Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme

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Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme
Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme.
Artiste
Date
Type
Technique
Dimensions (H × L)
260 × 195 cm
Mouvements
No d’inventaire
1977.10Voir et modifier les données sur Wikidata
Localisation

Le Portrait d'Antoine Lavoisier et de sa femme est un tableau peint par Jacques-Louis David en 1788. Il représente le chimiste Antoine Lavoisier et Marie-Anne Pierrette Paulze, son épouse et collaboratrice.

Historique de l'œuvre[modifier | modifier le code]

Le tableau est commandé à David par Marie-Anne Pierrette Paulze, qui a suivi des cours particuliers avec l'artiste[1], et payé le , au prix de 7 000 livres tournois[1]. L'analyse spectroscopique du tableau a révélé, sous la version définitive, une première version dans laquelle Madame Lavoisier est coiffée d'un imposant chapeau à la Tarare, à rubans et fleurs[2],[3]. L'accessoire de mode ayant connu une forte popularité à l'automne 1787, il est probable que le travail du peintre a commencé cette même année[4]. Achevé à temps pour le Salon de 1789, il n'y est cependant pas présenté à la demande de Lavoisier, associé alors à un scandale politique[5].

En 1836, année du décès de Marie-Anne, le Portrait est légué à sa petite-nièce. Le tableau reste dans la collection de la comtesse de Chazelles et de ses descendants, au château de la Canière près de Thuret (Puy-de-Dôme), jusqu'en 1924. Il est acheté par John Davison Rockefeller qui le donne en 1927 à l'Institut Rockefeller pour la recherche médicale. Le portrait est acquis en 1977 par les époux Wrightsman, qui en font don au Metropolitan Museum of Art de New York[1]. Il est décrit par le Met comme « le meilleur portrait néoclassique au monde »[6].

Description de l'œuvre[modifier | modifier le code]

Le tableau est un double portrait remarquable par ses grandes dimensions (259,7 cm sur 196 cm), traditionnellement réservées aux représentations des personnes royales plutôt qu'aristocratiques. Il montre le couple dans le bureau du chimiste, probablement à l'hôtel du Grand Arsenal à Paris[7].

Sur un arrière-plan constitué d'une portion d'un mur en faux marbre orné de trois pilastres de style antique et d'un sol en parquet, au centre de la composition, le couple fait face au spectateur.

Se tenant debout, Marie-Anne Pierrette Paulze, le corps de profil, la tête de trois-quarts et coiffée d'une perruque blanche bouclée, regarde le spectateur. Elle est habillée à la mode de la fin du XVIIIe siècle d'une robe en mousseline blanche à col en dentelle, et ceinte d'une ceinture de tissu bleu ; elle s'appuie sur l'épaule de son époux et sa main droite est posée sur le rebord de la table. Sa posture en fait apparemment le personnage dominant de l'œuvre : « Pour Lavoisier, soumis à vos lois / Vous remplissez les deux emplois / Et de muse et de secrétaire » (vers de Jean-François Ducis[8]), mais la division demeure sensible entre l'homme au coeur de l'activité scientifique et la femme en charge du compte-rendu et du rôle relationnel qu'elle tient par son salon à l'Arsenal[9].

Antoine Lavoisier est assis à ses côtés, il est habillé d'un costume noir (veste, culotte française, bas et chaussure à boucle), les manches de la chemise et le foulard sont les seuls éléments d'habillement blancs. Son visage est tourné de trois-quarts vers son épouse et il lève les yeux vers celle-ci. Il porte une perruque poudrée, son bras gauche est accoudé sur la table, de sa main droite il écrit sur une feuille de papier avec une plume d'oie. On voit sa jambe droite étendue en avant, dépasser de la table.

La table est recouverte d'une nappe de tissu rouge écarlate ; dessus sont posés plusieurs feuilles de papier, un coffret, un encrier avec deux plumes d'oie, et trois instruments de chimie : un baromètre, un gazomètre, une cuve à eau, ainsi qu'un ballon de verre et un robinet d'arrêt sur le sol près de la nappe ; ces instruments servaient à Lavoisier pour ses études sur les gaz et l'eau.

À l'extrême gauche du tableau, on aperçoit un fauteuil sur lequel sont posés une pièce de tissu noir et un carton à dessin avec des feuilles qui dépassent ; ce carton rappelle que la femme de Lavoisier réalise les dessins des expériences de son mari et qu'elle est une ancienne élève du peintre David[7]. Le tableau est signé, en bas à gauche : L DAVID, PARISIIS ANNO, 1788.

Analyse et interprétation : d'un sens à l'autre dans une époque mouvementée[modifier | modifier le code]

L'esprit des Lumières[modifier | modifier le code]

Par son esthétique néoclassique, le tableau fait le choix de la raison, du stoïcisme et de la morale qui sont en faveur à la fin du XVIIIe siècle[10]. À l'arrière-plan, le décor est simple : le mur est orné de plusieurs pilastres qui donnent une impression de verticalité et rappellent ce que le style néoclassique doit au monde romain[11]. La lumière vient du coin en haut à gauche et éclaire la robe blanche de madame Lavoisier. Parmi les lignes directrices figure celle qui part du coin en bas à droite et qui traverse le tableau en oblique, en passant par le pli et le bras de madame Lavoisier.

Le tableau est aussi représentatif de l'esprit des Lumières en ce qu'il montre un couple moderne[8] dans lequel la femme est debout alors que le mari est assis. Les instruments de mesure mettent en avant le Lavoisier scientifique éminent qui fit progresser les connaissances en chimie et en physique. Le carton à dessin figuré à gauche du tableau rappelle clairement le rôle de madame Lavoisier dans la diffusion des travaux de son époux. L'oeuvre renvoie ainsi l'image, peut-être construite pour susciter la sympathie à l'aube de la Révolution, d'un Lavoisier penseur vertueux ancré dans la rationnalité, l'époux n'oubliant pas de manifester respect et affection pour son épouse dont ni la présence, ni les réalisations ne sont ignorées[2].

Deux versions, deux messages[modifier | modifier le code]

En 2021, des analyses spectroscopiques ont cependant mis en évidence, cachée sous la version définitive, une version initiale du tableau différant profondément, sur le fond comme sur la forme, du rendu final[4]. La première version de l'oeuvre ne change pas la position des personnages, mais elle offre au regard un couple de l'élite aristocratique aisé et mondain, affichant une réussite matérielle issue de la fonction de fermier général de Lavoisier[12],[13]. Son statut est souligné par des emprunts à la mode la plus luxueuse de l'époque, soit pour Madame Lavoisier des bijoux et un large chapeau de type Tarare orné de rubans, plumes et fleurs, et pour son époux un manteau rouge tombant au sol depuis son épaule gauche. Aucune référence scientifique n'est visible bien qu'un globe terrestre, posé sur un bureau découvert richement orné de bronze, équilibre la scène. Les cartons à dessin ne sont pas encore présents. En arrière-plan, un élément de bibliothèque accueille des livres.

C'est pour la version connue aujourd'hui que les attributs vestimentaires sont ensuite modifiés (le chapeau disparaît en même temps que Lavoisier est doté d'un vêtement sombre et sobre) et que l'instrumentation scientifique est ajoutée, réinventant profondément le sens de l'oeuvre autour des valeurs de progrès et de connaissance et estompant l'opulence de la scène[14]. Une nappe rouge recouvre également le bureau, ne laissant plus apparaître qu'une jambe, redessinée, du chimiste et offrant au ballon de verre un arrière-plan neutre et valorisant. La bibliothèque laisse place à un mur nu, fond dépouillé qui ne retient plus l'oeil. Le carton de madame Lavoisier apparaît.

Décrite comme une démonstration de l'excellence technique de David[7], cette refonte témoigne aussi de l'évolution rapide des valeurs et enjeux dans la période prérévolutionnaire où le tableau a été créé et où les classes les plus aisées de la sphère socio-économique devenaient objet d'hostilité. Il reste cependant difficile de savoir pourquoi et qui, du peintre ou du couple, a dirigé ces modifications, entre célébration d'un monde nouveau et crainte d'être associé à l'ancien[6],[2],[15].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Stéphane Blond, « Lavoisier et sa femme | Histoire et analyse d'images et œuvres », sur histoire-image.org, (consulté le )
  2. a b et c Jean Dubreil, « Pour lui éviter la guillotine, le célèbre peintre David a caché les signes extérieurs de richesse de Lavoisier dans son portrait | Artmajeur Magazine », sur www.artmajeur.com, Artmajeur Magazine (consulté le )
  3. Aurore Chery, « Les Lavoisier et la question du financement de la Révolution », sur À travers champs, (consulté le )
  4. a et b Silvia A. Centeno, Dorothy Mahon, Federico Carò et David Pullins, « Discovering the evolution of Jacques-Louis David’s portrait of Antoine-Laurent and Marie-Anne Pierrette Paulze Lavoisier », Heritage Science, vol. 9, no 1,‎ , p. 84 (ISSN 2050-7445, DOI 10.1186/s40494-021-00551-y, lire en ligne, consulté le )
  5. « Jacques Louis David | Antoine Laurent Lavoisier (1743–1794) and Marie Anne Lavoisier (Marie Anne Pierrette Paulze, 1758–1836) », sur The Metropolitan Museum of Art (consulté le )
  6. a et b « Le MET lève le voile sur la première version du portrait des Lavoisier par Jacques-Louis David », sur The Art Newspaper, (consulté le )
  7. a b et c Michel Biard, Philippe Bourdin, Silvia Marzagalli, Révolution, Consulat, Empire 1789-1815 (tome 9 de Joël Cornette (dir.), Histoire de France), Belin, 2009, p. 552-553.
  8. a et b (en) Metropolitan Museum, « Antoine Laurent Lavoisier and His Wife (Marie Anne Pierrette Paulze », sur metmuseum.org (consulté le )
  9. Michel Lette, « 1889 ♦ couple Lavoisier (tableau) », sur La Lucarne, (consulté le )
  10. « Le néoclassicisme en 2 minutes », sur Beaux Arts (consulté le )
  11. « Le secret d'un des portraits les plus célèbres du peintre Jacques-Louis David enfin révélé », sur lejdd.fr, (consulté le )
  12. « Les dessous (trop) chics des Lavoisier », sur Le Point, (consulté le )
  13. « Des chimistes percent le secret d’un portrait de Lavoisier - Le Temps », Le Temps,‎ (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
  14. « Au Met, la découverte d'une composition cachée pendant 233 ans bouleverse le sens d'un tableau de David », sur Connaissance des Arts, (consulté le )
  15. Cassandre Hugue, « Les secrets dévoilés des époux Lavoisier », sur www.scienceshumaines.com (consulté le )

Liens externes[modifier | modifier le code]

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