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La pensée de Emmanuel Kant, par les travaux qu'il y a consacré, tient une place considérable dans la philosophie de Martin Heidegger. Si l'on peut parler d'une influence directe de Kant sur la pensée de Heidegger en sens inverse , le rapport entre les deux est tout aussi important à travers la place que l'interprétation de l'œuvre de Kant par Heidegger a prise dans l'histoire de la philosophie. On rappellera le contexte historique, les efforts d'Heidegger pour ramener à la sienne la pensée de son prédécesseur, les deux points essentiels de la confrontation que sont l'intuition et le thème de finitude pour finir sur un rappel de la célèbre « Controverse de Davos » avec ses épigones néo-kantiens.

Kant dans l'oeuvre de Martin Heidegger[modifier | modifier le code]

  • Heidegger consacre deux œuvres importantes à l'interprétation de la philosophie kantienne, un essai de 1929 : Kant et le problème de la métaphysique et un cours : Interprétation phénoménologique de la Critique de la raison Pure. À travers ces deux ouvrages, il s'oppose à la tradition néo-kantienne qui ne conservait de Kant qu'une théorie de la connaissance, alors que Heidegger voit en lui un prédécesseur soucieux de mettre à jour les conditions ontologiques et notamment temporelles de l'étant, comme le remarquent à la fois Alain Boutot[1] et François Vezin[2], deux spécialistes de Heidegger. Heidegger reconnaîtrait à Kant dans Être et Temps, le mérite d'avoir réintroduit le temps dans la compréhension de l'« être ».
  • Contrairement à l'opinion de l'époque, Heidegger estime que Kant n'aurait pas, avec la Critique... détrôné la métaphysique, mais qu'il l'aurait, au contraire réhabilitée, en consolidant son fondement, par un examen critique des bases de la Raison, pour comprendre ses possibilités et de ses limites [3],[N 1].


  • « Résolument phénoménologique cette interprétation de Kant diffère de tous les « retours à Kant » qui ont occupé le denier tiers du XIXe siècle »[4]. Ainsi la recherche du « fondement de la Métaphysique » ne sera efficace et authentique terme heideggérien signifiant, proprement ce qu'elle est par-elle-même dans son essence, ce terme n'est donc pas à prendre dans son sens moral-Françoise Dastur 1990, p. 122</ref>, que si elle le dévoile dans son apparition concrète conformément à la « nature de l'homme ».
  • D'une pensée qui s'attache à ressaisir Kant et la Critique dans et par l'histoire de l'être (Henri Declève). « c'est dans la théorie du schématisme de l'imagination que le lecteur est invité à reconnaître comment Kant frôle et manque le problème de l'être et du temps »[5].

Contexte historique[modifier | modifier le code]

Portrait d'homme vieux, les cheveux gris épars et mal peignés. Il porte un manteau de fourrure brune et une écharpe blanche est nouée sur son cou.
Hegel.

Au début du XXe siècle, la philosophie de Kant est la philosophie régnante dans la plupart des universités européennes[6]. Des débats très vifs opposent les tenants du néo-kantisme (Heinrich Rickert) , les sociologues (Georg Simmel), les philosophes de la vie (Wilhelm Dilthey, Karl Jaspers) et les historiens (Oswald Spengler) sur la question de l'objectivité des sciences historiques. En axant la pensée de Kant sur le « problème de la métaphysique » Heidegger renvoie tout le monde dos à dos à une époque où presque tout le monde voyait la signification principale de la Critique de la raison pure dans une théorie de la « connaissance scientifique » [N" 1]. Jusqu'à Être et Temps, le néokantisme, héritier de la pensée de Kant, a dominé la scène philosophique européenne. Pour ce mouvement, la philosophie ne devait plus s'intéresser à l'« étant », mais aux conditions de sa connaissance, en suivant la méthode transcendantale de la Critique de la raison pure . Heidegger dénonce cette conception qui aboutit à subordonner la philosophie aux « sciences positives »[7].

Contre ses épigones Hermann Cohen, Paul Natorp et Ernst Cassirer (pour ce qui concerne le néokantisme de Marbourg qu'il a fréquenté au début de son professorat[N 2] - voir article « Heidegger avant Être et Temps »), il s'agit de montrer que Kant a, au fond, réhabilité la métaphysique, en lui faisant retrouver la solidité d'un sol inexpugnable à partir d'une critique de la raison dont il est avéré qu'elle peut errer et se tromper. En prenant appui sur une lecture phénoménologique, Heidegger voit, par exemple, dans la doctrine du « schématisme » « comme une pierre d'attente pour une problématique de la temporalité » et les prémisses d'une analytique de la finitude et de la métaphysique du Dasein[8],[N 3]. Pour Kant comme pour Heidegger le cœur de la philosophie est la métaphysique. La Critique de la raison pure ne sera pas, à ses yeux, une théorie de la connaissance mais une refondation de l'ontologie[9],[N 4].

Par ailleurs, il s'agissait aussi de « lutter contre une interprétation de la phénoménologie (issue de Kant et portée par Husserl), mettant l'accent sur l'idée d'une subjectivité pure et autonome que Heidegger engage le débat avec Kant » note Jean-François Courtine[10].

Les traducteurs, Walter Biemel et Alphonse De Waelhens, de Kant et le problème de la métaphysique, ne cachent pas, que dans ce corps à corps avec la pensée de Kant, Heidegger a privilégié tout ce qui pouvait conforter sa propre pensée[11]. On retrouve la même opinion chez le rédacteur de l'article du Dictionnaire..[12], pour qui Heidegger aurait recherché un refuge auprès de Kant, face à l'incompréhension à laquelle s'était heurtée la publication contemporaine d'Être et Temps.

En s'éloignant du néo-kantisme, donc, des philosophies de la connaissance et de la Logique, Heidegger à cette époque s'exposait à ne plus savoir exactement quel était le domaine de la philosophie, remarque Jean Greisch [13], balançant entre « Weltanschauung », « Vision du monde » et science positive, alors même que le professeur n'abandonne pas l'idée d'établir la philosophie comme une « archi-science » (c'est-à-dire, qui possède elle-même ses propres principes).

Joël Balazut [14] situe ainsi l'œuvre majeure de Kant : « Dans l’histoire de la métaphysique la Critique de la raison pure se tient, en quelque sorte, dans une « faille » : la métaphysique de la subjectivité s’y met tout juste en place dans et par une rupture et une explication avec la métaphysique dogmatique classique. Cette œuvre, qui est donc située dans un moment de rupture au sein de l’histoire de la métaphysique et en laquelle l’idéalisme allemand n’est pas encore pleinement assuré de lui-même, laisse transparaître quelque chose du sens originel de l’être, recouvert par l’ontologie métaphysique depuis Platon et que cherche à retrouver Heidegger »

Contexte philosophique[modifier | modifier le code]

voir Émile Bréhier pages 96 à 98. Entre Kant et Heidegger le contexte philosophique, a radicalement changé. Les philosophes qui comptent présente « un goût ardent pour la réalité, un mépris général pour l'entendement qui veut enchaîner le réel dans ses concepts mais aussi une aptitude à jongler avec les abstractions les plus raffinées, une tendance à des constructions dialectiques qui ne tiennent aucun compte de l'expérience ». (voir Philosophie allemande)

  • le naturalisme qui comporte l'opposition au mécanisme, l'idée d'une continuité des formes et l'idée de polarité
  • le sentiment de l'histoire et de la tradition

Kant précurseur d'Heidegger[modifier | modifier le code]

Joël Balazut[15] résume dans les trois premiers paragraphes de sa contribution, ce qui selon Heidegger désolidarise Kant de la métaphysique de son temps et l'autorise à le mettre au service de son propre questionnement ontologique[N 5]. Cette « appropriation » heideggérienne de la Critique de la raison pure, en dépit de sa « violence interprétative » permet, à la fois, de préciser et de clarifier la pensée heideggérienne de l’être, tout en exhibant une dimension souterraine et méconnue dans l’œuvre majeure de Kant[16].

Heidegger procède à travers ses essais, à une sur-interprétation de la pensée de Kant pour tenter d'en faire un précurseur de sa propre pensée. La méthode a consisté à mettre au jour, selon l'expression de Joël Balazut[17] ,[N 6], un « noyau de sens » au sein de la Critique de la raison pure qui aurait échappé aussi bien à l’interprétation de celle-ci par l’idéalisme allemand (Fichte et Hegel), qu’à la lecture qu’en a donnée l’École de Marbourg (Hermann Cohen). Maurice Clavel expose dans son livre comment par des glissements successifs de sens Heidegger arrive à présenter Kant comme son précurseur

Les traducteurs de Kant et le problème de la métaphysique- résument dans l'introduction : « La préséance de la connaissance ontologique sur la connaissance ontique forme pour Heidegger le sens authentique de la révolution copernicienne »[18].

Kant serait le premier à avoir vu que dans la mesure où la connaissance humaine est ordonnée à des objets déjà donnés, son essence la plus originelle doit consister dans le déploiement d’un horizon propre à laisser, d’abord, ceux-ci faire encontre comme tels, comme ob-jets. « Laissez le soleil errer au milieu des autres astres et la terre immobile ; il n'y aura pas de fins aux complications que vous devez introduire pour rendre compte du mouvement des planètes ; immobilisez le soleil et tous les mouvements s'ordonnent d'une manière simple » écrit Émile Bréhier[19].

La démarche de Kant dans la Critique de la raison pure trouve son point de départ, dans une interrogation sur les conditions de possibilité de la connaissance humaine en tant qu’elle comporte des éléments a priori, et, en particulier, sur les conditions de possibilité de la science de la nature. Or, il va établir, selon Heidegger, que la connaissance scientifique comme saisie représentative de l’étant, n’est possible que sur la base d’un « laisser faire encontre » ( être en situation d'accueillir) préalable de l’étant comme « ob-jet »[N 7].

S'agissant du sens de l'« étant tout entier », ou de la saisie d'un étant quelconque, en soi, en tant qu'il « est », l'expérience concrète se trouve toujours précédée d'une connaissance préalable, autrement dit, l'expérience concrète est précédée d'un savoir ontologique concernant l'être en général sans lequel il n'y aurait aucune connaissance possible. « Dans toutes les sciences quelque chose est établi à propos des objets avant que ceux-ci nous soient donnés et c'est cet établissement apriorique, c'est-à-dire, libre d'expérience (accompli avant toute expérience) qui permet seulement que ces objets puissent nous être donnés comme ce qu'ils sont », écrit Heidegger[20]. S'il y a dépendance de l'objet empirique, il s'agit donc d'une « dépendance vis-à-vis de la « connaissance ontologique » qui permettra que dans l'ordre empirique objet et connaissance puissent se mesurer l'un l'autre »[21]. La préséance de la connaissance « ontologique » constitue pour Heidegger le sens authentique de la « Révolution copernicienne » dans le domaine philosophique que l'on attribue à Kant

Maurice Clavel fait état chez Heidegger, d'une certaine mauvaise foi lorsque celui-démontre par une série de glissements de sens comment la transcendance du sujet ( souci de Kant) est progressivement transféré dans un horizon de compréhension qui correspond au Dasein et à son ouverture au monde. « Kant endosse la connaissance ontologique comme fondement de la Critique »[22].

Selon Maurice Clavel, pour Heidegger, désireux de sauvegarder sa propre position, Kant n'aurait pas été aussi novateur que la philosophie moderne tend à la représenter. Il n'aurait pas été le « fossoyeur » de la métaphysique classique. À cet effet Heidegger cherche à « montrer comment le cours même de la métaphysique occidentale la conduisait à une critique de la raison pure »[23].

L'intuition chez Kant[modifier | modifier le code]

Chez Kant, « l'intuition devient le mode sur lequel le sensible nous est donné comme objet à connaître »[24]. Il ne peut y avoir d'intuition que du sensible, dans l’espace et le temps, d'où il suit qu'il ne peut donc y avoir d’intuition d’essence, de classes, de genres etc. Incapable par elle-même de penser les concepts, l'intuition est aveugle sans les déterminations et les connexions de l'entendement[24]. Kant met tout d'abord de côté ce qu'il appelle les intuitions pures (indépendantes de toute expérience), ou formes a priori de la « sensibilité » qui sont l'« espace » et le « temps ». Il faut quelque chose comme le temps et l'espace qui tels des cadres universels permettent de percevoir les choses. L'espace (les trois dimensions) est la forme du sens externe, le temps la forme nécessaire à la perception dans la durée des « états d'âme ».

Puis Kant dégage ce qu'il appelle les formes a priori de l'entendement qui seront les catégories. « Les catégories ou concept purs sont des manières pour l'esprit humain d'ordonner le divers donné dans l'intuition ». Par elles-mêmes ces formes ne nous font rien connaître, il faut leur adjoindre une intuition sensible, ce qui implique qu'il est exclu de saisir par leur moyen une réalité transcendante. Par exemple les concepts de substance et de causalité sont des catégories[25].

« Aux yeux de Kant, il ne saurait y avoir de « pensée », c’est-à-dire de jugement, [...] qu’à condition qu’il y ait un quelconque « acte de l’esprit ». Toute synthèse renvoie nécessairement à un acte de la spontanéité du sujet, et ne saurait provenir de la seule sensibilité, par définition passive. C’est ce point précis que Husserl va rejeter, en arguant que Kant « manque » l’expérience qu’il cherchait précisément à analyser, parce que celui-ci, du fait de sa métaphysique et en particulier de la doctrine des facultés, est incapable de « reconnaître l’existence de liaisons dans la chose même » », écrit Eric Clémençon dans son compte rendu de l'ouvrage de Pierre-Jean Renaudie[26], intitulé Husserl et les catégories.

  • Husserl « parvient à penser le catégorial comme donné, s'opposant ainsi à Kant et aux néo-kantiens qui considéraient les catégories comme des fonctions de l'entendement »[27].
  • Avec Heidegger la « Vérité » devient une question historique. De son origine grecque jusqu'à nos jours, Heidegger observe des mutations dans le concept de Vérité qui l'amènent à distinguer plusieurs époques depuis l' Alètheia des présocratiques jusqu'à l'impérialisme moderne de la pensée calculante en passant par la Scolastique, la certitude du cogito de Descartes et la révolution copernicienne de Kant.
  • L'« ouverture » d'un monde présuppose la possibilité de son absence à savoir la possibilité du « néant ». C'est l'angoisse qui nous fait prendre du recul à l'égard de l'étant dans son ensemble ; ce qui qualifie l'angoisse à nous présenter le néant c'est ce « glissement » ou ce « recul » qu'elle induit à l'égard de tout étant. Franz-Emmanuel Schürch[28] remarque que le « Néant » dont il est ici question, n'est pas une limite comparable à celle qui plafonnait notre puissance de connaître dans l'univers kantien, il ne s'agit pas d'un accès barré mais au contraire d'une révélation du Néant « qui à son tour rend possible l'accès à l'étant dans sa totalité ». Loin d'être une limite ou une borne, le « Néant » est au contraire l’expression très claire de ce qui ouvre un accès. Le « néant » n'en est pas pour autant substantivé (il n'y a pas d'un côté l'étant et de l'autre le néant), l'expulsion du monde expulse du même coup le Dasein avec l'étant glissant dans son ensemble ; le processus de « néantisation » apparaît d'un seul et même coup avec l'étant ; Heidegger en tire la conclusion que le néant appartient , à la substance de l'être, Jean-Michel Salanskis[29].
  • L'abandon du concept

On connaît la place que tient l'idée de concept dans la pensée kantienne. La volonté heidegérienne d'« aller aux choses mêmes » se manifeste par l'abandon de tout concept « la dimension du plus propre de l'existence humaine échappe à toute « conceptualité » alors même qu'elle est le foyer de notre ouverture au monde »[30]. citation

La radicalisation du thème de la Finitude[modifier | modifier le code]

  • La Finitude chez Kant, prend une valeur positive dans la théorie de la connaissance[31].
  • Pour Heidegger, la finitude serait le signe d'une contingence inéluctable du Dasein dont l'essence ne saurait faire l'objet d'une définition[32].
  • « pour Heidegger, ce n’est pas en dépit de sa finitude qu’il devient possible pour l’homme d’avoir une connaissance contraire grâce à cette finitude, qui est du même coup ressaisie par Heidegger comme la condition de possibilité de l’ontologie et de la métaphysique »[33].
  • Kant fait d'autre part de la finitude l'horizon indépassable de la connaissance mais aussi de la dimension humaine dans son intégralité[34]. Dans la Critique de la raison pure, il cherche à montrer que « la possibilité du savoir est fondée dans les structures mêmes de la raison »[35]. La question de la finitude, inscrite au cœur du projet kantien, se manifeste dans l'incapacité pour l'homme de connaître en dehors d'une « intuition sensible » .
  • Kant cherche à savoir comment il est possible de juger, c'est-à-dire de faire en sorte qu'à chaque intuition corresponde un concept ? « Le mécanisme qui y pourvoit consiste dans la mise en rapport de l'entendement et de la sensibilité par l'intermédiaire d'un schème qui est un produit de l'imagination, ni une image, ni un concept. Chaque catégorie se voit attribuer un schème, le schème pur de la quantité qui est le nombre, le schème de la substance qui correspond à la permanence dans le temps, le schème de la cause qui correspond à la succession réglée »[36]. L'« imagination transcendantale » grâce au schématisme construit un horizon d'objectivation qui permet que l'étant objectivé soit accessible à l'intuition. L'horizon rend visible, permet que des aspects soient offerts et pris et que des vues se constituent. Ainsi voir une maison n'épuise pas la signification du concept et pareillement le contenu du concept ne renvoie pas directement à cette maison-ci. Mais dès que j'ai vu une maison je sais comment se présente une quelconque maison. La forme générale ne se confond pas avec la maison vue mais se donne néanmoins comme contraignante pour toute maison. Même si le « schème » du concept de maison ne peut être décrit, il est néanmoins à l'œuvre « implicitement » dans toute perception de maison[37].
  • S'agissant de la liberté, Heidegger montre que pour Kant il n'y a de liberté que dans la soumission à l'impératif catégorique qui par définition vient d'ailleurs[38]. Il s'agit donc d'une liberté finie, dépendante, qui encadre et contraint, l'espoir humaniste d'une autonomie de la raison maîtresse d'elle-même.
  • Dans le Kantbuch, Heidegger opère un renversement saisissant, « il n’y a d’être et il ne peut y en avoir que là où la finitude s’est faite existence » . La finitude conclut Schurch est ainsi « non pas ce qui empêche la connaissance, mais ce qui la rend possible »[39].
  • « Dès 1929, dans le livre consacré à Kant[40], Kant et le problème de la métaphysique, il n'était déjà plus question, pour Heidegger du Dasein de l'homme, mais tout à coup du Dasein « dans » l'homme »[41], la conception de l'« être » et du « là » à partir de l'« Alètheia », pour un penseur dont la réflexion retournait vers le « commencement », vers Héraclite et Parménide, ne pouvait plus être ignorée, dit encore Hans-Georg Gadamer[42]. Plutôt que l'homme, le Dasein veut désigner, à ce stade non pas précisément l'être de l'homme, qui n'a pas à ses yeux de consistance métaphysique, mais l'idée que s'agissant de l'« être humain » ce dont il s'agit essentiellement c'est de l'« être ».


Heidegger ne connaît pas cette première incapacité de la puissance du connaître. « Dans Être et temps, il soutient même expressément que le Dasein découvre l’étant tel qu’il est en soi : « l’être-à-portée-de-la-main est la détermination ontologico-catégoriale de l’étant tel qu’il est « en soi » » cité par Schurch[43]. Le penseur montre comment l’humanité transcende cette incapacité dans la configuration de monde (voir origine de l'œuvre d'art) qui rend possible la manifestation de l’étant en totalité et la compréhension de l’étant en tant qu’étant

Dans le Kantbuch [44], il opère même un renversement saisissant, « il n’y a d’être et il ne peut y en avoir que là où la finitude s’est faite existence » . La finitude conclut Schurch [43]est ainsi « non pas ce qui empêche la connaissance, mais ce qui la rend possible »[N 8].

Que l’humanité ou le Dasein soit nécessaire, non seulement pour qu’ait lieu la connaissance de l’étant ou la compréhension de l’être, mais aussi pour que l’être ait lieu tout simplement, pour qu’il y ait être Es gibt Sein , il ne s'ensuit pas pour autant que l'homme doive être compris comme le créateur (au sens de production) des étants en lieu et place de Dieu.

La vision kantienne de la finitude signifie en fait une double impuissance : une impuissance à connaître ultimement ce que Kant appelle « la chose en soi » parce que les objets doivent lui être donnés de l’extérieur, du fait que les humains restent bornés pour connaître, à la réceptivité d’une intuition sensible, ce qui implique à fortiori qu'une telle intuition contrairement à ce que pourrait être une intuition divine est dans l'incapacité de créer du même coup l’être ou l’existence de ses objets[N 9].

Heidegger ne connaît pas cette première incapacité de la puissance du connaître. « Dans Être et temps, il soutient même expressément que le Dasein découvre l’étant tel qu’il est en soi : « l’être-à-portée-de-la-main est la détermination ontologico-catégoriale de l’étant tel qu’il est « en soi » » cité par Schurch[43]. Le penseur montre comment l’humanité transcende cette incapacité dans la configuration de monde (voir origine de l'œuvre d'art) qui rend possible la manifestation de l’étant en totalité et la compréhension de l’étant en tant qu’étant

Dans le Kantbuch [45], il opère même un renversement saisissant, « il n’y a d’être et il ne peut y en avoir que là où la finitude s’est faite existence » . La finitude conclut Schurch [43]est ainsi « non pas ce qui empêche la connaissance, mais ce qui la rend possible »[N 10].

Que l’humanité ou le Dasein soit nécessaire, non seulement pour qu’ait lieu la connaissance de l’étant ou la compréhension de l’être, mais aussi pour que l’être ait lieu tout simplement, pour qu’il y ait être Es gibt Sein , il ne s'ensuit pas pour autant que l'homme doive être compris comme le créateur (au sens de production) des étants en lieu et place de Dieu.


Controverse de Davos[modifier | modifier le code]

C'est en 1929, que le Grand Hôtel de Davos accueillit une célèbre confrontation publique ( sujet: la « métaphysique de Kant ) entre deux des grands noms de la philosophie allemande: Ernst Cassirer et Martin Heidegger. Le débat s'est noué autour de l'interprétation du kantisme ainsi que de la place de l'angoisse et de la finitude. Tous deux relisent Kant, Cassirer invoque les pouvoirs du langage, Heidegger ceux de l’imagination. Ce qui, pour Heidegger, est une situation indépassable, peut être pour Cassirer transcendé dans la succession infinie des formes intellectuelles et dans la percée éthique vers l'intelligible et les valeurs universelles. Servanne Jollivet[46] nous parle d'une rencontre mythique, mettant en présence deux des plus grandes figures philosophiques de l’époque, rencontre qui au-delà des commentaires fut au demeurant bien plus cordiale et amicale que certains témoignages ont pu le laisser penser.

Cassirer était l’un des chefs de file de l’école de Marbourg, un courant philosophique qualifié de « néo-kantien ». Le kantisme affirme que la raison est inapte à comprendre le monde tel qu’il est. D’où cette conséquence révolutionnaire : la vérité ultime sur le monde sera à jamais inaccessible à la pensée. Dans sa Critique de la raison pure, Kant affirme en effet que la connaissance sur le monde est bornée par des « catégories a priori de l’entendement ». En d’autres termes, nos connaissances sont modelées par des cadres mentaux qui préexistent à toute expérience. Ainsi, la perception du temps (linéaire), de l’espace (à trois dimensions), ou de la causalité (chaque chose à une cause qui la précède) ne reflètent peut-être pas la nature profonde du monde, mais expriment plutôt la structure de notre esprit. Tel était le sens de la « révolution copernicienne » inaugurée par KantErreur de référence : Balise fermante </ref> manquante pour la balise <ref>.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Alain Boutot 1989, p. 67-68
  2. article Kant Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 713-714
  3. article Kant Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 713-714
  4. article Kant Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 715
  5. Henri Declève 1969, p. 520 lire en ligne
  6. article Kant, Emmanuel Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 713
  7. Alain Boutot 1989, p. 18
  8. article Kant Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 715
  9. article Critique de la raison pure Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 285
  10. Jean-François Courtine 1990, p. 111
  11. Martin Heidegger 1981, p. 10
  12. article Critique de la Raison pure Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 293
  13. Jean Greisch 1994, p. 19 à 22
  14. Joël Balazut 2011, 3 lire en ligne
  15. Joël Balazut 2011, 1,2,et 3 lire en ligne
  16. Joël Balazut 2011, 2 lire en ligne
  17. Joël Balazut 2011, 3 lire en ligne
  18. W.Biemel, A de Waehlens 1981, p. 16
  19. Histoire de la philosophie allemande, p. 56-57
  20. Heidegger 1982, p. 61
  21. W.Biemel, A de Waehlens 1981, p. 16
  22. Maurice Clavel 1980, p. 62-63
  23. Maurice Clavel 1980, p. 115
  24. a et b article Intuition Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 449
  25. Georges Pascal1957, p. 38
  26. Eric Clémençon 2016 lire en ligne
  27. Alain Boutot 1989, p. 19
  28. Franz-Emmanuel Schürch 2010, p. 19
  29. Jean-Michel Salanskis 2009, p. 191-192
  30. article Concept Le Dictionnaire Martin Heidegger, p. 271
  31. article Fini Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 326
  32. article Fini Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 327
  33. Gerhard Krüger 2007, p. 54 lire en ligne
  34. Thierry Gontier 2005, p. 18
  35. Franz-Emmanuel Schürch 2010, p. 10
  36. article Schématisme Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 734
  37. W.Biemel, A de Waehlens 1981, p. 30
  38. Thierry Gontier 2005, p. 19
  39. Franz-Emmanuel Schürch 2010, p. 15
  40. Heidegger 1981
  41. Hans-Georg Gadamer 2002, p. 134
  42. Hans-Georg Gadamer 2002, p. 135
  43. a b c et d Franz-Emmanuel Schürch 2010, p. 15
  44. Heidegger 1981, p. 284
  45. Heidegger 1981, p. 284
  46. Servanne Jollivet 2020, p. 2 lire en ligne

Notes[modifier | modifier le code]

  1. C'est « une thèse incessante de Heidegger que Kant n'st absolument pas destructeur mais fondateur de la métaphysique en tant que telle, en quoi il « précurse », le premier Heidegger et tombe sous les coups du second » écrit Maurice Clavel Maurice Clavel 1980, p. 66
  2. À ce propos Hans-Georg Gadamer qualifie de véritablement dramatique son arrivée à Marbourg-Hans-Georg Gadamer 2002, p. 132
  3. « C'est dans sa théorie du schématisme des concepts purs de l'entendement que Kant montre que l'entendement ne peut absolument pas fonctionner qu'en étant essentiellement rapporté au temps. Kant a donc pressenti sans pouvoir véritablement l'apercevoir, la fonction dévolu au temps dans tout acte de l'entendement »-Françoise Dastur 1990, p. 25
  4. « la métaphysique de la subjectivité s’y met tout juste en place dans et par une rupture et une explication avec la métaphysique dogmatique classique » Joël Balazut 2011 §= 3, lire en ligne
  5. « cette « surinterprétation » a contribué au développement et à la clarification de l’ontologie fondamentale heideggérienne tout en révélant une dimension jusque-là inapparente dans la première œuvre critique de Kant. »Joël Balazut 2011, § 2 lire en ligne
  6. Joel Balazut signe sur ce sujet une contribution savante dans un article du Portique revue de philosophie et de sciences humaines intitulé La Critique de la raison pure de Kant comme préfiguration de l’ontologie heideggérienne
  7. À noter que Kant ne s'intéresse qu'aux conditions de possibilité d'une expérience concrète et non « à l horizon d'objectivité que présuppose Heidegger propre à laisser originellement l’étant faire encontre comme étant ou encore comme ob-jet, à travers la perception »-Joël Balazut 2011, 9 lire en ligne
  8. On trouve la démonstration de ce qui se présente ici comme une affirmation gratuite dans le KantbuchHeidegger 1981, p. 285-286
  9. « Pour Kant la connaissance des « choses en soi » est un pouvoir accordé seulement à celui qui est capable de créer son objet Le sujet humain rationnel est capable de produire un contexte de réceptivité qui rend possible l’expérience phénoménale : il est ainsi capable de connaître les conditions de possibilité subjectives de ces mêmes phénomènes »Franz-Emmanuel et Schürch 2010, p. 12
  10. On trouve la démonstration de ce qui se présente ici comme une affirmation gratuite dans le KantbuchHeidegger 1981, p. 285-286

Liens externes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Emmanuel Kant (trad. Tremesaygues et Pacaud, préf. Charles Serrus), Critique de la raison pure, PUF, coll. « Bibliothèque de Philosophie contemporaine », , 8e éd., 584 p..
  • Jean Greisch, Ontologie et temporalité : Esquisse systématique d'une interprétation intégrale de Sein und Zeit, Paris, PUF, , 1re éd., 522 p. (ISBN 2-13-046427-0).
  • Martin Heidegger (trad. W.Biemel, A de Waehlens), Kant et le problème de la métaphysique, Paris, Gallimard, coll. « Tel », .
  • Martin Heidegger (trad. Emmanuel Martineau), Interprétation phénoménologique de la « Critique de la raison pure » de Kant, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », , 393 p. (ISBN 2-07-022377-9).
  • Sophie-Jan Arrien et Sylvain Camilleri (dir.), Le jeune Heidegger (1909-1926). Herméneutique, phénoménologie, théologie, Paris, J. Vrin, coll. « Problèmes et controverses », , 289 p. (ISBN 978-2-7116-2302-0)
  • Françoise Dastur, Heidegger et la question du temps, Paris, PUF, coll. « Philosophies », .
  • Michel Blay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Larousse, , 880 p. (ISBN 978-2-03-585007-2).
  • Alain Boutot, Heidegger, Paris, PUF, coll. « Que sais-je » (no 2480), .
  • Jean-François Courtine, Heidegger et la phénoménologie, J. Vrin, coll. « Bibliothèque d'histoire de la philosophie », (ISBN 2-7116-1028-4).
  • Hans-Georg Gadamer, Les Chemins de Heidegger, Paris, Vrin, coll. « Textes Philosophiques », , 289 p. (ISBN 2-7116-1575-8).
  • Maurice Clavel, Critique de Kant, Flammarion, coll. « Nouvelle bibliothèque scientifisue », , 651 p. (ISBN 2-257-211126-1[à vérifier : ISBN invalide]).
  • « Introduction par W.Biemel, A de Waehlens », dans Martin Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique, Paris, Gallimard, coll. « Tel », , p. 9-50.
  • Jean-Michel Salanskis, « Heidegger et la logique », dans S.Jollivet Cl.Romano (éd), Heidegger en dialogue (1912-1930). Rencontres, affinités, confrontations, Paris, J. Vrin, (ISBN 978-2-7116-2203-0), p. 175-213.
  • Émile Bréhier et Paul Ricœur, Histoire de la philosophie allemande troisième édition mise à jour P.Ricœur, VRIN, coll. « Bibliothèque d'histoire de la philosophie », , 262 p..
  • Bruno Pinchard (dir.), Heidegger et la question de l'humanisme : Faits, concepts, débat, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Themis », , 392 p. (ISBN 978-2-13-054784-6).
    • Thierry Gontier, « Finitude du Dasein, finité humaniste », dans Bruno Pinchard (dir.), Heidegger et la question de l'humanisme : Faits, concepts, débat, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Themis », (ISBN 978-2-13-054784-6), p. 13-34.
    • Henri Mongis, « L'être et son être-là institué sujet : difficultés de la pensée heideggérienne », dans Bruno Pinchard (dir.), Heidegger et la question de l'humanisme : Faits, concepts, débat, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Themis », (ISBN 978-2-13-054784-6), p. 183-198.


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