Violences antisémites en Tchécoslovaquie (1918-1920)

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Après la Première Guerre mondiale et pendant la formation de la Première république tchécoslovaque, une vague de violences et émeutes antisémites se déchaîne contre les Juifs et contre leurs biens, notamment les magasins[1],[2].

Causes[modifier | modifier le code]

Les principales accusations formulées contre les Juifs en Slovaquie se fondent sur l'idée qu'ils sont partisans de la Hongrie et des agents de l'État hongrois, alors fortement impopulaire au moment où la Slovaquie cherche à s'en détacher[3]. En Bohême et en Moravie, de nombreux juifs avaient soutenu les Habsbourg, surtout au début de la guerre, suscitant la colère des patriotes tchèques. En outre, les Juifs sont accusés de tirer bénéfice des pénuries pendant la guerre et de se livrer au marché noir[4],[5]. Enfin, les violences éclatent aussi à cause de la chute de l'autorité des Habsbourg et des faiblesses de nouvel État tchécoslovaque, qui n'a pas encore établi fermement son monopole sur la violence[6]. D'autres violences ont éclaté entre Tchèques et Allemands[7].

Pogroms de 1918[modifier | modifier le code]

Pogroms de novembre[modifier | modifier le code]

En Slovaquie, des violences éclatent en novembre 1918. À Považská Bystrica (près de Žilina), le magasin général de David Büchler est pillé et détruit le 5 novembre et les dégâts matériels représentent 300 000 couronnes (l'équivalent de 8 800 $ de 1920). Des bandes d'anciens soldats rôdent dans les campagnes et cherchent à piller des magasins, dont la plupart appartiennent à des Juifs en raison des réseaux économiques antérieurs[2].

Pogroms de décembre[modifier | modifier le code]

En décembre 1918, les pogroms les plus graves se produisent en Bohême et en Moravie. Les pires violences ont lieu à Holešov les 3 et 4 décembre : les maisons et les magasins appartenant à des Juifs sont dévalisés, la synagogue et les bureaux de la communauté sont vandalisés et deux Juifs sont assassinés. L'armée finit par intervenir[6].

Conséquences sur les relations internationales[modifier | modifier le code]

Au moment des violences, Edvard Beneš, Tomáš Garrigue Masaryk et d'autres personnalités politiques tchécoslovaques se trouvent à la conférence de la paix de Paris, où ils dépeignent la Tchécoslovaquie comme un pays progressiste et tolérant, où l'antisémitisme est relativement faible comparé à d'autres pays voisins[8]. Un journal tchèque publie que ces violences sont orchestrées par « les Judéo-Allemands... qui organisent et paient des agents provocateurs » dans l'objectif de saper la réputation de la Tchécoslovaquie à l'international[5]. En 1919, le militant sioniste Chaim Weizmann se dit inquiet de ces violences et remarque qu'elles sont « à l'opposé de la politique tchèque présentée à Paris et des déclarations publique du ministre Beneš »[9].

Développements ultérieurs[modifier | modifier le code]

Les violences perdurent après la désintégration de la monarchie des Habsbourg jusqu'à la signature des traités de paix de Paris en 1919 et 1920. Ces flambées n'ont pas atteint la gravité de celles qui ont éclaté en Pologne et en Ukraine, où des dizaines de milliers de Juifs sont assassinés[1],[10]. Après 1920, la violence décroît. Pendant l'entre-deux-guerres, la Tchécoslovaquie est l'État le plus sûr et le moins antisémite d'Europe centrale et conserve un gouvernement démocratique jusqu'au milieu des années 1930[11].

Historiographie[modifier | modifier le code]

De nombreux historiens tchèques présentent ces violences comme une aberration dans un État par ailleurs tolérant et démocratique. Zdeňek Fišer (d) déclare que le cas d'Holešov est le « dernier pogrom » et la fin d'une ère sombre. D'autres, comme Michal Frankl et Miloslav Szabó (en), pensent que ces violences s'inscrivent dans un discours nationaliste tchèque qui exclut les Juifs de la communauté nationale de Tchécoslovaquie. Selon l'historien américain Michael Miller, ces violences ont été occultées parce qu'elles contredisent le mythe tchécoslovaque (en)[6].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Láníček 2013, p. 6, 10.
  2. a et b Klein-Pejšová 2015, p. 23–24.
  3. Polonsky et Riff 1981, p. 88.
  4. Polonsky et Riff 1981, p. 84–85.
  5. a et b Miller 2019, p. 652.
  6. a b et c Miller 2019, p. 650.
  7. (en) Andrea Orzoff, Battle for the Castle: The Myth of Czechoslovakia in Europe, 1914-1948, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-970995-3, lire en ligne), p. 62
  8. Láníček 2013, p. 6–7, 10.
  9. Láníček 2013, p. 6.
  10. Polonsky et Riff 1981, p. 92.
  11. Láníček 2013, p. 10–11.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Rebekah Klein-Pejšová, Mapping Jewish Loyalties in Interwar Slovakia, Bloomington, Indiana University Press, (ISBN 978-0-253-01562-4)
  • (en) Jan Láníček, Czechs, Slovaks and the Jews, 1938–48: Beyond Idealisation and Condemnation, New York, Springer, (ISBN 978-1-137-31747-6)
  • Michael L. Miller, « The Forgotten Pogroms, 1918 », dans Slavic Review, vol. 78, , 648–653 p. (DOI 10.1017/slr.2019.226), chap. 3
  • (en) Antony Polonsky et Michael Riff, « “Poles, Czechoslovaks and the ‘Jewish Question’, 1914-1921: A Comparative Study », dans Germany in the Age of Total War, London, Croom Helm, , 63–101 p.
  • (en) Jan Dvořák, « Manifestations of Anti-Semitism in Czechoslovak Silesia during the First Republic (1918–1938) », dans Central European Papers, vol. 3, , 36–50 p. (ISSN 2336-3312, DOI 10.25142/cep.2015.003 Accès libre, lire en ligne), chap. 1
  • Fred Hahn, « The Dilemma of the Jews in the Historic Lands of Czechoslovakia, 1918-38 », dans East Central Europe, vol. 10, , 24–39 p. (DOI 10.1163/187633083X00047), chap. 1–2
  • Ota Konrád, « Two post-war paths: Popular violence in the Bohemian lands and in Austria in the aftermath of World War I », dans Nationalities Papers, vol. 46, , 759–775 p. (DOI 10.1080/00905992.2017.1354362, S2CID 135086951), chap. 5
  • Rudolf Kučera, « Exploiting Victory, Sinking into Defeat: Uniformed Violence in the Creation of the New Order in Czechoslovakia and Austria, 1918–1922 », dans The Journal of Modern History, vol. 88, , 827–855 p. (DOI 10.1086/688969), chap. 4
  • Tatjana Lichtenstein, « Jewish power and powerlessness: Prague Zionists and the Paris Peace Conference », dans East European Jewish Affairs, vol. 44, , 2–20 p. (DOI 10.1080/13501674.2014.904583, S2CID 143998973), chap. 1
  • Václav Šmidrkal, « 'What a Republic It Was!' Public Violence and State Building in the Bohemian Lands after 1918 », dans Contemporary European History, vol. 28, , 303–318 p. (DOI 10.1017/S0960777319000080), chap. 3