Théorie des représentations d'un groupe fini

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Ferdinand Georg Frobenius, fondateur de la théorie de la représentation des groupes.

En mathématiques et plus précisément en théorie des groupes, la théorie des représentations d'un groupe fini traite des représentations d'un groupe G dans le cas particulier où G est un groupe fini.

Cet article traite de l'aspect mathématique et, de même que l'article de synthèse « Représentations d'un groupe fini », n'aborde que les représentations linéaires de G (par opposition aux représentations projectives ou affines (en)). Ce sont les actions linéaires de G sur un espace vectoriel V de dimension finie, ou encore, les morphismes de G vers le groupe général linéaire GL(V) des automorphismes de V.

Généralités[modifier | modifier le code]

Dans tout l'article, G désigne un groupe fini d'ordre g, noté multiplicativement. Son élément neutre est noté 1. V désigne un espace vectoriel de dimension finie n sur un corps K. Le corps des nombres complexes est noté ℂ.

Hypothèses sur le corps.

On supposera toujours que la caractéristique de K ne divise pas g et que le polynôme Xg - 1 est scindé sur K (ou même seulement le polynôme Xe - 1, où e désigne l'exposant de G). Ces hypothèses peuvent être retranchées sans effondrement de la théorie[précision nécessaire]. Si elle devient différente, les résultats sur les algèbres semi-simples permettent néanmoins de conclure[Quoi ?] dans de nombreux cas[Lesquels ?].

  • Une représentation du groupe G est la donnée d'un espace vectoriel V et d'un morphisme de groupes ρ de G vers le groupe linéaire GL(V), c'est-à-dire une application
    Une représentation est notée (V, ρ) ou parfois et abusivement V. Les notations ρ(s) (v) ou ρs.v ou même s.v désignent l'action d'un élément s du groupe G sur vecteur v de V.
  • La représentation est dite fidèle si le morphisme ρ est injectif.
  • La dimension de V est appelée degré de la représentation.
  • Une représentation de degré n est dite matricielle si V = Kn, auquel cas le groupe (GL(V), ) s'identifie canoniquement au groupe GLn(K) des matrices carrées d'ordre n à coefficients dans K inversibles, muni du produit matriciel.

  • Un morphisme de représentations de G, ou « opérateur d'entrelacement », d'une représentation (V, ρ) vers une représentation (W, σ), est une application K-linéaire de V dans W telle que pour tout s appartenant à G on ait
    On dit alors aussi que est un morphisme G-équivariant de V dans W.
  • Les représentations (V, ρ) et (W, σ) sont dites isomorphes ou équivalentes s'il existe un isomorphisme G-équivariant de V dans W.
  • Une sous-représentation de (V, ρ) est la représentation obtenue par restriction des ρs à un sous-espace vectoriel de V stable sous l'action de G.
  • Une représentation (V, ρ) est dite irréductible si V et {0} sont distincts et sont les deux seuls sous-espaces stables.

La théorie pourrait être étendue sur des espaces V de dimension infinie, cependant, on peut démontrer que[réf. souhaitée] toute représentation d'un groupe fini est une somme directe de représentations de dimensions finies. Le cas de la dimension infinie ne présente donc pas d'intérêt théorique.[réf. souhaitée]

Exemples[modifier | modifier le code]

Groupe symétrique d'indice trois[modifier | modifier le code]

Le groupe symétrique S3 est constitué des six permutations de l'ensemble E = {1, 2, 3}. Nous noterons (V, ρ) la représentation associée sur le corps ℚ des rationnels, et (e1, e2, e3) la base canonique de V = E ≃ ℚ3.

Pour tout élément s de S3, ρ(s) envoie (e1, e2, e3) sur (es(1), es(2), es(3)), donc fixe chaque élément de la droite vectorielle V1 engendrée par le vecteur e1 + e2 + e3 et laisse globalement stable le plan vectoriel supplémentaire V2 constitué des vecteurs dont la somme des coordonnées est nulle. (V, ρ) est donc la somme directe de deux représentations (V1, ρ1) et (V2, ρ2).

Représentation de S3 comme groupe des isométries du triangle

Puisque ρ1 est triviale, la représentation ρ2 est, tout comme ρ, fidèle. Toute représentation fidèle de S3 est de degré supérieur ou égal à 2 (en effet S3 est non abélien, alors que toute représentation de degré 0 ou 1 a pour image un groupe abélien). On démontre que toute représentation fidèle de S3 de degré 2 est isomorphe à ρ2.

Chacun des six éléments ρ(s) permute évidemment les trois vecteurs e2 + e3 – 2e1, e1 + e3 – 2e2 et e1 + e2 – 2e3. Or ces trois vecteurs sont de somme nulle et deux quelconques d'entre eux forment une base de V2. Il y a donc exactement six endomorphismes de ce plan qui permutent ces trois vecteurs, et ce sont les ρ2(s).

Comme pour toute représentation d'un groupe fini ou même d'un groupe compact, il existe pour ρ au moins un produit scalaire sur V tel que tous les ρ(s) soient des isométries. Mais on peut se passer ici de ce résultat théorique : le produit scalaire canonique convient, puisque toute matrice de permutation est orthogonale.

Pour ce produit scalaire, les ρ2(s) apparaissent alors comme les six isométries laissant invariant le triangle équilatéral suivant (choisi inscrit dans le cercle unité, ce qui nécessite d'étendre le corps de base) : u = (e2 + e3 – 2e1)/6, v = (e1 + e3 – 2e2)/6, w = (e1 + e2 – 2e3)/6.

La figure de droite illustre une interprétation graphique de la représentation (en prenant comme base orthonormée de V2, par exemple : (u, (v – w)/3)). Les lignes rouges représentent les trois axes de symétrie des trois transpositions.

Exemples généraux[modifier | modifier le code]

  1. Si G est un sous-groupe de GLn(K), l'injection canonique associée est une représentation matricielle appelée la représentation standard.
  2. Toute action de G sur un ensemble fini E fournit une représentation ρ de G sur l'espace vectoriel KE des applications de E dans K : on considère dans cet espace la base canoniquee)eE, où δ désigne le symbole de Kroneckere(f) vaut 1 pour f = e et vaut 0 pour les autres fE), et pour tout sG, on définit l'automorphisme ρ(s) par son action sur cette base : il la permute par ρ(s)(δe) = δs.e. On en verra un exemple avec la représentation régulière, issue de l'action de G sur lui-même par multiplication à gauche.
  3. Une représentation de degré 1 est naturellement irréductible. Elle est à valeurs dans un groupe de racines g-ièmes de l'unité dans K (ce résultat est conséquence d'un théorème de Lagrange). Un tel groupe est toujours cyclique. En conséquence, une représentation de degré 1 n'est fidèle que si le groupe G est cyclique. Une autre conséquence, démontrée dans l'analyse des caractères, est qu'un groupe fini est abélien si et seulement si toute représentation irréductible est de degré 1.

Premiers concepts[modifier | modifier le code]

Représentation irréductible[modifier | modifier le code]

Heinrich Maschke (1853 1908)

L'objectif est la classification de toutes les représentations d'un groupe fini sur un corps K. Cette démarche, analogue à celle de la réduction d'endomorphisme par Jordan, se fonde sur le lemme suivant, sous l'hypothèse que la caractéristique de K ne divise pas l'ordre du groupe :

Cette propriété est illustrée dans l'exemple de la représentation standard du groupe S3. La droite fixe engendrée par le vecteur e1 + e2 + e3 possède un plan supplémentaire stable. C'est une propriété remarquable car dans le contexte général de l'algèbre linéaire, un sous-espace stable par un endomorphisme ne possède pas toujours de supplémentaire stable.

La classification, sous l'hypothèse du lemme ci-dessus, est le théorème de Maschke :

Connaître toutes les représentations d'un groupe fini revient donc à connaître ses représentations irréductibles, les autres s'obtiennent par somme directe.

Il existe une décomposition canonique, elle se fonde sur la définition suivante :

  • Une représentation est dite isotypique si elle est somme directe d'une famille de représentations irréductibles deux à deux équivalentes.

La décomposition d'une représentation en sous-espaces isotypiques maximaux est unique, ou encore: il n'existe qu'une seule sous-représentation isotypique maximale par représentation irréductible.

Produit hermitien[modifier | modifier le code]

Si K est un sous-corps de ℂ, alors il existe sur V un produit hermitien G-invariant, c'est-à-dire tel que tous les ρs (quand s parcourt G) soient des isométries.

C'est un cas particulier du lemme d'unitarisation pour les groupes compacts (tout groupe discret fini est compact, et sa mesure de Haar est la mesure de comptage).

Si K est même inclus dans le sous-corps ℝ des réels, ce produit hermitien est en fait un produit scalaire car la conjugaison est l'identité sur K.

Caractère[modifier | modifier le code]

Lemme de Schur[modifier | modifier le code]

  • Le caractère d'une représentation (V, ρ) de G est l'application χρ qui à tout élément s de G associe la trace de ρs.
    C'est donc un élément de l'espace vectoriel KG des applications de G dans K.
  • Si deux représentations sont équivalentes, alors elles ont même caractère.
    La réciproque est vraie si K est de caractéristique 0.
  • Un caractère associé à une représentation irréductible est dit caractère irréductible.
  • L'ensemble des caractères irréductibles est orthonormal pour la forme bilinéaire symétrique canonique sur KG.

Fonction centrale[modifier | modifier le code]

L'indicatrice d'une classe de conjugaison c se décompose dans la base canonique (δs)s∊G de KG en : 1c=∑s∊cδs.

Les propriétés des traces montrent que le caractère d'une représentation est une fonction centrale, de plus :

  • La famille orthonormale des caractères irréductibles forme une base de l'espace des fonctions centrales à valeurs dans K.

On en déduit que le nombre de représentations irréductibles est égal au nombre h de classes de conjugaison du groupe.

Algèbre d'un groupe[modifier | modifier le code]

Structure semi-simple[modifier | modifier le code]

La théorie des représentations se fonde sur deux approches qui, sous des angles différents, permettent l'analyse des représentations d'un groupe. La première est couverte par le paragraphe précédent, les caractères, la deuxième se fonde sur des structures : celles d'algèbre et de module. Une des raisons de la richesse de la théorie est la complémentarité de ces deux points de vue dont le second fournit un cadre théorique général au premier.

On associe à G une K-algèbre associative, appelée la K-algèbre du groupe fini G et notée K[G], de la manière suivante. Sur l'espace vectoriel KG on choisit, comme multiplication interne, la convolution, qui s'exprime dans la base canonique (δs)s∊G par :

On obtient alors un dictionnaire complet entre représentations de G et K[G]-modules. En particulier les représentations irréductibles correspondent aux modules simples et leurs sommes directes aux modules semi-simples.

Dans ce contexte, le théorème de Maschke se reformule en disant que K[G] est un anneau semi-simple.

Théorème d'Artin-Wedderburn[modifier | modifier le code]

Grâce aux résultats précédents, on démontre directement :

  • L'algèbre K[G] est isomorphe à la somme directe des algèbres LK(Si) d'endomorphismes des K-espaces vectoriels Si sous-jacents aux h représentations irréductibles de G :

(Sous l'hypothèse supplémentaire que K est algébriquement clos, une manière plus savante d'arriver au même résultat est d'utiliser le théorème d'Artin-Wedderburn pour les algèbres semi-simples de dimension finie.)

L'égalité des dimensions des deux membres de cet isomorphisme fournit une identité remarquable : g=∑di2, où di désigne la dimension de Si. On démontre par ailleurs que tous les di divisent g[1].

Il résulte directement de la définition du produit de convolution que :

Par ailleurs, un élément de K[G] appartient au centre si et seulement si, via l'isomorphisme ci-dessus, chacune de ses composantes est une homothétie. L'algèbre commutative des fonctions centrales (munie du produit de convolution) est donc isomorphe à l'algèbre produit Kh. On peut préciser cet isomorphisme :

  • Pour toute fonction centrale , le rapport de l'homothétie correspondante sur Si vaut :

Représentation régulière[modifier | modifier le code]

La représentation régulière de G est définie sur l'espace KG comme cas particulier du deuxième exemple général : un élément u de G agit linéairement en permutant la base canonique :

Cette représentation correspond donc, via le « dictionnaire » mentionné précédemment, à la structure naturelle de K[G]-module à gauche de l'algèbre K[G]. Grâce à la décomposition ci-dessus de cette algèbre on a par conséquent :

  • La représentation régulière est équivalente à la somme directe des h représentations irréductibles ρi répétées chacune un nombre de fois égal à son degré di.

et comme corollaire :

  • Toute représentation irréductible de G est équivalente à une sous-représentation de la régulière.

Extension[modifier | modifier le code]

Motivation[modifier | modifier le code]

Un objectif important de la théorie des groupes finis est la classification. Elle se fonde sur deux concepts : un ensemble de briques élémentaires correspondant à des groupes finis facilement analysable et une extension qui permet, à l'aide des briques élémentaires de construire les groupes de la famille.

Dans le cas des groupes abéliens, les briques élémentaires sont constituées par les groupes cycliques, l'extension est celle du produit direct. Ainsi tout groupe abélien fini est produit direct de groupes cycliques.

Dans le cas général, les briques élémentaires sont les groupes simples et l'extension les produits directs et semi-directs.

Il est donc naturel de traduire en termes de représentations les deux grandes méthodes d'extension.

Produit tensoriel[modifier | modifier le code]

Le produit tensoriel de deux représentations est une représentation. Plus précisément : le produit tensoriel d'une représentation d'un groupe G1 et d'une représentation d'un groupe G2 est une représentation du groupe produit G1×G2. Le caractère de la représentation obtenue est le produit tensoriel des caractères des deux représentations. On obtient de plus une bijection entre les couples de représentations irréductibles des deux groupes et les représentations irréductibles de leur produit.

Dans le cas particulier où les deux groupes sont égaux à un même groupe G, ce produit tensoriel de deux représentations de G fournit aussi, par composition avec le morphisme diagonal, une représentation de G. Son caractère est le produit des deux caractères, et elle possède deux sous-représentations naturelles, sur le sous-espace des tenseurs symétriques et celui des tenseurs antisymétriques.

Représentation induite[modifier | modifier le code]

L'induction est un mode de construction d'une représentation d'un groupe G à l'aide d'une représentation d'un de ses sous-groupes H. Soit (W, θ) une représentation de H. Une représentation (V, ρ) de G est équivalente à la représentation induite par (W, θ) si et seulement si W est un sous-H-module de V et les différents sous-espaces ρcW, quand c parcourt un système de représentants des classes à gauche de G/H, sont en somme directe, et de somme égale à V.

En termes de G-module, la représentation induite s'exprime simplement :

Elle correspond à une extension des scalaires K[H] à l'anneau K[G] sur le H-module W.

La technique de la représentation induite est largement utilisée en théorie des groupes finis, par exemple pour l'étude des représentations de certains produits semi-directs (Serre, p. II - 18) et pour la caractérisation des groupes simples.

Les représentations induites sont le cadre de nombreux théorèmes. On peut citer l'un des plus anciens : la formule de réciprocité de Frobenius. Si ψ désigne le caractère de la représentation θ de H et χ celui d'une représentation σ de G, si Ind(ψ) désigne le caractère de la représentation induite par θ et Res(χ) le caractère de la restriction de σ à H, alors :

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Références[modifier | modifier le code]

  1. Tristan Vaccon, « Le degré d’une représentation irréductible divise l’ordre du groupe », sur unilim.fr,

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Article connexe[modifier | modifier le code]

Série de Molien (en)

Liens externes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]