Community organizing
Le community organizing décrit le processus par lequel des gens vivant à proximité les uns des autres construisent une organisation pour avoir plus de pouvoir et mieux faire valoir leurs intérêts communs face aux institutions publiques, aux entreprises, aux propriétaires dont les décisions affectent leur vie[1]. Il a été popularisé par Saul Alinsky généralement considéré comme son père fondateur[2] via ses deux apports majeurs: la formalisation de la fonction de community organizer[3], et l'idée de sortir les principes d'organisation, d'action et de négociation collectives des usines pour les appliquer dans les quartiers[4].
Traduction
[modifier | modifier le code]Il n'y a pas de consensus sur la traduction en français du terme qui est le plus souvent utilisé en anglais en France et en Belgique[3]. Le principe de regroupement pour la défense d'intérêt commun se traduit communément "syndicat" en français. Le terme community organizing pourrait dès lors se traduire par "organiser un syndicat de quartier" dans la lignée des travaux pionniers de Saul Alinsky[5]. On utilise également les notions suivantes : organisation des communautés d'habitants, organisation des citoyens, auto-organisation, ou encore, parmi les travailleurs sociaux ou au Québec, la notion d'organisation communautaire[3].
Objectifs
[modifier | modifier le code]Construire du pouvoir à même de transformer les institutions
[modifier | modifier le code]L'un des principaux buts est la construction de pouvoir citoyen pour la communauté organisée afin d'influencer les décisions qui affectent ses membres, que ce soit de la part de propriétaires, de chefs d'entreprise, d'élus locaux ou de responsables institutionnels. Dans la continuité des principes posés par Alinsky, il s'agit de construire dans le quartier ou dans la ville l'équivalent du syndicat dans l'entreprise[4]. Le community organizing se distingue ainsi d'autres approches comme le community building ou le community developpement, qui sont centrés sur la construction de lien social et le développement des capacités individuelles et collectives.
Construire une organisation
[modifier | modifier le code]"O.O.O. Un Organisateur Organise une Organisation." Heather Booth, fondatrice de la Midwest Academy[1]
Le concept central "organizing" distingue cette approche des pratiques de mobilisation ou d'animation. Quand ils vont rencontrer des personnes en porte-à-porte, à la sortie de l'église ou de l'école, les organisateurs se posent d'abord une question : "quelle organisation je suis en train de construire? De quoi les personnes rencontrées deviennent-ils membres?"[6]. Quand ils mènent des campagnes, ils se posent toujours la question: "en quoi cette campagne va-t-elle faire grandir l'organisation?"[6].
Contribuer à l'éducation politique des membres
[modifier | modifier le code]"La fin et la nature même de la construction d'une organisation du peuple sont éducationnelles. (..) L'organisation permet de créer un ensemble de circonstances favorables au déroulement d’un processus éducationnel, (...) elle suscite les conditions et le climat qui donneront envie aux gens d’apprendre pour apprendre, parce que c’est essentiel à leur vie." Saul Alinsky, chapitre "Éducation populaire" du livre Radicaux, réveillez-vous [4]
Au sein des organisations citoyennes construites, l'éducation politique et la conscientisation se fait par l'expérience des actions collectives puis les débriefs, l'analyse des intérêts en jeu et des enjeux politiques derrière les situations concrètes d'injustice subie[7].
Autres
[modifier | modifier le code]L'approche du community organizing favorise la structuration des milieux en soutenant la mise en place de ressources et leur consolidation et en soutenant les organismes. Elle contribue au renforcement de la vie démocratique des collectivités et organisations[8]. Ainsi, les organismes communautaires fonctionnent selon une approche ascendante et favorisent les coalitions.
Caroline Fourest constate « les dégâts intellectuels du community organizing »[9][Lesquels ?][Comment ?].
Histoire et expériences de community organizing dans le monde
[modifier | modifier le code]Saul Alinsky et la création du community organizing comme syndicalisme de quartier
[modifier | modifier le code]Saul Alinsky est considéré comme le père fondateur de l'organisation des communautés d'habitants[2]. Formé à l'école de sociologie de Chicago, il travaille en 1938 avec Clifford Shaw sur un projet d'organisation collective pour réduire la délinquance dans le quartier populaire de Back of the Yards, avant de détourner le projet, inspiré par le mouvement syndical du CIO, pour en faire une organisation de défense des droits des habitants du quartier par l'action directe[5].
En publiant le livre Reveille for radicals en 1946, il amène deux éléments fondateurs : la définition de la fonction de l'organisateur d'une part, et le principe de sortir les principes d'organisation, d'action et de négociation collectives des usines pour construire une dynamique syndicale dans les quartiers[4]. S'il s'inspire des tactiques des syndicats professionnels, il ne construit pas l'organisation de quartier par des adhésions individuelles comme ceux-ci mais comme une coalition des organisations déjà existantes dans le quartier.
Développement aux États-Unis
[modifier | modifier le code]Organisation basée sur les congrégations: Alinsky, l'IAF et PICO
[modifier | modifier le code]À la suite de la notoriété acquise par cette expérience, Alinky a fondé l'Industrial Area Foundations (IAF) avec le soutien financier de l'homme d'affaires Marshall Fields et de l'évêque catholique Bernard James Sheil[10]. Il initiera des organisations dans les quartiers pauvres de Saint Louis, Woodlawn ou Rochester. Après sa mort en 1971, Edward T. Chambers prendra la tête de l'IAF. Il renforcera la logique d'organisation basée sur les congrégations religieuses (Congregations-based community organizing) où le travail de l'organisateur consiste d'abord à convaincre des responsables d'institutions religieuses de construire une alliance pour agir sur les problèmes sociaux qui touchent leurs membres.
Organisation grassroots basée sur des membres individuels: CSO, NWRO, ACORN
[modifier | modifier le code]En Californie, César Chavez, formé par Fred Ross, lui-même élève d'Alinsky a lancé la Community Service Organization (CSO), une association de promotion des laissés pour compte qui obtiendra par l'action directe (sit-ins, boycotts, piquets de grève…) des assurances sociales (maladie, vieillesse et incapacité de travail) pour les ouvriers agricoles[11].
La création d'ACORN en Arkansas en 1970 par Wade Rathke et son expansion nationale rapide des années 1970 aux années 2000 va donner une dimension nationale au community organizing avec 500 000 membres revendiqués en 2008 et des campagnes nationales pour le droit au logement, l'accès au crédit bancaire ou l'enregistrement sur les listes électorales[12]
Diffusion du community organizing dans le monde
[modifier | modifier le code]En Europe
[modifier | modifier le code]L'approche de l'IAF d'organisation par l'alliance des congrégations, élargie à des institutions non-religieuses (université, syndicat) sera celle reprise par Neil Jameson lors du lancement du community organizing dans les quartiers Est de Londres, avec la fondation de Telco en 1996, qui deviendra London Citizens en 2004 puis Citizens UK en 2010[13].
En France, la création de l'Alliance Citoyenne à Grenoble en 2012 est d'abord inspirée des méthodes de l'IAF à Londres. Après des difficultés à adapter ce modèle dans le contexte française, l'Alliance s'appuiera sur l'approche dite grassroots d'ACORN de construction des syndicats de quartier et de groupes minoritaires (femmes musulmanes, handicapés). Elle s'est déployée en France, en Seine-Saint-Denis et dans l'agglomération lyonnaise[14].
En Afrique
[modifier | modifier le code]Un forum du community organizing s'est tenu à Douala au Cameroun en septembre 2016 à l'initiative d'Acorn International, réunissant des organizers du Kenya, du Liberia, de Côte d'Ivoire, du Maroc et du Cameroun[15]. L'association On Est Ensemble fédérant les habitants des quartiers pauvres de Douala s'est lancée dans la foulée et mène des campagnes pour l'accès à l'eau ou l'électricité[16]. Avant cela, un travail d'organisation des communautés avait amené la création du Synaparcam, un syndicat de paysans riverains des plantations à huile se battant pour les droits des communautés face à la Socapalm, entreprise liée au groupe Bolloré[17].
Des dynamiques d'organisation liées à Acorn International existent également au Liberia, au Kenya et en Tunisie[18].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Dave Beckwith, « Community Organizing: People Power from the Grassroots », sur comm-org.wisc.edu, (consulté le ).
- Julien Talpin et Hélène Balazard, « Community organizing : généalogie, modèles et circulation d’une pratique émancipatrice », Mouvements, (ISSN 1291-6412, lire en ligne)
- Julien Talpin, Community Organizing, Paris, Raisons d'Agir, , 320 p. (ISBN 9782912107862)
- Saul Alinsky, Radicaux, réveillez-vous, Paris, Le passager clandestin, , 300 p (ISBN 9782369350538), chapitre 2, p 54
- Adrien Roux, « Community organizing : une méthode « résolument américaine » ? », Mouvements, , p. 53 (ISSN 1291-6412, lire en ligne)
- (en) Kim Bobo, Jackie Kendall et Steve Max, ORGANIZING FOR SOCIAL CHANGE, Midwest Academy Manual for Activists, Trade Paperback, , 425 p. (ISBN 9780929765945), p. 78
- Marion Carrel et Adeline de Lépinay, « Le community organizing en France : quel projet politique ? », Mouvements, , p. 31 (ISSN 1291-6412, lire en ligne)
- (en) Kim Bobo et al., Organizing for social change: Midwest Academy: Manual for activists, Seven Locks, (ISBN 0-929765-94-X).
- Caroline Fourest, Génie de la laïcité, Grasset, , 336 p., « À quoi joue le soft power américain »
- (en) Sanford Horwitt, Let them call me a rebel, New York, Vintage, (ISBN 978-0-679-73418-5)
- Jean Marie Muller, Cesar Chavez, un combat non violent, Paris, Fayard, , 323 p. (ISBN 9782213709031)
- (en) Jon Atlas, Seeds of Change : the Story of ACORN, America's Most Controversial Antipoverty Community Organizing Group, New York, Trade Paperback, , 284 p. (ISBN 9780826517067)
- Hélène Balazard, Quand la société civile s'organise, Vaulx-en-Velin, Université de Lyon 2, , 420 p. (lire en ligne)
- Elsa de La Roche Saint-André, « LFI, Nupes : qu’est-ce que l’institut Alinsky, qui forme des militants à «aller chercher les colères»? », sur Libération (consulté le ).
- ReAct, « Le community organizing en Afrique », sur Youtube.com, (consulté le ).
- « Cameroun : L'association 'On est ensemble' confrontée à la surfacturation d'Eneo », sur Blasting News, (consulté le ).
- « Huile de palme : polémique autour des plantations de Bolloré au Cameroun », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- (en) ACORN, « Acorn International affiliates », sur acorninternational.org, (consulté le ).
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Julien Talpin, Community organizing, Raisons d'Agir, Paris 2016 (ISBN 9782912107862)
- Jérémie Louis, "L’ambition démocratique du community organizing, exemple de l’Alliance citoyenne de l’agglomération grenobloise", Mouvements, 2015/3 (n°83), p 168-176, Editions La Découverte, Paris.
- Saul D. Alinsky, Radicaux, réveillez-vous !, Le Passager clandestin, 2017 (ISBN 2369350539)
- Saul D. Alinsky, Être radical : manuel pragmatique pour radicaux réalistes, Aden, 2011 (ISBN 9782805900648)
- Adrien Roux, « Community organizing : une méthode résolument américaine? », Mouvements, 2016, p. 53-64 (ISSN 1291-6412) (lire en ligne)
- (en) Robert Fisher et Peter Romanofsky, Community Organizing for Urban Social Change: A Historical Perspective, Greenwood Press, (ISBN 978-0-313-21427-1)
- (en) Robert Fisher, Let the People Decide: Neighborhood Organizing in America, Twayne Publishers, (ISBN 978-0-8057-3859-9, présentation en ligne)
- Entretien avec Saul Alinsky - Organisation communautaire et radicalité - , préface d'Yves Citton, éditions du commun, 2018 (ISBN 979-10-95630-16-6)
- «Communauté locale et organisation communautaire aux États-Unis». de Jean-François Médard, éditions Armand Colin/Presses de Sciences Po, Paris, 1969. Préface de Jacques Ellul.