Urbain II

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Urbain II
Bienheureux catholique
Image illustrative de l’article Urbain II
Le pape Urbain II arrivant en France pour prêcher la croisade, enluminure du Roman de Godefroy de Bouillon (XIVe siècle), Paris, BnF.
Biographie
Nom de naissance Eudes de Châtillon ou Odon de Lagery
Naissance
Châtillon-sur-Marne ou à Lagery
Royaume de France
Ordre religieux Ordre de Saint-Benoît
Décès
Rome, États pontificaux
Saint-Empire romain germanique
Pape de l'Église catholique
Élection au pontificat
Intronisation
Fin du pontificat
(11 ans, 4 mois et 17 jours)
Autre(s) antipape(s) Clément III

(en) Notice sur www.catholic-hierarchy.org

Eudes de Châtillon ou Odon de Lagery ou encore Otton de Châtillon, né à Châtillon-sur-Marne[1] en 1022 ou vers 1035 ou en 1040 ou 1042, mort à Rome le , est le 159e pape de l’Église catholique sous le nom d'Urbain II (1088-1099). Il est à l'origine de la première croisade, ayant lancé le l'appel de Clermont qui en a été le déclencheur.

Biographie[modifier | modifier le code]

Louis Auguste Roubaud, Monument à Urbain II (1887) à Châtillon-sur-Marne, lieu présumé de sa naissance.

Premières années[modifier | modifier le code]

Né dans la noblesse champenoise, dans la Marne, il est le dernier fils de Miles (Milon) (vers 975-980 † vers 1044-1076), seigneur de Châtillon et Bazoches-sur-Vesles, et d'Avenelle de Montfort (vers 988 † ?), fille d'Amauri de Montfort et de Judith de Cambrai. Son frère aîné est Gui Ier de Châtillon († après 1089), époux de Ermengarde de Choisy, puis de Miles (Milon alias Hugues), seigneur de Basoches, et juste avant lui Manassès († vers 1080), seigneur en partie de Basoches, mort sans postérité[2].

Eudes de Châtillon est élève à Reims de l'écolâtre Bruno, futur fondateur des chartreux, appelé aussi Bruno de Cologne. Il reçoit la formation de moine bénédictin, il devient d'abord chanoine puis archidiacre à Reims. Il se fait ensuite moine à l'abbaye de Cluny en 1067, dont il devient le grand prieur[3] vers 1073, sous l'abbatiat d'Hugues de Semur. Il y reste une dizaine d'années, se forme à la politique ecclésiastique européenne et y forge ses convictions.

À la recherche de moines clunisiens pour mener sa réforme, Grégoire VII le fait venir à Rome en 1079-1080 et le nomme cardinal-évêque d'Ostie. Il devient un conseiller intime du pape, et soutient la réforme grégorienne. Celle-ci, lancée par Nicolas II et Alexandre II, voire par Léon IX, vise à rendre indépendante la papauté des pouvoirs temporels (l'opposé des pouvoirs spirituels). L'Église se retrouve ainsi en confrontation avec l'Empereur. L'affrontement atteint son paroxysme avec Grégoire VII, chassé de Rome et remplacé par un antipape, Clément III. Eudes est nommé légat en France et en Allemagne, dans le but de démettre Clément III, et rencontre Henri IV à cette fin en 1080, en vain.

Il préside plusieurs synodes, dont celui de Quedlinburg (1085) qui condamne les partisans de l'empereur Henri IV et de l'antipape Clément III.

Pape sous le nom d'Urbain II[modifier | modifier le code]

Successeur de Grégoire VII[modifier | modifier le code]

Henri Gourgouillon, statue d'Urbain II du Monument des croisades (1898), Clermont-Ferrand, place de la Victoire.

Au terme du bref pontificat de Victor III, successeur de Grégoire VII, Eudes convoque les évêques partisans de la réforme grégorienne à Terracina, dans le Latium : Rome est aux mains des partisans de Clément III. Là, il est élu pape puis consacré le sous le nom d'Urbain II. Son premier acte est d'affirmer solennellement sa fidélité à l'œuvre de Grégoire VII ; il renouvelle les condamnations de ce dernier en matière de discipline ecclésiastique : simonie (trafic de biens spirituels), nicolaïsme (« incontinence » du clergé) ou encore investiture des clercs par les laïcs.

En revanche, il se montre plus souple que Grégoire, notamment sur les cas de clercs ordonnés par des évêques simoniaques ou schismatiques : il considère leur ordination comme valide, s'attirant ainsi les critiques de théologiens comme Bonizo de Sutri (en), Deusdedit (en) ou Bruno de Segni. Pour rendre plus souples les condamnations, il applique la doctrine de la dispense selon Yves de Chartres. Il ménage Guillaume II d'Angleterre en conflit avec Anselme, l'archevêque de Cantorbéry, qui veut assurer l'indépendance de l'Église vis-à-vis du roi. Dans la même logique, il conforte la papauté en faisant des royaumes hispaniques et de la Sicile des États vassaux du Saint-Siège. Urbain II continue à s'appuyer sur l'ordre de Cluny et les souverains.

Sa position est difficile. Il ne peut rentrer à Rome, occupée par Clément III. Il séjourne alors durant 8 mois à Troina, en Sicile, sous la protection du normand Roger de Hauteville, qui est en train d'achever la reconquête de l'île sur les musulmans (1061-1091). Il retourne à Rome fin 1088 ou début 1089 sous escorte normande mais est chassé par Henri IV l'année suivante. Par sa politique modérée en France et en Angleterre, il crée un « parti romain » en sa faveur, isolant l'empereur. Il doit affronter personnellement le schisme du parti impérial, dont il triomphe avec l'aide de Conrad, fils d'Henri IV. En 1093, Urbain II peut regagner Rome. Il achète la reddition du palais du Latran l'année suivante, et fait tomber le château Saint-Ange en 1098, parachevant ainsi sa reconquête de la ville.

Sa politique devient alors plus rigoureuse. L'exemption, qui place les abbayes sous la responsabilité directe du pape, largement pratiquée, concerne tous les établissements clunisiens. Les chanoines réguliers sont créés, les légats réutilisés, les primats instaurés. Il préside les conciles de Plaisance et de Clermont en 1095. Pendant le premier, il invalide toutes les ordinations effectuées par Guibert de Ravenne après sa condamnation. Il condamne également les thèses de Bérenger de Tours qui affirme, contre la thèse de la transsubstantiation, le caractère symbolique de la présence du Christ dans l'eucharistie. Enfin, répondant à l'appel de l'empereur byzantin Alexis Ier Comnène, il exhorte les chrétiens d'Occident à défendre ceux d'Orient. La réforme grégorienne porte ses fruits. L'Église est indépendante et Clément III est isolé.

Les valeurs de l'Église s'affirment complètement dans la société féodale. L'action des rois est influencée par le serment du sacre : maintenir la justice, défendre les faibles. Les pillages, guerres privées sont combattues par la paix de Dieu avec des ligues pour la paix, des forces de polices organisées par les évêques. Urbain II consacre la trêve de Dieu au concile de Clermont en 1095, qui suspend la guerre aux temps consacrés.

Le concile de Clermont[modifier | modifier le code]

Sceau papal d'Urbain II.
Benjamin-Constant, L'Entrée à Toulouse du pape Urbain II en 1096 (1900), Capitole de Toulouse, salle des Illustres.

À Clermont, du 18 au , avec 13 archevêques et 225 évêques, Urbain II préside un concile dont quelques canons (c'est-à-dire des prescriptions du concile) ont été conservés. Il y réitère la condamnation de l'investiture laïque et interdit aux clercs de prêter hommage à un laïc, même au roi. Il proclame solennellement la trêve de Dieu ou paix de Dieu, déjà annoncée dans des synodes précédents et renouvelle l'excommunication prononcée par l'évêque Hugues de Lyon contre le roi de France Philippe Ier, pour son remariage avec Bertrade de Montfort.

Enfin, le , il lance l'appel à la croisade. Plus tard, il fixera le début de la croisade au et en confiera la direction spirituelle à Adhémar de Monteil, évêque du Puy, le commandement militaire revenant à Raymond IV de Toulouse. Parallèlement, il encourage la Reconquista ou reconquête de l'Espagne occupée par les Maures.

Cet appel est l'aboutissement d'une réflexion de l'Église sur la guerre et l'existence de causes « justes ». Ce concile s'inscrit aussi dans la continuation de la réforme grégorienne et l'émancipation du pouvoir religieux sur les laïcs. Les thèmes du concile et de l'appel seront relayés par des prédicateurs comme Pierre l'Ermite, permettant le succès de la croisade.

Consécration de la basilique Saint-Sernin à Toulouse[modifier | modifier le code]

Lors de son périple en 1095-1096, Urbain II prépare la première croisade en s'appuyant sur l'évêque du Puy Ademar de Monteil et le comte de Toulouse Raimond de Saint-Gilles (tout juste comte puisque son frère Guilhem IV est mort environ un an auparavant et que la succession est contestée par Guillaume IX d'Aquitaine, mari de sa nièce).

Le pape commence donc son périple par Le Puy, Saint-Gilles et Clermont où a lieu le célèbre concile où il appelle solennellement à se croiser pour prendre Jérusalem aux Turcs. Il parcourt ensuite le Maine accompagné de l'évêque Hoël avant de redescendre vers Toulouse où il consacre la nouvelle église et son autel « l'année mille quatre-vingt-seizième du Seigneur, le neuvième des calendes de juin () ». Le pape est accompagné de Raimond de Saint-Gilles et assisté des archevêques de Tolède, de Bordeaux, de Pise et de Reggio, des évêques d'Albano et de Pampelune et de dix autres. Il consacre « l'église du saint martyr Saturnin, évêque de Toulouse, et l'autel en l'honneur du même martyr très glorieux et du saint martyr Assiscle » et dépose « dans le même autel une très grande partie du chef du très glorieux Saturnin et des reliques du saint martyr Assiscle et d'autres saints et des reliques du saint confesseur Exupère, évêque de Toulouse ».

C'est donc à cette occasion qu'est installé l'autel sculpté par Bernard Gilduin, sans doute au-dessus du tombeau du saint, dans l'abside majeure. Et peut-être aussi les reliefs du Christ en majesté, du chérubin et du séraphin aujourd'hui placés dans et autour de la fenêtre axiale murée de la crypte supérieure.

La consécration et le passage du pape sont aussi l'occasion pour les chanoines de marquer quelques points dans leur longue lutte contre le parti du comte et de l'évêque : ainsi du retour de l'église Saint Pierre de Blagnac en leur possession (elle avait été donnée à Moissac par le comte en 1070-1071. Et de la confirmation par Urbain II de leurs « droits, possessions, revenus et statuts ».

Raimond de Saint-Gilles partira ensuite pour la première croisade dont il sera l'un des acteurs majeurs, absence dont profite aussitôt Guillaume IX d'Aquitaine pour occuper Toulouse en 1097. Occasion pour les chanoines de Saint Sernin de manifester une fois de plus leur indépendance et leur opposition au parti du comte et de l'évêque puisqu'ils rejoignent aussitôt le camp du duc.

Urbain II et la Reconquista[modifier | modifier le code]

Le pape Urbain II estime que La Reconquista en Espagne a même valeur méritoire que celle dirigée vers l'Orient. Les Espagnols sont même invités par le pape à combattre plutôt contre les Sarrasins en Espagne. Il estime en effet que ceux qui combattent les Sarrasins participent à l'action divine de reconquête et de restauration de l'Église, c'est-à-dire de la Chrétienté. En 1088, dans une lettre à l'archevêque de Tolède, il y rappelle le passé glorieux de cette ville puis la domination des Sarrasins et la perte de liberté des Chrétiens pendant trois cent soixante dix-ans[4].

La même année, le pape écrit cette fois ci à l'évêque de Huesca, à peu près dans les mêmes termes pour rendre louanges et grâces à Dieu. Celui qui a permis aux forces chrétiennes de battre les Sarrasins, les Turcs en Asie, les Maures en Espagne[5].

Dans une autre lettre de date incertaine, le pape Urbain II s'entretient avec les comtes Catalans en ces termes :

« De même que les milites d'autres terres ont unanimement résolu de partir à l'aide de l'Église d'Asie et de libérer leurs frères de la tyrannie des Sarrasins, ainsi vous aussi, conformément à nos exhortations, efforcez -vous d'aller secourir l'Église qui est proche de vous contre les assauts des Sarrasins. Dans cette expédition si quelqu'un vient à tomber pour l'amour de Dieu et de ses frères, qu'il ne doute pas s'acquérir ainsi le pardon de ses péchés et la vie éternelle par la grâce miséricordieuse de Dieu. Si l'un d'entre vous a résolu d'aller en Asie, qu'il s'applique plutôt à accomplir son pieux dessein ici. Car ce n'est pas faire merveille que de libérer les Chrétiens des Sarrasins en un endroit, et de les livrer ailleurs à la Tyrannie et à l'oppression sarrasine[6]. »

Mort et postérité[modifier | modifier le code]

Urbain II meurt à Rome le , peu après la conquête de la ville de Jérusalem (). Il est béatifié le par Léon XIII. Cependant, en 1638, au cours de travaux, on avait découvert dans une chapelle du palais de Latran, une fresque datant de 1154 où Urbain II était représenté avec le titre de saint[7]. C'est un bienheureux pour l'Église catholique romaine, célébré le [8]. Urbain II instaure la grande prière de l'angélus pour la conversion des musulmans[9].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Fils du seigneur de Lagery, dans H. Jadart, « Du lieu natal d'Urbain II », in Travaux de l'académie nationale de Reims, t. 64, p. 31-48 et dans E. de Barthélémy, « De l'origine du pape Urbain II », Revue de Champagne et de Brie, t. 12, p. 446-448.
  2. Étienne Pattou, op. cit., p. 2.
  3. Ghislain Brunel, Élisabeth Lalou (dir.), Sources d'histoire médiévale, Larousse, Paris, 1992, p. 117 (ISBN 2037410042).
  4. Urbain II. Lettre 5. a l'archevêque Bernard de Tolède (1088), epistolae et privilegia. PL 151. col. 288.
  5. 96. PL, 151, col. 504 : « Nostris siquidem diebus in Asia Turcos, in Europa Mauros Christianorum viribus debellavit… ».
  6. Urbain II, Lettre 20, Epitolae et privilegia, PL, 151, col. 302-303 (trad. Jean Flori).
  7. Ivan Gobry, Mathilde de Toscane, p. 205.
  8. nominis.cef.fr Nominis : Bienheureux Urbain II.
  9. Certains attribuent cette prière à Jean XXII).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Alexandre-Eusèbe Poquet, Étude sur le pape saint Urbain (Eudes de Châtillon), Impr. de la Semaine religieuse, , 16 p. (lire en ligne).
  • Ange Remy, Histoire de Châtillon-sur-Marne, Impr. Bugg, , 217 p. (lire en ligne).
  • (en) Colin Morris, The Papal Monarchy: The Western Church from 1050 to 1250, Clarendon Press, Oxford, 1991 (ISBN 0198269250).
  • Georg Schwaiger, Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, (ISBN 2-213-618577), p. 1674-1676.
  • André Du Chesne, Histoire de la maison de Châtillon-sur-Marne contenant les actions plus mémorables des comtes de Blois et de Chartres…, Paris, chez Sébastien Cramoisy, 1631.
  • Louis Moreri, Grand Dictionnaire Historique, ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane, t. II, Paris, 1740, p. 346.

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]