Résidence alternée en droit français

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En droit français, la résidence alternée est une organisation de l'hébergement de l'enfant mineur dont les parents ne vivent pas dans le même domicile. Certains parents n'ont jamais vécu ensemble, mais elle a lieu le plus souvent en cas de séparation des conjoints, a fortiori lors d'un divorce. Un enfant en résidence alternée vit en alternance au domicile d'un parent puis de l'autre. Exceptionnellement il a été expérimenté que les parents alternent au domicile de l'enfant. Ce principe a été introduit en France en 2002, et fait suite à la notion juridique de droit de garde. La généralisation de la résidence alternée, envisagée régulièrement dans des projets de loi, fait l'objet de controiverses.

Définition[modifier | modifier le code]

Le code civil offre une certaine souplesse dans la mise en œuvre de la résidence alternée : en effet, il n’impose ni une stricte parité dans le partage du temps parental ni un rythme d'alternance hebdomadaire[1]. Néanmoins, le Dictionnaire Lexilogos du CNRS se réfère à l'alternance des jours et des nuits, ainsi qu'à la notion de régularité. La forme n'a que peu d'importance, que cette régularité soit fixée par accord oral ou écrit entre les parents, ou même authentifié ou imposé malgré un désaccord par l'autorité juridique. En principe le bien-être de l'enfant (par exemple la salubrité des domiciles) est la référence centrale de toute résidence partagée.

Conditions de la résidence alternée[modifier | modifier le code]

Une étude publiée chez Dalloz par Bruno Lehnisch et Caroline Siffrein-Blanc en juillet 2021, et militant pour une adoption très large de la résidence alternée, souligne l’aléa judiciaire lorsque le juge aux affaires familiales statue sur ce mode de résidence[2]. En effet, les critères d'appréciation de l'intérêt de l'enfant paraissent variables d'une juridiction à une autre. En premier lieu, certaines conditions matérielles seraient des freins à la mise en place d'une résidence alternée :

  • Presque toujours, les enfants scolarisés ne peuvent fréquenter qu'une seule école, obligeant les parents à résider à proximité de l'établissement scolaire.
  • La résidence alternée implique le partage des charges. C’est pourquoi, en France, le parent ayant les revenus les plus élevés peut verser une contribution alimentaire à l'autre parent.
  • À l'heure actuelle, seules les allocations familiales de la CAF peuvent être partagées entre les 2 parents. Pour les autres prestations, un seul des parents sera désigné comme bénéficiaire
  • Le législateur [Où ?] a prévu le recours à la médiation familiale pour favoriser l'entente entre les parents dans l'organisation de leurs responsabilités à l'égard des enfants. L'article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a instauré, à titre expérimental, une tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO). Ce dispositif impose d'organiser une médiation familiale avant toute saisine de la justice familiale. Il a été mis en place au sein de 11 juridictions et doit prendre fin le 31 décembre 2022.

Résidence alternée et pension alimentaire[modifier | modifier le code]

La résidence alternée ne fait pas obstacle à l'établissement spontané ou la fixation judiciaire d'une pension alimentaire, en cas de disparité de ressources entre les parents.

La pension alimentaire ne dispense pas le parent qui la verse de la contribution qu'il doit sur les périodes où les enfants sont à son domicile. C'est ainsi qu'en sus de la pension, chaque parent débiteur doit la charge pour moitié (cas normal) des frais (cantine, garderie) même s'il choisit de ne pas engager ces frais pendant "sa semaine" de garde.

Cependant en France la pension alimentaire dans le cadre de la résidence alternée, entraine une exception légale. en effet, cette pension, mise à la charge d'un des parents, n'est pas reconnue par l'administration fiscale. En 2011, en France, les impôts reconnaissent la résidence alternée en partageant "les parts" liées aux enfants, mais ne reconnaissent ni en charge, ni en revenu la pension alimentaire versée[3].

Résidence alternée en France[modifier | modifier le code]

Après les mouvements sociaux de 1968 dans le monde, la puissance paternelle, alors exercée par le « chef de famille » est remplacée par l'autorité parentale, qui ne cesse théoriquement pas en cas de divorce[réf. souhaitée]; mais dont l'exercice est confié au parent qui assure la garde de l'enfant[4].

La législation du divorce, après la « légalisation » du , connait trois réformes en 1987, 1993 et 2002, avec la disparition du droit de garde au profit du lieu de résidence et une bascule progressive privilégiant le « rôle fondateur des parents » au détriment de « l'intérêt de l'enfant »[4].

Le , la loi no 87-570 dite Malhuret énonce qu’en cas de divorce, l’autorité parentale est exercée soit en commun par les deux parents, soit par l’un d’eux. En revanche, dans la famille naturelle (non mariée ou adultère), l’exercice en commun restait subordonné à une décision judiciaire ou à une déclaration conjointe des parents. C’est pourquoi les articles 287 et 374 du Code civil, dans leur rédaction issue de la loi de 1987, imposaient au juge, en cas d’exercice conjoint de l’autorité parentale, d’indiquer chez lequel de ses parents l’enfant avait sa résidence habituelle. Ceci rendait la résidence alternée dérogatoire au principe légal en France.

Par la suite, la loi du maintient cette exigence. En effet, selon le nouvel article 287 du Code civil, le juge n’était tenu de fixer la résidence habituelle de l’enfant chez l’un de ses parents qu’à défaut d’accord parental. Toutefois, la nécessité de choisir une résidence habituelle subsistait, à défaut d’accord des parents divorcés, ainsi que dans la famille naturelle (non mariée ou adultère) disjointe, et la garde alternée reste exclue des possibilités offertes aux juges : « Le juge ne peut confier la garde des enfants communs alternativement au père et à la mère »[4].

La résidence alternée fait son entrée dans la législation française en 2002[5]. Ainsi, le texte de la loi du , énonce de manière générale, à l’article 373-2, alinéa 2, du Code civil que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ». En outre, l'article 373-2-9 du même code dispose désormais que « la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ». Cette reconnaissance légale a été accueillie avec soulagement par les couples qui avaient déjà adopté, sans recours à la décision judiciaire, la résidence alternée. La nécessité de donner une base législative à ces pratiques consensuelles n’a pas fait grand débat. Les oppositions se sont focalisées sur le point de savoir s’il était opportun de conférer au juge le pouvoir d’imposer un hébergement alterné à des parents en conflit. Le législateur a finalement opté pour une solution de compromis consistant à imposer aux parents en conflit une résidence alternée provisoire « à l’essai ». Le rapporteur du Sénat, Laurent Béteille, lors du débat en séance publique le 21 novembre 2001, a en effet indiqué l'objectif de ce mode de résidence : « Il s'agit d'affirmer, dans le code civil, une préférence pour la résidence alternée, que nous avons fait figurer dans le texte avant la résidence au domicile de l'un des parents, mais en faisant montre d'une certaine prudence lorsque l'un des parents est opposé à cette solution »[6].

De plus, afin d'épauler les parents à établir des accords consensuels autour de la question des enfants, la loi[Laquelle ?] a institué la médiation familiale. Le juge peut désigner un médiateur familial pour y procéder. Et selon la loi no  2004-439 du , le juge peut enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l'objet et le déroulement de la médiation. Cette obligation de recours à la médiation peut être imposée même en cas de « violences constatées »[4]. Les parents peuvent également contacter le médiateur familial en amont de la procédure dans le projet de soumettre leur accord à l'homologation du juge aux affaires familiales[réf. souhaitée].

En 2012 selon une enquête menée sur la «résidence des enfants de parents séparés » sur la base des décisions définitives rendues par des juges aux affaires familiales entre le et le [7], il est établi que la proportion de la résidence alternée comme moyen de garde des enfants de couples séparés est passée de 10% en 2003 à 17% en 2012. La résidence chez le père concerne 12% des décisions rendues. Néanmoins lorsque les parents ne sont pas tous les deux d'accord pour mettre en place une résidence alternée celle-ci est généralement refusée par les juges aux affaires familiales, avec une tendance à favoriser la demande de la mère[8].

Les propositions de loi sur ce sujet sont régulièrement combatues[5]. Une proposition de loi sur la garde alternée a été examinée puis abandonnée en 2017 à l’Assemblée nationale[9]. Une autre est en première lecture au Sénat en 2023, sans qu'on sache si elle sera examinée à l’Assemblée nationale ; elle vise à « unifier la jurisprudence » pour favoriser la résidence alternée, et répondre à « un déséquilibre des droits des parents » au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, contre l'avis de ses détracteurs qui jugent le texte « dangereux »[5].

Controverse en France[modifier | modifier le code]

Argumentation en France en faveur de la résidence alternée[modifier | modifier le code]

La sociologue Christine Castelain Meunier estime que la garde alternée peut contribuer à un meilleur soutien éducatif, mais aussi « à davantage d’égalité entre les femmes et les hommes, et donc à des conditions de vie plus équilibrées pour les femmes » ce qui serait bénéfique à leur carrière et leur émancipation. Ce serait l'évolution logique du droit de la famille, qui a fait progressivement diparaitre la notion de « puissance paternelle » et les autres références genrées de la famille traditionnelle. L'évolution de la loi pourrait contribuer à une plus grande implication des pères, et à un plus grand partage des responsabilités entre les parents[10].

Thierry Berger, le président de l'association Égalité Parentale, explique lui que « un enfant a besoin de ses deux parents ». Dans une tribune publiée dans Le Figaro et signée par de nombreux parlementaires, il insiste sue l'idée que le refus de la garde alternée est contaire au bien-être et aux besoins affectifs des enfants (dont le droit de vivre avec ses deux parents est prétendument inscrit à l'article 9 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant[11]), et va à l'encotre de l'égalité homme femme[12]. Lors de situations de désaccord entre les parents sur la résidence alternée, celle-ci se serait consentie par les juges que dans 25 % des cas[12].

Argumentation en France contre de la résidence alternée[modifier | modifier le code]

L'opposition à la généralisation de la garde alternée est liée à deux arguments. D'une part les professionnels de l’enfance sont divisés sur la pertinence de la résidence alternée au regard de l’intérêt de l’enfant, en particulier en dessous d'un certain âge. D'autre part, des associations s'inquiètent de ce que l’exercice de l’autorité parentale est un instrument des agresseurs pour poursuivre leurs violences à travers les enfants ; l’exclusion de la possibilité d’une résidence alternée en cas de violences, prévue dans le projet de loi, n'est pas une garantie, la réalité des violences conjugales étant sous-estimée[5].

Les opposants en France à la résidence alternée s'opposent plus particulièrement à la loi du 4 mars 2002, qui permet à un juge aux affaires familiales d'imposer une résidence alternée à la demande d'un des parents, plutôt qu'à la résidence alternée fruit d'un accord amiable entre les deux parents. Ils argumentent par le fait que la loi de 2002 n'indique aucune condition indispensable pour la mise en place d'une résidence alternée (Durée de travail des parents, présence des parents ou d'un tiers auprès de l'enfant, etc.). Pour un juriste la notion de "relations entre les parents" n'est pas décrite dans la loi[13].

La position de ces opposants est d'autant plus intense qu'ils reprochent aux pères qui demandent la résidence alternée d'avoir parfois des raisons non-satisfaisantes : soustraction à la pension alimentaire, volonté de nuire à l'ex-compagne ou compagnon[14]. Plus largement, la loi sur la garde alternée a selon plusieurs opposants a été introduite à la suite d'un lobbying masculiniste ou « pour faire plaisir aux associations de pères », et son application ne serait pas demandée dans l’intérêt des enfants mais dans l’intérêt des adultes[4],[14].

Psychologie[modifier | modifier le code]

La revue Attachment and Human Development, revue officielle de la Society for Emotion and Attachment Studies, a publié le 11 janv. 2021 un article de consensus cosigné par 70 spécialistes de l'attachement[15]. Elle affirme qu'accorder la priorité à l'un des parents pourrait compromettre le développement et le maintien des autres relations d'attachement de l'enfant. Dans ce cas, son sentiment de confiance à l'égard des personnes qui prennent soin de lui serait susceptible d'être altéré, impactant durablement sa capacité à s'adapter dans ses différents contextes de vie, comme à la crèche ou à l'école par exemple. L'article retient qu'il n'existe aucun consensus parmi les spécialistes de l'attachement concernant un « âge seuil » en-dessous duquel la résidence alternée serait déconseillée. En revanche, les 70 auteurs ayant participé à la rédaction de cet article s'accordent pour affirmer qu'il est dans l'intérêt de l'enfant de pouvoir développer et maintenir un réseau de relations avec ses figures d'attachement.

Psychanalyse[modifier | modifier le code]

Selon certains psychanalystes français, qui prennent leurs distances avec le point de vue juridique (le « droit » des pères ou des mères), durant les premiers mois de sa vie, l'enfant n'aurait besoin que de sa mère. Jusqu'au sixième anniversaire, toute séparation brutale avec elle, entraînerait chez l'enfant des troubles graves comme l'anxiété de séparation, une situation à hauts risques psychanalytiques[16],[17].

Selon Maurice Berger, concernant les « bébés » et s'appuyant la théorie de l'attachement, il se passe environ deux ans et demi à trois ans avant qu’un enfant puisse comprendre ce qu’est une filiation, c’est-à-dire qu’il a été conçu ou adopté par un couple adulte[18].

Certains psychanalistes estiment que la revendication de l’hébergement égalitaire est très souvent une expression de la fragilité psychique des parents, qui se développe « au détriment des capacités d’identification aux besoins de l’enfant »[19].

Notes et références[8][modifier | modifier le code]

  1. Me Barbara REGENT, « GARDE PARTAGÉE : COMMENT ÇA MARCHE ? »
  2. « Résidence alternée et intérêt de l’enfant : regards croisés des magistrats | Interview | Dalloz Actualité », sur www.dalloz-actualite.fr
  3. Site officiel du Ministère des Impôts - Impôts et Séparation -Comment compter à charge les enfants de parents imposés séparément ?
  4. a b c d et e Martin Dufresne et Hélène Palma, « Autorité parentale conjointe : le retour de la loi du père », Nouvelles Questions Féministes, vol. 21, no 2,‎ , p. 31 (ISSN 0248-4951 et 2297-3850, DOI 10.3917/nqf.212.0031, lire en ligne, consulté le )
  5. a b c et d « Une proposition de loi pour favoriser la résidence alternée en cas de séparation des parents examinée au Sénat », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  6. « Proposition de loi relative à l'autorité parentale », sur www.senat.fr (consulté le )
  7. « La résidence des enfants de parents séparés », sur justice.gouv.fr (consulté le )
  8. a et b « Justice et inégalités au prisme des sciences sociales », p. 127
  9. « La résidence alternée des enfants de parents séparés revient en débat », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  10. « Droits de l’enfant : « La proposition de loi visant à faire de la résidence alternée l’“option à privilégier” va dans le bon sens » », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. En fait l'article 9 n'en fait pas une obligation. Il indique que « 1. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident (...) que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant. (...) 3. Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. »
  12. a et b « Reconnaissance de la garde alternée : « Un enfant a besoin de ses deux parents pour se construire ! » », sur le FIGARO
  13. Luc Briand, "Résidence alternée et conflit parental", AJ Famille, Dalloz, décembre 2011, p. 174-176
  14. a et b Marie-Élisabeth Breton, « La résidence alternée : une loi pour les adultes », dans Le livre noir de la garde alternée, Dunod, (ISBN 978-2-10-058938-8, DOI 10.3917/dunod.pheli.2013.01.0161, lire en ligne), p. 161
  15. « Forslund, T., Granqvist, P., van IJzendoorn, M. H., Sagi-Schwartz, A., Glaser, D., Steele, M., Hammarlund, M., Schuengel, C., Bakermans-Kranenburg, M. J., Steele, H., Shaver, P. R., Lux, U., Simmonds, J., Jacobvitz, D., Groh, A. M., Bernard, K., Cyr, C., Hazen, N. L., Foster, S., . . . Duschinsky, R. (2021). Attachment goes to court: Child protection and custody issues. Attachment & Human Development. Advance online publication. »
  16. Donald Winnicott, La mère suffisamment bonne, p. 97
  17. Maurice Berger, Albert Ciccone, Nicole Guédeney et Hanna Rottman, « La résidence alternée chez les enfants de moins de six ans: une situation à hauts risques psychiques », Devenir, vol. 16, no 3,‎ , p. 213 (ISSN 1015-8154 et 2235-2090, DOI 10.3917/dev.043.0213, lire en ligne, consulté le )
  18. Maurice Berger - Le droit d'hébergement du père concernant un bébé - Texte publié dans la Revue Dialogue, 2002, no 155, pp.  90-104
  19. Carine De Buck et Marie-Paule Durieux, « Le Carnet Psy – Résidence alternée : caisse de résonance des troubles psychopathologiques des parents ? », sur Le Carnet Psy, (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]