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Monique Hakim

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Monique Charlotte Hakim, née Monique Jafé le à Marseille et morte le à Los Angeles, en Californie, est une mathématicienne française, professeur des universités à l’université de Paris X-Nanterre. Elle est spécialiste de géométrie algébrique, d’analyse complexe à plusieurs variables et de dynamique holomorphe.

Biographie[modifier | modifier le code]

Après des études au lycée Thiers de Marseille, Monique Jafé est reçue première en 1957 à l’École normale supérieure de Sèvres[1], elle passe en 1960 l’agrégation de mathématiques[2]. Elle prépare ensuite sous la direction d’Alexandre Grothendieck une thèse de l'université de Paris, intitulée « Schémas Relatifs », qu’elle soutient en 1967 à la Faculté des sciences d'Orsay[3].

Pendant cette période, Jafé-Hakim est chercheuse au CNRS. Elle obtient après sa thèse un poste à l’université de Montpellier jusqu’à 1975, où elle est nommée professeure à l'université Paris X-Nanterre[1]. Parallèlement, de 1975 à 1979, elle est aussi chargée de cours à l'École Polytechnique[4].

Travaux[modifier | modifier le code]

Monique Hakim a apporté d'importantes contributions dans trois domaines distincts.

Topos classifiants[modifier | modifier le code]

Les premiers travaux de Monique Hakim s'inscrivent dans le programme lancé par Alexandre Grothendieck pour refonder la géométrie algébrique. Il s'agit en particulier dans la thèse de Hakim de formaliser une théorie de schémas relatifs qui rende compte d'une notion intuitive de famille de schémas paramétrée par un espace annelé et de mettre au point un cadre qui permette ainsi de faire de la géométrie algébrique relative sur des variétés différentiables ou des espaces analytiques[5]. Hakim l'a formulée dans le cadre des topos[6]. Ce travail considéré comme pionnier[7], a été un point de départ dans l'usage de la théorie des topos classifiants, en particulier en logique.  

Dans son cours à l’IHES en 2015, Laurent Lafforgue explique par exemple : « La notion de topos classifiant d’une théorie du premier ordre (au sens de la logique) est apparue dans des cas particuliers dans la thèse de M. Hakim dirigée par Grothendieck et a été progressivement systématisée dans la première moitié des années 1970 par Lawvere, Cole, Reyes, Joyal, Makkai et d’autres[8] ».  Avec Olivia Caramello, il précise : « Moins universellement connue [que les invariants des topos associés aux objets géométriques] mais tout aussi remarquable et importante est la possibilité, découverte dans les années 1970 par des logiciens  à partir de premiers exemples donnés dans la thèse de Monique Hakim, d'associer à toute théorie du premier ordre (au sens de la logique) qui est « géométrique », un topos bien défini à équivalence près, appelé son topos classifiant, qui incarne le contenu mathématique de cette théorie[9] ».

Valeurs au bord des fonctions de plusieurs variables complexes[modifier | modifier le code]

Après cette thèse, Monique s’intéresse brièvement à la recherche opérationnelle, puis plus durablement à l’analyse à plusieurs variables complexes, tout en étant chercheuse associée au laboratoire de mathématiques de l’université de Paris-Sud.

En analyse complexe, elle étudie les valeurs au bord des fonctions holomorphes bornées dans la boule unité B de l'espace complexe de dimension p, , pour p supérieur ou égal à 2 ; en particulier elle s'intéresse aux fonctions intérieures, c’est-à-dire les fonctions holomorphes bornées non constantes sur B dont la limite radiale est de module 1 presque partout sur le bord de la boule unité ; la limite radiale en un point z du bord de B est la limite le long du segment joignant le centre de la boule à z, c’est-à-dire la limite des quand r, plus petit que 1, tend vers 1. On savait caractériser ces fonctions en dimension 1, mais en dimension supérieure, Walter Rudin avait conjecturé en 1965 qu’il n’en existe pas. En 1981, à quelques semaines d’intervalle, indépendamment et avec une approche différente, A.B. Alexandrov, d’une part, et M. Hakim et Nessim Sibony, d’autre part, démontrent des résultats qui semblent infirmer la conjecture de Rudin et font penser que des fonctions intérieures peuvent en fait exister. C’est en raffinant la méthode de Hakim-Sibony que E. Løw montre quelques semaines plus tard que l’on peut en effet construire des fonctions intérieures. L’ensemble de ces résultats font l’objet en 1983 d’un exposé au séminaire Nicolas Bourbaki[10]. La méthode constructive de Hakim et Sibony leur a aussi fourni des informations sur les zéros ou les valeurs au bord des modules de fonctions holomorphes bornées sur la boule unité, en dimension p≥2[11].

Dynamique holomorphe[modifier | modifier le code]

Enfin Monique Hakim s’est intéressée à la dynamique holomorphe[12]. Comme l'expliquent M. Arizzi et J. Raissy dans leur article de synthèse[13] : « Les techniques de Hakim ont été largement utilisées dans l'étude de l'existence de courbes paraboliques, de bassins d'attraction et de domaines de Fatou-Bieberbach, c'est-à-dire des ouverts propres de biholomorphes à  ».

Un des résultats les plus célèbres en dynamique holomorphe à une variable est le théorème de la fleur de Leau-Fatou[14],[15] qui décrit la dynamique d’une fonction holomorphe définie au voisinage de l’origine et fixant l’origine (autrement dit g(0)=0)[16]. On peut écrire cette fonction au voisinage de l’origine sous la forme , avec k ≥ 2 et non nul. Le théorème dit alors qu’il existe k − 1 domaines disjoints , … , du plan complexe qui contiennent l’origine dans leurs bords et qui vérifient les propriétés suivantes :

— chaque domaine est invariant par g, c’est à dire que l’image du domaine par la fonction g est encore contenue dans le domaine ;

— la dynamique de g attire ces domaines vers l’origine, c’est-à-dire que si on considère successivement l’image par g du domaine, puis l’image par g de cette image, puis l’image par g de l’image de l’image, etc., le résultat tend vers 0. Autrement dit, la limite quand n tend vers l’infini de (en composant g avec lui-même 2, 3, … n fois) tend vers 0. De tels domaines sont appelés « domaines paraboliques » pour g.

Monique Hakim a fait un pas décisif dans la généralisation de ce résultat en dimension supérieure, en construisant des courbes paraboliques pour le germe à l’origine d’un difféomorphisme f holomorphe de dans , p ≥ 2, fixant l’origine et tangent à l’ identité, c’est à dire tel que la différentielle de f en 0 est l’identité[13].

Les p composantes de peuvent s’écrire sous la forme, où les sont des polynômes homogènes de degré k, étant le plus petit degré des polynômes (non nuls) qui interviennent dans ce développement. Le plus petit des est appelé l'ordre de f (on le note simplement d). Une direction caractéristique pour f est par définition la direction définie par un vecteur pour lequel il existe un nombre complexe tel que pour j = 1,…,p. Elle est dite non dégénérée si est non nul.

Dans ce contexte, Hakim appelle « courbe parabolique pour f en 0 » une application holomorphe injective d’un domaine D simplement connexe du plan complexe dans vérifiant :

(i) 0 est dans le bord de D, est continue en 0, et (0) = 0 ;

(ii) est invariant par f, et attiré par l’origine, autrement dit les images successives de par , par , …, par , etc. tendent vers 0.

De plus si la direction définie par le vecteur tend vers une direction v quand z tend vers 0, on dit que la courbe parabolique est tangente à v en 0.

Hakim montre alors que pour toute direction caractéristique non-dégénérée de f, il y a d − 1 courbes paraboliques tangentes à cette direction en 0. Elle montre de plus qu’avec certaines conditions supplémentaires sur la direction caractéristique, il existe des domaines invariants de dimension plus grande que 1 attirés par l’origine[13],[16].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b « Monique Hakim », sur Annuaire de l’association des anciens élèves, élèves et amis de l’École normale supérieure (consulté le ).
  2. André Chervel, « Les agrégés de l'enseignement secondaire », (consulté le ).
  3. « Thèses de l’université de Paris (1866-1971) » (consulté le ).
  4. Rémi Hakim, « Monique Jafé-Hakim », Archicubes: Vie de l’association des anciens élèves de l’École normale supérieure, vol. 17bis,‎ , p. 206-208.
  5. Michel Raynaud, « Grothendieck et la théorie des schémas », dans Leila Schneps (ed.), Alexandre Grothendieck: a mathematical portrait, International Press, , p. 25–34.
  6. Monique Hakim, Topos annelés et schémas relatifs, vol. 64, Berlin, New York, Springer, coll. « Ergebnisse der Mathematik und ihrer Grenzgebiete », .
  7. Gustavo Corach, « Moerdijk, I., Ngô Van Quê and Reyes, G. E, Rings of smooth functions and their localizations. II », MathSciNet - Mathematical Reviews,‎ .
  8. Laurent Lafforgue, « Cours sur les motifs », .
  9. Olivia Caramello et Laurent Lafforgue, « Sur la dualité des topos et de leurs présentations et ses applications: une introduction », .
  10. Monique Hakim, « Valeurs au bord de fonctions holomorphes bornées en plusieurs variables complexes », Séminaire Bourbaki, vol. 35,‎ 1982-1983, p. 293-305.
  11. Monique Hakim et Nessim Sibony, « Zéros des fonctions holomorphes bornées dans la boule unité de  », Mathematische Annalen, vol. 260,‎ , p. 469-474.
  12. (en) Monique Hakim, « Analytic transformation of (, 0) tangent to the identity », Duke Mathematical Journal, vol. 92, no 2,‎ , p. 403-428.
  13. a b et c (en) Marco Arizzi et Jasmin Raissy, «  On Ecalle-Hakim’s theorems in holomorphic dynamics », dans Araceli Bonifant, Misha Lyubich, and Scott Sutherland, Frontiers in Complex Dynamics, Princeton University Press, , p. 387-449.
  14. Pierre Fatou, « Sur les équations fonctionnelles », Bulletin de la Société mathématique de France, vol. 47,‎ , p. 161–271.
  15. Léopold Leau, « Étude sur les équations fonctionnelles à une ou plusieurs variables », Annales de la Faculté des sciences de Toulouse, vol. 11,‎ , E1-E110.
  16. a et b (en) Marco Abate, « The residual index and the dynamics of holomorphic maps tangent to the identity », Duke Mathematical Journal, vol. 107, no 1,‎ , p. 173-207.

Liens externes[modifier | modifier le code]