après avoir utilisé à son profit l’Étoile nord-africaine : « l’ombre du malheureux Acherchour est à peine effacée que vous traitez les Nord-Africains d’anti-Français, dans le journal des prolétaires »[16].
Hommage[modifier | modifier le code]
En 1937, un « comité Acherchour », présidé par un dénommé Poignart, propose « l'apposition d'une plaque commémorative « Tahar Acherchour » sur le kiosque à musique du square Roger-Salengro [suicidé en ], associant ainsi deux victimes du fascisme et du patronat de combat qui veulent à tout prix briser l'expérience du Front populaire »[3]. La plaque est finalement apposée au cimetière sud de Clichy[17], sur une décision du conseil municipal[3].
Notes et références[modifier | modifier le code]
- Abderrahim Taleb-Bendiab et Jean-Pierre Ravery, « Acherchour Tahar [Dictionnaire Algérie] », sur Le Maitron, (consulté le ).
- Marcel Cachin, Carnets 1906-1947, t. 4, CNRS, , 1261 p. (ISBN 978-2-271-05124-0, lire en ligne), p. 445.
- « Les Nord-Africains dans la Métropole », L'Afrique française : bulletin mensuel du Comité de l'Afrique française et du Comité du Maroc, no 47, , p. 362-368 (lire en ligne).
- Les Cahiers de l'Institut C.G.T. d'histoire sociale : Numéros 9 à 20, Institut CGT d'histoire sociale, , p. 67.
- Nedjib Sidi Moussa, Algérie, une autre histoire de l'indépendance : Trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj, Presses universitaires de France, , 336 p. (ISBN 978-2-13-081605-8, lire en ligne).
- René Merle, « Assassinat et obsèques de Tahar Acherchour, 1936 », sur Points de vue & documents, (consulté le ).
- Alain Ruscio, Les communistes et l'Algérie : Des origines à la guerre d'indépendance, 1920-1962, Paris/27-Saint-Amand-Montrond, La Découverte, coll. « Sciences humaines », , 664 p. (ISBN 978-2-348-03648-4, lire en ligne), chapitre 4 « L'esprit Front populaire ».
- « À la tête d'une bande fasciste armée un patron assaille ses ouvriers et fait feu sur eux », L'Humanité, (lire en ligne).
- « 200 000 travailleurs parisiens et nord-africains escortent Tahar Acherchour tué par un patron croix de feu », L'Humanité, (lire en ligne) : « Le corps d’Acherchour va être remis aux siens par les soins de la CGT dont il était un adhérent fidèle ».
- « Acherchour a succombé à ses blessures », Le Populaire, (lire en ligne).
- « Tahar Acherchour est mort de la balle patronale », L'Humanité, (lire en ligne).
- Daniel Grason, René Mouriaux et Patrick Pochet (dir.), Éclats du Front populaire, Éditions Syllepse, coll. « Utopie critique », , 230 p. (ISBN 978-2-84950-096-5, lire en ligne), p. 50.
- Nedjib Sidi Moussa, « Les messalistes et la gauche française : Alliances, ruptures et transactions dans l'entre-deux-guerres », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 131, , p. 71 à 85 (lire en ligne).
- « Les émouvantes obsèques du gréviste assassiné », Le Populaire, (lire en ligne).
- Bulletin du Comité de l'Afrique française, volume 47, 1937 [lire en ligne].
- « Histoire de L'Étoile nord africaine : 1936-1937 : Le Front Populaire dissout l'ENA (2ème partie) », l'internationale, no 10, , p. 33.
- Philippe Landru, « Clichy-la-Garenne (92) : cimetière sud », Cimetières de France et d'ailleurs, .
Voir aussi[modifier | modifier le code]
Bibliographie[modifier | modifier le code]
- Maître Maurice Ribet, Un moment de l'histoire sociale, les occupations d'usine : l'affaire Paul Cusinberche à la cour d'assises de la Seine, Imprimerie du Palais, , 46 p.
Journaux contemporains[modifier | modifier le code]
- [PDF] Articles sur l'affaire extraits de L'Humanité, publiés de 1936 à 1938
- Henri Vonoven, « M. Paul Cusinberche se défend d'avoir tué son ouvrier gréviste », Le Figaro, , p. 1 et 6 (lire en ligne)