Opération Tigre (1944)
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’opération Tigre ou exercice Tigre (operation Tiger ou exercise Tiger en anglais) fut un exercice militaire de répétition du débarquement de Normandie qui eut lieu à Slapton Sands, dans le comté de Devon, dans le sud-ouest de l'Angleterre en avril 1944.
Cette répétition générale, conduite par les Britanniques et les Américains, durant neuf jours, fut émaillée de nombreuses erreurs, défaillances et accidents mais surtout d'une attaque surprise de vedettes lance-torpilles allemandes. Le bilan global est de 946 soldats américains tués[1].
L'opération permit néanmoins d'améliorer la communication entre unités alliées et le sauvetage à la mer des soldats. Elle fut longtemps ignorée des historiens, même après la guerre, en raison du secret militaire qui entoura cette opération et ses pertes.
Préambule
[modifier | modifier le code]Le , l'état-major interallié, pour préparer les soldats américains qui devaient débarquer en France, organisa une série d'exercices. Un « premier » débarquement fut organisé sur la plage de Slapton Sands, dans le comté de Devon, dans le sud-ouest de l'Angleterre, qui fut choisie en raison de sa ressemblance avec celles d'Omaha Beach et Utah Beach.
Les 3 000 habitants de cette baie avaient été expulsés le de leurs domiciles qu'ils ne retrouveront qu’un an après. Durant cette période, 30 000 soldats y logèrent, mais l'expulsion avait aussi pour but de maintenir le secret sur les opérations qui se déroulaient dans cette zone[2].
Les villages furent évacués, les routes fermées, les sites et monuments historiques protégés. Des soldats alliés jouèrent le rôle des Allemands. Cette opération fut menée dans des conditions « réelles » et dans le plus grand secret.
Historique
[modifier | modifier le code]L'opération Tigre devait être une dernière répétition avant le débarquement de Normandie (opération Neptune), elle dura du au , planifiée par le Quartier général suprême allié (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force ou SHAEF).
La nuit précédente, il était prévu d'effectuer un exercice de débarquement de matériel lourd avec neuf bateaux de débarquement (Landing Ship Tank ou LST). Le lent convoi de ces navires faisait une ligne ininterrompue de 8 km de long.
Le , neuf vedettes lance torpilles allemandes (Schnellboote) quittèrent le port de Cherbourg, afin d'intercepter deux convois signalés au large de la presqu'île de Portland, situé sur la côte anglaise un peu plus à l'est du lieu prévu des opérations alliées.Il s'agit des :
- 5e flottille : 6 vedettes travaillant par paires : S 100 et S 143. S 140 et S 142. S 136 et S 138 (capitaine de corvette Bernd Klug (en))
- 9e flottille : 3 vedettes : S 130, S 145, S 150 (capitaine de corvette Götz Freiherr von Mirbach (en))[3].
À cause du brouillard, les vedettes manquèrent les convois mais tombèrent par hasard, dans la baie de Lyme, sur huit gros LST américains en cours de répétition de débarquement, escortés seulement par la corvette britannique HMS Azalea, leurs radios non calées sur la même fréquence.
Le convoi devait théoriquement être protégé également par un autre navire britannique, le HMS Scimitar, un destroyer de la Première Guerre mondiale. Ayant subi des dégâts après une collision, celui-ci est resté au port de Plymouth pour réparations. Son remplaçant n'était pas encore en place à l'arrivée des S-Boote allemands.
Bien que l'alerte aux S-Boote ait été donnée deux heures plus tôt, l'incompréhensible lenteur du convoi de débarquement permit aux vedettes rapides allemandes de torpiller les LST 507 et 531 et d'endommager gravement le LST 289. Quoique repérées par les Britanniques, les vedettes ne furent pas signalées aux Américains. Par manque de coopération entre l'U.S. Army et l'U.S. Navy, beaucoup de soldats américains périrent noyés dans la Manche bloqués dans les LST coulés, ou d'hypothermie. En un quart d'heure à peine, l'attaque causa la mort de 749 personnes (198 marins et 551 soldats)[4] et fit une centaine de blessés[5],[6].
Le général Eisenhower, commandant du SHAEF, ne donna l'ordre de récupérer les naufragés qu'à l'aube, et de nombreux marins, attendant d'être secourus, moururent noyés ou d'hypothermie. Les soldats, qui n'étaient pas habitués à l'évacuation en mer, paniquèrent et n'attachèrent pas correctement leur gilet de sauvetage. Pour certains, lorsqu'ils sautèrent à l'eau, le poids de leur équipement de combat les fit basculer en arrière, maintinrent leur tête sous l'eau et les noyèrent.
Dix officiers noyés durant l'exercice Tigre portaient des plans partiels du débarquement de Normandie, avec des instructions secrètes, sous le nom de code « bigot »[7],[8].
L'état-major allié, qui s'était lancé dans un vaste plan de diversion et d'intoxication (l'opération Fortitude visait à faire croire à un débarquement aux environs de Calais) craignit que l'attaque des S-Boote allemands n'ait pas été une simple coïncidence et que les plans du débarquement avec l'objectif réel sur les côtes de Normandie ne fussent tombés aux mains des Allemands.
Il lança donc une vaste pêche aux cadavres dans la baie de Lyme, et ce n'est que lorsque tous les plans manquants furent récupérés qu'on choisit de poursuivre l'opération Overlord[9].
Conséquences
[modifier | modifier le code]Le SHAEF tira toutefois les conséquences de l'événement en ordonnant :
- la standardisation des fréquences radio américaines et britanniques ;
- un meilleur entrainement à l'utilisation des gilets de sauvetage ;
- la planification de récupération d'éventuels naufragés par l'utilisation de petites embarcations.
De meilleures collaborations entre les états-majors alliés, et entre la marine et l'armée de terre complétèrent ces mesures.
Secret militaire
[modifier | modifier le code]Le plus strict secret militaire fut longtemps entretenu sur cet événement, qui fut longtemps méconnu des historiens.
Mémoriaux
[modifier | modifier le code]- En 1984, un char M4 Sherman a été renfloué sur la plage de Slapton Sands. En 2006, l'association Slapton Sands Memorial Tank Limited, a créé un mémorial plus important répertoriant les noms de toutes les victimes.
- Une plaque a été inaugurée, en 1995, au cimetière national d'Arlington, aux États-Unis.
- En 1997, l'association Exercise Tiger, des vétérans de l'opération Tigre, a créé un mémorial (ancre) dans le Missouri, aux États-Unis.
- En 2012, une plaque commémorative a été inaugurée à Utah Beach.
- Un M4 Sherman sert de mémorial dans le parc Fort Rodman (en) à New Bedford, aux États-Unis.
Annexes
[modifier | modifier le code]Liens internes
[modifier | modifier le code]- Débarquement de Normandie
- Bataille de Normandie
- Liste des opérations lors de la Seconde Guerre mondiale
Liens externes
[modifier | modifier le code]- (en) The 30th Infantry Division In World War II
- OPERATION TIGER Sources diverses via P. Vandenbroucke
- La répétition manquée du jour J, documentaire de Karolin Gunzert, Julia Knobloch et Andreas Sawall, 2004
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Guide vert Normandie, 1944-2004. Un nombre indéterminé de soldats ont été victimes de « bavures » à la suite des tirs à balles réelles ; ils ont certainement été intégrés dans le bilan global.
- Nicolas Denoyelle, « 75e anniversaire du Débarquement. Fin avril 1944, la répétition du D-Day fait 749 morts », sur ouest-france.fr, (consulté le ).
- « Die Schnellboot-Seite - s-Boats in the Kriegsmarine Channel 1944- UK », sur www.s-boot.net (consulté le )
- Le nombre officiel de 946 morts américains au cours de l'opération, tient compte des disparus, des blessés qui n'ont pas survécu et des victimes des tirs à balles réelles.
- « Schnellboote (S-Boote) », sur www.u-boote.fr (consulté le )
- Plus de 300 blessés selon d'autres sources [1].
- Jérôme Prod'homme, « La répétition du débarquement de Normandie fut un fiasco », sur France Bleu, (consulté le )
- Les documents militaires avec le code Bigot étaient au-dessus de Top Secret. Originellement, les officiers britanniques envoyés à Gibraltar pour l’invasion de l’Afrique du Nord, en novembre 1942, voyaient leurs papiers tamponnés to Gib (pour Gibraltar). En lisant ce tampon de droite à gauche on a Bigot [2].
- Jean-François Deniau, Le Bureau des secrets perdus, Paris, Odile Jacob, .