R. c. Morgentaler (1988)

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R. c. Morgentaler
Description de l'image Henry Morgentaler (2005).png.
Informations
Titre complet Dr. Henry Morgentaler, Dr. Leslie Frank Smoling et Dr. Robert Scott c. Sa Majesté la Reine
Références [1988] 1 R.C.S. 30, 63 O.R. (2d) 281, 37 C.C.C. (3d) 449, 31 C.R.R. 1, 62 C.R. (3d) 1, 26 O.A.C. 1
Date 28 janvier 1988

Juges et motifs
Majorité Brian Dickson (appuyé par : Lamer)
Concurrence Beetz (appuyé par : Estey)
Concurrence Wilson
Dissidence McIntyre (appuyé par : La Forest)

Jugement complet

texte intégral sur csc.lexum.org

R. c. Morgentaler est une décision de la Cour suprême du Canada rendue le 28 janvier 1988 et impliquant la décriminalisation de l'avortement[1]. Elle tire son nom de Henry Morgentaler, médecin et militant pour le droit à l'avortement, ayant pratiqué plusieurs milliers d'IVG illégales et qui a soutenu que l'article 251 du Code criminel, qui interdisait certains avortements, était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.

Historique[modifier | modifier le code]

La première loi sur l'avortement date de 1969. Le Parlement du Canada a adopté une loi permettant l’avortement dans certaines circonstances pour protéger la « santé » de la mère (le mot « santé » n’était ni défini ni limité). Le ministre de la Justice de l’époque, Pierre Trudeau, a déposé un projet de loi modifiant l’article 251 du Code criminel du Canada de façon à autoriser l’avortement lorsque la santé de la femme était considérée en danger par un comité de l’avortement thérapeutique formé de trois médecins[2].

En 1973-1974, le Docteur Henry Morgentaler ouvre une clinique d’avortement à Montréal, en violation de la loi. Il sera arrêté, accusé, déclaré innocent, puis déclaré coupable en appel à trois reprises. Finalement, le gouvernement du Québec cesse de l’accuser et il continue de pratiquer des avortements à Montréal[3].

En 1983, les docteurs Henry Morgentaler, Leslie Smoling et Robert Scott sont inculpés pour avoir pratiqué illégalement l'avortement dans leur clinique à Toronto, en violation de l’article 251 du Code criminel, qui rendait criminel l’avortement provoqué, à moins qu’il ne soit pratiqué par un médecin, dans un hôpital, et qu’il ait été approuvé au préalable par un comité de l’avortement thérapeutique composé d’au moins trois médecins. Morgentaler et Scott sont aussi accusés à Winnipeg[4].

En 1985, le jury de l’Ontario acquitte les inculpés après avoir accepté la défense de nécessité invoquée par Morgentaler. La Cour d’appel de l’Ontario infirme la décision. Morgentaler demande à la Cour suprême d’entendre l’affaire.

Jugement[modifier | modifier le code]

Le 28 janvier 1988, la Cour suprême du Canada déclare inconstitutionnel l'article 251 du Code criminel et décriminalise l'avortement. Le docteur Henry Morgentaler avait soutenu que, aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, le Code criminel limitait la liberté d’une femme[5]. La cour a conclu que la loi n’était pas appliquée de façon égale dans l’ensemble du pays, ce qui allait à l’encontre de la garantie de sécurité de la personne prévue à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[6],[2] Depuis ce jugement, il n'y a pas eu de législation encadrant l'avortement au Canada.

La Cour suprême n'a pourtant pas établi a contrario que l'avortement est un droit constitutionnel[2]. « Il n’est pas nécessaire, pour les besoins de l’espèce, d’évaluer ou de déterminer les “droits du fœtus” en tant que valeur constitutionnelle indépendante ».

L’arrêt comprend trois opinions distinctes de la majorité et une opinion dissidente. La majorité des juges considère que l’article 251 du Code criminel porte atteinte au droit de la femme à la sécurité de sa personne, et le processus par lequel la femme est privée de ce droit n’est pas conforme aux principes de la justice fondamentale (article 7 de la Charte) et que l’atteinte au droit de la femme enceinte à la sécurité de sa personne n’est pas proportionnée à l’objectif de protéger le fœtus. Seule la juge Bertha Wilson s’est prononcée en faveur du droit de la femme à l’avortement, et ce, seulement pendant le premier trimestre de la grossesse. Deux juges dissidents, McIntyre et La Forest, par contre, ont estimé que : « sous réserve des dispositions du Code criminel qui autorisent l’avortement lorsque la vie ou la santé de la mère est en danger, aucun droit à l’avortement ne saurait se trouver dans le droit, la coutume ou les traditions ayant cours au Canada, et […] la Charte, y compris l’art. 7, ne crée aucun droit supplémentaire »[7],[8],[9].

Conséquences[modifier | modifier le code]

Projet de loi C-43[modifier | modifier le code]

Cette décision de justice a permis une dépénalisation de l'avortement. Mais en mai 1990 la Chambre des communes du Canada a souhaité revenir sur cette décision de justice avec le projet de loi C-43. Ce projet visait à criminaliser l'avortement en se basant sur l'article 251 du Code criminel.

En 1989, le projet de loi C-43 est déposé par le gouvernement progressiste conservateur dirigé par Brian Mulroney. Il vise à restreindre l’avortement aux cas où il est nécessaire pour des raisons de santé, et imposant une peine d’emprisonnement maximale de deux ans pour les médecins qui enfreignent la loi. Selon ce projet de loi, l’avortement continue donc d’être une infraction criminelle, mais les motifs justifiant son autorisation sont très larges. Il est adopté le 29 mai 1990 par la Chambre des communes et est renvoyé ensuite au Sénat en vue d’un débat. Le Sénat rejette le projet de loi C-43 à égalité des suffrages[4].

Malgré quelques tentatives législatives, le Canada n’a adopté jusqu’à ce jour aucune restriction à l’avortement, qui est décriminalisé (dépénalisé et non légalisé) pendant les neuf mois de la grossesse jusqu’à la naissance[2].

R. c. Morgentaler (1993)[modifier | modifier le code]

En mars 1989, alors que Morgentaler annonce l’ouverture d’une clinique d’avortement à Halifax (Nouvelle-Écosse), le gouvernement de cette province essaie de lui faire obstacle en adoptant des dispositions  interdisant de pratiquer un avortement ailleurs que dans un hôpital agréé ainsi qu'un règlement excluant l'assurance‑maladie pour les avortements pratiqués ailleurs que dans les hôpitaux. Morgentaler est alors inculpé mais le juge conclut que les textes échappent à la compétence législative de la province parce qu'ils ressortent, de par leur caractère véritable, au droit criminel.  La Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse confirme l’acquittement en 1991.

La Cour suprême du Canada est saisie en 1993 (R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463)[10]. Elle confirme les décisions précédentes, le pourvoi est rejeté le 30 septembre 1993 et Morgentaler, acquitté[9].

Le docteur Henry Morgentaler décède le 29 mai 2013 à l’âge de 90 ans[11].

Si l’avortement n’est plus considéré comme un acte criminel au Canada, plusieurs provinces ont pris des mesures pour en restreindre l’accès, sans que la loi criminelle ne soit impliquée[12],[13].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Martine Perrault et Linda Cardinal, "Discours juridique et représentation politique : le droit au choix en matière d'avortement" dans Femmes et représentation politique au Québec et au Canada, sous la direction de Manon Tramblay et Caroline Andrew, Montréal, Editions du remue-ménage, 1997, p. 197-215.
  • Louise Desmarais, La bataille de l’avortement. Chronique québécoise, Les éditions du remue-ménage, Montréal, 2016, p. 203-204
  • Divers entretiens sur Radio Canada avec le Docteur Morgentaler

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Jugements de la Cour suprême : R. c. Morgentaler, sur lexum.com, consulté le 22 juillet 2016.
  2. a b c et d « L'avortement légal au Canada », sur Avortement au Canada (consulté le )
  3. « Chronologie de l’avortement au Canada | L’avortement au Canada », sur avortementaucanada.ca (consulté le )
  4. a et b Service d'information et de recherche parlementaires, « L'avortement au Canada : Vingt ans après l'arrêt R. C. Morgentaler/prb0822-f », sur bdp.parl.ca (consulté le )
  5. « Les aspects juridiques de l’avortement au Canada », sur www.med.uottawa.ca (consulté le )
  6. Texte de la décision de la Cour suprême « Copie archivée » (version du sur Internet Archive), sur lexum.org, consulté le 22 juillet 2016.
  7. Karine Richer, « L'Avortement au Canada - Vingt ans après l'arrêt R.c. Morgentaler », Bibliothèque du Parlement,‎ , p. 1-41 (lire en ligne)
  8. « R. c. Morgentaler - Décisions de la CSC (Lexum) », sur scc-csc.lexum.com (consulté le )
  9. a et b Michael Hartney, « L'arrêt Morgentaler et l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés », Les Cahiers de droit 29(3),‎ , p. 775–793. (ISSN 0007-974X et 1918-8218, lire en ligne)
  10. « R. c. Morgentaler - Décisions de la CSC (Lexum) », sur scc-csc.lexum.com (consulté le )
  11. « Avortement: le Dr Henry Morgentaler laisse un héritage contesté - L'Express », sur l-express.ca (consulté le )
  12. (en-US) « Historic ruling in Morgentaler abortion case left a controversial 'legislative void' », National Post,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. « Abortion in Canada: Twenty Years After R. v. Morgentaler/prb0822 », sur www.parl.gc.ca (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]