Pilier des Nautes

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Pilier des Nautes
Pilier des Nautes : les dieux Tarvos trigaranus sous l'aspect d'un taureau et Vulcain.
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Le pilier des Nautes est une colonne monumentale gallo-romaine érigée en l'honneur de Jupiter par les Nautes de Lutèce au Ier siècle, sous le règne de l'empereur Tibère. Découvert au XVIIIe siècle dans le sous-sol de la cathédrale Notre-Dame de Paris, il est exposé dans la salle du frigidarium des thermes de Cluny.

Histoire et découverte[modifier | modifier le code]

Le pilier fut érigé en l'honneur de Jupiter par les Nautes de Lutèce. Sa dédicace, qui mentionne Tibère, permet de le dater du Ier siècle, cet empereur romain ayant régné entre et .

Au IIIe siècle, les quatre blocs de pierre qui formaient le pilier furent brisés en deux et utilisés pour renforcer les fondations des murs le long de la Seine. Au fil du temps, l'île de la Cité s'est légèrement agrandie de sorte que les quais du IIIe siècle se trouvent désormais à une douzaine de mètres des rives du fleuve moderne[1].

La cathédrale Saint-Étienne fut fondée par Childebert en sur l'emplacement du temple gallo-romain ; la cathédrale Notre-Dame de Paris fut à son tour construite au-dessus en .

Le pilier fut mis au jour lors de la construction d'une crypte sous la cathédrale Notre-Dame le , lors des fouilles entreprises pour la réalisation du vœu de Louis XIII[2]. Toutes les pièces du pilier n'ont pas été retrouvées ; pour trois des quatre niveaux, nous n'avons que la moitié supérieure.

« Tout Paris a été les voir » a rapporté Baudelot, membre de l'Académie des médailles et auteur d'une Description des bas-reliefs anciens trouvez depuis peu dans l'église cathédrale de Paris[3],[4].

Les plus brillants esprits du temps s'interrogèrent sur les inscriptions révélées ; ainsi le philosophe Gottfried Wilhelm Leibniz échangea avec Sophie de Hanovre une correspondance sur la portée philologique de cette découverte[3].

C'est à ce jour le plus ancien monument autochtone daté de Paris[5],[6],[7],[8].

Description[modifier | modifier le code]

Le pilier, haut de cinq mètres, est constitué d'un piédestal supportant quatre blocs. Ceux-ci, de forme cubique, en pierre de l'Oise, sont ornés sur leur quatre faces de bas-reliefs représentant diverses scènes, ainsi que des divinités gauloises et romaines. L'un de ces blocs comporte une dédicace.

Si les blocs ont pu être interprétés par le passé comme des autels, ils sont empilés pour former un pilier dans la reconstitution la plus récente par Jean-Pierre Adam[10],[11].

Inscription[modifier | modifier le code]

L'inscription latine.

Le pilier porte une dédicace en latin à Jupiter, qualifié de très bon, très grand, selon une formule de l'époque.

La dédicace mentionne aussi l'empereur Tibère, fils adoptif d'Auguste[3]. On ignore s'il y cité pour lui dédier le monument, en plus de Jupiter, auquel cas son nom serait décliné au datif (« À Tibère »), ou s'il s'agit seulement d'une indication temporelle, à l'ablatif (« Sous Tibère »). En effet, dans le groupe nominal désignant l'empereur, « Tib(erio) Cæsare Aug(usto) », le seul mot qui diffère entre ces deux cas est Cæsare, dont la désinence e est certes celle de l'ablatif en latin classique, mais également une forme archaïque du datif, encore en usage à cette époque en Gaule (en latin classique, le datif serait Cæsari)[12].

TIB(ERIO) CAESARE
AVG(VSTO) IOVI OPTVMO
MAXSVMO
NAVTAE PARISIACI
PVBLICE POSIERVNT

Sous / À Tibère César
Auguste, à Jupiter très bon,
très grand,
les Nautes du territoire des Parisii,
aux frais de leur caisse commune, ont érigé (ce monument).

Les Nautes sont une confrérie d'armateurs mariniers naviguant sur les fleuves et rivières de la Gaule. Il devait s'agir d'armateurs ou de commerçants assez aisés, puisque c'est dans leurs rangs que les autres confréries navigantes (dendrophores, utriculaires) choisissaient habituellement leurs patrons.

L'inscription latine montre que les Nautes avaient une caisse commune et donc une personnalité morale, ce qui en fait la première société dont on ait trace à Paris.

Bas-reliefs[modifier | modifier le code]

Maquette de reconstitution du pilier des Nautes au musée de Cluny.

Un indice de la puissance des Nautes est donné par une des sculptures du pilier : on les voit défiler en armes avec boucliers et lances, privilège octroyé par les Romains, ce qui est exceptionnel moins d'un demi-siècle après la conquête de la Gaule[13].

Les autres sculptures représentent des dieux des panthéons romain et gaulois.

Sont représentés pour le panthéon romain :

  • Jupiter, portant le foudre, accompagné de l'aigle ;
  • Mars, le guerrier, cuirassé et armé, son manteau de général, la paludamentum, replié sur le bras ;
  • le forgeron Vulcain,
  • Mercure, protecteur du commerce ;
  • Fortuna, qui donne chance ;
  • Vénus, qui favorise la fécondité ;
  • les Dioscures Castor et Pollux, patrons de la cavalerie.


Sont représentés pour le panthéon gaulois :

  • Ésus, dieu de la guerre, de l'agriculture, du commerce ;
  • Smertrios, dieu de la guerre, lèvant sa massue pour tuer un serpent ;
  • Tarvos trigaranus, symbole de la royauté, de la force, représenté sous la forme d'un taureau ;
  • Cernunnos, dieu de la nature, des forêts, représenté avec des bois de cerf.


Interprétation[modifier | modifier le code]

Selon l'historienne Anne Lombard-Jourdan, les Nautes cherchaient en édifiant le pilier à montrer aux peuples de la Gaule conquise la voie de la coopération avec les Romains, qu'il était désormais raisonnable de suivre. En dédiant le pilier à Jupiter, ils montraient qu'ils agréaient la religion des Romains tout en affirmant leur fidélité aux cultes indigènes par la mention de dieux gaulois[14]. La construction du pilier est contemporaine de l'interdiction des assemblées de druides. En donnant une figure humaine aux dieux gaulois, les Nautes contribuaient à ruiner la position d'intermédiaires des druides entre les dieux et les hommes[15]. Pour Anne Lombard-Jourdan, le pilier aurait été situé au Lendit, à proximité du lieu où se seraient réunis selon elle les druides des Gaules[16] (d'après les plans les plus anciens, dont celui de Charles Inselin en , il aurait existé un lieu-dit « le Pilier », à proximité d'une rue du Pilier, à Aubervilliers).

Un projet de reconstitution du pilier des Nautes sur l'île de la Cité a été lancé en par l'association Gladius Scutumque[17],[8] (« glaive et bouclier »).

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Venceslas Kruta, « Le quai gallo-romain de l'Île de la Cité de Paris », Cahiers de la Rotonde, Commission du Vieux Paris, vol. 6,‎ , p. 6–34.
  2. Busson 1998.
  3. a b et c Alexis Charniguet et Anne Lombard-Jourdan, Cernunnos, dieu Cerf des Gaulois, Paris, Larousse, coll. « Dieux, mythes & héros », , 238 p. (ISBN 978-2-03-584620-4), p. 14.
  4. Baudelot de Dairval 1711.
  5. Henriette Walter, Minus, lapsus et mordicus : Nous parlons tous latin sans le savoir, Paris, Éditions de Noyelles et Robert Laffont, , 315 p. (ISBN 978-2-286-08615-2 et 978-2-221-13342-2, lire en ligne).
  6. « Le pilier des Nautes », sur panoramadelart.com, RMN-Grand Palais, (consulté le ).
  7. Florence Saragoza, « Savoir plus : Le pilier des Nautes », sur jfbradu.free.fr, (consulté le ).
  8. a et b « Le pilier des Nautes de Lutèce, le plus ancien monument de Paris », sur pilierdesnautes.paris (consulté le ).
  9. Michel Félibien (éd. rev., augm. et mise à jour par Guy Alexis Lobineau), Histoire de la ville de Paris, t. 1, Paris, Guillaume Desprez et Jean Desessartz, , pl. insérée entre les p. cxxviii et cxxix [lire en ligne].
  10. Jean-Pierre Adam, « Essai de restitution », p. 299–307, dans Lavagne 1984.
  11. Titus A.S.M. Panhuysen, « À propos du pilier tibérien de Nimègue », dans Hélène Walter (dir.), La sculpture d'époque romaine dans le nord, dans l'est des Gaules et dans les régions avoisinantes : Acquis et problématiques actuelles (actes du colloque international de Besançon,  – , à l'initiative de l'Université de Franche-Comté et de l'Université de Bourgogne), Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, coll. « Annales littéraires / Art et archéologie » (no 45), , 396 p. (ISBN 2-913322-80-8), p. 17 [lire en ligne].
  12. Duval 1961b, p. 8  sq., cité par Jacques Heurgon, « Paul-Marie Duval, Les inscriptions antiques de Paris,  » (compte-rendu), Revue des études anciennes, t. 63, nos 3–4,‎ , p. 514–522 (518–519) (lire en ligne).
  13. Charniguet et Lombard-Jourdan 2009, p. 15.
  14. Anne Lombard-Jourdan, Montjoie et Saint-Denis ! Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, Presses du CNRS, , 392 p. (ISBN 2-87682-029-3), p. 107.
  15. Lombard-Jourdan 1989, p. 108.
  16. Lombard-Jourdan 1989, p. 105.
  17. « Le Pilier des Nautes de Lutèce », Dartagnans.

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Sources anciennes[modifier | modifier le code]

Source contemporaines[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

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Liens externes[modifier | modifier le code]