Mythologie slave

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La mythologie slave désigne le système de croyances cosmologiques et religieuses des anciens peuples slaves avant leur évangélisation. Elle a évolué pendant plus de 3000 ans. Ses éléments proviennent selon les hypothèses du Néolithique, voire peut-être du Mésolithique. Cette religion possède de nombreux points communs avec les religions descendantes comme la religion proto-indo-européenne.

Beaucoup d'artistes slaves furent influencés par leur mythologie antique. Sadko dans le règne subaquatique (1876), Ilia Répine.

La mythologie slave, essentiellement indo-européenne, partage avec les cultures celte, germanique, grecque, mais aussi persane, les mêmes schémas[1]. L'implantation du christianisme a occulté certains aspects païens, voire chamanistes, et parfois transformé d'anciens dieux païens en saints chrétiens. Toutefois certaines croyances anciennes ont perduré dans les régions isolées jusqu'au XXe siècle parfois[1].

Sources[modifier | modifier le code]

Contrairement à la mythologie grecque ou égyptienne, on ne dispose pas de documents de première main pour étudier la mythologie slave. Les croyances et traditions religieuses auraient donc été perpétuées par la transmission orale entre générations, puis en partie oubliées au fil du temps après l'évangélisation. Nos sources actuelles sur la mythologie slave sont celles de missionnaires chrétiens non-slaves, ni intéressés par elle, ni objectifs dans leurs descriptions des rites slaves anciens. Les fouilles archéologiques ont permis de mettre au jour des statues et des sites religieux, mais ne nous apprennent pas beaucoup plus que les sources écrites existantes.

Des reliques de croyances et rituels slaves sont parfois détectables dans les coutumes, chansons et légendes communes aux diverses nations slaves modernes. La reconstitution d'anciens mythes à partir d'indices dans le folklore depuis une centaine d'années est une complexe et difficile tâche pour les chercheurs : il peut en résulter des mauvaises interprétations (le plus souvent dues à l'influence de la pensée monothéiste depuis plus de mille ans) voire de pures falsifications ou inventions (dans le cas du protochronisme).

Un instrument privilégié est le comparatisme indo-européen, dans ses deux dimensions de reconstruction interne et de comparaison. Le grand intérêt des contes et légendes folklorique exige un traitement approprié tel que celui qu'a mené Algirdas Julien Greimas sur la mythologie lituanienne. On évite ainsi de noyer le sujet d'étude dans les généralités d'un folklore posé a priori comme international. Ainsi on peut mettre en évidence des notions, des conceptions et des pratiques et les placer dans une périodisation des données.

Sources écrites[modifier | modifier le code]

La première mention écrite de la mythologie des Slaves est Procope de Césarée qui, au VIe siècle, dans son Bellum Gothicum, décrit les croyances de certaines tribus des Slaves du sud qui avaient franchi le Danube. Selon lui, ces Slaves auraient été monothéistes et bien qu'il ne mentionne aucun nom, les spécialistes rattachent ce dieu unique à Péroun. Il mentionne aussi la croyance en de nombreux démons et dans les nymphes (vila, roussalka, vodník).

La Chronique des temps passés est la plus importante source concernant la mythologie slave, ne serait-ce que parce qu'elle est écrite par des Slaves. Compilée au XIIe siècle, elle fait référence et inclut la copie de documents plus anciens. Deux dieux, Péroun et Vélès, sont mentionnés dans le traité de paix signé au début du Xe siècle, entre l'empereur byzantin et les chefs païens des Slaves orientaux. Nestor le Chroniqueur décrit le panthéon du prince Vladimir Ier avant sa conversion : il inclut Péroun dieu de la foudre et de la guerre, Dajbog dieu du temps, des intempéries et de la durée, Stribog dieu du vent, Khors dieu du soleil, Simargl dieu-griffon du feu, de la nuit, de la lune, des récoltes et des plantes[2], et Mokoch déesse de la fécondité. Ce tableau caractérise la période finale des Slaves, dans une culture de type héroïque et déjà féodale. La religion politique y prédomine.

Aux XIe et XIIe siècles, des chroniqueurs germaniques comme Thietmar de Mersebourg, Adam de Brême ou Helmold von Bosau, dans sa Chronica slavorum, mentionnent certaines divinités des Wendes, les Slaves occidentaux. Le moins que l'on puisse dire est que ces sources, contemporaines de la christianisation et de la vassalisation des Wendes, ne sont ni objectives, ni très détaillées en ce qui concerne des croyances considérées comme impies. Helmold mentionne le « démon » Tchernobog, Jiva déesse de la fertilité, Porenut dieu à quatre têtes et Svantovit adoré par les Abodrites au Cap Arkona et mentionné comme étant le plus important de tous pour ces peuples.

Sources archéologiques[modifier | modifier le code]

En 1848, la mise au jour de l'idole du Zbroutch, en Ukraine, a confirmé les sources historiques. En raison des quatre têtes abritées sous un même chapeau, l'idole ukrainienne a été rapprochée de Svantovit, déité qui était représentée avec quatre têtes, à laquelle un temple était dédié au Cap Arkona et qui nous est connue par des sources danoises.

Plusieurs autres statues polycéphales ont été découvertes ailleurs. Une petite statue en os à quatre têtes datant du Xe siècle a été découverte dans les ruines de Preslav, la capitale des tsars bulgares. Une statue en bois bicéphale a été découverte sur l'ile du lac de Tollense près de Neubrandenbourg, anciennement habitée par les Slaves. Une statue tricéphale a été découverte en Dalmatie (Croatie). Toutes ces découvertes confirment l'existence de déités polymorphes, ayant plus d'une fonction, comme Triglav, le dieu à trois têtes. L'interprétation de G. Dumézil a montré la signification de l'ensemble.

Traces dans le folklore slave[modifier | modifier le code]

À peine documentée dans les sources historiques ou archéologiques, la mythologie slave se dérobe et certains vont tenter de la reconstituer au travers du folklore ; mais les contes et légendes, même s'ils sont riches de créatures comme l'oiseau de feu, Baba Yaga ou les génies des eaux, sont dénués d'éléments mythologiques purs.

Le « détricotage » de ce qui relève du syncrétisme chrétien et de la mythologie slave, ne donne aucune information vérifiable ou certitude supplémentaire quant au panthéon slave : les sanctuaires de Péroun, dieu du tonnerre, ont vraisemblablement été transformés — par analogie avec un personnage chrétien possédant des attributs similaires — en église ou chapelle dédiées à l'archange Michel souvent représenté armé d'un éclair, ou au prophète Élie qui commande au feu dans la Bible. Sur l'oppidum dominant Prague, c'est sans doute sur une similitude étymologique que le sanctuaire de la déesse de la fertilité, Jiva est devenu la cathédrale Saint-Guy de Prague : Vitus (« Guy ») en latin, rappelant vita (« la vie ») alors que Jiva (Živa) rappelle život (« la vie »)[3].

Une méthode d'analyse appropriée permet d'établir des oppositions et des relations fondamentales.

Sources fantaisistes[modifier | modifier le code]

Sur le palimpseste quasiment effacé qu'est la mythologie slave, il a été tentant et facile de réécrire, de reconstituer un panthéon au moins aussi riche que ceux des mythologies germanique ou gréco-latine dans le contexte du panslavisme cherchant à damer le pion au pangermanisme. Ainsi les Veda Slovena, recueil de mythes et légendes bulgares, publiées à Belgrade puis à Saint-Pétersbourg en 1874 et 1881, se sont avérées être des apocryphes sortis de l'imagination de leur « compilateur » Ivan Gologanov, de même que le Livre de Vélès qui comporte de nombreuses incohérences linguistiques et relève du protochronisme.

Des dieux slaves comme Koleda, Korotchoun, Koupalo, Veles ou Zimnik ont été « reconstitués » à partir du folklore slave : le premier a été relié à la tradition de Noël de chanter des chansons de maison en maison, le deuxième à la fête de Noël, le troisième au solstice d'été, à la Saint-Jean et à Jean le Baptiste[4]. Il en est peut-être de même de la déesse Lada.

L'existence même de Radegast est sans doute plus le fait d'une erreur de copiste germanique qu'un fait avéré (mais des parallèles formulaires indo-européens ont été identifiés). Quant à Bělbog, le « dieu blanc », c'est un manichéisme de fantaisie qui l'a engendré, pour en faire le pendant de Tchernobog, le « dieu noir », quant à lui attesté.

Cosmologie[modifier | modifier le code]

Un concept cosmologique assez répandu dans les mythologies des peuplades locutrices de langues indo-européennes est celui de l’Arbre du Monde, également présent dans la mythologie slave. L'arbre le plus souvent cité est un chêne, ou quelquefois un pin ou autre conifère. Le symbole mythologique de l’arbre du monde est fortement ancré, si bien qu'il survécut encore plusieurs siècles après la christianisation dans les folklores slaves. Trois niveaux de l'univers sont représentés dans cet arbre. Sa cime représente le ciel, séjour des divinités et des entités célestes, et le tronc, le séjour des mortels. Ils sont quelquefois associés ensemble en opposition des racines de l'arbre qui représentent le monde souterrain, le séjour des morts. Contrairement aux idées communément admises, il semble que le royaume des morts dans la mythologie slave soit plus un lieu agréable, de plaines herbeuses et verdoyantes dans un été éternel. Dans le folklore, ce pays est quelquefois assimilé au Virey ou Iriy.

La conception de trois royaumes situés verticalement le long de l'axe du monde constitué par l'arbre-monde reflète l'organisation géographique, horizontale, du monde. Le monde des dieux et des mortels était situé au milieu de la Terre (conçu comme un plateau situé sur l'axe au milieu de deux autres plateaux: le ciel et le sous-sol), entouré par une mer, au-delà de laquelle se trouvait le pays des morts, où les oiseaux se rendaient chaque hiver pour en revenir au printemps. Dans de nombreux récits populaires, le concept du départ vers le lointain, à travers la mer, par opposition à la venue à terre, à travers la mer, était lié à la notion de mort, opposée au retour à la vie. Cette vision fait écho à l'ancien concept mythologique qui veut que l'après-vie soit atteinte par la traversée d'une étendue d'eau. De plus, sur le plateau horizontal, le monde était aussi divisé par quatre points cardinaux, représentant les quatre directions du vent (nord, est, sud, ouest). Ces deux divisions du monde, en trois royaumes sur l'axe vertical et en quatre points cardinaux sur l'horizontal, étaient relativement importantes dans la mythologie de la religion cosmique ; elles peuvent être interprétées par des statues des dieux slaves, particulièrement celles de Triglav, à trois têtes, et de Svantovit, à quatre têtes, qui sont aussi des patrons politiques.

Panthéon slave[modifier | modifier le code]

Il est admis d'après les descriptions historiques des Slaves que ceux-ci vouent un culte à un très grand nombre de divinités, et cela sur une région s'étirant des côtes de la Baltique jusqu'aux côtes du nord de la mer Noire, dans une durée de près de six siècles. Mais les sources historiques qui sont parvenues jusqu'à nous montrent que chaque peuplade slave possédait ses propres dieux et ainsi probablement son propre panthéon. Essentiellement, l'ancienne religion slave semble être locale, bien qu'ayant pour point commun de vouer un culte à la nature, les dieux et les mythes variant de tribu à tribu. Cependant, comme dans le cas des multiples dialectes slaves pour lesquels nous sommes capables de recréer une origine commune en un langage proto-slave, il est possible d'établir une sorte de panthéon originel à partir de l'étude des mythes duquel sont issues les divinités des différentes peuplades slaves.

Dieu suprême[modifier | modifier le code]

La notion de dieu suprême est relative et résulte chez beaucoup de commentateurs d'un calque plus ou moins conscient du canon monothéiste. Cela dépend du type de religion qui est abordé : religion politique des premiers États slaves, cultes agraires, mystères de la lignée et de la sphère féminine, etc. Il existe de nombreuses théories actuelles sur le dieu suprême des Slaves, lequel étant Rod ou Svarog, et les sources historiques indiquent que d'autres dieux comme Svantovit ou Triglav sont très vénérées dans certaines peuplades. Mais le meilleur candidat pour la prédominance d'un dieu chez les Slaves est de loin Péroun. Son nom est le plus courant dans les textes historiques sur la religion slave. En fait, il est le premier dieu mentionné dans les textes écrits. Procope de Césarée dans une courte note mentionne que le dieu du tonnerre et de la foudre est le seul dieu des Slaves et qu'il est le chef de tous. La Chronique de Nestor l'identifie comme le chef des dieux en Rus' de Kiev avant la christianisation du royaume. Un court passage dans Chronica Slavorum de Helmold von Bosau fait état que les slaves de l'ouest croient en un seul dieu dans le ciel qui règne sur toutes les autres divinités sur la Terre. Le nom de ce dieu n'est pas mentionné mais néanmoins il est hautement probable qu'il fasse référence à Péroun. Et même si nous ne trouvons pas le nom de Péroun dans les pourtant nombreux écrits de la religion des slaves de l'ouest, il est connu dans toutes les différences branches des slaves comme le montre le nombre important de toponymes dans les États slaves d'aujourd'hui. En conclusion, par les analyses des mythes slaves, il semble que Péroun soit la seule divinité comparable par son importance au Dieu judéo-chrétien, ainsi qu'au Dieu suprême grec Zeus et romain Jupiter. Il y a donc de très fortes raisons de penser que Péroun est le dieu suprême du panthéon de l'époque proto-slave.

Comme l'indique l'étymologie, Pérun est le "tonnerre", qui, d'abord simple entité auxiliaire, a été promu au rang de dieu dans le contexte des expansions slaves : surveillant du droit, chef d'expéditions.

Péroun cependant n'est pas seul. Comme le montre Roman Jakobson, quand Péroun est mentionné dans un texte historique, il est toujours « accompagné » d'un autre dieu, Vélès. Cette relation est aussi observable en toponymie. Lorsqu'une montagne ou un élément de relief est nommé d'après Péroun, il se trouve en contrebas de ce lieu, en général une vallée, un lieu nommé d'après le dieu Vélès. En conséquence, Péroun est quelquefois assimilé, en référence au christianisme, à Dieu tandis que Vélès l'est au Diable.

Divinités[modifier | modifier le code]

Avant leur conversion au christianisme, les Russes adoraient Svarog, le dieu du ciel, père de Dajbog, le dieu du soleil, et d'Ogon, le dieu du feu ; Péroun était pour eux le dieu qui s'exprime à travers le bruit du tonnerre ; Volos ou Vélès protégeait leurs troupeaux et leurs moissons ; Stribog passait chez eux pour être l'aïeul des vents ; Yarilo et Lada présidaient à l'amour et à la génération. Biélobog (le dieu blanc), envoyé par Svarog, créa les hommes, installa son trône au pôle Nord, et revint chaque fin d'année leur rendre visite.

Le dieu principal des Slaves de la Baltique était Sviatovit ou Svantovit, en l'honneur duquel on célébrait chaque année une grande fête à la fin de la moisson ; on croyait que la fécondité ou la disette dépendaient de lui ; on lui offrait une partie du butin conquis sur les ennemis. Les autres dieux de ce groupe étaient : Triglav, représenté avec trois têtes, ce qui signifiait peut-être qu'il régnait à la fois sur le ciel, sur la Terre et sur les enfers ; Radigost, Rugevit et Ranovit, Iarovit, toutes divinités de la guerre, Zywienia, déesse de la nourriture.

Il faut signaler l'étymologie indo-européenne commune du grec Héraklès et du slave Yaroslav : "illustre par *jer-/or-a la "belle saison de l'année", ce qui signale un mythe de conquête de la lumière solaire immortalisante[5].

Créatures fantastiques[modifier | modifier le code]

La mythologie slave abonde en créatures fantastiques, tel le domovoï, esprit protégeant la maison, tradition encore présente chez les Serbes via la pratique de la Slava.

Créatures fantastiques tchèques :

Galerie[modifier | modifier le code]

Néopaganisme slave[modifier | modifier le code]

Depuis les dernières décennies, la rodnovérie, ou néopaganisme slave, acquiert une certaine popularité parmi le public russe, avec de nombreux sites internet et organisations dédiés au paganisme en Russie, qui pour certaines appellent ouvertement à un « retour aux racines ». La plupart de ces activités ont lieu en Russie et en Biélorussie, mais aussi en Pologne, en Serbie, en Macédoine du Nord et en Ukraine. Beaucoup de païens slaves croient en l'idée que les peuples slaves devraient s'unir pour devenir une seule nation, et que ce panslavisme devrait être fondé sur la religion originelle des Slaves.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Sabine Jourdain, Les mythologies, Eyrolles, 2006 (ISBN 978-2708135970) (ch.5 : La Mythologie slave).
  2. Sabine Jourdain, Les mythologies, Eyrolles, 2006 (ISBN 978-2708135970)
  3. Voir život dans le Wiktionnaire.
  4. Les mots koupal et baptiste sont sémantiquement liés. Voir koupat (« baigner ») dans le Wiktionnaire.
  5. J. Haudry, La religion cosmique des Indo-Européens, Archè, Milan ; Les Belles-Lettres, Paris., , ch. 1 et 2

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Louis Léger, La Mythologie slave, Éd. E.Leroux, Paris, 1901
  • Elizabeth Warner, Mythes russes, Paris, Seuil / Points Sagesses, 2005 (ISBN 978-2-02-064016-9)
  • Félix Guirand, Mythologie générale, Paris, Larousse, 1935
  • Patrice Lajoye, Perun, dieu slave de l'orage, Lisieux, Lingva, 2015
  • Patrice Lajoye (ed.), New researches on the religion and mythology of the Pagan Slavs, Lisieux, Lingva, 2019

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]