Terreur dans le Nord-Pas-de-Calais

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Les formes acerbes. Caricature de Joseph Le Bon buvant une coupe de sang, juché sur une pile de cadavres guillotinés.

La Terreur est une période de la Révolution française, courte en durée, environ un an, du printemps 1793 à (9 thermidor, chute de Robespierre), mais caractérisée par le nombre de victimes de la jeune Première République régicide et radicalisée, menacée de toutes parts (insurrection vendéenne à l'intérieur, armées des émigrés et coalisés à l'extérieur,..) et voyant des ennemis partout.

Si elle est surtout connue pour les exécutions et massacres perpétrés à Paris et dans l'Ouest de la France, le Nord et le Pas de Calais connurent eux aussi les jugements expéditifs, exécutions, morts en prison et condamnations à la déportation.

Les sources font état de 393 condamnations à mort par le Tribunal Révolutionnaire d'Arras[1] et 167 par son annexe de Cambrai[2] (guillotinés ou fusillés notamment lorsqu'il s'agit de militaires). Le principal instigateur fut Joseph Le Bon, représentant de la Convention dans le département du Pas de Calais puis du Nord et du Pas de Calais.

Des départements particuliers[modifier | modifier le code]

Le Nord et le Pas de Calais étaient considérés comme des départements particulièrement sensibles pour différentes raisons :

  • il s'agit de départements frontières : l'ennemi extérieur, armées des pays coalisés renforcées par les émigrés ayant fui la France, était tout proche, surtout après les revers subis par les armées françaises en début d'année 1793. La République envoyait des troupes dans ces départements pour lutter contre l'ennemi extérieur. Il apparaissait donc primordial de s'assurer que les arrières de l'armée républicaine, c'est-à-dire les deux départements, demeurent sûrs.
  • ces deux départements pouvaient inquiéter : avec l'Ouest de la France, ils figuraient parmi ceux où la proportion de membres du clergé ayant refusé de prêter le serment à la Constitution civile du clergé fut parmi les plus élevées : 81 % de refus dans le Pas de Calais, 79 % dans le Nord[3]. Bien plus, il semble que ce clergé ait cherché, au moins dans le Nord, à entretenir une certaine agitation afin de soulever les fidèles contre les prêtres constitutionnels, donc contre la Révolution, tandis que beaucoup de religieux refusaient de rejoindre les maisons de retraite prévues pour eux[4]. Le Directoire du département du Nord dut, après avoir tenté la conciliation ,prendre des mesures de rigueur : éloignement des prêtres réfractaires de leur domicile, internement à Cambrai[5]. Ces réactions des clercs dans la région peuvent contribuer à expliquer l'attitude à leur égard.
  • du fait de la proximité de l'ennemi et de la présence d'armées françaises dans ces départements, plusieurs représentants en mission de la Convention Nationale jouèrent un rôle : le représentant envoyé auprès de chaque département mais aussi les représentants envoyés auprès des armées. L'Assemblée nationale législative envoie par décret du , les premiers représentants-commissaires auprès de l'Armée du Nord : Antoine Dubois de Bellegarde, Louis Dubois du Bais, Jean-François Delmas[6].

Les premières mesures[modifier | modifier le code]

Les premières mesures sont prises avant l'arrivée de Joseph Le Bon dans la région en tant qu'envoyé de la Convention : Elie Lacoste représentant de la Convention auprès de l'armée du Nord crée le un comité de salut public à Arras. À la suite de la loi des suspects du , il implante des comités de sûreté générale dans tous les bourgs de plus de 1 000 habitants. Le , avec son collègue Jean-Pascal Charles de Peyssard, il fonde à Arras un comité révolutionnaire de cinq membres, (Baillet, Augustin Darthé, Carlier, Lefebvre-Dugron et Duponchel[7]), avec mission de veiller tout particulièrement à la loyauté des membres du clergé[8].

Dans le Nord, les représentants près de l'Armée du Nord s'activent eux aussi, Claude Hilaire Laurent épure notamment l'administration communale de Cambrai, Pierre Jacques Chasles et Jacques Isoré s'occupent de la ville de Lille[8].

L'action parfois outrancière de ces représentants en mission amènera le représentant auprès du département du Nord Florent Guiot, pourtant montagnard lui aussi, à se plaindre auprès du Comité de Salut Public des excès commis, notamment par Pierre Jacques Chasles[9]. Florent Guiot eut d'ailleurs globalement une action modérée qui, d'une certaine manière, protégea le département du Nord des excès de la Terreur[10].

Un peu partout se constituèrent des sociétés patriotiques ou montagnardes, comités de sûretés, comités de surveillance etc., tous désireux de montrer leur zèle révolutionnaire et d'éviter de passer pour des « modérantistes». Les sociétés populaires et administrations municipales ne voulurent pas être en reste, le résultat fut un grand nombre d'arrestations dans la plupart des villes : Lille, Douai, Valenciennes, Maubeuge, Avesnes, Cambrai, Hazebrouck, Dunkerque. Il en fut de même dans le Pas de Calais[11]. Par la suite, la présence de Philippe-François-Joseph Le Bas et Louis Antoine de Saint Just dans la région attisèrent encore cette fièvre révolutionnaire.

L'attitude des tribunaux criminels[modifier | modifier le code]

Les personnes arrêtées devaient être jugées par les tribunaux chargés d'examiner les crimes et délits : les tribunaux criminels.

Dans les deux départements, avant que Joseph Le Bon n'intervienne et n'obtienne leur transformation en tribunal révolutionnaire avec droits de la défense souvent bafoués pour les accusés, les tribunaux criminels se montreront plutôt modérés.

Dans le Nord, le tribunal criminel qui siégeait à Douai mais se déplaçait également en cas de besoin, énonça peu de condamnations à mort au motif principalement de propos et attitude contre révolutionnaires, et surtout pour faits d'émigration ou de correspondances avec des émigrés. Il prononça également des déportations à vie ou pour une durée limitée en Guyane. Nombre d'accusés étaient des soldats non originaires de la région. A Douai, le bilan de la Terreur fut autour de 300 personnes suspectées, 150 arrêtées et 20 exécutées[10].

En cette période troublée, peu de choses suffisaient pour être accusé comme le fait de porter une cocarde violette avec des fleurs de lys (symbole de la royauté) blanches (le tribunal acquitta). Le tribunal criminel du Nord eut même à juger une déclaration de Lazare Hoche, qui n'était pas encore un des plus brillants généraux de la Révolution française mais qui avait déjà montré sa valeur et son patriotisme. Hoche avait eu le malheur de pester contre la tutelle, parfois contre-productive d'un point de vue militaire, de représentants du peuple auprès des armées. Le tribunal mit à profit des différences dans les rapports relatifs à l'affaire et tint compte de la valeur et des preuves données par le soldat (acquittement)[12].

Le tribunal criminel du Nord fit preuve d'une certaine mansuétude dans des cas paraissant pourtant comme nettement contre-révolutionnaires : à Eecke, on attacha la cocarde nationale à un âne qu'on promena ainsi affublé à travers le village, quatre personnes convaincues d'être les auteurs des faits furent acquittées, le tribunal jugea qu'ils ne l'avaient pas fait « méchamment » avec volonté contre-révolutionnaire affirmée ; à Faumont un arbre de la liberté fut abattu par une personne obéissant à l'ordre d'un laboureur, la volonté contre-révolutionnaire avait été affirmée par le conseil général du Nord formé en comité de sûreté, la punition était inévitable : le laboureur fut condamné à la déportation à vie, l'exécutant à dix ans de déportation (un tel acte avait valu dans une autre région la peine de mort pour les responsables et le village livré aux flammes)[13].

Dans le Pas de Calais, le tribunal criminel d'Arras n'avait prononcé avant l'arrivée de Joseph Le Bon que quatre condamnations à mort sur quinze jugements. La guillotine arrivée à Arras en avait peu servi jusque là[1]. Dans ce département également, les motifs d'être inquiété portaient parfois sur des détails : le représentant de la Convention auprès des Armées du Nord Pierre Joseph Duhem fit l'objet en d'une dénonciation : on l'accusait de porter sur la housse de son cheval les armes de Joseph II d'Autriche[14].

L'action de Joseph Le Bon[modifier | modifier le code]

Dans le Pas de Calais[modifier | modifier le code]

Joseph Le Bon, estampe de François Bonneville, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, 1796.

Joseph Le Bon, membre de la Convention depuis le , est nommé à la mi août, représentant en mission dans la Somme et sur le littoral du Pas de calais. Il s'illustre à cette occasion dans l'affaire de la « Petite Vendée du Nord » (voir ci dessous)[15].

La Convention le désigne représentant en mission dans le Pas de Calais le 8 brumaire an II ()[15].

Dès son arrivée, les arrestations se multiplient, les personnes emprisonnées s'entassent, on multiplie les lieux de détention (pas moins de sept lieux de détention sur Arras). Joseph Le Bon fait une tournée dans le département, réorganise tout, radicalise partout les hommes, les institutions et multiplie l'envoi de « suspects » à Arras[16]. Les conditions de détention sont déplorables et ne feront que s'aggraver au fil des semaines (ce constat doit cependant être nuancé : toute la population souffrait en ces mois charnière : cf. par exemple la section « Les crises de subsistance dans le district » de l'article District de Bergues).

Le 24 nivôse an II (), Le Bon est confirmé en tant que représentant du peuple chargé d'établir le gouvernement révolutionnaire dans le Nord et dans le Pas de Calais avec des pouvoirs illimités[15]. Auguste Paris[17] retranscrit le message reçu par Le Bon en provenance du Comité de Salut Public : les consignes étaient claires, Le Bon va les exécuter fidèlement.

Après avoir purgé les différentes administrations du département et les tribunaux, il nomme des personnes dévouées aux postes clés[15]. A Arras, il fait déplacer la guillotine place de la Révolution (place du théâtre) pour pouvoir plus facilement assister aux exécutions[1].

Les principales cibles de Le Bon sont les nobles, le clergé, accusé de tourmenter la conscience du peuple, les « riches », mais aussi les fonctionnaires soupçonnés de « modérantisme ». Les détentions arbitraires deviennent monnaie courante[1]. Détenir chez soi d'anciens journaux ou imprimés datant d'avant ou des débuts de la Révolution, évoquant la royauté, suffisait pour être considéré comme suspect[18]. Si Le Bon estime qu'un jugement du Tribunal est trop doux, il n'hésite pas à bafouer l'autorité de la chose jugée pour provoquer un second examen, lequel se conclut en général par la condamnation du prévenu, le Tribunal ayant compris ce qu'il devait faire[19].

Le 2 pluviôse an II (), le Comité de Salut public transforme le tribunal criminel d'Arras en tribunal révolutionnaire. Il sera même maintenu en activité à la mi (30 germinal) alors qu'un décret pris trois jours auparavant supprimait les tribunaux révolutionnaires de province : tous les suspects d'activité de conspiration devaient être jugés par le tribunal révolutionnaire de Paris[15]; (Arras conserva son tribunal car la rigueur révolutionnaire continuait d'y être appliquée ce qui n'était plus le cas dans plusieurs villes de province semble-t-il)[20].

Le Bon appliquera avec zèle les décrets de ventôse an II stipulant la réquisition des biens des suspects emprisonnés et leur utilisation au profit des pauvres[15] (cette aide aux plus démunis fait partie des faits à porter à l'actif de cette période même si, selon certains[21], elle profita surtout aux personnes proches des révolutionnaires les plus radicaux, à celles venant témoigner contre un « nanti » et autres cas similaires).

Avec des hommes nommés par lui, à la fois dévoués à sa personne et partageant ses idées, les jugements prononcés aboutiront à 393 exécutions en l'espace d'un an[1], les condamnations à mort se poursuivant y compris lorsque Le Bon sévissait à Cambrai (ainsi le 27 floréal, , l'épouse d'un ancien écuyer et capitaine d'infanterie avant la Révolution et leurs deux filles habitant Arras, jugées coupables au motif d'avoir joué du piano le jour de la chute de Valenciennes le et donc de s'être « réjouies des succès de l'armée des tyrans coalisés contre notre liberté »... même si à Arras ce jour-là on ignorait la chute de Valenciennes[22]).

Dans le Nord[modifier | modifier le code]

Le 16 floréal an II (), Joseph Le Bon arrive à Cambrai missionné par Philippe-François-Joseph Le Bas et Louis Antoine de Saint Just[2]. Il emmène avec lui quelques fidèles, une vingtaine de personnes, dont Augustin Darthé, Stanislas-Xavier Joseph Daillet, François-Joseph Caubrière (voir ci dessous).

A cette date, la situation est très tendue à Cambrai : l'ennemi progresse, Joseph Le Bon est chargé de purger la ville des déserteurs et des traîtres. Il renouvelle les autorités constituées et crée un comité de surveillance révolutionnaire.

Il faut noter que l'activité de Le Bon ne se résume pas uniquement dans ses excès : à Cambrai, il va indéniablement réussir à établir une meilleure situation en relevant le moral des militaires et des civils[23].

Cinq jours plus tard, un décret de la Convention du 21 floréal an II () crée un tribunal révolutionnaire dans la ville de Cambrai, ville menacée par l'ennemi[15]. Les aristocrates sont envoyés à la guillotine.

Celle ci va fonctionner pleinement, les exécutions se multiplient jusqu'à atteindre le chiffre de 167 en quelques semaines, dont plusieurs personnes ayant exercé des responsabilités municipales dans les villes et villages un temps occupés par l'ennemi lors du recul de l'armée française au début de l'année 1793.

Le tribunal révolutionnaire de Cambrai sera supprimé, en même temps que celui d'Arras, (il s'agissait des seuls tribunaux révolutionnaires encore en activité en province) le (22 messidor an II date à laquelle il est mis fin à la mission de Joseph Le Bon[1]).

Le 15 thermidor an II (), Le Bon présent à la Convention Nationale est arrêté en tant que complice de Robespierre. Commence alors le procès qui aboutira à sa condamnation et à son exécution cf. Joseph Le Bon.

Dernier soubresaut[modifier | modifier le code]

Peuvent également être rattachées à la Terreur, les exécutions décidées par la Commission militaire de Valenciennes entre le 1er vendémiaire an II () et le 3 pluviose an III (), date de sa suppression. Ce tribunal militaire fut installé à la suite de la reprise de Valenciennes par les troupes de la République le 10 fructidor an II (). Des émigrés étaient rentrés à Valenciennes pendant l'occupation autrichienne, du à , certains avaient combattu à leurs côtés contre la République, d'autres avaient pensé pouvoir rentrer en France, au total cela représentait de l'ordre de 1 100 individus[24].

La Commission militaire décida du sort de personnes ayant combattu contre la France, ou inculpées d'émigration ou encore de s'être compromises avec l'occupant. Elle prononça 67 condamnations à mort dont de très nombreux prêtres ou religieux (ses) et 31 acquittements[24].

Lorsqu' elle fut supprimée, les dossiers furent repris par le Tribunal Criminel du Nord : celui-ci acquitta, voire libéra, sans juger les autres prévenus[24].

Affaires emblématiques[modifier | modifier le code]

La petite Vendée du Nord[modifier | modifier le code]

Le nom sous lequel l'affaire est passée à la postérité, « petite Vendée du Nord », a été donné par Joseph Lebon[25].

Elle eut lieu au village d'Aumerval, près de Pernes en Artois le , jour de la ducasse. De jeunes conscrits au moment de la levée en masse se sont rendus à la ducasse du village au lieu de rejoindre le bureau de recrutement. Ils ont coupé des arbres de la Liberté, bousculé des notables patriotes, sonné l'alarme cf. Aumerval.

La levée en masse ne fut certes pas toujours très bien accueillie dans les campagnes, mais il est établi que les personnes incriminées avaient bu plus que de raison en ce jour de fête dans la commune. L'évènement s'apparente, semble-t-i,l tout autant à un chahut de conscrits avinés qu'à une véritable volonté de révolte.

Les « révoltés » se réfugient dans les bois de Bailleul-les-Pernes et AumervalAugustin Darthé, membre du directoire du département et Joseph Lebon voient dans le mouvement un soulèvement contre-révolutionnaire. Les garnisons d'Aire, Béthune, Hesdin, Frévent sont mobilisées. Lebon déclare que « l'exemple sera tel qu'il intimidera les pervers et les aristocrates jusqu'à la vingtième génération »[26].

Pour Joseph Le Bon, en mission dans la Somme et sur le littoral du Pas de Calais à ce moment-là, l'affaire était entendue même si aucune arme ne fut trouvée chez les personnes concernées. Des arrestations ont lieu en masse, environ 300 personnes, et finalement 19 personnes, 17 hommes et deux femmes, sont condamnées à mort et exécutées[27].

Un courrier d'Augustin Darthé donne la version des faits telle que vécue par Joseph Le Bon et lui-même[28]. Un autre récit en offre une version plus nuancée[29].

L'affaire du perroquet royaliste[modifier | modifier le code]

Les données relatives à cette affaire proviennent principalement du dossier des Archives Départementales du Pas-de-Calais sur leur site avec le jugement prononcé[30].

Le perroquet en question appartient à Louis-Auguste de La Viefville, marquis de Steenvoorde, Oudenhove et Ochtezeele. Sa fille (Isabelle-Claire-Eugénie) Françoise est mariée à son cousin germain Eugène de Béthune-Saint-Venant. Le jeune couple habite à Poperinge, dans les Pays-Bas autrichiens, non loin de Steenvoorde. Après la naissance de leur premier enfant à l'été 1792, Françoise rejoint son père dans le château familial situé à Steenvoorde, son mari juge plus prudent de rester à Poperinge en raison du climat révolutionnaire qui s'installe.

Les de La Viefville ne font pas l'objet d'un suivi particulier mais le gendre du marquis, Eugène de Béthune est lui inscrit sur la liste des émigrés en . En conséquence, du fait de leurs liens avec Eugène, en , le marquis et sa fille sont arrêtés, conduits à Arras et incarcérés.

Les domestiques de la famille décident de quitter le château familial où se trouve encore le nouveau-né pour se rapprocher des détenus, sans doute également pour obéir à un décret de Le Bon du 22 ventôse an II () (le décret de Le Bon enjoignait aux citadins retirés à la campagne de rejoindre leur domicile urbain) et viennent à Arras où la famille possédait un hôtel.

Dans leurs bagages se trouve un perroquet Jacot présent dans la famille depuis l'enfance de Françoise. Ledit perroquet juché sur son perchoir amuse les passants avec ses cris. Mais un proche de Le Bon identifie dans ceux ci des « paroles » sacrilèges : Jacot prononce en effet, distinctement semble-t-il, des « Vive l’empereur ! Vive le roi ! Vive nos prêtres ! Vivent les nobles ! ».

L'affaire ne traîne pas : la lingère du marquis et une garde-d'enfant sont arrêtées le 27 germinal an II () et le perroquet « interrogé » par le commissaire, secrétaire général du département.

Une semaine plus tard, le 3 floréal (), le marquis et sa fille sont accusés de conspiration, de menées contre révolutionnaires et d'avoir cherché à rétablir la monarchie en instruisant et en conservant l'animal. Les deux domestiques sont estimées complices parce qu'elles n'ont pas dénoncé la présence du dit perroquet.

Le procès a lieu dès le lendemain et comparaissent donc les quatre inculpés et le volatile. L'accusateur public tente de faire prononcer par l'animal les fameux mots compromettants. En vain.

Néanmoins le verdict tombe le jour même : pour avoir « un perroquet auquel on avoit enseigné avec soin, et par un rafinement inouï d’aristocratie, un langage contre-révolutionnaire », le marquis (71 ans), sa fille (22 ans), la lingère (44 ans) sont jugées coupables et condamnées à mort, leurs biens confisqués, seule la garde-d'enfant (22 ans) y échappe car elle n'était pas au service de la famille depuis longtemps (elle restera néanmoins emprisonnée en tant que suspecte). Et l'exécution aura lieu le même jour en fin de journée.

Le tribunal se serait ensuite interrogé sur le sort à réserver au perroquet : fallait il le condamner à mort lui aussi? Il aurait été finalement confié à la femme de Joseph Le Bon pour qu'elle le "rééduque".

L'affaire est révélatrice du fait qu'on pouvait être déclaré coupable même sans avoir rien fait de répréhensible mais simplement pour n'avoir pas dénoncé (dans l'affaire du malencontreux morceau de piano évoquée ci dessus, une domestique paya également de sa vie le fait de n'avoir pas dénoncé).

Les chiffres[modifier | modifier le code]

Comme il a été dit en introduction, 393 personnes furent exécutées à Arras. Une autre source indique 391 et donne les précisions suivantes : 391 condamnés à mort dont 298 hommes et 93 femmes parmi lesquels on compte 76 nobles, 43 ecclésiastiques et 272 roturiers. Les motifs retenus sont les suivants : fanatisme : 83 ; émigration : 73 ; propos inciviques : 54 ; attitudes contre-révolutionnaires : 27 ; partisans affichés de l'Ancien Régime : 25 ; écrits contre-révolutionnaires : 24 ; faux assignats : 18 ; désertion : 12 ; mauvaises fournitures : 3 ; divers : 72[26].

Le nombre d'arrestations fut tellement élevé, les dénonciations faites parfois pour des motifs tels que vengeances personnelles ou jalousie, que le tribunal révolutionnaire face à des dossiers parfois vides prononça malgré tout un certain nombre d'acquittements (les chiffres manquent pour en évaluer le nombre) mais il ne faisait pas bon d'être ancien noble ou membre du clergé ou notable (il s'agissait là d'une manière caricaturale d'une poursuite des débuts de la Révolution (nuit de l'abolition des privilèges, très nombreux avant la Révolution) ou d'avoir été en relations avec ces personnes ou encore de tenter une démarche pour obtenir la libération d'une personne arrêtée, etc.[31]. Joseph Le Bon avait fait placer en une inscription sur la porte de son cabinet menaçant d'arrestation toute personne faisant une intervention pour obtenir la libération d'un détenu[32]. Les anciens notables de la ville et région de Saint-Pol-sur-Ternoise, voire simples habitants de ces lieux, furent particulièrement frappés : plusieurs d'entre eux payèrent le prix d'avoir été des adversaires d'Augustin Darthé, natif de la ville, avant ou aux débuts de la Révolution sans compter que l'épouse de Joseph Le Bon en était originaire et y demeurait, ce qui faisait de la ville un secteur particulièrement surveillé[33].

Les chiffres relatifs au nombre de personnes mortes en prison et libérées après la fin de la Terreur, disponibles pour Arras uniquement, reflètent ce qu'elle fut . Le décompte en est donné par Auguste Paris lequel donne également en fin de volume tous les noms des personnes exécutées, mortes en prison ou libérées après la fin de la Terreur[34].

Au total, les prisons d'Arras contenaient 1 174 prisonniers le 24 thermidor an II (). 696 furent élargis après la chute de Robespierre le 4 fructidor ()[35]. Finalement, entre le et le , de l'ordre de 1100 personnes furent libérées[36].

Environ une centaine de prisonniers « suspects » périrent en prison dans l'attente de leur jugement[36].

Le vocabulaire employé par certains protagonistes révèle leur état d'esprit : de Joseph Le Bon « son raccourcissement parait certain[37] », d'Augustin Darthé « il a éternué dans la sciure[38] » ou encore « éternué dans la besace[39] » pour dire guillotiné. Un autre élément accuse les responsables des tribunaux révolutionnaires : l'âge ou l'état de santé des suspects ne fut aucunement pris en compte : de nombreuses personnes âgées ou malades furent condamnées à mort. On incarcéra également des enfants de tous âges (dans son ouvrage A.Paris précise à chaque fois l'âge des personnes nommées).

Les principaux responsables[modifier | modifier le code]

(Les éléments relatifs aux personnes les plus impliquées proviennent de l'ouvrage de Mr Paris cité dans la bibliographie).

Tous les membres des tribunaux révolutionnaires ne furent pas des monstres sanguinaires, certains étaient de vrais patriotes convaincus que la République pouvait être renversée sans une rigueur destinée également à marquer les esprits et à éviter les « vocations » contre-révolutionnaires. De plus, se montrer clément présentait également le risque d'être considéré par les plus radicaux comme quelqu'un de non fiable. Néanmoins, quelques personnalités se sont fait remarquer par leur attitude difficilement excusable.

Concernant les responsabilités, peuvent être distingués en premier lieu, les instigateurs :

  • le Comité de Salut Public : Joseph Le Bon correspondait régulièrement avec le Comité, celui-ci lui a donné en maintes occasions le feu vert pour poursuivre son action. Le Comité fut donc le premier responsable de ce qui arriva dans les deux départements ;
  • différents représentants de la Convention auprès des armées ou des départements appuyèrent fréquemment les actions de Joseph Le Bon : aux noms déjà cités, dont Philippe-François-Joseph Le Bas et Louis Antoine de Saint Just doit être ajouté celui de Ernest Dominique François Joseph Duquesnoy[40] ;
  • Joseph Le Bon : par ses décisions, la crainte qu'il inspirait, il fut plus qu'un représentant zélé du Comité de Salut Public tel qu'il tenta de se dépeindre lors de son procès. Il demeure bien sûr responsable de la Terreur dans la région. Les seconds de Le Bon, présidents du tribunal révolutionnaire d'Arras et/ou de Cambrai, accusateurs publics auprès des mêmes tribunaux, jurés des dits tribunaux, relais auprès des administrations municipales ou départementales, etc., ne subirent pas le sort de l'envoyé de la Commission : certains, mais pas tous, furent arrêtés après la chute de Robespierre. Ceux qui furent emprisonnés retrouvèrent pour la plupart très vite la liberté. La sanction pour leur zèle fut finalement la décision, volontaire ou non, de quitter les lieux ce qui valait sans doute mieux pour leur sécurité[41].

Parmi les personnes concernées peuvent être citées :

  • Henri Joseph Demuliez, natif de Bapaume, accusateur public auprès du Tribunal criminel du Pas de Calais, très anticlérical, mais poursuivi lui aussi en germinal an II () sur ordre de Joseph le Bon pour « modérantisme », acquitté par le comité de sûreté générale, puis accusé de « robespierrisme » et en fuite lors de la réaction thermidorienne ;
  • Augustin Darthé, originaire de Saint Pol sur Ternoise, un des principaux seconds de Le Bon, nommé accusateur public auprès du Tribunal révolutionnaire d'Arras en germinal an II, puis accusateur public auprès du Tribunal révolutionnaire de Cambrai. Il sera guillotiné en 1797 pour avoir participé à la Conspiration des Egaux. ;
  • Marc Noël Marteau, initialement juge à Boulogne sur Mer, nommé fin 1793 juge au Tribunal Criminel du Pas de Calais ;
  • Cyriaque Janvier Caron, juge à Béthune, nommé fin 1793 juge au Tribunal Criminel du Pas de Calais ;
  • Maximilien Joseph Flament, juge au Tribunal Criminel du Pas de Calais en germinal an II () ;
  • Ferdinand-Joseph Caron, nommé juge au Tribunal Criminel du Pas de Calais en germinal an II () ;
  • Célestin Lefetz, vice président du district d'Arras, plus tard nommé au Tribunal Criminel siégeant à Paris; il fut notamment juge lors du procès de Marie Antoinette (le Tribunal étant présidé par Martial Herman ex président du Tribunal révolutionnaire d'Arras)[42]. Il fut arrêté après la chute de Robespierre et mourut en prison ;
  • Adrien Joseph Fleury Potier, nommé substitut de l'accusateur public Demuliez en janvier 1794 puis accusateur public à Arras en floréal an II () au départ de Le Bon à Cambrai ;
  • Stanislas Xavier Joseph Daillet, proche de Robespierre, nommé par Le Bon Président du Tribunal Révolutionnaire d'Arras en germinal an II puis de celui de Cambrai ;
  • François Joseph Caubrière, substitut de l'accusateur public du Tribunal Révolutionnaire d'Arras en germinal an II puis accusateur public auprès du Tribunal Révolutionnaire de Cambrai ;
  • Pierre Guillaume Gilles, commissaire aux prisons puis membre du comité de surveillance d'Arras en germinal an II ;
  • François Joseph Lemirre, perruquier, membre du comité de surveillance d'Arras en germinal an II ;
  • François Joseph Carlier, natif de Bapaume, ancien domestique, nommé par Le Bon membre du conseil général de la commune d'Arras, membre du comité de surveillance constitué par Le Bon, puis en floréal () juré au tribunal criminel d'Arras ;
  • Nicolas Joseph Guilly, président du Tribunal révolutionnaire d'Arras à partir de floréal an II ;
  • Alexandre Martho-Montigny, juge au Tribunal révolutionnaire de Cambrai ;

Le Nord et le Pas de Calais payèrent ainsi un tribut certain à la Terreur. Quant à Joseph Le Bon il finit guillotiné à son tour en 1795.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f Telmedia, « L'Ogre et la Veuve - Un document à l'honneur - Activités culturelles - Les Archives du Pas-de-Calais (Pas-de-Calais le Département) », sur www.archivespasdecalais.fr (consulté le ).
  2. a et b Cambresis Terre d'Histoire, « La période révolutionnaire - Association d'Histoire locale "Cambrésis Terre d'Histoire" - patrimoine archéologie généalogie tourisme », sur cambresis.histoire.free.fr (consulté le ).
  3. Ph. Sagnac, « Le serment a la constitution civile du clergé dans le Nord et le Pas-de-Calais (1791) », Congrès des sciences historiques en juillet 1907 à Dunkerque , Tome 1,‎ , p. 135 et suivantes (lire en ligne).
  4. Congrès des sciences historiques de Dunkerque en juillet 1907 Tome 1, (lire en ligne), p. 40.
  5. Congrès des sciences historiques de 1907 à Dunkerque, tome 2, p. 149-161.
  6. Georges Lefebvre, « La Société populaire de Bourbourg », sur persée.fr, p. 209.
  7. Auguste Paris dans les deux tomes de son ouvrage cité dans la bibliographie donne au fil des pages les noms des différentes personnes ayant exercé les fonctions de président de tribunal révolutionnaire, d'accusateur public, jurés etc pendant les mois de la Terreur.
  8. a et b Henri Wallon, cité dans la bibliographie, pages 54-56.
  9. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 60-62.
  10. a et b Bernard Lefebvre, « La Terreur et ses victimes dans une ville de la frontière nord. L’exemple de Douai (juin 1793, juillet 1794) », Revue du Nord,‎ 2001/4 (n° 342) pages : 208 (lire en ligne).
  11. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 75.
  12. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 80.
  13. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 79-80.
  14. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, tome I, p. 81.
  15. a b c d e f et g Telmedia, « 25 septembre 1765 : naissance de Joseph Lebon, député du Pas-de-Calais à la Convention nationale - Anniversaires - Les Archives du Pas-de-Calais (Pas-de-Calais le Département) », sur www.archivespasdecalais.fr (consulté le ).
  16. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, page 89.
  17. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, tome 1, p. 165-167.
  18. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, tome 1, p. 254-255.
  19. Nombreux exemples dans A. Paris, cité dans la bibliographie, tome 1, p. 304.
  20. A Paris, cité dans la bibliographie, tome II, p. 8.
  21. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, p. 250.
  22. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 133.
  23. A. De Saint Léger, « Critique de l'ouvrage de Louis Jacob sur Joseph Le Bon », Revue du Nord,‎ année 1935 volume 21 numéro 82 pp. 162-165 (lire en ligne).
  24. a b et c A Paris, cité dans la bibliographie, tome II, p. 395 et suivantes.
  25. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 86-87.
  26. a et b « 1793-1794 : le Nord Pas-de-Calais entre gouvernement révolutionnaire et terreur » (consulté le ).
  27. Dictionnaire du Nord et du Pas de calais, Larousse, , « Article Aumerval ».
  28. « Les Frères Truyart. La petite Vendée du Nord » (consulté le ).
  29. Guy Dubois, Le Nord Pas de Calais pour les nuls, First-Gründ, (lire en ligne), page 85.
  30. Telmedia, « Un perroquet devant la justice révolutionnaire - Un document à l'honneur - Activités culturelles - Les Archives du Pas-de-Calais (Pas-de-Calais le Département) », sur www.archivespasdecalais.fr (consulté le ).
  31. Auguste Paris évoque une succession de cas personnels et le sort qui leur fut réservé.
  32. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, tome 1, p. 219.
  33. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, tome 1, p. 304 et suivantes ; tome 2, p. 110 et suivantes, ainsi que 176 et suivantes.
  34. Auguste Paris, tome II, cité dans la bibliographie.
  35. Auguste Paris, cité dans la bibliographie, tome II, p. s 309-310.
  36. a et b A Paris, cité dans la bibliographie, tome II, p. 352 et suivantes.
  37. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 96.
  38. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 106.
  39. Henri Wallon, cité dans la bibliographie, p. 110.
  40. Il est fréquemment cité à ce titre par A. Paris, cité dans la bibliographie, ex. : tome II, p. 274.
  41. A. Paris, cité dans la bibliographie, tome II, p. 303 et suivantes.
  42. « 3 octobre 1793- Le procès de Marie Antoinette » (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Bernard Lefebvre, « La Terreur et ses victimes de la frontière nord. L'exemple de Douai (juin 1793, juillet 1794) », Revue du Nord, Lille, Université Lille-3, no 208,‎ , p. 777-800 (lire en ligne).
  • Auguste Paris, La Terreur dans le Pas-de-Calais et dans le Nord : histoire de Joseph Le Bon et des tribunaux révolutionnaires d'Arras et de Cambrai, t. 1, Paris / Arras, Putois-Cretté / Rousseau-Leroy, , 2e éd., VIII-376 p. (lire en ligne).
  • Auguste Paris, La Terreur dans le Pas-de-Calais et dans le Nord : histoire de Joseph Le Bon et des tribunaux révolutionnaires d'Arras et de Cambrai, t. 2, Paris / Arras, Putois-Cretté / Rousseau-Leroy, , 402 p. (lire en ligne).
  • Henri Wallon, Les représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire dans les départements en l'an II (1793-1794), t. 5 : La Lorraine, le Nord et le Pas-de-Calais. Les châtiments, Paris, Librairie Hachette, , 422 p. (lire en ligne).