Société post-conflit

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Guerres et conflits en cours en 2022 :

  • Guerres majeures, plus de 10 000 morts par an
  • Guerres et conflits, entre 1 000 et 10 000 morts par an
  • Conflits mineurs, entre 100 et 1 000 morts par an
  • Escarmouches et affrontements sporadiques, moins de 100 morts par an

Une société post-conflit est une société qui traverse une période de transition après une guerre. Dans un contexte où les populations ont été victimes de violences physiques et psychiques, de déplacements forcés, où des infrastructures ont été détruites, où les institutions publiques ont perdu de leur crédibilité, et où l’économie est en crise, ces sociétés fragilisées sont confrontées à des tâches particulièrement difficiles. Certains thèmes sont récurrents dans les études sur les sociétés post-conflit : le traitement des souffrances et émotions post-conflit ; la mise en place d'une justice transitionnelle ; le renforcement de l'État[1].

Le redressement du pays nécessite souvent une aide étrangère, mais cette aide produit aussi des effets pervers en modifiant des équilibres internes de la société post-conflit[2].

Le concept de «société post-conflit» s'est diffusé à la faveur d'un intérêt croissant de la part des institutions internationales pour les efforts de reconstruction après des conflits armés[3],[2].

Concept[modifier | modifier le code]

Définition[modifier | modifier le code]

La situation post-conflit suit un accord de paix. Elle est définie comme l’intervalle «de la guerre à la paix, de l’urgence au développement», ou encore comme une période d'établissement de la démocratie[4].

Certaines études soulignent le caractère inadapté, dans certains cas de figure, de la division tranchée entre conflit et post-conflit. «Les frontières entre la guerre et la paix sont souvent floues»[2], écrit le spécialiste de géographie humaine Jonas Lindberg, la paix peut être partielle, et l'insécurité peut demeurer après la guerre en prenant de nouvelles formes. Il arrive parfois que des pays connaissent des situations de « ni guerre, ni paix »[4]. L'opposition entre conflit et post-conflit paraît discutable également aux yeux de certains analystes parce qu'une situation sociale observée au début de la période de paix peut avoir été produite pendant la guerre[3].

Intérêt symbolique[modifier | modifier le code]

La notion de « post-conflit » engage une identification des agresseurs et des victimes et présente à ce titre, pour les acteurs locaux, un intérêt symbolique. Les États vainqueurs essaient d'effacer les traces de leur violence antérieure et de minimiser la réalité d'une situation « post-conflit », tandis qu'au contraire les populations civiles victimes de violences armées se saisissent du concept pour mettre en lumière les conséquences désastreuses d'une guerre[3].

Émotions post-conflit et réconciliation[modifier | modifier le code]

De très nombreuses études en sciences sociales sont consacrées au traitement des souffrances psychiques des populations après la guerre. Dans les sociétés post-conflit, ou post-traumatiques, les émotions provoquées par les violences entre groupes donnent lieu à du ressentiment, à un désir de vengeance, qui peuvent faire obstacle à la réconciliation[1]. Les études reconnaissent la légitimité morale de la colère et le caractère sain de la révolte dans certains cas[1].

Le sociologue John David Brewer (en), critique à l'égard des approches religieuses de la question, qui mettent en avant la foi et le pardon, propose le concept laïque de « guérison sociétale », ou de «réparation civique», qui suppose de traiter les émotions post-conflit à un niveau social et politique[1]. Le but devrait être selon lui, pour les membres d'une société, de se réconcilier avec le passé, d'accepter des vérités historiques et de s'accorder à leur sujet[1].

Justice transitionnelle[modifier | modifier le code]

Tribunal gacaca après le génocide des Tutsis au Rwanda

Selon le spécialiste de philosophie morale Nicholas Wolterstorff, la dignité des personnes ayant été niée durant la guerre, la justice après un conflit a pour mission principale la «ré-humanisation de l'autre» ou «la restauration de la valeur morale des ennemis»[1].

La justice transitionnelle est une « justice de transition » dans l'après-guerre. Elle comprend des jugements relatifs aux violences récemment commises : «des procédures pour crimes de guerre, des amnisties pour les anciens combattants, des mesures de justice réparatrice (comme le système gacaca après le génocide au Rwanda) pour réhabiliter des victimes»[1]. Elle comprend aussi une action plus vaste de réforme des lois[1]. Enfin, elle s'occupe plus largement du travail de mémoire et de l'apaisement de la relation avec le passé[1].

Les défis qui se posent à une société d'après-guerre sont, dans le domaine de la justice, particulièrement ardus. Le rétablissement de la paix impose quelquefois des compromis tels que l'intégration dans le jeu politique d'anciens criminels de guerre[2]. Mais ces mêmes acteurs font obstacle à une consolidation de la paix qui menacerait leurs intérêts, en particulier à l'établissement d'une justice impartiale[2].

Renforcement de l'État[modifier | modifier le code]

Le sociologue John D. Brewer considère le renforcement de l'État comme crucial pour la réussite du processus de paix[1]. L'analyse d'exemples de pays qui ont échoué à restaurer leur stabilité suggère que la faiblesse de l'État aurait conduit à un maintien des anciens clivages et des rapports de domination entre groupes[1]. Selon Roland Paris, spécialiste de sécurité internationale, auteur de nombreux ouvrages sur la consolidation de la paix, ces échecs seraient imputables à un «modèle libéral de paix»[1]. R. Paris préconise « l'institutionnalisation avant la libéralisation », qui suppose de retarder si nécessaire la tenue d'élections, tant que les institutions ne sont pas suffisamment solides, et que les anciens groupes armés font peser une menace sur le pays[1]. Ainsi le retour de la paix suppose «la construction d'institutions étatiques efficaces, le développement de systèmes électoraux qui récompensent la modération, la promotion des structures et des groupes de la société civile, des mécanismes de contrôle du « discours de haine » dans le discours public, en particulier dans les médias, et la mise en place d'une économie viable»[1].

Aide internationale post-conflit[modifier | modifier le code]

Les mesures suivantes sont généralement préconisées par les Nations unies, les ONG internationales et les gouvernements afin de consolider la paix : «le désarmement, la démobilisation et la réintégration des combattants, le déminage, la reconstruction des Infrastructures, les réformes économiques et le relèvement, le retour des réfugiés, l'organisation d'élections, les processus de justice transitionnelle, la protection des droits de l'homme et la mise en place d'institutions étatiques légitimes»[2].

Le processus de reconstruction d'une paix durable est appelé dans le langage des institutions internationales peace-building[3].

Les interventions internationales post-conflit, longtemps considérées comme «une technique neutre », qui aide les sociétés post-conflit à devenir pacifiques, démocratiques, prospères, ont fait l'objet de nombreuses critiques ; aussi les études sur les situations post-conflit ont connu un «tournant local», qui promeut une participation beaucoup plus active des acteurs locaux[2]. Selon le géographe Amaël Cattaruzza, en pratique, l'afflux massif de fonds d'aide peut provoquer des conséquences incontrôlables : corruption post-conflit ; inégalités territoriales, les villes étant souvent plus favorisées par les programmes d'aide que les régions rurales, de même que les zones les plus faciles d'accès par rapport aux territoires plus isolés ; inflation, spéculation foncière[3]. Les aides internationales peuvent renforcer des rapports de domination issus de la guerre, ou en créer de nouveaux[3].

L'«ingénierie» de la consolidation de la paix inclut souvent la libéralisation de l'économie, tandis que la lutte contre les inégalités est absente des préoccupations des organisations internationales. Une étude menée par Langer et al. portant sur sept pays en situation post-conflit montre que la réduction des inégalités y avait été «annulée par de nouvelles formes d'inégalités qui découlent des réformes néolibérales et de l'intégration économique mondiale»[2],[7]. Plusieurs spécialistes, tels Jonas Lindberg,Arnim Langer, Philippe Le Billon soutiennent que les inégalités alimentent la méfiance à l'égard des institutions politiques, aggravent la corruption et que «la consolidation de la paix après un conflit doit impliquer une lutte contre les inégalités»[2],[8].

Les interventions post-conflit sont standardisées par les Nations unies, alors que chaque pays a un rythme propre de reconstruction[3].

Néanmoins, selon la politologue Charlotte Fiedler,«  les sociétés post-conflit qui reçoivent beaucoup plus d'aide internationale connaissent moins de récidives de guerre civile »[9].

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e f g h i j k l m et n J. Brewer and B. Hayes, ‘Post-conflict societies and the social sciences: a review’, Contemporary Social Science 6, 2011, 5-18, lire en ligne
  2. a b c d e f g h et i Jonas Lindberg, Camilla Orjuela, « Corruption in the aftermath of war: an introduction », Third World Quarterly, 2014, p. 723-736, lire en ligne
  3. a b c d e f et g CATTARUZZA Amaël, DORIER Elisabeth, « Postconflit : entre guerre et paix ? », Hérodote, 2015/3 (n° 158), p. 6-15. DOI : 10.3917/her.158.0006. URL : https://www.cairn.info/revue-herodote-2015-3-page-6.htm
  4. a et b SAIGET Marie, « Trouble dans le « post-conflit ». Vie politique et production de l’action publique sur le genre au Burundi (1993-2015) », Gouvernement et action publique, 2019/4 (VOL. 8), p. 49-72. DOI : 10.3917/gap.194.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-gouvernement-et-action-publique-2019-4-page-49.htm
  5. « United Nations Peacebuilding Commission », United Nations (consulté le )
  6. « Where we fund-United Nations Peacebuilding Fund », United Nations (consulté le )
  7. Arnim Langer et al., (en) Horizontal Inequalities and Post-Conflict Development (DOI 10.1057/9780230348622, lire en ligne), Palgrave MacMillan, 2012, introduction en ligne
  8. Philippe Le Billon, « La corruption liée aux reconstructions d'après-guerre : Juguler la corruption au lendemain des conflits », Rapport mondial sur la corruption, Economica, 2005, p. 87-105, (ISBN 9782717850253), lire en ligne
  9. (de) German Institute of Development and Sustainability (IDOS), « Post-conflict societies: chances for peace and types of international support », sur www.idos-research.de (consulté le )

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Amaël Cataruzza, Elisabeth Dorier, « Postconflit : entre guerre et paix ? », Hérodote, 2015/3 (n° 158), p. 6-15. DOI : 10.3917/her.158.0006. URL : https://www.cairn.info/revue-herodote-2015-3-page-6.htm
  • Charles-Philippe David, Olivier Schmitt, « Chapitre 3. La reconstruction post-conflit », dans : La guerre et la paix. Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, sous la direction de DAVID Charles-Philippe, SCHMITT Olivier. Paris, Presses de Sciences Po, « Les Manuels de Sciences Po », 2020, p. 401-413. URL : https://www.cairn.info/la-guerre-et-la-paix--9782724625158-page-401.htm
  • Chip Gagnon, Keith Brown, Post-Conflict Studies. An Interdisciplinary Approach, Routledge, (lire en ligne)
  • Sandrine Lefranc, « La justice de l’après-conflit politique : justice pour les victimes, justice sans tiers ? », Négociations, 2015/2 (n° 24), p. 101-116. DOI : 10.3917/neg.024.0101. URL : https://www.cairn.info/revue-negociations-2015-2-page-101.htm
  • Judicaël Élisée Tiehi, « La Contribution de la Cour Penale Internationale à la Reconstruction de l’état de Droit dans les Sociétés Post-conflit en Afrique : Vingt-deux Ans après, Quel Bilan ? », African Journal of International and Comparative Law, vol. 29, no 1,‎ , p. 138–153 (ISSN 0954-8890, DOI 10.3366/ajicl.2021.0354, lire en ligne, consulté le )
  • (en) Leah Wing, « Aux prises avec le passé : récits partagés et contestés en Irlande du Nord post-conflit: PATRIMOINE : DU CONFLIT AU CONSENSUS », Museum International (Edition Francaise), vol. 62, nos 1-2,‎ , p. 33–38 (DOI 10.1111/j.1755-5825.2010.01096.x, lire en ligne, consulté le )
  • Evelyne Josse, « LES VIOLENCES SEXUELLES DANS LES CONTEXTES DE CONFLIT ET DE POST-CONFLIT », 205A SERIES OF THE JOURNAL OF FORENSIC MEDICINE / UNE SÉRIE DU JOURNAL DE MÉDECINE LÉGALE,‎ , p. 205-212 (lire en ligne)
  • J. Brewer and B. Hayes, ‘Post-conflict societies and the social sciences: a review’, Contemporary Social Science 6, 2011, 5-18, lire en ligne
  • D. Mendeloff, « Truth-Seeking, Truth-Telling and Post-Conflict Peace building  : Curb the Enthusiasm  ? », International Studies Review 6(3), septembre 2004, p. 355-380.
  • V. Chetail, “Introduction: Post-conflict Peacebuilding – Ambiguity and Identity.” In Post-conflict Peacebuilding: A Lexicon, edited by V. Chetail, 1–33. Oxford: Oxford University Press, 2009. 
  • Pugh, M., N. Cooper, and M. Turner. Whose Peace? Critical Perspectives on the Political Economy of Peace Building. Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2008
  • (en) « Corruption in the Aftermath of War | Jonas Lindberg, Camilla Orjuela | », sur Taylor & Francis (DOI 10.4324/9781315657875/corruption-aftermath-war-jonas-lindberg-camilla-orjuela, consulté le )

Lien externe[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

{