Pamphlet
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Un pamphlet est une œuvre littéraire , un écrit qui attaque, accuse, parodie ou calomnie un pouvoir, une institution, une personne ou une idée, en usant d'un ton ironique, agressif ou violent[1],[2]. Le pamphlet fait partie de la littérature satirique ou polémique qui combat, riposte ou prend parti. Il témoigne d'une écriture militante ou engagée.
Sur le fond, il peut s’agir d’une querelle ou d’un débat d'idées[3]. Sur la forme, s'il désigne à l'origine des écrits courts et souvent politiques, le mot pamphlet caractérise toute production ( article de journal ou de revue, discours, chanson, poème, lettre ouverte, nouvelle, roman, mémoires apocryphes, dessin de presse, etc.) ayant une dimension critique virulente.
Au Québec, dans le langage courant, le terme pamphlet est généralement utilisé dans son sens anglais, c'est-à-dire celui de tract.
Description[modifier | modifier le code]
Étymologie[modifier | modifier le code]
L'origine étymologique du substantif pamphlet est assez incertaine. Le mot anglais pamphlet, paunflet et pamflet dans des textes de 1510, viendrait de palme-feuillet[4],[5]: feuillet qui se tient dans la main (comme une brochure ou un tract).
Si la plupart des grands dictionnaires font dériver ce vocable du palme-feuillet anglais, M. Gaston Paris rapporte, dans un article paru dans La Revue critique du 28 septembre 1874, p.197, une origine latine plus lointaine : Pamflette est cité dans la seconde moitié du XIIIe siècle par Dirk van Asenede dans sa traduction néerlandaise de Flore et Blancheflor. Or Pamflette est le nom vulgaire de Pamphilus, une sorte de comédie en vers latins du XIIe siècle.[5]
Saint-Laurent, dans le Dictionnaire encyclopédique usuel, découvre l'emploi de « πάμφλεκτος / pámphlektos », issu de πᾶς / pâs (« tout ») et φλέγω / phlégô (« brûler ») par Sophocle, puis, quelques siècles plus tard, par le rhéteur et grammairien Athénée.
Définition[modifier | modifier le code]
Pamphlet : texte à la fois court et virulent qui s'en prend avec vigueur à une personne, au régime ou aux institutions. Il se caractérise le plus souvent par l'usage de formes maximalistes et hyperboliques.
Quelle que soit la thèse d'étymologie retenue, la définition actuelle la plus large est proposée par Yves Avril dans son article Le pamphlet : essai de définition et analyse de quelques-uns de ses procédés : « (…) écrit de circonstance, attaquant plus ou moins violemment, unilatéralement un individu, une idée ou un système idéologique dont l’écrivain révèle, sous la pression urgente et libératrice, l’imposture »[6].
Historique[modifier | modifier le code]
Antiquité[modifier | modifier le code]
La pratique pamphlétaire remonte aux premières manifestations de l'écriture, selon le journaliste Pierre Dominique dans l'avant-propos de Les Polémistes français depuis 1789 :
« Dès que les hommes surent écrire, naquit le pamphlet qui, sans doute, commença par le graffito injurieux et ordurier, et qui pouvait être illustré, la polémique orale suivant un chemin parallèle, d’où les pamphlets parlés, tels les Philippiques. »
Les Philippiques, discours de Démosthène prononcés entre 351 et 341 pour dénoncer les ambitions de Philippe de Macédoine auprès des Athéniens, sont considérés comme les premiers écrits pamphlétaires. Suivent ceux de l'orateur latin Cicéron qui rassemble, trois siècles plus tard, ses Quatorze discours contre Marc Antoine sous la même appellation (voir Les Philippiques).
Les formes du pamphlet sont multiples. Ainsi, le théâtre d'Aristophane, avec ses portraits de dieux ridicules et ses violentes railleries contre Athènes et ses habitants peut être considéré comme une forme de pamphlet.
Moyen-Âge[modifier | modifier le code]
Époque moderne[modifier | modifier le code]
France[modifier | modifier le code]
Le pamphlet en France, quelle que soit la forme adoptée, depuis les fabliaux du Moyen Âge jusqu'aux innombrables brûlots révolutionnaires, s'accole aux soubresauts de l'histoire et révèle la situation intellectuelle et sociale du pays, ainsi que la marge laissée au droit d'expression.
La Satire Ménippée (1594), œuvre collective de juristes, d'ecclésiastiques et de poètes, née sous l'impulsion du chanoine rouennais Pierre Le Roy, s'associe très étroitement à la période troublée de la Ligue, et demeure un exemple d'efficacité dans son soutien à Henri IV. Ce n'est certes pas la première œuvre polémique en France. De grandes plumes s'étaient déjà distinguées dans le genre, comme Alain Chartier avec son Quadrilogue invectif (1422), appel vibrant à la Nation française. Montaigne, lui aussi, s'est adonné à la violence littéraire dans L’Apologie de Raymond Sebond, premier article de ses Essais : « La plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures, c’est l’homme (…). Elle se sent et se voit logée parmi la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’Univers (…). »
D'autres monuments de la littérature du XVIe siècle n'ont pas manqué de tremper leur plume dans le vitriol (Calvin, La Boétie, et Rabelais par exemple).
Le XVIIe siècle assiste au développement du genre pamphlétaire en tous domaines (politique, poésie, religion, théâtre). Parmi les exemples notables : l'attaque de Mathurin Régnier contre Malherbe, qualifié de « tyran des lettres », les chansonniers et leurs mazarinades sous la Fronde, inspirés entre autres par les pamphlets de Mathieu de Morgues à la mort du cardinal de Richelieu[7], ou encore les coups de joute entre frondeurs tel le pastiche du cardinal de Retz intitulé Manifeste de Monseigneur le duc de Beaufort en son jargon.
Le règne de Louis XIV ne met pas le pamphlet en berne, comme en témoignent les éreintements de Boileau, les pièces satiriques de Molière et les Provinciales de Pascal.
L'aigreur du XVIIIe siècle se manifeste par exemple dans les satires indirectes d'un Voltaire. Les chansonniers, toujours actifs, font des maîtresses de Louis XV, puis de Marie-Antoinette, leurs têtes de turc.
Les romans et les ouvrages théoriques philosophiques, pornographiques, psychologiques et fortement sulfureux et singuliers de Sade (1740-1814) font également figure de pamphlets virulents au XVIIIe siècle, ce qui a valu à leur auteur sur ses 74 années de vie, 30 passées en prison.
À la fin du règne de Louis XVI, les libellés insultants ou obscènes se multiplient. Le coup d'envoi est donné par Mirabeau, en , avec le Journal des États généraux, suivi de nombreuses feuilles qui rivalisent de violence. Le summum est atteint avec Le Père Duchesne d'Hébert : il entrecoupe ses appels au massacre de « bougre » et de « foutre », pour « faire peuple ». Le succès est au rendez-vous de la virulence, puisque certains numéros atteignent le chiffre prodigieux de 600 000 exemplaires vendus.
Parmi les autres feuilles révolutionnaires au ton meurtrier, on peut relever Les Révolutions de France et de Brabant de Camille Desmoulins qui se surnommait le « Procureur de la Lanterne ». Marat, dans L'Ami du Peuple, pousse lui la surenchère jusqu'à réclamer la tête de 270 000 âmes. Côté royaliste, nous pouvons relever le Journal politique national de Rivarol qui doit s'exiler en .
Époque contemporaine[modifier | modifier le code]
France[modifier | modifier le code]
Face à une telle permissivité, Bonaparte fait édicter le décret du qui soumet toute parution de presse à une autorisation préalable, une censure. Seuls treize journaux obtiennent le privilège de pouvoir outrepasser la nécessité d'obtenir cette autorisation préalable. L'empereur n'échappe pourtant pas aux foudres de plumes acérées, et parmi celles-ci, sans doute la plus talentueuse, celle de Chateaubriand : « Tibère ne s’est jamais joué à ce point de l’espèce humaine… Bonaparte disait de lui-même : « J’ai 300 000 hommes de revenu. » Il a fait périr plus de un million de Français, la plus grande crise démographique française du XIXe siècle due à la guerre… Descends de ce monceau de ruines dont tu avais fait un trône ! ».
Le terme « pamphlet » apparaît de manière officielle en 1824 dans l'œuvre de Paul-Louis Courier : Le Pamphlet des pamphlets.
L'histoire démontre que le pamphlet, quoique toujours négligé dans son étude en France, s'est manifesté chez les plus grandes plumes comme un moyen de réaction et d'expression de leur révolte. Les critiques contre ce genre d’écrit, et les moyens mis en œuvre pour le faire disparaître, ou pour le cantonner à la verdeur de bon aloi, demeurent toutefois vigoureux. Marc Angenot, dans son ouvrage critique très fouillé sur la mécanique du pamphlet et les intentions du polémiste (La Parole pamphlétaire, 1982)[8], souligne le paradoxe de la situation de cet écrivain de combat : « (…) le pamphlétaire est porteur d’une vérité à ses yeux aveuglante, telle qu’elle devrait de toute évidence imprégner le champ où il prétend agir – et pourtant il se trouve seul à la défendre et refoulé sur les marges par un inexplicable scandale. »
Les accusations portées contre ce mode d'expression restent d’actualité : absence de portée due à une violence excessive, imbrication à l'actualité qui vieillirait très vite le contenu, mauvaise foi comme fondement de la démarche.
À ces attaques intellectuelles s'ajoutent l'arsenal juridique, qui tend à brider les élans d'indignation, et les pressions économiques qui s’exercent sur les éditeurs.
Dans son « Anthologie du pamphlet de la Libération à nos jours » (août-), Le Crapouillot, « magazine non-conformiste » selon sa propre définition, s'inquiète de l’avenir du genre pamphlétaire : « Aujourd’hui, (…) non seulement les plumes s’alanguissent dans un conformisme douillet et sans histoire, mais celles qui refusent le ronronnement de bonne compagnie, celles qui veulent demeurer acérées pour mieux atteindre leur cible, se voient impitoyablement traquées, traduites devant les tribunaux et condamnées. Outrage à ceci… offense à cela…, et voilà le pamphlet ficelé, étranglé par le code ! »[pertinence contestée].
Le journal confirme ce constat dix ans plus tard dans une nouvelle anthologie de ce magazine : « L’écriture est de plus en plus aseptisée, les plumes se trempent de plus en plus dans la poussière et de moins en moins dans le vitriol. », V. Hugo.
Au XXIe siècle, Sébastien Nadot propose dans son PAMPHLET 2.0[9] un genre renouvelé où il s'agit autant de s'amuser d'une civilisation qui se perd dans les nouvelles technologies qu'elle a enfantées que de critiquer un système politique qui n'a de démocratique que le nom.
Pamphlétaires[modifier | modifier le code]
- Léon Tolstoï
- Henry David Thoreau
- Théodore Agrippa d'Aubigné
- Aristophane
- Zo d'Axa
- Marcel Aymé
- Honoré de Balzac
- Jules Barbey d'Aurevilly
- Maurice Bardèche
- Maurice Barrès
- Charles Baudelaire
- Marc Beigbeder
- Serge de Beketch
- Julien Benda
- René Benjamin
- Henri Béraud
- Emmanuel Berl
- Georges Bernanos
- Blaise d'Ostende-à-Arlon
- Léon Bloy
- Olivier Bardolle
- Baudouin de Bodinat
- Pierre Boutang
- Jean de Bonnefon
- Jacques Bouveresse
- Juan Branco
- Robert Brasillach
- François Brune
- Jean Cau
- Louis-Ferdinand Céline
- Jacques Charpentreau
- Gilles Châtelet
- Ernest Cœurderoy
- Paul-Louis Courier
- Raymond Cousse
- Pierre-Antoine Cousteau
- Georges Darien
- Léon Daudet
- Daniel Defoe
- Thierry Desjardins
- Pierre Dominique
- Édouard Drumont
- Alexandre Dumas
- Pierre Falardeau
- Frantz Fanon
- André Figueras
- Olivier Gadet
- Jean Galtier-Boissière
- Urbain Gohier
- Rémy de Gourmont
- Olympe de Gouges
- Julien Gracq
- Jean-Edern Hallier
- Victor Hugo
- Pierre Jourde
- Maurice Joly
- Karl Kraus
- Jacques Laurent
- Paul Léautaud
- Adrien Le Bihan
- Lénine
- Hugues Lethierry
- Simon Leys
- Daniel Lindenberg
- Luther
- Jean-Marc Mandosio
- Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde
- Martin Marprelate
- Karl Marx
- Charles Maurras
- Régis Messac
- Thierry Meyssan
- Michel-Georges Micberth
- Octave Mirbeau
- Mathieu de Morgues
- Philippe Muray
- Éric Naulleau
- Sébastien Nadot
- Roger Nimier
- Marc-Édouard Nabe
- Paul Nizan
- Oskar Panizza
- Blaise Pascal
- Alain Paucard
- Charles Péguy
- Raymond Picard
- Robert Poulet
- Lucien Rebatet
- Jean-François Revel
- Jehan-Rictus
- Henri Rochefort
- Marquis de Sade
- Jaime Semprun
- Paul Sérant
- Alain Soral
- Jacques Sternberg
- Jonathan Swift
- Laurent Tailhade
- Claude Tillier
- Giuseppe Tomasi di Lampedusa
- Théodore de Tschudi
- Jules Vallès
- Richard Verstegen
- Voltaire
- Émile Zola
Notes et références[modifier | modifier le code]
- « Dictionnaire de l’Académie française », sur dictionnaire-academie.fr (consulté le )
- « PAMPHLET : Définition de PAMPHLET », sur cnrtl.fr (consulté le )
- « Signification de Pamphlet », sur Le Monde (consulté le )
- « Définition de pamphlet », sur Le Monde (consulté le )
- « PAMPHLET : Étymologie de PAMPHLET », sur cnrtl.fr (consulté le )
- Yves Avril, « Le pamphlet : essai de définition et analyse de quelques-uns de ses procédés », Études littéraires, vol. 11, no 2, , p. 265-281 (lire en ligne)
- Benjamin Vidal, Un tombeau de pamphlet, DUMAS, , 171 p. (lire en ligne), p. 51-55 et 112-119
- Marc Angenot, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982, 2004
- Sébastien Nadot, Pamphlet 2.0, Toulouse, éditions de l'An Zéro 2.0,
Voir aussi[modifier | modifier le code]
Bibliographie[modifier | modifier le code]
- Léon Daudet, Flammes. Polémique et polémistes, Paris, Grasset, 1930.
- Frédéric Saenen, Dictionnaire du pamphlet, collection « Illico » no 25, Infolio, 2010 (ISBN 978-2-88474-019-7)
Articles connexes[modifier | modifier le code]
Liens externes[modifier | modifier le code]
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- pamphletaire.com "Le pamphlétaire de l'ère numérique"
- Répertoire des grands pamphlets en langue française