Trilogie allemande

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Trilogie allemande
Auteur d'origine Luchino Visconti
Nombre de films 3
Premier opus Les Damnés (1969)
Dernier opus Ludwig : Le Crépuscule des dieux (1973)
Pays d'origine Drapeau de l'Italie Italie
Genre Drame historique
Inspiration(s) Richard Wagner, Thomas Mann

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

La trilogie allemande (en italien : Trilogia tedesca ; en allemand : Deutsche Trilogie) désigne trois films consécutifs du réalisateur italien Luchino Visconti, qui traitent de la culture allemande lors de la mise en place de l'Unification allemande en 1871, pendant la période impériale jusqu'à celle du régime national-socialiste.

Les films qui constitue la trilogie sont :

Les trois films révèlent l'influence de Richard Wagner et de Thomas Mann, dont Visconti a utilisé les œuvres comme modèles et sources. Les acteurs y sont principalement utilisés en contrepoint de l'intrigue. Les films n'étaient pas prévus à l'origine comme une trilogie, mais ils sont reliés entre eux par des thèmes communs et des références croisées.

Thèmes[modifier | modifier le code]

Une scène de Mort à Venise.
Une scène de Mort à Venise.
 
Une scène des Damnés.
Une scène des Damnés.

Comme aucun autre réalisateur italien, Visconti s'est intéressé à l'histoire, à la politique et à la culture allemandes et s'est autoproclamé « biographe de l'Allemagne » alors qu'il discutait avec Golo Mann d'un film adapté de La Montagne magique dans lequel Charlotte Rampling jouerait le rôle de Clawdia Chauchat et Helmut Berger celui de Hans Castorp[1], et qui devait élargir la trilogie en une tétralogie[2]. Visconti mettait en lumière « l'Allemagne des déclins » et des « ruptures lourdes de conséquences » et la cherchait dans les profondeurs de l'histoire allemande pour trouver ainsi les « causes de la catastrophe allemande », tandis que Thomas Mann lui servait d'intermédiaire[2].

Le premier volet de la série, très controversé, rappelle une variation sur Macbeth et, en tant qu'étude de la décadence, laisse apparaître non seulement l'influence de Wagner et de Thomas Mann, mais aussi la psychologie de la déchéance de Fiodor Dostoïevski. Le film traite de la décadence politique à travers l'exemple d'une famille de grands industriels entre l'incendie du Reichstag et la nuit des Longs Couteaux, dont le modèle est aisément reconnaissable dans la dynastie des Krupp. Avec des couleurs irisées, il met en lumière les aspects obscènes du fascisme et montre comment les perversions et les agressions sont symboliquement approuvées et exécutées par l'État. Martin von Essenbeck, narcissique et pédophile, déteste sa mère. Il l'humilie et abuse d'elle pour finalement la forcer, elle et son amant, à se suicider[3]. L'influence de Wagner et de Thomas Mann est déjà clairement perceptible. Si Les Buddenbrook racontent le « déclin d'une famille » sur plusieurs générations, Visconti montre comment une dynastie s'effondre et magnifie son destin dans le royaume mythique des Nibelungen. La fonte de l'acier de Krupp au début, au milieu et à la fin du film rappelle le forgeage de l'anneau de L'Or du Rhin dérobé[2].

Les contrastes douloureux entre le passé aristocratique et le présent troublé de la famille sont illustrés dès le début du film : après que le sensible petit-fils Günther a joué un morceau de violoncelle, son frère Martin perturbe les invités avec une parodie de la chanson Kinder, heute Abend, da such' ich mir was composée par Friedrich Hollaender et interprétée par Marlene Dietrich dans le film L'Ange bleu (1930)[4].

La séquence cinématographique de la nuit des longs couteaux, tournée sur les rives du lac Attersee bordé de montagnes, fait déjà référence au futur drame de Ludwig. Visconti capte la beauté des hommes qui se baignent avec « des mouvements de caméra lents et entrelacés » et oppose de vulgaires chants nazis au Liebestod de l'opéra Tristan und Isolde[5].

Si Mort à Venise, accompagnée par les sonorités romantiques tardives de Gustav Mahler, décrit la décadence esthétique avec laquelle toute une époque semble « sombrer » peu avant la Première Guerre mondiale, Ludwig : Le Crépuscule des dieux retrace la vie de Louis II de Bavière et analyse les conflits de l'aristocratie et de la noblesse d'argent[2]. Le modèle central du film Ludwig : Le Crépuscule des dieux est certes la nouvelle de Klaus Mann, Ludwig. Nouvelle sur la mort du roi Louis II de Bavière (Vergitterte Fenster), qui détermine également la technique narrative de Visconti avec ses analepses ; la perspective de Visconti sur le roi ressemble cependant davantage à celle qui s'exprime dans le chapitre 40 du roman Le Docteur Faustus. Contrairement au personnage de Rudi Schwerdtfeger dans le roman Le Docteur Faustus, qui défend l'opinion « officielle » selon laquelle le roi était « fou à lier », le narrateur à la première personne Serenus Zeitblom considère la « destitution et la mise sous tutelle » du monarque comme « injustifiées » et comme un « coup politique ». La folie est une « notion assez fluctuante, que le philistin manie [...] de manière trop arbitraire »[6].

Le fait que Visconti, à la recherche de lieux de tournage pour Les Damnés, se soit rendu en Allemagne dès 1967 et ait visité les châteaux construit pour Louis II de Bavière — Neuschwanstein, Hohenschwangau, Linderhof et Herrenchiemsee —, prouve la cohérence interne de la trilogie et montre que son idée de porter à l'écran la tragédie de Louis II remonte à loin[7]. Il a lui-même indiqué qu'elle était née bien avant sa réalisation des Damnés. Celui qui suit le parcours du roi reconnaît des aspects économiques et politiques importants, comme la guerre austro-prussienne de 1866 et la guerre franco-allemande de 1870, qui a donné naissance à « l'Empire allemand avec la puissance de Bismarck »[8]. Comme dans Mort à Venise, Visconti s'est entièrement concentré sur les tourments intérieurs de l'âme du protagoniste. C'est dans son attitude apolitique et romantique et dans sa fuite dans la musique, les châteaux de contes de fées et les représentations absolutistes du pouvoir que Ludwig : Le Crépuscule des dieux prit véritablement son envol. Contrairement aux films précédents, l'histoire n'est pas directement présente, mais plutôt perceptible comme un hors-champ. Ainsi, Gilles Deleuze écrivait dans son traité de philosophie du cinéma L'image-temps que l'on n'apprenait qu'indirectement des horreurs de la guerre et de la « prise de pouvoir par la Prusse ». Comme le roi ignore les événements, ce trait se renforce : « L'histoire gronde à la porte »[8].

Références croisées[modifier | modifier le code]

Les trois films tardifs de Visconti n'étaient pas prévus pour former une trilogie, mais ils sont reliés entre eux par de nombreuses références croisées[2]. Ainsi, dans Les Damnés, Dirk Bogarde incarne un opportuniste qui est séduit par le SS Aschenbach (Helmut Griem) et qui finit par disparaître dans le jeu des intrigues. Dans la deuxième partie de la trilogie, Bogarde interprète lui-même Gustav von Aschenbach que le beau jeune homme Tadzio (Björn Andrésen) emmène dans le royaume dionysiaque. La chute des deux personnages est mise en scène de manière similaire, le visage de Bogarde apparaissant à chaque fois à la fin comme un masque mortuaire blanc et figé[9].

La dernière partie de la trilogie, marquée par un romantisme encore plus prononcé, apparaît comme une histoire complémentaire à Mort à Venise. Si l'artiste Aschenbach, en réalité apollinien, s'abandonne à l'ivresse autodestructrice et tombe sous le charme de la beauté de Tadzio, le roi Louis II de Bavière (Helmut Berger) évite la rigueur de la politique, déplore l'inutilité des guerres et se réfugie dans les mondes oniriques dionysiaques de Richard Wagner. Visconti lui-même a confirmé le lien et a parlé de la « recherche du [...] beau absolu » qui détermine les deux films et conduit à la mort des protagonistes[10]. Aschenbach meurt au cours de sa « recherche du beau » et sa « contemplation de la beauté absolue ». Pour le monarque, la mort s'approche progressivement « à travers les désenchantements de l'art et de la beauté »[9].

D'autres allusions et références croisées découlent du choix des acteurs. A l'exception de Nora Ricci, qui tient toujours le même rôle de gouvernante et dame de compagnie, Visconti choisit les interprétations des acteurs en contrepoint les uns des autres. Ainsi, Silvana Mangano incarne la mère aimante dans Mort à Venise, tandis qu'elle mime l'épouse calculatrice et trompeuse Cosima Wagner dans le film suivant. Dans Mort à Venise, Mark Burns incarne Alfried, un élève rebelle et égal à lui-même, alors que dans Ludwig : Le Crépuscule des dieux, il est également musicien dans le rôle de Hans von Bülow, mais dans une position subalterne[11]. Dans Les Damnés, les personnages joués par Helmut Berger et Dirk Bogarde sont des arrivistes avides de pouvoir, alors que dans les dernières parties de la trilogie, ce sont des personnages aristocratiques et grands bourgeois qui doivent échouer.

En 1969, Helmut Griem endosse le rôle d'un SS intrigant, en 1972, il interprète le fidèle comte Dürckheim ; dans ce même film, Umberto Orsini joue un intrigant qui trahit le monarque et s'allie avec les Prussiens ennemis, tandis que dans Les Damnés, il est la victime des nationaux-socialistes dans le rôle de l'opposant Herbert Thallmann[11]. On peut observer que Visconti a également utilisé les acteurs dans des rôles opposés en dehors de la trilogie comme dans le cas de Silvana Mangano : Ainsi, dans Violence et Passion, elle incarne à nouveau la marquise Bianca Brumonti, une noble qui, contrairement à la mère distinguée de Tadzio, se fait remarquer par son comportement offensif et vulgaire.

Accueil critique[modifier | modifier le code]

D'après Wolfgang Storch, commissaire de l'exposition berlinoise Götterdämmerung consacrée à la trilogie qui s'est tenue d'août à , le réalisateur répondait avec sa trilogie à la tétralogie de Wagner. Visconti aurait voulu montrer le « pouvoir destructeur du capital [...] dénoncé par Wagner, dans ses conséquences pour le présent »[12].

Selon Alberto Moravia, le décadentisme européen dans « ses trois phases historiques » est le véritable sujet de la trilogie : en tant que naissance imprévisible « des cendres du romantisme » chez Ludwig : Le Crépuscule des dieux et en tant que facteur déterminant de la (des) « conscience(s) individuelle(s) » dans Mort à Venise. Dans la première partie, il se présente comme une tentative fatale et ratée de réinterpréter ses valeurs négatives en valeurs sociales et politiques positives, comme Nietzsche y aspirait. Les films sont dus à la sympathie de Visconti pour la sphère du décadentisme ainsi qu'à son intuition quasi musicale de la conception décadente de la vie[13].

Pour Eugenio Spedicato, les films de la trilogie sont liés par un esthétisme qui varie dans Martin von Essenbeck, Ludwig et Aschenbach. Il les transforme en marionnettes et en affabulateurs dont la triste fin est prévisible. Le génie des personnages serait le revers de leur faiblesse, leur intelligence resterait stérile et serait victime de la décadence[14].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Schifano 1988, p. 465.
  2. a b c d et e Zander 2005, p. 193.
  3. Schütte 1985, p. 114.
  4. Schifano 1988, p. 424.
  5. Schifano 1988, p. 464.
  6. (de) Thomas Mann, Le Docteur Faustus : Œuvres complètes en treize volumes, t. 6, Francfort, Fischer, , p. 571-572
  7. Storch et Maria Arns 2003, p. 31.
  8. a et b Storch et Maria Arns 2003, p. 32.
  9. a et b Zander 2005, p. 195.
  10. Schütte 1985, p. 126.
  11. a et b Zander 2005, p. 267.
  12. Storch et Maria Arns 2003, p. 10.
  13. Storch et Maria Arns 2003, p. 66.
  14. (de) Eugenio Spedicato, Literatur auf der Leinwand am Beispiel von Luchino Viscontis Morte a Venezia, Wurtzbourg, Königshausen & Neumann, , p. 66–67

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (de) Wolfgang Storch et Alfons Maria Arns, Götterdämmerung. Luchino Viscontis deutsche Trilogie, Berlin, Deutsches Filmmuseum Berlin, Jovis, , « Viaggio in Germania »
  • (de) Laurence Schifano, Luchino Visconti : Fürst des Films, Gernsbach, Casimir Katz Verlag,
  • (de) Wolfram Schütte, Luchino Visconti, Munich, Carl Hanser Verlag, coll. « Reihe Film 4 », , p. 111–130
  • (de) Eugenio Spedicato, Literatur auf der Leinwand am Beispiel von Luchino Viscontis Morte a Venezia, Würzburg, Königshausen & Neumann, (ISBN 978-3826039904), p. 66–68
  • (de) Wolfgang Storch, Götterdämmerung. Luchino Viscontis deutsche Trilogie, Berlin, Deutsches Filmmuseum Berlin, Jovis, (ISBN 978-3936314328)
  • (de) Peter Zander, Thomas Mann im Kino, Berlin, Bertz und Fischer, (ISBN 978-3929470697), p. 192–195

Liens externes[modifier | modifier le code]