Série génératrice

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En mathématiques, et notamment en analyse et en combinatoire, une série génératrice (appelée autrefois fonction génératrice, terminologie encore utilisée en particulier dans le contexte de la théorie des probabilités) est une série formelle dont les coefficients codent une suite de nombres (ou plus généralement de polynômesetc.) ; on dit que la série est associée à la suite. Ces séries furent introduites par Abraham de Moivre en 1730, pour obtenir des formules explicites pour des suites définies par récurrence linéaire[1].

C'est une notion distincte de l'interpolation polynomiale, où l'on cherche à déterminer un polynôme dont les valeurs (et non plus les coefficients) coïncident avec une suite donnée.

En fait, il existe plusieurs sortes de séries génératrices, comme les séries génératrices exponentielles, les séries de Lambert, les séries de Dirichletetc. On peut associer à toute suite une série génératrice de chaque type, mais la facilité de manipulation de la série dépend considérablement de la nature de la suite associée : par exemple l'arithmétique des séries de Dirichlet reflète assez naturellement les propriétés de suites en théorie des nombres, tandis que les séries génératrices exponentielles seront quant à elles idéales pour encoder des problèmes liés aux permutations, etc.

Il est souvent possible d'étudier une suite donnée à l'aide de manipulations formelles de la série génératrice associée, ainsi qu'en utilisant les propriétés analytiques de la fonction somme de la série, du moins si celle-ci converge pour un ensemble assez grand de valeurs. Ce dernier cas, assez fréquent en pratique, justifie la dénomination de fonction génératrice et constitue le socle de la combinatoire analytique (l'énumération et l'asymptotique d'objets combinatoires via des séries génératrices). Notons de plus que des séries divergentes, telles que ou , sont parfaitement et rigoureusement manipulables : elles convergent dans l'anneau des séries formelles, muni de sa topologie idoine, et peuvent aussi être étudiées asymptotiquement (via d'éventuelles transformations).

Définitions[modifier | modifier le code]

Les séries définies ci-dessous sont des séries formelles, c'est-à-dire qu'on ne se préoccupe a priori pas de leur domaine de convergence.

Série génératrice ordinaire[modifier | modifier le code]

La série génératrice ordinaire d'une suite an (souvent simplement appelée série génératrice de la suite) est la série entière

.

Cette définition se généralise aisément à des suites à plusieurs indices. Par exemple, pour une suite an,k (où n et k sont des entiers naturels), la série génératrice est[2]

.

Série génératrice exponentielle[modifier | modifier le code]

La série génératrice exponentielle associée à une suite an est

.

Série génératrice de Poisson[modifier | modifier le code]

La série génératrice de Poisson d'une suite an est

.

Série génératrice de Lambert[modifier | modifier le code]

La série de Lambert d'une suite an est

.

Dans ce cas, pour des problèmes de définition, la suite doit commencer à a1 et non à a0.

Série génératrice de Bell[modifier | modifier le code]

La série de Bell d'une suite an, pour un nombre premier p donné, est la série formelle

.

Série génératrice de Dirichlet[modifier | modifier le code]

Les séries de Dirichlet sont souvent classées parmi les séries génératrices, bien qu'elles ne soient pas à proprement parler des séries formelles (de puissances entières de l'indéterminée). La série génératrice de Dirichlet d'une suite an est

.

La série de Dirichlet est particulièrement utile lorsque an est une fonction multiplicative, car elle possède alors un produit eulérien donné par les séries de Bell :

.

Si an est un caractère de Dirichlet, la série de Dirichlet correspondante s'appelle une série L de Dirichlet.

Séries génératrices de suites de polynômes[modifier | modifier le code]

La notion de série génératrice s'étend à d'autres suites d'objets. Ainsi, les séries génératrices (ordinaires) des polynômes de Tchebychev de première et de seconde espèce sont :

.

La série génératrice (exponentielle) des polynômes de Bernoulli est

 ;

Plus généralement, les suites de polynômes de type binomial sont associées à la série

,

(pn) est une suite de polynômes et f(t) une fonction (d'une forme particulière) ; les suites de Sheffer possèdent des séries génératrices similaires. On trouvera plus de détails à l'article « Polynôme d'Appell généralisé ».

Dérivées itérées en 0[modifier | modifier le code]

Les dérivées des séries génératrices sont définies formellement comme les séries des dérivées de chaque terme ; par exemple, pour une série génératrice ordinaire , on a . En particulier, en 0, on a :

Série génératrice ordinaire

Les dérivées itérées en 0 de la série génératrice ordinaire de la suite an valent :

Série génératrice exponentielle

Les dérivées itérées en 0 de la série génératrice exponentielle de la suite an valent :

Série génératrice de Poisson

Les dérivées itérées en 0 de la série génératrice de Poisson de la suite an valent :

Série de Lambert

Les dérivées itérées en 0 de la série de Lambert de la suite an (n à partir de 1) valent :

Seuls les termes de la suite dont l’indice i divise k apparaissent dans la somme.

Exemple : séries génératrices de la suite des carrés[modifier | modifier le code]

Les séries génératrices de différents types correspondant à la suite des carrés an = n2 sont :

Série génératrice ordinaire
Série génératrice exponentielle
Série de Bell
Série de Dirichlet
(où ζ est la fonction zêta de Riemann).

Plus généralement, si la suite an a une série de Dirichlet correspondant à

,

cette suite a pour série génératrice ordinaire

Séries génératrices ordinaires[modifier | modifier le code]

Polynômes[modifier | modifier le code]

Les polynômes sont un cas particulier de séries génératrices ordinaires, correspondant aux suites finies (ou aux suites s'annulant à partir d'un certain rang). Cette interprétation est importante, par exemple, dans le cas des polynômes de Poincaré, correspondant à la suite des nombres de Betti d'une variété donnée, ou pour les polynômes de Hilbert (en) pour les algèbres graduées.

Série génératrice d'une suite géométrique[modifier | modifier le code]

La suite constante dont tous les termes valent 1 joue un rôle important dans les applications ; sa série génératrice est

,

comme on le vérifie aisément en multipliant formellement cette série par 1 – x, et en remarquant que tous les termes s'annulent 2 à 2 sauf le premier.

On en déduit l'expression des séries génératrices de nombreuses autres suites : ainsi, la substitution x ↦ ax donne la série génératrice d'une suite géométrique 1, a, a2, a3, ... :

et en particulier .

Remplaçant x par x2 par exemple, on obtient la série associée à la suite 1, 0, 1, 0, 1, 0, 1, 0, ... : .

Dérivant par rapport à x, on obtient la série associée à la suite des entiers 1, 2, 3, 4, 5, ... :

 ;

de même, la suite des nombres triangulaires 1, 3, 6, 10, 15, 21, ... dont le n-ième terme est le coefficient binomial correspond à

.

Plus généralement, pour tout entier positif k, on a la formule du binôme négatif :

.

Comme , on en déduit (par combinaison linéaire des séries génératrices précédentes) la série génératrice de la suite des carrés 0, 1, 4, 9, 16, ... :

.

Fractions rationnelles[modifier | modifier le code]

La série génératrice d'une suite peut être exprimée comme un quotient de deux polynômes si et seulement si la suite est une suite récurrente linéaire. En effet, une suite (an) vérifie une récurrence de la forme (où c1, … , cp sont des constantes) si et seulement si sa série génératrice G(X), multipliée par le polynôme , est une série formelle dont tous les termes sont nuls à partir du degré p, c'est-à-dire si P est un polynôme de degré strictement inférieur à p (dont les coefficients dépendent alors des p premiers termes de la suite).

On peut alors calculer cette fraction rationnelle G(X) en la décomposant en éléments simples puis en développant chacun de ces éléments comme dans les exemples précédents.

Le produit de Hadamard de deux séries et rationnelles est rationnel[3].

Multiplication et convolution[modifier | modifier le code]

Le produit des séries génératrices de deux suites correspond à la convolution discrète des suites (à leur produit de Cauchy). Ainsi, la suite des sommes cumulées : (a0, a0 + a1, a0 + a1 + a2, ...), d'une suite de série génératrice G(anx) a pour série génératrice G(anx) x/1 – x, ces sommes correspondant au produit de Cauchy de la suite des an par la suite constante (1, 1, ...).

Transformée de Fourier discrète[modifier | modifier le code]

Si la série génératrice est absolument convergente, est la transformée de Fourier discrète de la suite a0,  a1,  ....

Séries génératrices à plusieurs variables[modifier | modifier le code]

On a défini de même (voir supra) la série génératrice (à plusieurs variables) associée à une suite à plusieurs indices.

Par exemple, la série génératrice de la suite à deux indices des coefficients binomiaux se déduit facilement de la série génératrice d'une suite géométrique vue précédemment[4] :

.

Comportement asymptotique[modifier | modifier le code]

L'étude de la vitesse de croissance des coefficients d'une série entière permet en général de déterminer le rayon de convergence de cette série (voir l'article règle de d'Alembert). Réciproquement, il est souvent possible d'utiliser la connaissance du rayon de convergence d'une série génératrice pour en déduire le comportement asymptotique de la suite associée.

On peut fréquemment déterminer ce comportement asymptotique en utilisant les singularités de la fonction holomorphe somme de la série génératrice, comme on le verra plus précisément dans l'exemple 3 ci-dessous ; en effet, on sait que le rayon de convergence de la série, r, est égal à la distance de la singularité la plus proche de l'origine, et qu'alors, pour tout x>r, on a an = o(xn). Si par exemple cette singularité est un pôle, il est alors possible de construire une série à rayon de convergence plus grand en soustrayant une fonction appropriée, obtenant un équivalent asymptotique exact des coefficients de la suite associée. Plus généralement, si la série génératrice G(anx) a un rayon de convergence égal à r, et peut être écrite

,

A(x) et B(x) sont des fonctions analytiques dans un disque de rayon supérieur à r, et où B(r) ≠ 0, alors

(où Γ désigne la fonction gamma)[5].

La combinatoire analytique fait un riche usage de ce lien entre le comportement de la série génératrice au voisinage de ses singularités et la croissance de ses coefficients.

Exemple 1 : la suite des carrés[modifier | modifier le code]

Comme on l'a montré plus haut, la série génératrice de la suite des carrés est . Avec r = 1, α = 0, β = 3, A(x) = 0, et B(x) = x(x+1), on vérifie que les carrés croissent en effet comme n2 :

.

Exemple 2 : les nombres de Catalan[modifier | modifier le code]

La série génératrice de la suite des nombres de Catalan est

.

Avec r = 1/4, α = 1, β = −1/2, A(x) = 1/2, et B(x) = −1/2, on en conclut que le n-ième nombre de Catalan, Cn, vérifie

.

Exemple 3 : les nombres de Bernoulli[modifier | modifier le code]

La série génératrice exponentielle de la suite des nombres de Bernoulli est

.

Il n'est pas possible d'appliquer directement le résultat précédent, parce que cette suite est trop souvent nulle (il faudrait s'intéresser à la suite des B2k), mais on vérifie aisément que le rayon de convergence est r = 2π, puisque les pôles de la fonction z/(ez–1) sont les zk = 2ikπ (avec k entier relatif non nul), d'où l'on déduit que pour tout  ; remarquant alors que la fonction n'a plus les deux premiers pôles, et donc un rayon de convergence de r' = 4π, on en déduit un équivalent précis de , puis, grâce à la formule de Stirling,

.

Applications[modifier | modifier le code]

Les séries génératrices sont utilisées pour :

  • déterminer une formule explicite pour des suites récurrentes linéaires ;
  • réciproquement, la forme d'une série génératrice peut amener à déterminer (ou du moins à deviner) une relation de récurrence satisfaite par une suite. De même, des relations entre séries génératrices permettent de déterminer des relations entre les suites associées ;
  • étudier le comportement asymptotique des suites.

Combinatoire analytique[modifier | modifier le code]

En combinatoire analytique, on étudie une suite de dénombrements an, représentant le nombre d'objets de taille n vérifiant telle ou telle condition (par exemple le nombre de permutations d'un ensemble de n lettres, ou le nombre des polyominos de n carrés) à l'aide de la série génératrice (le plus souvent ordinaire ou exponentielle) associée ; Philippe Flajolet et Robert Sedgewick ont développé une méthode systématique (la méthode symbolique) de détermination de cette série génératrice à partir des contraintes sur les objets étudiés[6].

Un exemple de la méthode symbolique : les nombres de Catalan[modifier | modifier le code]

Les nombres de Catalan (parmi bien d'autres définitions combinatoires) comptent les triangulations des polygones convexes. On peut considérer une triangulation comme composée de deux triangulations (éventuellement vides) de polygones plus petits de chaque côté d'un triangle convenablement choisi[7]. La méthode symbolique représente alors la suite de ces triangulations par la « formule » , d'où on déduit mécaniquement[8] la relation T(x) = 1 + xT(x)2 (où est la série génératrice des Tn, nombre des triangulations d'un polygone à n + 2 sommets). La résolution de cette équation amène à la formule explicite , d'où la formule de Taylor permet de déduire que le n-ième nombre de Catalan est .

Application des séries génératrices à plusieurs variables au dénombrement[modifier | modifier le code]

Le calcul du nombre de tableaux de contingence, c'est-à-dire de matrices d'entiers naturels dont les totaux des lignes et des colonnes sont spécifiés, peut s'obtenir à l'aide d'une série génératrice à plusieurs variables. Pour des tables ayant r lignes et c colonnes, pour totaux des lignes t1,...,tr, et pour ceux des colonnes s1,...,sc, Irving John Good a montré[9] que leur nombre est le coefficient de dans

.

Probabilités[modifier | modifier le code]

Les séries génératrices d'une suite de probabilités ayant un rayon de convergence nécessairement supérieur à 1, elles sont généralement confondues avec la fonction somme de la série, d'où le nom de fonction génératrice utilisé dans ce cas. On parle en particulier de fonction génératrice des probabilités et de fonction génératrice des moments.


Notes et références[modifier | modifier le code]

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Generating function » (voir la liste des auteurs).
  1. (en) Donald E. Knuth, The Art of Computer Programming, vol. 1 : Fundamental Algorithms, Addison-Wesley, , 3e éd., 650 p. (ISBN 978-0-201-89683-1 et 0-201-89683-4), « Section 1.2.9: Generating Functions », p. 86.
  2. Flajolet et Sedgewick 2008, p. 153.
  3. (en) Sergei K. Lando (trad. du russe par l'auteur), Lectures on Generating Functions, AMS, (lire en ligne), p. 23-25.
  4. Flajolet et Sedgewick 2008, p. 154.
  5. On trouvera dans Flajolet et Sedgewick 2008, deuxième partie, une analyse détaillée du cas général où plusieurs singularités existent sur le même cercle de convergence.
  6. Flajolet et Sedgewick 2008, première partie.
  7. Une analyse détaillée (accompagnée de figures) est donnée dans Flajolet et Sedgewick 2008, p. 35 ; elle est suivie du calcul symbolique esquissé ici.
  8. Une bibliothèque de fonctions (appelée Combstruct) permettant d'effectuer ces transformations et les calculs d'équivalents correspondants figure dans Maple et dans Mathematica.
  9. (en) I. J. Good, « On applications of symmetric Dirichlet distributions and their mixtures to contingency tables », Ann. Stat., vol. 4, no 6,‎ , p. 1159-1189 (DOI 10.1214/aos/1176343649).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]