Théorème de Zeckendorf
Le théorème de Zeckendorf, dénommé ainsi en référence au mathématicien belge Édouard Zeckendorf, est un théorème de théorie additive des nombres qui garantit que tout entier naturel N peut être représenté, de manière unique, comme somme de nombres de Fibonacci distincts et non consécutifs. Cette représentation est appelée la représentation de Zeckendorf de N.
Énoncé et exemple
[modifier | modifier le code]Théorème de Zeckendorf[1] — Pour tout entier naturel N, il existe une unique suite d’entiers c0, ... , ck, avec et ci+1 > ci + 1, tels que
- ,
où Fn est le nombre de Fibonacci d'indice n.
Par exemple, 0 est représenté par la somme vide. La représentation de Zeckendorf du nombre 100 est
- .
Le nombre 100 possède d'autres représentations comme somme de nombres de Fibonacci. Ainsi :
mais ces représentations contiennent des nombres de Fibonacci consécutifs. À toute représentation d'un entier N, on associe un mot binaire, dont la n-ième lettre en partant de la droite est 1 si figure dans la représentation de N et 0 sinon. Ainsi, aux représentations de 100 ci-dessus sont associés les mots :
- .
Les entiers de 0 à 4 ont pour représentations de Zeckendorf : .
Les mots binaires de Zeckendorf associés aux entiers successifs, lus en base 10 : 0, 1, 10, 100, 101, 1000, 1001, etc forment la suite A014417 de l'OEIS.
L'ensemble de ces mots binaires forme un langage rationnel : ce sont le mot vide et les mots commençant par 1 et ne contenant pas deux 1 consécutifs. Une expression rationnelle de ce langage est
- .
Le codage de Fibonacci d'un entier est, par définition, le mot binaire associé à sa représentation, retourné et suivi d'un symbole 1. Ainsi, le codage de Fibonacci du nombre 100 est 00101000011.
Note historique
[modifier | modifier le code]Zeckendorf a publié sa démonstration du théorème en 1972[1], alors que l'énoncé était connu, sous le nom de « théorème de Zeckendorf », depuis longtemps. Ce paradoxe est expliqué dans l'introduction de l'article de Zeckendorf : un autre mathématicien, Gerrit Lekkerkerker (en), a rédigé la preuve du théorème (et d'autres résultats) à la suite d'un exposé de Zeckendorf, et l'a publié[2] en 1952, tout en en attribuant la paternité à Zeckendorf. D'après Clark Kimberling[3], c'est un article de David E. Daykin[4], publié dans un journal prestigieux, qui a contribué à faire connaître le résultat et son auteur.
Démonstration
[modifier | modifier le code]La démonstration du théorème est en deux parties :
1. Existence : L'existence de la représentation se démontre par l'emploi de l'algorithme glouton[5] ou par récurrence sur N, ce qui revient strictement au même.
2. Unicité : Pour cette partie, on utilise le lemme suivant :
Lemme — La somme de tout ensemble non vide de nombres de Fibonacci distincts et non consécutifs, dont le plus grand élément est Fj, est strictement inférieure à Fj+1.
Représentation des premiers entiers
[modifier | modifier le code]Dans la table, R(N) dénote la représentation de N sous forme de mot binaire.
N | R(N) |
---|---|
0 | 0 |
1 | 1 |
2 | 10 |
3 | 100 |
4 | 101 |
5 | 1000 |
6 | 1001 |
7 | 1010 |
8 | 10000 |
9 | 10001 |
10 | 10010 |
11 | 10100 |
L'alternance des 0 et 1 dans chacune des colonnes correspond à l'absence ou la présence d'un rectangle dans la figure en tête de la page. La suite des derniers chiffres est
C'est le début du mot de Fibonacci. En effet, le N-ième symbole du mot de Fibonacci est 0 ou 1 selon que est « Fibonacci pair » (R(N) se termine par 0) ou « Fibonacci impair ».
Addition et multiplication en numération de Zeckendorf
[modifier | modifier le code]Christiane Frougny, de l’Institut de recherche en informatique fondamentale, à Paris, a découvert en 1991 un algorithme permettant d’additionner deux nombres en numération de Zeckendorf sans passer par une autre représentation[6],[7],[8].
De même, Tomasz Idziaszek a proposé un algorithme similaire pour la multiplication[9],[8].
Variations
[modifier | modifier le code]Représentation par des nombres de Fibonacci d'indices négatifs
[modifier | modifier le code]La suite des nombres de Fibonacci peut être étendue aux indices négatifs, puisque la relation
permet de calculer à partir de Fn et de . On a (voir la section correspondante de l'article sur les nombres de Fibonacci) :
La suite complète est Donald Knuth a remarqué[10] que tout entier relatif est somme de nombres de Fibonacci d'indices strictement négatifs qu'il appelle « Negafibonacci », la représentation étant unique si deux nombres utilisés ne sont pas consécutifs. Par exemple :
- ;
- ;
- ;
Comme plus haut, on associe à la représentation d'un entier N un mot binaire, dont la n-ième lettre est 1 si Fn figure dans la représentation de N et 0 sinon. Ainsi, 24 est représenté par le mot 100101001. On observe que l'entier N est positif si et seulement si la longueur du mot associé est impaire.
Multiplication de Fibonacci
[modifier | modifier le code]Donald Knuth[11] considère une opération de multiplication d'entiers naturels et définie comme suit : étant donné les représentations et le produit de Fibonacci est l'entier
Par exemple, comme 2 = F3 et 4 = F4 + F2, on a .
Knuth a prouvé le fait surprenant que cette opération est associative.
Autres suites
[modifier | modifier le code]Zeckendorf prouve l'existence et l'unicité, sous condition, pour la représentation par les nombres de Lucas[1].
Knuth mentionne que le théorème de Zeckendorf reste vrai pour les suites de k-bonacci, sous réserve que l'on n'utilise pas k nombres consécutifs d'une telle suite[12].
Aviezri Fraenkel a donné un énoncé général qui étend les théorèmes précédents[13] : Soit une suite d'entiers. Tout entier naturel N a exactement une représentation de la forme
où sont des entiers naturels, pourvu que
pour
Système d'Ostrowski
[modifier | modifier le code]Tout nombre irrationnel α admet un développement en fraction continue . Si l'on pose , , , et , , on a . La suite forme une base pour un système de numération :
Théorème d'Ostrowski[14] — Soit α un nombre irrationnel, et soit (qn) la suite des dénominateurs des convergents de la fraction continue de α. Tout entier positif N s'écrit de manière unique sous la forme
où les bi sont des entiers satisfaisant les trois conditions suivantes :
- ;
- pour ;
- Pour , si , alors .
Pour le nombre d'or, les ai valent tous 1, les qn sont les nombres de Fibonacci et les trois conditions signifient que les termes de la somme sont distincts et non consécutifs.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Édouard Zeckendorf, « Représentation des nombres naturels par une somme de nombres de Fibonacci ou de nombres de Lucas », Bull. Soc. Roy. Sci. Liège, vol. 41, , p. 179–182.
- ↑ (nl) Cornelis Gerrit Lekkerkerker, « Voorstelling van natuurlijke getallen door een som van getalle van Fibonacci » [« Représentation des nombres naturels par une somme de nombres de Fibonacci »], Simon Stevin, vol. 29, , p. 190-195.
- ↑ (en) Clark Kimberling, « Edouard Zeckendorf [1901–1983] », Fibonacci Quart., vol. 36, no 5, , p. 416–418.
- ↑ (en) D. E. Daykin, « Representation of Natural Numbers as Sums of Generalised Fibonacci Numbers », J. London Math. Soc., vol. 35, , p. 143 -60.
- ↑ (en) Ronald Graham,Donald Knuth, Oren Patashnik, Mathématiques concrètes, Thomson publishing, , p. 314 - 315
- ↑ (en) C. Frougny, « Fibonacci representations and finite automata », IEEE Transactions on Information Theory, vol. 37, no 2, (lire en ligne
)
- ↑ (en) C. Ahlbach et al., « Efficient algorithms for Zeckendorf arithmetic », Fibonacci Quarterly, (arXiv 1207.4497, lire en ligne)
- Jean-Paul Delahaye, « Des suites exotiques pour écrire les nombres », Pour la Science, no 568, , p. 74
- ↑ (en) T. Idziaszek, « Efficient algorithm for multiplication of numbers in Zeckendorf representation », FUN 2021, (lire en ligne)
- ↑ (en) Donald Knuth, « Negafibonacci Numbers and the Hyperbolic Plane », Paper presented at the annual meeting of the MAA, The Fairmont Hotel, San Jose, CA. 2008-12-11 [présentation en ligne].
- ↑ (en) Donald E. Knuth, « Fibonacci Multiplication », Applied Mathematics Letters, vol. 1, no 1, , p. 57-60 (DOI 10.1016/0893-9659(88)90176-0)
- ↑ Exercice 5.4.2-10 dans (en) Donald E. Knuth, The Art of Computer Programming, vol. 3 : Sorting and Searching, , 2e éd. [détail de l’édition].
- ↑ (en) Aviezri S. Fraenkel, « Systems of Numeration », Amer. Math. Monthly, vol. 92, no 2, , p. 105-114.
- ↑ Ce théorème est attribué à Alexander Ostrowski (1922). Voir : (en) Jean-Paul Allouche et Jeffrey Shallit, Automatic Sequences : Theory, Applications, Generalizations, Cambridge, Cambridge University Press, , 571 p. (ISBN 0-521-82332-3, MR 1997038, lire en ligne), Section 3.9.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- (en) Eric W. Weisstein, « Zeckendorf's Theorem », sur MathWorld
- (en) Eric W. Weisstein, « Zeckendorf Representation », sur MathWorld
- Une réciproque du théorème de Zeckendorf : Zeckendorf's theorem sur le site cut-the-knot
- (en) « Zeckendorf representation », dans Michiel Hazewinkel, Encyclopædia of Mathematics, Springer, (ISBN 978-1556080104, lire en ligne)
- La suite A101330 de l'OEIS décrit la multiplication de Fibonacci
- Un tour de magie mathématique basé sur le théorème de Zeckendorf, sur Blogdemaths