Pierre Ménard, auteur du Quichotte

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Pierre Ménard, auteur du Quichotte (Pierre Menard, autor del Quijote) est une nouvelle de Jorge Luis Borges qui esquisse la vie et l'œuvre de l'écrivain imaginaire Pierre Ménard, un Français écrivant dans les années 1930. Elle détaille son invraisemblable projet : la réécriture à l'identique du premier livre de Don Quichotte (donc dans l'espagnol classique de Cervantes). Elle a été publiée initialement dans la revue argentine Sur en mai 1939, puis dans les recueils El Jardín de senderos que se bifurcan (1941) et Fictions (1944).

La nouvelle se propose, avec un humour pince-sans-rire permanent, non seulement de justifier ce travail, mais de montrer en quoi le résultat s'avère supérieur à l'original, expliquant par exemple que Cervantes écrit banalement dans l'espagnol de son temps, là où Ménard se livre à une recréation linguistique analogue à celle des romans historiques du XIXe siècle, ou citant deux passages identiques avant de montrer comment le contexte de leur écriture les oppose en fait totalement.

Le Quichotte de Ménard[modifier | modifier le code]

Le protagoniste Pierre Ménard n'écrit que partiellement sa version de Don Quichotte. Il réécrit les chapitres 9 et 38 de l’œuvre de Cervantes. Le narrateur ajoute également que Ménard a rédigé une partie du chapitre 22. Toutefois, cette réécriture du Quichotte, pourtant identique en tout point à la première, a une portée différente. Contrairement à Cervantes, Ménard est un écrivain du XXe siècle ; il apporte donc à son écriture un héritage culturel, littéraire et philosophique que n'avait pas l’œuvre au XVIe siècle. Le narrateur évoque notamment l'influence de Bertrand Russell ou de Friedrich Nietzsche, pour l'écriture du chapitre 38[1].

Le narrateur présente la ressemblance entre le Don Quichotte de Cervantes et la version de Pierre Ménard en en relevant des extraits. On peut lire ainsi à deux reprises dans la nouvelle l'extrait « la vérité, dont la mère est l'histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple et connaissance du présent, avertissement de l'avenir » écrit tantôt par Cervantes, tantôt par Pierre Ménard[2]. Le narrateur se permet tout de même un jugement, qualifiant Cervantes de « génie ignorant », tandis que Pierre Ménard apporterait selon lui une idée « stupéfiante[2] » dans sa version. L'auteur fictif serait de ce fait influencé par William James, alors que l'écrivain du XVIIe siècle ne dispose pas de ces apports culturels.

Références chez Borges à des entités réelles[modifier | modifier le code]

À des personnes[modifier | modifier le code]

Les autres, dont Pierre Ménard, Mme Henri Bachelier, la baronne de Bacourt, la comtesse de Bagnoregio Simon Kautzch, Carolus Hourcade et Jacques Reboul ont été inventés.

À des lieux[modifier | modifier le code]

À des publications[modifier | modifier le code]

Références à Pierre Ménard, auteur du Quichotte[modifier | modifier le code]

  • Les auteurs de l'Oulipo ont souvent fait référence à Pierre Ménard, notamment Marcel Bénabou (auteur de textes proches, tels que Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres), ou Hervé Le Tellier, dans son court roman-correspondance Moi et François Mitterrand (2016).
  • Une citation en espagnol de Pierre Ménard apparaît dans La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski (2000).
  • L'écrivain français Philippe Diaz a choisi le pseudonyme de Pierre Ménard en hommage à la nouvelle de Borges.
  • En parait Une vie de Pierre Ménard, biographie fictive écrite par Michel Lafon[3].
  • Pierre Ménard est également le nom de deux personnages des romans Les Éclaireurs et Les Producteurs, d'Antoine Bello : le fondateur du « Comité de falsification du réel » (CFR), et son descendant à l'époque où se déroulent les événements (2001 et après), membre du comité exécutif du CFR.
  • En , René Ventura (éd. Lucie) publie La Vraie Vie de Pierre Ménard, imaginant que Pierre Ménard, médecin psy, connu de Freud, adepte de la thérapie par l'écriture, aurait pu inspirer à Borges la rédaction de la nouvelle Pierre Ménard, auteur du Quichotte.
  • Sous le titre « Cervantès, Ménard, Borges », Roger Chartier consacre l'épilogue de son livre La Main de l'auteur et l'esprit de l'imprimeur, 2015 (ISBN 9782070462827) à la nouvelle de Borges[4].
  • Gilles Deleuze cite le Pierre Ménard dans l'avant-propos de son livre Différence et répétition, 12e  éd., 2013, p. 5 (ISBN 9782130585299).
  • Antoine Compagnon cite le Pierre Ménard comme exemple littéraire à plusieurs reprises dans Le Démon de la théorie, 1998.
  • Umberto Eco, dans Lector in fabula, 1979 (tr. fr, 1985), p. 60 (édition de poche)
  • Mohamed Mbougar Sarr, dans La plus secrète mémoire des hommes, p.108, (2021 Éditions Philippe Rey)
  • Les éditions Lorem Ipsum publient en 2009 le Quichotte de Pierre Ménard (ISBN 978-2-918829-06-5)

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Jorge Luis Borges, Fictions, Folio, , p. 49.
  2. a et b Jorge Luis Borges, Fictions, Folio, , p.50.
  3. Alain Nicolas, « Du livre-jardin au roman d'île », dans L'Humanité, 18 décembre 2008
  4. Sébastien Zerilli, « Roger Chartier, La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur », Lectures, Les comptes rendus, 2015, 1 juin 2015, consulté le 23 août 2019