Test de Bechdel
Le test de Bechdel, ou test de Bechdel-Wallace, vise à mettre en évidence la sur-représentation des protagonistes masculins ou la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction.
Historique
[modifier | modifier le code]Le nom du test fait référence à un comic strip de la dessinatrice Alison Bechdel intitulé La Règle (The Rule en version originale) paru en 1985 dans sa bande dessinée Lesbiennes à suivre[1]. Dans ce strip, une femme propose à une autre de l'accompagner au cinéma, mais la deuxième répond qu'elle ne regarde que des films qui respectent trois règles, qui correspondent à ce qui sera appelé par la suite le test de Bechdel. Après avoir lutté pour trouver un film qui respecterait ces trois règles, les deux femmes décident finalement d'aller manger du pop-corn.
L'idée du test a été empruntée par Alison Bechdel à son amie Liz Wallace, qui est remerciée dans le strip, ce que Bechdel reconfirmera plusieurs fois par la suite[2],[3],[4]. Toujours selon Bechdel, Liz Wallace a probablement été inspirée par l'essai Une chambre à soi de Virginia Woolf[5],[6], où l'autrice peine à trouver des livres décrivant une amitié féminine et ne présentant pas les femmes comme seulement intéressées par les affaires domestiques[7].
Fonctionnement du test
[modifier | modifier le code]Le test repose sur trois critères[8] :
- Il doit y avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre ;
- qui parlent ensemble ;
- et qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.
Le critère qui stipule que les deux femmes doivent être nommées est un complément du premier critère ajouté par d'autres par la suite[9].
Si l’œuvre vérifie ces trois critères, le test est dit réussi. Si ce n'est pas le cas, cela peut indiquer que l’œuvre est centrée sur des figures masculines, voire correspond au syndrome de la Schtroumpfette[10],[11].
Le test de Bechdel-Wallace se veut un indicateur du sexisme des films qui ne mettraient en avant qu'un nombre restreint de personnages féminins, dont le rôle serait celui de faire-valoir des personnages masculins. Il vise aussi à ne pas limiter les personnages féminins à leurs histoires d'amour[12].
Statistiques
[modifier | modifier le code]Selon le site collaboratif bechdeltest.com, 57 % de la totalité des films répertoriés depuis 1877 réussissent le test[13]. La part des films ne validant aucune ou une partie des affirmations seulement diminue légèrement d'année en année, jusqu'à atteindre 30% pour les films sortis en 2022[13].
Une étude sur les films produits entre 1995 et 2005 montre que 53 % des films échouent au test lorsqu'ils sont écrits par des hommes, 38 % des films échouent lorsqu'il y a une femme parmi les scénaristes, et 0 % échouent lorsqu'il n'y a que des femmes dans les scénaristes[14]. L'étude explique que cette faible réussite est probablement due à la quasi absence de femmes scénaristes, notant « concernant les blockbusters, Hollywood a, en proportion, moins de femmes cinéastes que l'armée n'a de femmes générales ». Elle remarque, toutefois, une bonne performance du cinéma français, où l'on ne trouve « que » 34 % d'échec dans les films produits par Canal+[14].
À titre d'exemple, The Washington Post a testé en 2014 les films en lice pour l'Oscar du meilleur film de la 86e cérémonie des Oscars. Seulement trois films réussissent le test : Dallas Buyers Club, Nebraska et Philomena ; les autres films, dont Le Loup de Wall Street, Capitaine Phillips ou Gravity, échouent[6],[15].
Limites du test
[modifier | modifier le code]Si le test de Bechdel-Wallace se veut un indicateur du sexisme de certains films, il ne peut pas suffire à déterminer si un film est féministe ou pas[6], ce qui n'était d'ailleurs pas l'intention d'Alison Bechdel[16]. Ce test passe sous silence les questions de diversité des femmes, leur rôle dans l'histoire ou encore la façon de les montrer[17].
Ainsi, Gravity ne réussit pas le test alors qu'on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un film sexiste[18], tandis que Twilight réussit le test grâce à une scène où Bella parle à sa mère de déménagement, alors que le film est généralement considéré comme sexiste[16].
Variantes du test
[modifier | modifier le code]Plusieurs tests se sont inspirés du test de Bechdel-Wallace pour mesurer les questions de représentation et de diversité dans les films.
Test de Mako Mori
[modifier | modifier le code]Le test de Mako Mori a été nommé d'après un des personnages de Pacific Rim, film qui ne réussit pas le test de Bechdel-Wallace malgré un personnage féminin fort et qui ne se limite pas à être un faire-valoir des personnages masculins[17].
Test Furiosa
[modifier | modifier le code]Le test Furiosa est nommé d'après un personnage de Mad Max: Fury Road, film qui met en valeur de nombreux personnages féminins forts. Inspiré par de nombreuses critiques d'internautes mécontents de voir autant de personnages féminins, le test pose une seule question : « est-ce que des internautes s'énervent parce que ce film est féministe[19] ? » Si oui, c'est peut-être bon signe[19].
Outre Mad Max: Fury Road, parmi les films qui réussissent ce test, on peut citer Wonder Woman, Captain Marvel, Tomb Raider ou encore SOS Fantômes[20].
Test de la lampe sexy
[modifier | modifier le code]Plus radical, le test de la lampe sexy, créé par la scénariste Kelly Sue DeConnick, propose de remplacer un personnage féminin par une lampe, et de voir si l'histoire est modifiée[17]. L'idée de la lampe sexy vient d'une lampe avec une jambe de femme élancée, élément de décor du film Christmas Story[21].
Plusieurs films échouent à ce test, comme la plupart des James Bond, en particulier Skyfall, et beaucoup de films de super-héros, comme Man of Steel ou encore Gatsby le Magnifique[22],[23],[21].
Test de Finkbeiner
[modifier | modifier le code]Dans le domaine du journalisme, le test de Finkbeiner, proposé par la journaliste américaine Christie Aschwanden, est destiné à servir d'aide-mémoire pour la rédaction d'articles biographiques relatifs à des femmes scientifiques pour en éradiquer le sexisme. Les critères du test Finkbeiner mettent en jeu la propension à évoquer le caractère exceptionnel du fait qu'une femme soit une scientifique reconnue, ou encore sa fonction maternelle.
Autres variantes
[modifier | modifier le code]Le site FiveThirtyEight a proposé à 12 femmes scénaristes, réalisatrices, actrices ou productrices de proposer des tests mesurant le sexisme, avec des critères comme la parité de l'équipe, la représentation de femmes de couleur, la complexité des personnages féminins[24], etc.
Le test DuVernay, nommé en hommage à la réalisatrice Ava DuVernay, indique si une histoire est uniquement centrée sur des personnages blancs[25]. Ce test n'a pas de critères précis, ce qui lui permet d'analyser plus finement les représentations[26].
Le test de Vito Russo, nommé en hommage à Vito Russo, évalue la représentation des personnes LGBTQI+ dans la fiction et en particulier au cinéma[27].
Application
[modifier | modifier le code]Depuis 2013, certaines salles de cinéma en Suède utilisent le test de Bechdel pour coter les films qu'elles diffusent[28]. En 2017, la salle de cinéma indépendant parisienne Le Brady met à l'affiche des films qui réussissent le test, dans le cadre d'un « Bechdel Club », fondé par la journaliste Fanny Hubert [29],[30].
Évocation dans la fiction
[modifier | modifier le code]En 2016, dans la série Jane the Virgin (Netflix), considérée comme féministe, dans l'épisode Chapter Thirty-Seven, le test de Bechdel-Wallace est utilisé par la protagoniste après qu'une autre autrice refuse de la conseiller si ses romans (d'amour) ne réussissaient pas le test. Il est mentionné durant tout l'épisode, et ses limites sont soulignées[31],[12].
En 2016, dans la série Crazy Ex-Girlfriend, quatre amies en discutent lorsqu’elles abordent le sujet de l'indépendance d’une des protagonistes[12]. Pour autant, la série réussit rarement le test[12].
En , dans la série Cloak and Dagger saison 1 épisode 5, le détective O'Reilly indique, alors qu'elle interroge une suspecte, qu'elles auraient pu réussir le test Bechdel-Wallace. La conversation était auparavant entre elles alors que la suspecte vient de parler d'un dealer[32].
En , dans l'épisode 11 de la saison 4 de la série DC's Legends of Tomorrow, plusieurs protagonistes discutent d'un garçon. Elles tentent de faire admettre à l'une d'elles ses sentiments mais cette dernière, exaspérée, fait remarquer en s'adressant au spectateur que l'épisode ne réussirait pas le test[33].
En , dans l'épisode 6 de la saison 4 de Rick et Morty, Rick explique brièvement le test à Morty. La série se concentre néanmoins sur ses personnages masculins[34].
En 2020, dans la série Miss Farah (MBC4, Shahid et Netflix), considérée comme féministe[Par qui ?], dans l'épisode Chapter Thirty-Seven, le test de Bechdel-Wallace est utilisé par la protagoniste après qu'une autre autrice refuse de la conseiller si ses romans (d'amour) ne réussissaient pas le test. Le test est mentionné durant tout l'épisode, et ses limites sont soulignées[réf. souhaitée].
En 2024, dans l'épisode 59 du podcast La Chute de Lapinville, il est dit que la série aurait presque la moyenne au test de Bechdel[35].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Alison Bechdel, « The Rule » (consulté le ).
- (en) Neda Ulaby, « The 'Bechdel Rule,' Defining Pop-Culture Character », All Things Considered, National Public Radio, (lire en ligne, consulté le ).
- (en) Tad Friend, « Funny Like a Guy: Anna Faris and Hollywood's woman problem », The New Yorker, Condé Nast, , p. 55 (lire en ligne, consulté le ).
- (en) Alison Bechdel, « Rule », sur dykestowatchoutfor.com, (consulté le ).
- (en) Alison Bechdel, « Testy », sur dykestowatchoutfor.com, (consulté le ).
- Olivier Séguret, « Le Test de Bechdel, un label féministe », sur next.liberation.fr, (consulté le ).
- (en) Rebecca Beatrice Brooks, « How Virginia Woolf Inspired the Bechdel Test »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur virginiawoolfblog.com, (consulté le ).
- « À votre avis, combien de films cannois respectent VRAIMENT l'égalité homme-femme ? », Le Huffington Post, (lire en ligne, consulté le ).
- (en) Christa van Raalte, « 1. No Small-Talk in Paradise: Why Elysium Fails the Bechdel Test, and Why We Should Care », dans Einar Thorsen, Heather Savigny, Jenny Alexander, Daniel Jackson, Media, Margins and Popular Culture, Springer, , 264 p. (ISBN 978-1-137-51281-9, lire en ligne).
- (en) Katha Pollitt, « Hers; The Smurfette Principle », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le ).
- Nic Ulmi, « Wikipédia. Comment féminiser un village de Schtroumpfs », sur letemps.ch, .
- (en) Constance Grady, « What Jane the Virgin and Crazy Ex-Girlfriend reveal about the limitations of the Bechdel test », sur Vox, (consulté le ).
- (en) « Stats and graphs », sur bechdeltest.com (consulté le ).
- Romain Capelle, « A quel point le cinéma est-il sexiste ? On a les chiffres », Télérama, (consulté le ).
- (en) Caitlin Dewey, « How many of this year’s Oscar nominees pass the Bechdel test? Not many. », sur washingtonpost.com, (consulté le ).
- (en) Samantha Ellis, « Why the Bechdel test doesn’t (always) work », sur theguardian.com, (consulté le ).
- Camille Caldini, « On a essayé de créer le test ultime pour déceler le sexisme au cinéma (et c'est compliqué) », sur francetvinfo.fr, (consulté le ).
- QueenCamille, « Le test de Bechdel permet-il de savoir si un film est féministe ? », sur madmoizelle.com, (consulté le ).
- (en) Kelsey Powers, « The Furiosa Test developed from female presence in Mad Max: Fury Road », sur calvinchimes.org, (consulté le ).
- Zoé Keunebroek, « [Épisode 4 : La réponse aux haters, le test de Furiosa », sur mozaique-media.fr, (consulté le ).
- Zoé Keunebroek, « Épisode 3 : Simple mais efficace, Le Sexy Lamp Test », sur mozaique-media.fr, (consulté le ).
- (en) « Sexy Lamp Test », sur fanlore.org (consulté le ).
- (en) Jenni Berrett, « Films That Totally Fail The Sexy Lamp Test », sur ravishly.com, (consulté le ).
- (en) « Creating the Next Bechdel Test », sur fivethirtyeight.com, (consulté le ).
- (en) Manohla Dargis, « Sundance Fights Tide With Films Like ‘The Birth of a Nation’ », sur nytimes.com, (consulté le ).
- Claire Levenson, « Une critique propose le test DuVernay pour mesurer la diversité dans les films », sur slate.fr, (consulté le ).
- (en) « What Is the Vito Russo Test? A Smart Way to Gauge LGBTQ+ Hollywood Inclusion », sur them (consulté le ).
- (en) « Swedish cinemas take aim at gender bias with Bechdel test rating », sur The Guardian, .
- Aurélie Bonte, « Elle a ouvert un "Bechdel Club" à Paris pour dire non au patriarcat », RTL.fr, (lire en ligne, consulté le ).
- Nicole Van Enis, « Le test de Bechdel » [PDF], Barricade - Culture d'alternatives, .
- (en) Kelly Schremph, « 'Jane The Virgin' Took An Important Feminist Stand », sur bustle.com (en), (consulté le ).
- (en) Christina Roberts, « Marvel’s Cloak & Dagger season 1 episode 5 review: Princeton Offense », sur culturess.com, (consulté le ).
- (en) Hannah Lodge, « Five superhero shows put to the Bechdel test; only one fails », sur comicsbeat.com, (consulté le ).
- (en) « Rick and Morty’s Bechdel Test joke exposes a major problem with the show », sur inverse.com (en), (consulté le ).
- « La Chute de Lapinville - Une fiction quotidienne », sur www.arteradio.com (consulté le )
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Christophe Schuwey, « Féminisme dans la fiction : quand Bechdel regarde Molière », sur The Conversation, (consulté le ).
- (en) Scott Selisker, « The Bechdel Test and the Social Form of Character Networks », sur Jstor, New Literary History, , p. 505–523.
Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Test de Finkbeiner, des critères pour la rédaction d'articles biographiques relatifs à des femmes scientifiques, test qui vise à en éradiquer le sexisme
- Test de Mako Mori
- Test de Vito Russo
- Syndrome de la Schtroumpfette
- Syndrome Trinity
Liens externes
[modifier | modifier le code]- (en) La bande dessinée originale sur le site web d'Alison Bechdel
- (en) Base de données de films par rapport au test de Bechdel
- « Le principe de la Schtroumpfette (1991) » : traduction française de l'article original de Katha Pollitt