Premier choc pétrolier

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Un passant prenant connaissance des nouvelles concernant le rationnement de l'essence, en 1974.
Un panneau de 1973 : « Désolé, pas d'essence aujourd'hui »

Le premier choc pétrolier est une crise mondiale des prix du pétrole qui débute en 1971 à la suite du pic de production de pétrole des États-Unis et de l'abandon des accords de Bretton-Woods qui a pour effet une forte dévalorisation du dollar et donc des cours du pétrole qui sont libellés en dollars.

La crise économique induite est cependant souvent associée à ce choc à cause de la déclaration d'embargo de l'OPEP accélérant encore la hausse de prix du baril dans le contexte de la guerre du Kippour. D'octobre 1973 (date traditionnelle associée au début de la crise) à mars 1974, le prix du baril est quadruplé, passant de 2,59 à 11,65 dollars[1]. Les effets du « Premier choc pétrolier » se feront sentir jusqu'en 1978.

Contexte et causes

Le pic de production des États-Unis

Courbes de production et d'importation des États-Unis.

Pour certains historiens du marché du pétrole et certains spécialistes de l'industrie, la raison du premier choc pétrolier est tout simplement le fait que les États-Unis, premier producteur de l'époque, ont passé leur pic de production en 1971 (avant l'abandon de Bretton-Woods)[2]. L'ambassadeur américain James Akins, mandaté par le gouvernement américain pour évaluer l'état réel des réserves américaines en pétrole, montre en 1972 que les États-Unis n'ont alors plus la capacité d'augmenter encore leur production. Lors d'une adresse spéciale à l'attention du Congrès américain sur la politique énergétique, prononcée le 18 avril 1973 (c'est-à-dire 6 mois avant que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ne décide d'un embargo sur le pétrole), le président Nixon précise que :

« Notre demande en énergie a crû si vite qu'elle dépasse désormais notre approvisionnement disponible, et au rythme de croissance actuel, elle aura presque doublé par rapport à ce qu'elle était en 1970. Dans les quelques années qui viennent, il nous faut accepter la possibilité de pénuries d'énergie sporadiques et une certaine hausse du prix de l'énergie. [...] La production intérieure disponible de pétrole n'est désormais plus capable d'en suivre la demande. »[3],[2]

Selon le cheikh Ahmed Zaki Yamani, ministre saoudien du pétrole entre 1962 et 1986, ce sont les États-Unis eux-mêmes, par le biais d'Henry Kissinger (Secrétaire d'État du gouvernement Nixon), qui souhaitaient que le prix du pétrole augmente fortement[2]. Cette hausse du prix devait permettre de rendre rentable l'exploitation des champs de pétrole non conventionnels situés sur le sol américain. Dans son discours du 18 avril 1973, Richard Nixon évoque en particulier le développement des champs de pétrole et de gaz situés dans le golfe du Mexique, le plateau continental atlantique et le golfe de l'Alaska, et le développement des schistes bitumineux (« oil shales »). C'est d'ailleurs James Akins qui, le premier, lors d'une réunion de l'OPEP à Alger (Algérie) en mai 1972, évoque officiellement la possibilité d'un prix du baril à 4 ou 5 dollars, soit le double du prix du baril de l'époque[2] (alors que jusque-là, les responsables des pays arabes n'avaient envisagé que des hausses de quelques dizaines de centimes, comme la Libye, en 1971, avec une hausse de 40 centimes du prix du baril).

La fin du système monétaire de Bretton Woods

Pour beaucoup d'économistes, le premier choc pétrolier en 1973 est la conséquence directe de la réaction de l'OPEP à la forte baisse du dollar après la fin des accords de Bretton Woods. Le 15 août 1971, les États-Unis suspendent la convertibilité du dollar en or permettant au dollar de « flotter ». Le système des taux de change fixes s'écroule définitivement en mars 1973 avec l'adoption du régime de changes flottants. Le résultat en est une dépréciation de la valeur du dollar américain, monnaie dans laquelle les prix du pétrole sont fixés et a pour conséquence pour les producteurs de pétrole un revenu inférieur pour le même prix nominal. Le cartel de l'OPEP publie un communiqué conjoint indiquant que dorénavant, le prix du baril de pétrole serait fixé par rapport à l'or. Après 1971, l'OPEP est lente à rajuster les prix pour tenir compte de cette dépréciation. De 1947 à 1967, le prix du pétrole en dollars américains a augmenté de moins de 2 % par an. Jusqu'au choc pétrolier, le prix est resté relativement stable par rapport aux autres devises et matières premières qui sont soudainement devenues très volatiles par la suite. Les ministres de l'OPEP n'avaient pas élaboré de mécanismes institutionnels permettant de mettre à jour rapidement ces prix pour suivre l'évolution du marché, de sorte que leur revenu réel connut un décalage de plusieurs années par rapport aux autres matières premières. Les hausses de prix substantielles de 1973-1974 ont largement rattrapé ces écarts de revenus en comparaison d'autres produits tels que l'or[4].

Une crise économique déjà présente

La crise économique de 1973 n'est pas due à la guerre du Kippour et aux décisions de l'OPEP, mais leur préexiste. La brutale hausse du pétrole ne fait qu'aggraver une situation internationale déjà dégradée[5].

Déroulement des faits

Des tickets de rationnement d’essence aux États-Unis, dus à la crise pétrolière de 1973.
Station essence reconvertie en centre prosélyte du réveil religieux, à Potlatch (État de Washington).

Les États-Unis, premier producteur de l'époque, atteignent leur pic de production pétrolière en 1971, ce qui amène aux premières pénuries aux États-Unis.

L'Arabie saoudite réalise alors 21 % des exportations mondiales de brut. Le roi Fayçal, pourtant ami des Américains, déplore leur soutien inconditionnel à Israël qui met en danger selon lui les régimes arabes, entre autres celui de Sadate en Égypte. Lors de la guerre du Kippour, Richard Nixon approvisionne en armement l'État hébreu qui fait face à l'attaque égypto-syrienne ravitaillée par les Soviétiques. En réponse, les pays du Golfe augmentent unilatéralement, sans l'accord des compagnies, de 70 % le prix affiché du baril de brut.

Guerre du Kippour

Le 6 octobre 1973, la majorité des habitants de l’État hébreu célèbre Yom Kippour, le jour le plus sacré du calendrier juif. C’est le moment choisi par une coalition arabe menée par l'Égypte et la Syrie pour lancer une attaque militaire surprise[6] en réponse à la défaite de la guerre des Six Jours qui opposa, du 5 au 10 juin 1967, Israël à l'Égypte, la Jordanie, la Syrie et l'Irak dans l'espoir de récupérer par la force les territoires conquis par Israël, la péninsule du Sinaï et le plateau du Golan en particulier. L'offensive éclair déstabilise dans un premier temps Israël mais Tsahal parvient rapidement à rétablir la situation. L’aide militaire américaine, marquée par des livraisons d’armes par pont aérien à partir du 14 octobre 1973, a permis à l’État hébreu de débloquer une situation critique. La réaction arabe face à l'intervention américaine ne se fait pas attendre.

Les 16 et 17 octobre 1973, pendant la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l'OPEP, alors réunis au Koweït, décident d’augmenter unilatéralement de 70 % le prix du baril de brut et une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière jusqu'à évacuation des territoires occupés et reconnaissance des droits des Palestiniens[7]. Le 20 octobre, Fayçal décide un embargo total sur les livraisons destinées aux États-Unis, puis aux Pays-Bas, États « qui soutiennent Israël »[8] L’embargo ne sera levé que 5 mois plus tard mais la sanction est là.

Les revendications des pays arabes portent sur :

  • l'augmentation importante du prix du brut et plus précisément la quote-part de ce prix revenant aux « États producteurs » ;
  • le contrôle absolu des niveaux de la production afin de maintenir un prix « artificiellement » élevé du brut ;
  • la participation croissante, de la part de ces pays, aux opérations de production entraînant la disparition progressive du brut revenant aux sociétés concessionnaires (dit « brut de concession ») au profit du brut qui revient à l'« État hôte » (dit « brut de participation ») ;
  • le financement de la cause arabo-palestinienne et la reconnaissance d'un peuple palestinien jusqu'alors peu populaire en Europe : le ministre du pétrole saoudien déclarait le 26 novembre 1973 à la télévision française dans l'émission Actuel 2 : « si vous ne changez pas votre politique [de soutien à Israël], l’Europe va souffrir »[9].

Le prix du baril sur le marché libre passe de 3 à 18 dollars en quelques semaines. Fin décembre, les pays de l'OPEP réunifient le prix du baril à 11,65 $. Entre le mois d'octobre 1973 et le mois de janvier 1974, le prix du baril du brut de référence qu'est l'« Arabe léger », est quadruplé, passant de 2,32 $ à 9 $. Dans ce prix, l'« État producteur » prélève, en 1973, 2,09 $/baril et 8,7 $/baril en janvier 1974 soit plus de quatre fois plus.

La pénurie suscite une sorte de panique ; les prix poursuivent leur ascension vertigineuse : ils quadruplent à la suite des augmentations d'octobre et de décembre. Les pays consommateurs réagissent d'une manière désordonnée, cherchant à tirer leur épingle du jeu. L'Agence internationale de l'énergie (AIE), créée à cette occasion, n'est pas en mesure d'établir un certain ordre et ce sont les grandes compagnies elles-mêmes qui sont chargées de répartir le rationnement d'une manière égale en jouant sur les sources d'approvisionnement arabes et non arabes.

Certains pays arabes souhaitent une réduction de la production pour maintenir les prix à la hausse, mais les États-Unis refusent cette perspective. Ils tentent de constituer un cartel international de consommateurs face à l'OPEP mais échouent en raison de l'opposition de la France. Pour s'opposer à toute diminution de la production, les États-Unis sont prêts à intervenir militairement dans la péninsule arabique pour prendre le contrôle des principaux champs pétrolifères. À défaut d'une intervention, ils sont disposés à faire de l'Iran le gendarme du golfe Persique.

Après le VIe sommet arabe d'Alger (du 26 au 28 novembre 1973), les États-Unis doivent infléchir leur politique jugée trop favorable à Israël, tout comme l'Europe occidentale et le Japon. Le 18 mars 1974, Sadate obtient la levée de l'embargo.

Classification des pays

Après la réunion de l’OPAEP du 5 novembre 1973, à Koweït, il fut décidé de classer les pays[10] :

  • Pays amis : Tous les pays qui acceptaient de déclarer qu’Israël devait libérer les territoires occupés en 1967 et 1973. C’est-à-dire tous les pays africains (à l’exception de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie), les pays asiatiques et d’Amérique du Sud, les pays socialistes, ainsi que la France et l’Espagne ;
  • Pays ennemis : Essentiellement les États-Unis et les Pays-Bas ;
  • Pays neutres : Les autres pays.

Résultats à long terme

De fait, l'OPEP ne retrouvera plus avant longtemps, un tel niveau de puissance sur le plan économique et politique et les objectifs affichés de l'embargo ne seront pas atteints. Les politiques d'amélioration du rendement énergétique et une diversification des sources d'énergie se mettent en place à partir de ce moment-là. En particulier, les pays développés cessent de brûler massivement du pétrole pour produire de l'électricité : la France, par exemple, se lance dans un programme massif de constructions de centrales nucléaires, tout comme le Japon. Elle essaie aussi de remplacer le fioul par l'électricité pour le chauffage des bâtiments. L'Italie et le Royaume-Uni, de leur côté, choisissent de privilégier le gaz pour le chauffage des bâtiments et la production électrique, tandis que l'Allemagne choisit de panacher charbon, gaz et nucléaire pour sa production électrique et d'utiliser plutôt du gaz pour chauffer ses bâtiments.

Le nucléaire ne modifiera pas la dépendance au pétrole, mais permettra une alternative énergétique à cette dépendance qui trouvera un écho dans le monde entier.

Une grande partie des difficultés de la décennie 1970 sera portée sur le dos de la hausse des prix du pétrole, mais le deuxième choc pétrolier n'aura pratiquement aucun effet sur la conjoncture globale[11]

Notes et références

  1. (en) J. C. McVeigh, Energy around the world: an introduction to energy studies, global resources, needs, utilization, Pergamon Press, , p. 62.
  2. a b c et d La face cachée du pétrole, documentaire de Patrick Barberis, d'après le livre éponyme d'Éric Laurent, Arte édition : Partie 1 et Partie 2 sur Dailymotion [vidéo]
  3. « Our energy demands have grown so rapidly that they now outstrip our available supplies, and at our present rate of growth, our energy needs a dozen years from now will be nearly double what they were in 1970. In the years immediately ahead, we must face up to the possibility of occasional energy shortages and some increase in energy prices. ... Domestic production of available oil is no longer able to keep pace with demands. »(en) « Richard Nixon: "Special Message to the Congress on Energy Policy.," April 18, 1973. Online by Gerhard Peters and John T. Woolley. », The American Presidency Project,
  4. Black Gold, The End of Bretton Woods and the Oil-Price Shocks of the 1970s David Hammes Douglas Wills, The Independent Review, Vol. IX Num. 4, Printemps 2005
  5. Didier Dufau, L'étrange désastre. Le saccage de la prospérité, CEE, 2015, p. 106
  6. Anne-Lucie Chaigne-Oudin, « Guerre du Kippour (6 octobre-16 octobre 1973) », sur www.lesclesdumoyenorient.com, (consulté le ).
  7. Perspective Monde, « Début du premier «choc pétrolier» », sur www.perspective.usherbrooke.ca (consulté le ).
  8. (en)History.com, « OPEC states declare oil embargo », sur www.history.com (consulté le ).
  9. Pétrole : les pays arabes s'expliquent - Émission Actuel 2 du 26 novembre 1973, archives de l'Ina [vidéo]
  10. Hocine Malti, Histoire secrète du pétrole algérien, La Découverte 2010, pp. 217-218
  11. Dufau, ibid, p.111

Annexes

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Articles connexes

Bibliographie

Lien externe