Querelle médicale de 1765 en France sur la grossesse

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Le point de départ de la querelle médicale de 1765 en France sur la grossesse fut une discussion médico-légale. M. de Villeblanche, conseiller au Parlement de Bretagne, était intéressé à faire déclarer bâtard un enfant posthume, pour conserver un héritage à certains collatéraux. Quand cet enfant naquit, sa mère, Renée de Villeneuve, était veuve depuis dix mois et vingt jours; avait-il droit à la succession paternelle ? Telle fut l'origine du procès. Cette cause fit quelque bruit, surtout à cause des altercations qu'elle ne tarda pas à provoquer au sein du monde médical.

Pour la possibilité des grossesses prolongées[modifier | modifier le code]

Gravure d'Antoine Petit par A. Pujos d'après P. Laurent (1774)

Antoine Petit, membre de l'Académie des sciences, admit la possibilité des grossesses prolongées et publia à l'appui de sa thèse un Recueil de pièces relatives à la question des naissances tardives[1]. Exupère Joseph Bertin, Jean-Baptiste-Louis Chomel (1709-1765), Jacques Tenon, Jean Le Bas (1717-1797), furent du même avis, ainsi que Jacques Barbeu du Bourg, qui publia en 1765, à Amsterdam, ses Recherches sur la durée de la grossesse et le terme de l'accouchement.

Arguments de Barbeu du Bourg[modifier | modifier le code]

Jacques Barbeu du Bourg

Barbeu du Bourg soutient dans ses Recherches sur la durée de la grossesse et le terme de l'accouchement que la grossesse peut se prolonger au-delà du neuvième mois. D'abord il invoque des raisons physiques, et il lui suffit d'énumérer les causes qui provoquent le travail pour montrer qu'elles peuvent se manifester prématurément ou tardivement : parmi ces causes, les unes sont accidentelles, comme les traumatismes, les fatigues, etc.; les autres sont naturelles et tiennent tantôt aux conditions physiologiques dans lesquelles se trouve la mère (Barbeu insiste tout particulièrement à ce point de vue sur le retour de l'époque du processus cataménial), tantôt à l'état du fœtus. Ses organes se développent dans l'ordre de ses besoins, et nous n'avons aucune notion précise sur le temps qu'exige leur formation : il n'est pas illogique de penser que leur genèse peut se ralentir, leur fonctionnement se prolonger, retardant ainsi le terme de la grossesse.

« C'est seulement lorsque les parties appropriées au fœtus ne sont plus en état d'exercer librement leurs fonctions, ou que la place qu'il occupe n'est plus tenable pour lui, ou que la source d'où il tire ses sucs nourriciers est tarie, qu'il lui faut périr ou naître. »

— Jacques Barbeu du Bourg, Recherches sur la durée de la grossesse et le terme de l'accouchement

En second lieu, Barbeu du Bourg passe au relevé et à la critique des faits observés : la difficulté de connaître la date exacte de la conception est telle, les symptômes qui marquent les divers stades de la gravidité sont si incertains, que l'échéance classique des neuf mois n'est rien moins que prouvée; il croit donc pouvoir admettre, avec Aristote, Harvey, Haller et Buffon, que la prolongation de la grossesse jusqu'au onzième mois est rarissime, mais possible, et qu'il y en a eu des exemples authentiques.

En fin de compte, il expose en faveur de son opinion quelques probabilités tirées des variations très grandes et bien constatées qu'on observe dans la durée de l'incubation des oiseaux et du développement des œufs d'insectes, des germes végétaux. Il prend bien soin de remarquer en terminant que rien dans la jurisprudence ne contredit sa thèse, et que par conséquent les jurisconsultes, en s'abstenant de se prononcer, ont admis implicitement que le terme de la grossesse peut être retardé de façon à échapper à toute évaluation légale.

Contre la possibilité des grossesses prolongées[modifier | modifier le code]

Gravure de Michel Philippe Bouvart par B. L. Henriquez d'après F. Bourgoin (1776)

D'autre part, Antoine Louis et Jean Astruc restaient partisans de la fixation du terme à neuf mois. Le médecin Michel-Philippe Bouvart, très combatif, probablement en sa qualité de chevalier de l'ordre de Saint-Michel, se rangea de leur côté et prit très violemment à partie les dissidents. Il alla même jusqu'à composer en 1770 un libelle contre Antoine Petit. Antoine de Sartine le fit appeler, lui demanda des explications, et, sur son refus, l'avertit qu'il allait faire saisir son factum. Bouvart sortit et le prévint en allant retirer lui-même le ballot de chez le libraire. Quand la police arriva, le corps du délit avait disparu.

Mais ces procédés n'attirèrent pas beaucoup de sympathies au délinquant, et Grimm parle en fort mauvais termes de « ce Bouvart, tueur privilégié sur le pavé de Paris, [qui], quand il a expédié ses malades dans l'autre monde, est bien aise de dire par passetemps des injures à ses confrères ou de leur faire même de petits procès criminels. C'est lui qui a attaqué Tronchin, qui a accusé Bordeu d'avoir volé une montre et des manchettes à un mort et qui s'est colleté avec Petit » (Correspondance littéraire, 15 décembre 1769).

On comprendra que ce personnage n'ait pas été très sympathique à Barbeu, et cela explique les nombreuses attaques personnelles des Recherches sur la durée de la grossesse. À chaque note ce nom revient au bout d'une invective : « M. Bouvart, il faudrait réfléchir un peu avant de parler » (p.45) ; « M. Bouvart, il faut avoir perdu tout sentiment de pudeur » (p.54) ; « La raison d'Harvey s'y prête et la vôtre en est violemment offensée! M. Bouvart, votre raison et celle d'Harvey n'ont aucune analogie ensemble » (p.42).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Antoine Louis, Mémoire contre la légitimité des naissances prétendues tardives, dans lequel on concilie les lois civiles avec celles de l'économie animale, Paris, 1764
  • Jean Le Bas, Question importante. Peut-on déterminer un terme préfix pour l'accouchement, Paris, 1764 [2]
  • Antoine Louis, Supplément au Mémoire contre la légitimité des naissances prétendues tardives, 1764 [3]
  • Antoine Petit, Consultation en faveur de la légitimité des naissances tardives, Paris, 1765
  • Michel-Philippe Bouvart, Consultation contre la légitimité des naissances prétendues tardives, 1765 [4]
  • Jean Le Bas, Nouvelles observations sur les naissances tardives, Paris, 1765 [5]
  • Michel-Philippe Bouvart, Consultation sur une naissance tardive, pour servir de réponse 1°. à deux écrits de M. Le Bas, chirurgien de Paris ; l'un intitulé : Question importante, l'autre : Nouvelles observations ; 2°. à une Consultation de M. Bertin ; 3°. à une autre de M. Petit, tous deux de l'Académie royale des sciences, et docteurs-régents de la Faculté de médecine de Paris, Paris, 1765 [6]
  • Jean Le Bas, Lettre à Monsieur Bouvart, docteur en médecine de la Faculté de Paris, au sujet de sa dernière Consultation sur une naissance prétendue tardive pour servir de réponse 1°. aux deux écrits de M. Le Bas, chirurgien de Paris [etc.], Amsterdam, 1765 [7]
  • Jacques Barbeu du Bourg, Recherche sur la durée de la grossesse et le terme de l'accouchement Amsterdam, 1765. Anonyme, attribué à Barbeu par Vicq d'Azyr. [8]
  • Marie Prudence Plisson, Réflexions critiques sur les écrits qu'a produit la question de la légitimité des naissances tardives, La Veuve Duchesne, 1765 [9]
  • Antoine Petit, Recueil de pièces relatives à la question des naissances tardives, 2 vol., Première partie (contenant un Mémoire sur le mécanisme et la cause de l'accouchement ; des Observations sur ce que M. Astruc a écrit touchant les naissances tardives ; et une Consultation en faveur desdites naissances tardives), Amsterdam et Paris, 1766 [10] ; Seconde partie, contenant la lettre à M. Bouvart, pour servir de réponses à la critique qu'il a faite de la consultation précédente, Paris, 1766 [11]
  • Jean Le Bas, Réfutation des sentiments de Monsieur Bouvart, médecin de Paris, sur les naissances tardives, Amsterdam, 1766 [12]
  • Paul-Gabriel Le Preux, Lettre de Monsieur Lepreux docteur-régent de la Faculté de médecine en l'université de Paris à Monsieur Bouvart docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, 1770. Attribuée à Simon Bigex d'après la Correspondance littéraire [13]
  • Paul-Gabriel Le Preux, Seconde lettre de Monsieur Lepreux docteur-régent à Monsieur Bouvart docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris, Amsterdam, 1771 [14]

Source[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Les Mémoires pour l'histoire des sciences et beaux-arts en font un compte rendu très complet dans le numéro d'avril 1766, seconde partie, p.941-82. [1]