Restitution des œuvres d'art spoliées sous le Troisième Reich

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 : les généraux Dwight David Eisenhower, Omar Bradley et George Patton inspectent dans les mines de sel de Merkers-Kieselbach les œuvres d'art volées par les nazis.

La restitution des œuvres d'art spoliées sous le Troisième Reich est la tentative de retrouver les œuvres d'art pillées par les nazis dans toute l'Europe, depuis l'instauration de leur régime en 1933 (spoliation des Juifs dans l'Allemagne nazie) jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale (spoliation dans les pays occupés), et de les restituer à leurs propriétaires. Elle s'inscrit dans le cadre de la politique allemande de réparation des crimes du régime national-socialiste.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les forces alliées en Allemagne découvrent un grand nombre d'œuvres d'art pillées, les mettent en sécurité et les restituent à leur pays d'origine. Si certaines œuvres sont vite restituées (les 21 903 objets d'art du château de Neuschwanstein sont retrouvés avec leurs archives formant un véritable catalogue de spoliation[1]), beaucoup d'objets d'origine indéterminée sont parvenus sur le marché international de l'art et dans des collections publiques. Le nombre des œuvres d'art non restituées à leur propriétaire légal, pouvant être identifiées, et dispersées dans le monde dans des collections publiques ou privées, est estimé à 10 000[2].

En , le United States House Committee on Financial Services (en) de la Chambre des représentants des États-Unis évalue qu'entre 1933 et 1945, 600 000 œuvres ont été volées, expropriées, saisies ou pillées : 200 000 en Allemagne et en Autriche, 100 000 en Europe de l'Ouest et 300 000 en Europe de l'Est[3].

Définition[modifier | modifier le code]

Dans le domaine juridique, le terme de restitution désigne la restauration d'un droit (dans le cas présent : le droit à la propriété) qui a été bafoué par le non-respect des conventions internationales[4].

Textes internationaux[modifier | modifier le code]

Déclaration de Washington[modifier | modifier le code]

La Déclaration de Washington du [5],[6] est signée par 44 États qui s'engagent à retrouver, et restituer l'art spolié.

Onze principes (Washington Conference Principles on Nazi-Confiscated Art) sont retenus en tenant compte des systèmes juridiques et des lois propres à chaque pays, et concernent les points suivants :

  1. l'identification de l'art spolié et non-restitué (Art that had been confiscated by the Nazis and not subsequently restituted[6]) ;
  2. l'ouverture des archives aux chercheurs ;
  3. faciliter l'identification des œuvres ;
  4. tenir compte en déterminant l'origine des œuvres, des circonstances de la période historique concernée (Holocaust era) ;
  5. assurer une information sur ces œuvres pour identifier les propriétaires avant-guerre ou leurs héritiers ;
  6. centraliser les informations sur ces œuvres ;
  7. encourager les propriétaires ou les héritiers à faire valoir leurs droits ;
  8. si un propriétaire ou héritier est identifié, parvenir à une solution juste et équitable, en tenant compte des situations particulières ;
  9. si les propriétaires ne peuvent être identifiés, parvenir à une solution juste et équitable ;
  10. les commissions ou organismes chargées d'identifier l'origine des œuvres doivent être composés de manière équilibrée ;
  11. les pays signataires s'engagent à développer des procédures pour régler les différends en matière de propriété[6].

Textes nationaux[modifier | modifier le code]

Allemagne fédérale[modifier | modifier le code]

 : un soldat américain surveille des biens artistiques volés par les nazis et stockés à l'église du château d'Ellingen.

En 1954, une convention est signée entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la République fédérale d'Allemagne (Vertrag zur Regelung aus Krieg und Besatzung entstandener Fragen (de)) qui transfère la responsabilité de la restitution à la RFA qui s'engage à dédommager les personnes persécutées dans le cadre d'une politique de réparation (Wiedergutmachung) à travers une série de textes de loi :

France[modifier | modifier le code]

Entre 1947 et 1949, le Bureau central des restitutions (BCR) dont le siège est à Berlin, établit un « répertoire des biens spoliés en France durant la guerre 1939-1945 » qui concerne des biens réclamés à l'époque[7].

En , un rapport sénatorial est remis à la commission de la culture du Sénat afin de « donner une nouvelle impulsion à la recherche de provenance », il établit un bilan des restitutions effectuées, des objets confiés aux musées nationaux en attente de restitution, et propose une démarche pour la restitution des œuvres ; s'ensuivent neuf propositions de la commission de la Culture[8],[9].

En , sur 2 058 œuvres spoliées recensées et répertoriées, on en compte seulement dix restituées aux familles les dix derniers mois. La procédure est en effet complexe, devant se faire à l'initiative des familles à partir d'un dossier de preuves (actes notariés, pièces d'état civil). Un rapporteur statue d'abord sur sa recevabilité ; si cela est positif, la demande est présentée à un comité fonctionnant à la manière d'un tribunal et la décision finale revient au commissaire du gouvernement, qui transmet ensuite au ministère des Affaires étrangères, chargé des trésors ramenés d'Allemagne à la Libération et depuis conservés dans des musées publics. L'État français ne cherche pas directement les familles lésées, souvent juives, qui avaient cédé à bas prix leurs biens à des marchands d'art véreux, mais des initiatives privées existent, comme celle du généalogiste israélien Gilad Japhet qui cherche les héritiers grâce aux bases de données. Grâce à un décret de 1949, il n'existe plus de prescription pour revendiquer ces œuvres[10] : ces biens, inaliénables, sont mis à la garde de l'État français dans l'attente de restitution.

Grande-Bretagne[modifier | modifier le code]

En 2000, a été fondé le Spoliation Advisory Panel (en) afin de conseiller le Gouvernement britannique dans le cadre de l'examen des demandes de restitutions opérées par les descendants et ayant-droits des familles spoliées par les nazis[11].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Francine-Dominique Liechtenhan, Alii︠a︡ Iskhakovna Barkovet︠s︡, Le grand pillage : du butin des nazis aux trophées des Soviétiques, Ouest-France,‎ , p. 57.
  2. (de) Hannes Hartung: Kunstraub in Krieg und Verfolgung. Die Restitution der Beute- und Raubkunst im Kollisions- und Völkerrecht., Zürich 2004, p. 44 et suivantes.
  3. (en) « The Germans stole between 1933-1945: 600,000 artworks (paintings, sculpture, objets d’art, tapestries, but excluding furniture, books, stamps, or coins). This includes some 200,000 works in Germany and Austria, some 100,000 in Western Europe and 300,000 objects from Eastern Europe and the Soviet Union » Jonathan Petropoulos Written Comments for House Banking Committee, Hearing of 10 February 2000, Section I. Numbers relu le 26 novembre 2013.
  4. (de) Erich Kaufmann: Die völkerrechtlichen Grundlagen und Grenzen der Restitution. AöR 1949, p. 13 ; cité par : Hannes Hartung: Kunstraub in Krieg und Verfolgung. Die Restitution der Beute- und Raubkunst im Kollisions- und Völkerrecht. Zürich 2004, p. 66.
  5. (en) Washington Conference On Holocaust-Era Assets documents [PDF], procès-verbaux de la conférence, sur fcit.usf.edu, relu le 29 novembre 2013.
  6. a b et c (en) Washington Conference Principles on Nazi-Confiscated Art sur www.state.gov, relu le 29 novembre 2013
  7. Le Répertoire des Biens Spoliés sur www.culture.gouv.fr, Site Rose-Valland Musées Nationaux Récupération, historique et description de l'ouvrage, relu le 29 novembre 2013.
  8. Le Sénat se penche sur le sort des œuvres d’art spoliées pendant la guerre article sur www.senat.fr, relu le 29 novembre 2013
  9. [PDF] Par Corinne Bouchoux, sénatrice, Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspective sur www.senat.fr, relu le 29 novembre 2013
  10. Guillaume de Morant, « Tableaux spoliés, la France peut mieux faire », Paris Match, semaine du 20 au 26 mars 2014, pages 74-77.
  11. (en) DCMS description of panel

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Héctor Feliciano, Le Musée disparu. Enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis, Gallimard, , 400 p. — édition en Folio, 2009.
  • Nathaniel Herzberg, Le musée invisible. Les chefs-d'œuvre volés, Éditions du Toucan, , 2010 p.
  • Corinne Bouchoux et Laurent Douzou, « Si les tableaux pouvaient parler...». Le traitement politique et médiatique des retours d'œuvres d'art pillées..., Presses universitaires de Rennes, , 552 p.
  • Corinne Bouchoux et Laurent Douzou, Saisies, spoliations et restitutions : Archives et bibliothèques au XXe siècle, Presses universitaires de Rennes, , 383 p.
  • Fabrizio Calvi et Marc Masurovsky, Le Festin du Reich. Le pillage de la France occupée 1940-1945, Fayard, , 719 p.
  • (de)Andrea Raschèr, Restitution von Kulturgut: Anspruchsgrundlagen – Restitutionshindernisse – Entwicklung. In: KUR – Kunst und Recht, Volume 11, Issue 3–4 (2009) p. 122. DOI 10.15542/KUR/2009/3-4/13

Articles connexes[modifier | modifier le code]