Privilège de secret d'État (États-Unis)

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L'affaire United States v. Reynolds (en) de 1953 impliquait une action au civil contre le gouvernement des États-Unis de veuves de militaires décédés lors d'un accident d'un B-29 Superfortress en 1948.

Le Privilège de secret d'État (State Secret Privilege) est une règle juridique aux États-Unis restreignant l'usage des preuves, créée par la règle du précédent. De façon générale, c'est une règle de common law, ayant été importée aux États-Unis depuis le droit britannique[1],[2].

Elle consiste à écarter des preuves lorsque la sécurité nationale est en jeu, sans que le tribunal ne puisse, la plupart du temps, examiner la validité du prétexte invoqué. Cependant, la règle a été de plus en plus souvent utilisée pour écarter non seulement des preuves, mais la totalité d'une affaire, terminant ainsi par un non-lieu.

À la suite de l'usage fréquent par l'administration Bush de ce privilège, le Parti démocrate a présenté en 2008 une proposition de loi, le State Secrets Protection Act (en), visant à limiter les cas d'invocation de ce privilège, tandis qu'Eric Holder, l'attorney general du président Barack Obama, a annoncé une révision de la politique de l'exécutif vis-à-vis du secret d’État afin de restreindre les cas d'invocation de cette règle.

Description de la règle du privilège[modifier | modifier le code]

L'exécutif demande alors au tribunal d'écarter des preuves lors d'un procès, sur la base d'un affidavit affirmant que l'examen judiciaire de ces preuves risquerait de mettre en danger la sécurité nationale en général, et des secrets défense en particulier (cas de United States v. Reynolds (en), 1953[3], première affaire lors de laquelle la Cour a formellement reconnu cette règle; on invoque parfois le procès de la conspiration de Burr, au début du XIXe siècle, comme origine historique de cette règle[1]).

Après une invocation par le gouvernement de ce privilège, le tribunal n'examine que rarement in camera (à huis clos) les preuves afin d'évaluer la légitimité du motif invoqué en faveur de sa non-révélation. Le matériel soumis à ce privilège est complètement retiré de l'affaire, et la Cour doit donc se contenter d'évaluer de quelle façon l'affaire est affectée par cette absence de preuves[4],[5].

Règles distinctes[modifier | modifier le code]

Cette règle ne vaut aujourd'hui que pour la procédure civile, ayant été formalisée en droit pénal par le Classified Information Procedures Act (en) (CIPA) de 1980, qui ne permet toutefois que d'empêcher l'examen de preuves de document tombant sous le régime de l'information classifiée (alors que dans le cas de la règle du privilège, un affidavit suffit à empêcher l'examen des documents, qu'ils soient effectivement classifiés ou non).

Elle se distingue aussi de la « règle Totten », dans laquelle la Cour s'abstient d'examiner une affaire en raison de la révélation de secret d’État à laquelle elle conduirait (du nom d'une affaire de 1875 (en) lors de laquelle la Cour suprême affirma que les tribunaux ne pouvaient connaître d'une affaire concernant un contrat entre un espion décédé et le président Lincoln, puisque cela aurait conduit à la révélation de secrets défense; cette affaire a été citée en 2005 dans Tenet v. Doe (en)). Enfin, elle ne concerne pas la publication d'information classifiée par la presse (voir, par exemple, New York Times Co. v. United States concernant la publication des Pentagon Papers lors de la guerre du Viêt-nam).

Actualité (administration Bush et Obama)[modifier | modifier le code]

Des détenus du camp de Guantánamo au camp X-Ray. . L'administration Bush a invoqué le privilège de secret d’État lors de procès concernant l'usage de la torture par le gouvernement américain.

L'administration Bush a invoqué à 47 reprises ce privilège, soit environ 6,4 fois par an, plus que le double que la moyenne (2,46) dans les 24 années précédentes[6]. Elle l'a fait en particulier pour le programme d'écoutes téléphoniques illégales de la NSA, le programme d'extraordinary renditions et celui concernant l'usage de la torture. La justice refusa ainsi de connaître de l'affaire ACLU v. NSA (en) de même que d'une affaire concernant le détenu fantôme allemand Khalid El-Masri et que d'une autre concernant le syrio-canadien Maher Arar, illégalement transféré en Syrie où il fut torturé.

De surcroît, l'Executive Order 13233 (en) du étendait aux anciens présidents des États-Unis, et non seulement au gouvernement en activité, la possibilité de faire appel à ce privilège. Ceci a notamment permis d'empêcher de rendre publics les papiers de Ronald Reagan. Ce décret exécutif fut abrogé le jour même de l'investiture de Barack Obama, le , par l'ordre exécutif 13 489.

Cet obstacle à la transparence a incité trois sénateurs démocrates, Ted Kennedy, Patrick Leahy et Arlen Specter, à déposer en 2008 une proposition de loi, baptisée State Secrets Protection Act (en), visant à limiter l'usage de ce privilège, notamment en contraignant l'administration à se soumettre à l'examen en huis clos par la Cour de la légitimité de l'invocation de cette règle.

L'administration Obama a également invoqué ce privilège, notamment dans l'affaire Mohammed vs. Jeppesen, une compagnie d'aviation civile utilisée par la CIA dans le cadre du programme d'extraordinary renditions[7],[8]. Toutefois, l'attorney general Eric Holder a annoncé une révision de la politique officielle d'usage de ce privilège afin d'en restreindre la portée en attendant que le State Secrets Protection Act soit voté[9].

Jurisprudence[modifier | modifier le code]

Affaires Sibel Edmond[modifier | modifier le code]

Ce privilège a été invoqué à deux reprises contre l'agente licenciée du FBI Sibel Edmonds, une fois lors d'un procès concernant des accusations d'Edmonds d'espionnage envers une de ses collègues, l'autre lors de son témoignage dans le cadre du procès Burnett v. Al Baraka Investment & Dev. Corp. de 2002, intenté par des familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001.

Affaire Horn[modifier | modifier le code]

Il a aussi été invoqué en 2005 dans l'affaire Richard Horn, un ex-agent de la DEA qui se plaignait d'avoir été espionné par la CIA, certains agents espérant l'écarter. Cela a conduit la Cour à s'abstenir de juger de l'affaire [10]. Bien que l'affaire fut rejugée en 2009, le privilège fut de nouveau accordé, et l'affaire se solda par un accord à l'amiable, Horn recevant 3 millions de dollars en compensation de l'État. Bien qu'ayant entériné l'usage du privilège, le juge Royce Lambert de la Cour d'appel du district de Columbia a critiqué en l'administration pour manque d'accountability (responsabilité), ayant des conséquences coûteuses du point de vue du contribuable[11].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a et b The State Secrets Privilege: Expanding Its Scope Through Government Misuse by Carrie Newton Lyons, the Lewis & Clark Law Review, published by Lewis & Clark Law School, Volume 11 / Number 1 / Spring 2007.
  2. The State Secrets Privilege and Executive Misconduct by Shayana Kadidal, one of the lead attorneys on the Center for Constitutional Rights, JURIST, May 30, 2006
  3. United States v. Reynolds
  4. Dangerous Discretion: State Secrets and the El-Masri Rendition Case par Aziz Huq, Directeur du Liberty and National Security Project au Brennan Center for Justice de la NYU School of Law, JURIST, 12 mars 2007
  5. Building the Secrecy Wall higher and higher par Glenn Greenwald, Unclaimed Territory, 29 avril 2006
  6. Secrecy Report Card 2008, rapport de l'ONG Open The Government, cité par Jaclyn Belcyzk, Holder orders DOJ review of US state secret assertions, JURIST, Université de Pittsburgh, 9 février 2009
  7. Jaclyn Belcyzk, Holder orders DOJ review of US state secret assertions, JURIST, Université de Pittsburgh, 9 février 2009
  8. Security secrets and justice, Washington Post, 13 septembre 2010 (éditorial)
  9. Christian Ehret, DOJ announces state secrets reform policies, JURIST, Université de Pittsburgh, 24 septembre 2009
  10. Andrew Zajac, Bush Wielding Secrecy Privilege to End Suits, Chicago Tribune, 3 mars 2005, cité par Carrie Newton Lyons (2007), art. cit.
  11. Jay Carmella, Federal judge chides US government over ex-DEA agent settlement, JURIST, Université de Pittsburgh, 31 mars 2010

Liens externes[modifier | modifier le code]