Partie immortelle

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Partie immortelle animée

La partie immortelle est une célèbre partie d'échecs jouée par Adolf Anderssen et Lionel Kieseritzky le . William Hartston l'a jugée « probablement unique dans la littérature échiquéenne[trad 1] »[1].

Contexte[modifier | modifier le code]

L'Exposition universelle de Londres, en 1851, attire plusieurs dizaines de milliers de visiteurs des pays étrangers. Le Britannique Howard Staunton, considéré comme le meilleur joueur d'échecs d'Europe, souhaite se mesurer à l'élite européenne. En conséquence, plusieurs pays envoient leurs meilleurs joueurs au tournoi préparé par les soins de Staunton. Les Allemands désignent Anderssen et Carl Mayet.

Staunton ne redoute pas Anderssen, alors relativement inconnu en Grande-Bretagne. En demi-finale, tous deux se font face. En cinq parties, Anderssen élimine Staunton sur le score de 4 à 1. Une défaite que Staunton, homme sombre, ne goûte guère, mais qui assoit définitivement la réputation d'Anderssen comme l'un des meilleurs joueurs d'échecs de l'époque.

Quelque temps après avoir gagné le tournoi, Anderssen, le cœur léger, joue des parties libres, c'est-à-dire des parties sans enjeu et impromptues. S'il gagne, tant mieux ; s'il perd, son manque de préparation explique en grande partie le résultat. Dans l'une de ces parties libres, il affronte Lionel Kieseritzky. C'est cette partie qu'Ernst Falkbeer appela, en 1855, « la partie immortelle » dans le magazine autrichien Wiener Schachzeitung.

Selon Alexandre Kotov, cette partie date de « l'aube des échecs modernes », avant la domination du jeu positionnel et il n'est, dans ces conditions, pas si étonnant qu'un maître comme Kieseritzky se soit laissé aller à un appétit de pions et de pièces qui a permis à son adversaire de le mater[2].

Partie commentée[modifier | modifier le code]

Adolf Anderssen - Lionel Kieseritzky

Londres, 1851

Gambit du roi

1. e4 e5 2. f4 exf4 3. Fc4 Dh4+ 4. Rf1 b5

C'est Kieseritzky qui a découvert ce coup. Le but est d'écarter le fou du roi de la diagonale a2-g8, tout en préparant une attaque ultérieure de pions.

5. Fxb5 Cf6 6. Cf3 Dh6

Ici, les noirs se trompent. La place de la dame est en h5. Ce coup vient à l'encontre de la suite logique du coup en 5.

7. d3 Ch5 8. Ch4! Dg5 9. Cf5! c6 10. g4 Cf6?!

Les noirs sont maintenant acculés à la défensive. Meilleur pour les noirs aurait été 10...g6!? 11. h4 Df6 avec un jeu tendu.

11. Tg1!

abcdefgh
8
Tour noire sur case blanche a8
Cavalier noir sur case noire b8
Fou noir sur case blanche c8
Roi noir sur case blanche e8
Fou noir sur case noire f8
Tour noire sur case noire h8
Pion noir sur case noire a7
Pion noir sur case blanche d7
Pion noir sur case blanche f7
Pion noir sur case noire g7
Pion noir sur case blanche h7
Pion noir sur case blanche c6
Cavalier noir sur case noire f6
Fou blanc sur case blanche b5
Cavalier blanc sur case blanche f5
Dame noire sur case noire g5
Pion blanc sur case blanche e4
Pion noir sur case noire f4
Pion blanc sur case blanche g4
Pion blanc sur case blanche d3
Pion blanc sur case blanche a2
Pion blanc sur case noire b2
Pion blanc sur case blanche c2
Pion blanc sur case noire h2
Tour blanche sur case noire a1
Cavalier blanc sur case blanche b1
Fou blanc sur case noire c1
Dame blanche sur case blanche d1
Roi blanc sur case blanche f1
Tour blanche sur case noire g1
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh

11...cxb5?

Accepter ce magnifique sacrifice du fou ôte tout espoir de contre-attaque aux noirs. Les pièces noires développées doivent retourner à leur base.

12. h4 Dg6 13. h5 Dg5 14. Df3 Cg8

À cause de 15. Fxf4, les noirs sont contraints d'assurer une case de retraite pour leur dame.

15. Fxf4 Df6 16. Cc3

Toutes les pièces noires sont revenues à leur base, ou presque.

16...Fc5? 17. Cd5

Ce coup direct n'est pas le meilleur. 17.d4! suivi de Cd5 gagne rapidement.

17... Dxb2 18. Fd6!?

Là encore, 18. Te1! permet de continuer l'attaque plus sereinement.

18... Fxg1

Les noirs ne peuvent prendre le Fd6, car la suite est forcée : 18...Fxd6 19. Cxd6+ Rd8 20. Cxf7+ Re8 21. Cd6+ Rd8 22. Df8 mat. Les Blancs ont une telle avance de développement que la décision ne saurait tarder. Il était encore possible de jouer 18...Dxa1+ 19.Re2 Db2! qui laisse un espoir aux noirs[2] (ou encore 19...Fxg1). L'attaque contre le pion c2 permettait aux Noirs de défendre la case c7 et aussi d'attaquer le roi blanc par la menace Dxc2+.

19. e5!

La dame noire est privée de la grande diagonale. Une menace de mat, commençant par 20. Cxg7+, est aussi dans l'air.

19...Dxa1+ 20. Re2 Ca6??

Kieseritzky s'imagine que la menace de mat est écartée, car la case c7 est protégée (mais le fou en c8 bloque la dernière porte de sortie du roi noir). C'est maintenant qu'Anderssen le surprend.

21. Cxg7+ Rd8 22. Df6+!! Cxf6 23. Fe7 mat

abcdefgh
8
Tour noire sur case blanche a8
Fou noir sur case blanche c8
Roi noir sur case noire d8
Tour noire sur case noire h8
Pion noir sur case noire a7
Pion noir sur case blanche d7
Fou blanc sur case noire e7
Pion noir sur case blanche f7
Cavalier blanc sur case noire g7
Pion noir sur case blanche h7
Cavalier noir sur case blanche a6
Cavalier noir sur case noire f6
Pion noir sur case blanche b5
Cavalier blanc sur case blanche d5
Pion blanc sur case noire e5
Pion blanc sur case blanche h5
Pion blanc sur case blanche g4
Pion blanc sur case blanche d3
Pion blanc sur case blanche a2
Pion blanc sur case blanche c2
Roi blanc sur case blanche e2
Dame noire sur case noire a1
Fou noir sur case noire g1
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh

La coordination des pièces blanches, au nombre de trois, tout comme la position des pièces noires, toutes présentes sur l'échiquier mais mal coordonnées, ont valu à cette partie le qualificatif d'immortelle. « Les Blancs terminent par un mat modèle, c'est-à-dire que toutes les pièces blanches participent au mat, mais que chaque pièce blanche ne contrôle qu'une seule case du réseau de mat. Falkbeer, qui publia une analyse détaillée de cette partie en 1855 dans le magazine Wiener Schachzeitung, décida de l'appeler « l'Immortelle ». »[3].

Postérité[modifier | modifier le code]

Selon François Le Lionnais, Richard Réti a trouvé la réfutation de la combinaison d'Anderssen : « Après le 19e coup, les Noirs, au lieu de se montrer trop gourmands en capturant la Tg1, pouvaient sauver la partie en jouant ( 18. ... Dxa1+ 19. Re2 ) Db2!, après quoi les Blancs ne peuvent plus gagner. »[4]

Michel Rosten a écrit un roman, L'Immortelle, dans lequel il lie le destin de ses personnages à celui des pièces et des pions sur l'échiquier. Ce roman retrace le portrait de toutes ces personnes, anonymes ou non, qui ont précipité la chute de l'URSS.

Franck Thilliez utilise cette partie dans l’intrigue de son roman Atom[ka] dont la position 21. Cxg7! est gravée sur le front d’une victime du tueur.

En 2013, le court métrage Bienvenue dans l'expérience d'Alain Deneuville met en scène deux femmes qui disputent une partie d'échecs qui reprend, coup pour coup, la partie immortelle.

L'épisode 4 de la saison 2 de Mr. Robot, 21e minute, reprend la position finale avant 22. Df6!!

Dans le jeu vidéo Dragon Age: Inquisition, les personnages de Solas et Iron Bull s'affrontent à l'aveugle en reprenant coup par coup le déroulement de la partie immortelle.

Dans l'épisode 10 de la saison 2 du Bureau des légendes, Malotru cite cette partie au Chevalier pour prouver sa connaissance du jeu.

En 2021, le réalisateur Alain Deneuville reprend une nouvelle fois la partie immortelle pour sa web-série Post Mortem publiée sur YouTube et dans laquelle un homme joue cette partie d'échecs avec La Mort.

Notes et références[modifier | modifier le code]

Citations originales[modifier | modifier le code]

  1. (en) « perhaps unparalleled in chess literature »

Références[modifier | modifier le code]

  1. (en) William Hartston, Teach Yourself Chess, Hodder & Stoughton, (ISBN 0-340-67039-8), p. 150
  2. a et b Alexandre Kotov, L'École des échecs, vol. 2, Hatier, , 218 p. (ISBN 2-218-03519-7), p. 12
  3. « Anderssen,A - Kieseritzky,L, l'Immortelle de Londres, 1851 », sur www.mjae.com (consulté le )
  4. François Le Lionnais, Les Prix de beauté aux échecs, 1939, 1973, Éditions Payot, p. 24. (ISBN 2-228-89493-1)

Source[modifier | modifier le code]

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]